Mahault Bernard, Joséphine Boucher, Tristan Facchin, Noé Pennetier sont étudiants dans plusieurs établissements d’enseignement supérieur. En cliquant ci-dessus sur leur nom vous accéderez à leur notice biographique. Laurent Chamontin est Polytechnicien, membre du Conseil scientifique du Diploweb.com. Estelle Ménard est titulaire de Masters en Géopolitique (IFG, Paris VIII) et en Relations internationales (MRIAE, Paris I). Elle a participé à la relecture de l’ensemble des contributions, avec Pierre Verluise, fondateur du Diploweb.com.
Voici une précieuse synthèse de 14 conférences de qualité sur les questions internationales, géopolitiques et stratégiques, à Paris et à Londres. Ces conférences améliorent notre compréhension des thèmes suivants : Zones de crise, tensions internationales et politique étrangère (I) ; Géopolitique des ressources et de l’aménagement (II) ; Intérêts nationaux et multilatéralisme (III). Après la couverture des conférences à Londres, nouvelle innovation : 4 vidéos de conférences en bonus !
Le Diploweb.com publie cette huitième édition dans l’intention d’étendre dans l’espace et le temps le bénéfice de ces moments d’intelligence du monde. Puisse cette idée originale du Diploweb être partagée, copiée, développée sur la planète entière. Faire rayonner l’intelligence du monde, c’est dans l’ADN du Diploweb.com.
La crise vénézuélienne en perspective (A) ; Élections, conflits armés et perspectives de paix en RDC (B) ; Syrie, entre désarroi américain et désordre régional (C) ; Les raisons de l’agressivité de la Russie vis-à-vis de l’Ouest (Moscow Rules – what drives Russia to confront the West ?) (D) ; L’élaboration de la politique étrangère des États-Unis à l’égard de la Russie (E).
Conférence organisée à Paris par les Cafés Géo le 14 janvier 2019 au Café de la Mairie, animée par Daniel Oster, avec Fabrice Andréani, doctorant en science politique à l’Université Lumière Lyon-2 et Marie-France Prévôt Schapira, géographe agrégée et professeure émérite à l’université Paris VIII. Synthèse par Tristan Facchin.
Le Venezuela, géant pétrolier d’Amérique du Sud, est à l’agonie. Le pays connaît une crise économique, sociale et désormais politique majeure depuis l’avènement de Hugo Chavez. Comment analyser cette crise ? Quels sont les facteurs à l’origine de celle-ci ?
Le Venezuela n’a pas toujours été le pays ruiné que l’on connaît aujourd’hui. Dans les années 1970, c’était un phare de modernité au milieu du marasme. Les promesses du pétrole et la poigne du charismatique leader Hugo Chavez lui permettait d’être un îlot de richesse. En 2005, le pays se targuait d’avoir anéanti l’analphabétisme et faisait figure de géant dans une Amérique du sud qui sortait de sa torpeur. Le tourisme était florissant. Le contexte régional était favorable aux régimes « progressistes », après les affres des dictatures du siècle précédent. Les années 2000 ont plus généralement été une période d’enrichissement de l’État grâce aux exportations de pétrole vers la Chine, la Russie et les États-Unis. Chavez jouait un rôle central, dans la mesure où il contrôlait étroitement les milices locales, véritables « délégations de services publics » jonction entre le pouvoir et le quotidien de la rue. En échange de pots-de-vin, ces milices sécurisent l’approvisionnement en eau ou en électricité des habitants. Chavez était aussi un repère rassurant. En effet, les élites économiques se reposaient sur son charisme pour redresser les situations les plus tendues. Grâce à son chef, le Venezuela se développe. Pauvreté et inégalités baissent. Le secteur minier est en plein boom. Le système est basé sur l’expropriation des compagnies privés au profit d’une gestion centralisée nationale. Cependant les expropriations arbitraires font péricliter les autres secteurs. L’investissement décroît de peur que les bénéfices soient captées immédiatement par l’État. Le Venezuela est donc dans une situation particulière. D’un côté il est riche, quatrième producteur mondial de pétrole. De l’autre, l’économie est minée par la corruption, le manque d’investissements et les énormes dépenses sociales qui ne sont pas renflouées…
La situation ne pouvait pas éternellement durer. Déjà des troubles apparaissent entre 2002 et 2004. La tentative de coup d’État avorté mais aussi les expropriations forcées conduisent à l’arrivée de Nicolas Maduro comme nouvel homme fort. La situation est à peine stabilisée. La dette du Venezuela continue de monter, surtout vers la Chine qui investit massivement dans les infrastructures pétrolières. Les élites continuent à suivre Chavez, dans la mesure où, celui-ci, pragmatique a toujours su rebondir aux crises. Cependant celui-ci meurt en 2013. Les élites qui spéculaient sur la faiblesse de l’économie vénézuélienne se rendent compte que l’économie ne va pas tenir et se retirent. D’une certaine manière, on peut dire qu’ils ont « anticipé » la crise. Les protestations de 2013 et de 2014 augurent d’une crise sans précédent. F. Andreani voit dans cette situation un « remake » de l’arrivée de Chavez au pouvoir, avec une logique macroéconomique presque similaire. L’engrenage amorcé en 2013 culmine avec une Assemblée nationale mise « hors-jeu » par Maduro et une non reconnaissance du Parlement.
En outre, la chute des cours du pétrole en 2014 fait perdre ce qui faisait la force du Venezuela. Désormais, plus de dépenses sociales, l’économie est au point mort. C’est à ce moment où l’on se rend compte de l’ampleur de la corruption derrière les nationalisations des entreprises. Entre la fuite des capitaux, la fraude au contrôle de change et l’hyper inflation, l’économie s’écroule. La dette augmente exponentiellement. Elle atteint près de 150 milliards de dollars. La violence qui s’était estompée du temps de Chavez réapparaît avec plus de vigueur. Malgré des promesses, comme les carnets de la patrie, les bonds ponctuels et autres bonds de grossesse, les Vénézuéliens préfèrent émigrer vers la Colombie et le Brésil. En conséquence, le pays s’appauvrit, d’autant plus que la monnaie est considérablement dévaluée… Le cercle vicieux continue ainsi inlassablement.
Comment le Venezuela en est-il arrivé là ? Une conjonctions de causes, un syndrome « hollandais » des ressources peut-être, la corruption, la mort d’un homme… Le pays n’a jamais semblé aussi éloigné des standards qui faisait précédemment de lui un modèle pour l’Amérique latine. L’État n’a jamais été aussi faible. Pourtant il reste difficile de saisir les origines, les facteurs sociologiques, politiques et économiques d’une telle crise.
Conférence organisée à Londres par l’International Institute for Strategic Studies (IISS), le 16 Janvier 2019, avec Virginia Comolli, directrice du programme Conflit, Sécurité et Développement de IISS, Andrew Tchie, créateur de l’Armed Conflict Database de IISS, une base de données qui répertorie les grandes tendances des conflits armées, et Dr. Eleanor Beevor, chercheuse au sein du programme Conflit, Sécurité et Développement de IISS, en charge de l’analyse des conflits en Afrique centrale et orientale et dans la corne de l’Afrique. Synthèse par Mahault Bernard.
Si la deuxième Guerre du Congo s’est officiellement terminée il y a 15 ans, le pays continue d’être divisé par des conflits internes. Plus de 70 groupes armés opèrent toujours en RDC aujourd’hui. Le pays doit également faire face à la propagation d’Ebola et gérer 4,5 millions de déplacés.
Cependant, la population du pays est très jeune et représente un immense potentiel pour la croissance économique. Il faut rappeler que le pays est un des plus gros exportateurs de cobalt et un leader dans la production de cuivre en Afrique. Les élections présidentielles seront-elles un frein à cette période de renouveau économique ? Les élections du 30 décembre 2018 sont, en effet, les premières à constituer un transfert de pouvoir dans le pays.
La situation en RDC est complexe. C’est un environnement compétitif dans lequel beaucoup d’acteurs sont présents sur le court terme. Lors des cinq dernières années, on a assisté à un déclin des grands groupes présents en RDC et à la prolifération d’une centaine de plus petits groupes hybrides, c’est-à-dire des combinaisons de milices locales et de groupes armés plus importants, composés en général d’environ 200 combattants. De plus, il existe un affrontement entre les différents groupes présents pour affirmer leur identité, leur position en tant que citoyens légitimes et pour assurer la protection de leurs membres. Ceci est un héritage de colonisation belge. En particulier, il est possible d’observer de grandes tensions entre groupes rwandophones et non rwandophones. Par ailleurs, l’armée congolaise est très affaiblie et perd face à des groupes rebelles moins bien équipés à cause de ses divisions internes.
C’est dans ce contexte que se sont tenues le 30 décembre 2018 les élections en RDC. Elles ont désigné Félix Tshikesedi pour succéder à Joseph Kabila à la tête du pays, avec 38,6% des voix. Cependant, son opposant Martin Fayulu a très vite contesté ce résultat. Les élections n’ont, en effet, certainement pas été libre et justes. 1,5 millions de personnes n’ont pas eu la possibilité de voter (pour une population de 78 millions de personnes).
De façon générale, aucun des candidats n’a réussi à créer un large consensus ou une unité nationale. Ils ont au contraire joué sur les divisions ethniques. D’après Andrew Tchie, des négociations quelques peu obscures entre dirigeants du pays ont eu lieu avant le 30 décembre 2018 et ont permis de désigner Félix Tshisekedi. Il est certain que Félix Tshisekedi ne représentait aucune menace pour le régime en place. Il semble que dans tous les cas, le pouvoir se trouve aux mains de l’Assemblée nationale. Pour Félix Tshisekedi, les prochains défis, outre l’affirmation de sa légitimité en tant que président, seront la gestion de la mission de l’ONU dans le pays, la redistribution des terres et la diminution des tensions entre communautés.
Aujourd’hui, la Cour constitutionnelle, qui devait décider sur la légalité des élections ayant eu lieu en décembre 2018, a donné raison à Félix Tshisekedi. À la suite d’une pression maintenue par les pays de la région sur Joseph Kabila, Félix Tshisekedi est devenu le 24 janvier 2019, le 5ème Président de la République démocratique du Congo. Le 32e sommet de l’Union africaine, s’ouvrant le 10 février 2019, représente pour Félix Tshisekedi l’opportunité de convaincre les autres dirigeants du continent de sa légitimité.
Conférence organisée à Londres par l’International Institute for Strategic Studies (IISS), le 21 janvier 2019, avec Nick Redman, éditeur en chef des publications de IISS, Kori Schake, directeur général adjoint de IISS et Emile Hokayem, chercheur au sein du programme Sécurité du Moyen-Orient de IISS. Synthèse par Mahault Bernard.
En décembre 2018, les États-Unis ont annoncé la décision de retirer leurs troupes de Syrie. Ceci n’est pas étonnant pour Emile Hokayem. En effet, la campagne en Syrie a été organisée par les États-Unis sans véritable stratégie politique. Cela explique l’existence du chaos politique actuel. Avant Donald Trump, Barak Obama avait choisi de fournir un minimum d’assistance militaire, seulement ce qui était nécessaire afin que les rebelles continuent de combattre. La nomination de James Jeffrey au poste de représentant spécial des États-Unis en Syrie en 2018 avait entraîné un tournant de la politique américaine en Syrie. Celle-ci était désormais empreinte d’une large vision politique, mais certainement trop ambitieuse pour être réellement mise en place. Quelles sont les conséquences du retrait américain de Syrie ?
Tout d’abord, le retrait des troupes américaines de Syrie va entraîner une recrudescence des combats dans le nord-est du pays. En effet, cette région est contrôlée par les américains qui soutiennent les Forces démocratiques syriennes. Dans le nord du pays se trouvent les rebelles syriens supportés par les turcs. Le reste du pays, sauf quelques petits territoires encore contrôlés par des groupes djihadistes ou par l’État Islamique, sont désormais aux mains de la coalition du gouvernement syrien, de la Russie et de l’Iran. Il existe donc un risque que le nord-est du pays se retrouve à nouveau instable suite au départ des troupes américaines. De plus, si le groupe État Islamique est très affaibli aujourd’hui, il n’a pas totalement disparu et il est donc possible qu’il se reconstitue.
Par ailleurs, ce faisant, les États-Unis envoient un message très négatif à leurs alliés, leur indiquant qu’ils ne sont pas fiables puisqu’ils ne les avaient pas prévenus de leur retrait. Les américains montrent, de plus, leur manque d’intérêt pour la situation des Syriens, et Assad a la possibilité de rester au pouvoir en toute impunité.
Enfin, le retrait des États-Unis laisse la place à la Russie. En effet, les Turcs n’ont ni l’envie ni la capacité de gagner plus de contrôle dans le pays. Il reste à la Russie de montrer qu’elle est capable d’affirmer la place de Bachar el-Assad à la tête de la Syrie. Elle devra aussi faire face aux défis de la reconstruction. Le plus probable est que la Russie fasse le minimum pour la reconstruction du pays tout en laissant penser que d’autres mesures sont à venir. De façon générale, la vision d’Assad de la reconstruction est très différente de celle des pays occidentaux et celle-ci ne sera donc sûrement pas effective si Assad reste au pouvoir.
Si le retrait des troupes américaines de Syrie n’est pas si surprenant, ses conséquences pourraient bien être terribles pour le pays : recrudescence de l’État Islamique et des combats dans le nord-est du pays et en conséquence, une probable course pour l’acquisition de nouveaux territoires ainsi que de nouveaux arrangements entre le gouvernement syrien et la milice kurde YPG (Unité de protection du peuple kurde), alliée avec les États-Unis.
Conférence organisée à Londres par le département de War Studies de King’s College London, le 13 janvier 2019, avec Keir Giles, consultant et chercheur au sein du programme Russie et Eurasie à Chatham House et Natasha Kuhrt, animatrice de la conférence, professeure au sein de département de War Studies de King’s College London, spécialiste de la Russie, concentrant en particulier ses recherches sur la politique étrangère russe en Asie-Pacifique. Synthèse par Mahault Bernard.
Le nouvel ouvrage de Keir Giles sur la Russie s’intitule "Moscow Rules – What drives Russia to confront the West". Il soutient l’idée que la politique étrangère russe suit toujours le même schéma. En effet, la Russie est attachée aux idées de non-ingérence dans les affaires des pays étrangers et à la primauté de la souveraineté des États. De façon générale, la Russie est un empire qui a toujours eu une politique étrangère agressive vis-à-vis des autres pays. Ses conquêtes militaires des pays voisins ont aujourd’hui été remplacées par l’exercice d’une influence sur les gouvernements étrangers. Les États-Unis sont un très bon exemple de cela. Si les moyens d’exercer la politique étrangère russe ont donc changé, les idées sous-jacentes restent les mêmes. La politique étrangère russe est, en effet, empreinte de l’idée que la Russie doit faire face à une menace globale et que les pays étrangers ont pour but de la déstabiliser. Afin de faire face à ces menaces, la Russie ne recule devant rien : cyberattaques, espionnage, assassinats (comme on l’a vu en Angleterre avec l’affaire Skripal, 2018). Le pays se prépare pour un conflit majeur et c’est bien ce que montre l’augmentation de sa production d’armes.
Selon Keir Giles, ces politiques et idées ne viennent pas de Vladimir Poutine mais sont réellement inscrites dans la façon de penser russe. En d’autres termes, la politique étrangère très agressive du président russe aurait été la même avec un autre dirigeant. Malgré son impopularité en Occident, V. Poutine est pour Keir Giles un assez bon leader pour la Russie. En effet, le pays ne connait pas sous Poutine des grandes répressions ou des phénomènes de meurtres de masse comme il y a pu en avoir au temps de l’URSS. Par ailleurs, Poutine n’a pas ruiné le pays par le financement de guerres à l’étranger comme cela a souvent été le cas, lors de la guerre russo-japonaise ou de la Première Guerre mondiale par exemple. Ce qu’une alternative à Vladimir Poutine pourrait apporter reste inconnu et il n’est pas sûr qu’un nouveau dirigeant n’aurait pas une politique plus répressive envers le peuple russe.
L’histoire russe est faite de révolutions ayant entraîné des alternances politiques, bien souvent regrettées, telle la chute du Tsar (1917) suivie par l’établissement du régime communiste dont on connaît la suite sanglante. Ainsi, une alternative à Poutine n’est peut-être pas la meilleure solution pour le moment, d’autant plus que l’histoire de la Russie semble se répéter et ne permettre qu’à des dirigeants faisant peu de cas des valeurs démocratiques d’accéder au pouvoir. Aujourd’hui, le seul changement possible pourrait venir de la nouvelle génération. Celle-ci n’a pas connu l’URSS et ses répressions et est donc beaucoup plus encline à manifester sa réprobation du régime. Par ailleurs, c’est une génération qui maîtrise les réseaux sociaux qui lui permettent d’échanger et de s’organiser plus facilement.
Finalement, il est peu probable qu’un changement au sein du pouvoir s’opère. Les espoirs d’une amélioration des relations entre l’Ouest et la Russie ne pourront se concrétiser que si Moscou cesse de voir l’Ouest comme une menace. Après des décennies de relations complexes avec la Russie, il s’agit avant tout pour les pays de l’Ouest de reconnaitre l’incompatibilité de leurs opinions avec celles de la Russie.
Conférence organisée à Paris par l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire, le 7 novembre 2018, avec C. Wallander, directrice de la U.S.-Russia Foundation, ancienne Assistante spéciale du président B. Obama et directrice du département Russie-Eurasie du Conseil de Sécurité nationale des États-Unis (2013-2017) et ancienne vice-secrétaire d’État à la Défense en charge de la Russie, de l’Ukraine et de l’Eurasie (2009-2012). Synthèse par Laurent Chamontin.
La communauté d’affaires n’est pas un élément d’influence prépondérant dans la définition de la politique russe des États-Unis. Cela tient au fait que les intérêts économiques sont assez réduits. Les sanctions ont de plus contribué à compliquer la situation. Les voix les plus fortes proviennent des diasporas d’Europe de l’Est, généralement négatives à l’égard de la Russie, et concentrées dans des centres urbains qui amplifient leur influence. La diaspora russe n’est pas structurée pour faire face à ce défi. L’attitude de la communauté de défense à l’égard de la Russie était assez positive avant 2014, avec en particulier la conscience de ce que peut apporter la Russie en Afghanistan. Cela a commencé à changer à partir de l’intervention russe en Géorgie en 2008. En 2018, la perception de la Russie comme menace est prépondérante. La stratégie des États-Unis de promotion d’un ordre mondial libéral est perçue par le Kremlin depuis 2013 comme tournée contre la Russie. C’est ce qui conduit à la désignation de celle-ci (et de la Chine, pour laquelle la situation est comparable) comme concurrent stratégique (et non comme adversaire) dans le nouveau concept de sécurité nationale. C’est un changement fondamental qui ne relève pas des différences entre les administrations successives.
Moscou était inquiet depuis longtemps d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Cependant, la crise de 2014 n’a pas été déclenchée par la progression de l’OTAN, mais par un projet d’Accord d’association avec l’Union européenne. La raison fondamentale de l’intervention russe en Ukraine est le refus de la voir s’émanciper des réseaux russes, avec ce que cela comporte d’opacité et de corruption comme instruments de pouvoir. Après la fuite de V. Yanoukovitch, une négociation conduisant à valider l’Accord d’association avec l’UE en échange de l’exclusion de l’entrée de l’Ukraine à l’OTAN était possible, mais c’est une option que le Kremlin a choisi d’ignorer. À l’été 2014, une stratégie en 4 axes a été définie par les États-Unis : défense et dissuasion (cyber-intrusion, utilisation des relations d’affaires à des fins de corruption et d’ingérence politique…) ; augmentation de la résilience vis-à-vis des actions pernicieuses (programmes anti-corruption, transparence financière accrue, cyber-résilience…) ; continuation des coopérations dans des domaines où l’intérêt reste partagé (changement climatique, politique arctique, terrorisme…) ; actions visant à faire advenir une Russie libérale, prospère et constructive (échanges scientifiques et universitaires…). Tout ceci est fondé sur l’idée que la Russie joue une main perdante à long terme, en empêchant l’émergence d’une économie diversifiée et innovante ; il ne s’agit pas d’une doctrine de « containment », qui est ce que le Kremlin recherche. Du point de vue étasunien, l’utilisation d’une stratégie de « roll back » militaire n’a pas de sens dans une confrontation avec un concurrent nucléarisé : la patience stratégique est la meilleure attitude possible, du moment qu’on dispose d’une main gagnante à long terme. L’interférence russe dans l’élection présidentielle américaine (2016) a compliqué la mise en place de cette approche. De plus, l’Administration Trump montre une certaine incohérence, essentiellement parce que le Président n’a pas formulé de vision stratégique de la Russie. Il n’y a pas d’approche intégrant les différents départements intéressés au sujet.
Il faut distinguer les sanctions qui ont été décidées en concertation avec les européens et le G7 en réponse à la crise ukrainienne, et celles qui ont été imposées essentiellement par le congrès en réponse à l’ingérence russe dans l’élection étasunienne. Les premières se divisent en deux groupes : celles qui sont liées à l’annexion de la Crimée (2014), prévues pour durer autant que son occupation, et celles liées à l’intervention russe dans le Donbass, dont la suppression est liée à la mise en œuvre des accords de Minsk. Ces dernières sont les plus critiques pour la Russie, car elles visent en particulier les secteurs financier et énergétique. Les sanctions imposées par le congrès manquent de lisibilité : en effet, Moscou ne peut pas décoder quel est leur but et quand elles seront levées. De plus elles ne créent pas de faille dans le partenariat transatlantique, car elles sont décidées sans concertation avec les Européens (le partage des conséquences négatives avec ces derniers étant un point essentiel).
En 2014, il était devenu évident que la Russie ne respectait pas le traité sur les forces nucléaires intermédiaires. C’est pourquoi les États-Unis ont porté l’affaire en place publique. L’impact déstabilisateur de cette évolution est important, car un tir de missile à courte portée laisse peu de temps de réaction aux décideurs. La dénonciation du traité envisagée par l’administration Trump [officialisée depuis, NDA] peut avoir des effets négatifs : faire porter la responsabilité sur les États-Unis, et se priver de la possibilité de réintroduire des mécanismes de vérification ; elle a pour origine probable le Conseiller à la Sécurité nationale J. Bolton, sceptique à l’égard des traités sur le contrôle des armes, et des militaires qui voudraient avoir plus de liberté vis-à-vis de la Chine. L’administration Obama avait fait une proposition d’extension du traité New START (réduction des armes stratégiques), mais Moscou l’a éludée pour rediscuter avec l’administration suivante. Dans la pratique, il ne sera probablement pas étendu, et le contrôle des armes va reculer pour la première fois depuis les années 1970. Le traité « Conventional Forces in Europe » [dont la Russie s’est retirée en 2015, NDA] date de la guerre froide et il est techniquement obsolète. Les États-Unis n’ont pas proposé de renégociation, car cela aurait été une manière de récompenser l’attitude non-constructive de la Russie.
Impact environnemental du numérique : consommation croissante en matières premières du numérique, l’urgence d’une prise de conscience (A) ; Géopolitique des fleuves (B) ; Quelles dynamiques des populations et perspectives stratégiques ? (C) ; Israël, l’obsession du territoire (D).
Conférence organisée à Paris par France Stratégie le lundi 21 janvier 2019 avec Gaetan Lefebvre, géologue et économiste au Bureau de Recherches géologiques et Minières (BRGM), Florian Fizaine, maître de conférences en sciences économiques à l’université Savoie Mont Blanc, et Gilles de Margerie, commissaire général de France Stratégie. Synthèse par Tristan Facchin.
Comment cerner l’importance des métaux dits rares et de leurs utilisations aujourd’hui ? Peut-on parler de stratégie de recyclage des matériaux high-tech ? Comment appréhender les enjeux de l’économie numérique à travers l’emploi de minéraux ? Y-a-t-il une géopolitique des terres rares ? Toutes ces questions ont été abordées par nos deux intervenants. Cette conférence nous permet donc de saisir l’importance que joue ces métaux dans notre économie actuel, et la façon dont ils pèsent sur l’économie du futur…
Les matières premières ont été et sont toujours le ciment de la puissance des États et des industries. Hier, l’éventail des matières utilisées était encore faible. Aujourd’hui, les matières sont plus diversifiées, pour un usage lui aussi plus large. L’enjeu aujourd’hui réside dans la capacité des États et des industries à réunir les capacités de traiter des métaux rares dits « high-tech » à des fins structurelles (infrastructures) et surtout technologique (industrie de pointe).
Les métaux rares jouent une place centrale dans l’économie mondiale. En effet, ils sont massivement utilisés pour doper – exemple de la vitamine – la puissance, l’autonomie des smartphones et du réseau électrique. À travers les exemples du tantale, du cuivre ou encore du germanium, G. Lefebvre montre à quel point ces métaux rares sont exploités de manière systémique. Mais l’usage est de plus en plus diversifié. On en retrouve dans les condensateurs, l’aéronautique, les semi-conducteurs, les aimants, le réseau électrique, en plus d’être utilisé massivement dans les infrastructures (cuivre). Ces matières premières sont dès lors très demandées et leur prix s’envolent. Les fluctuations des marchés, la transparence et la traçabilité des produits sont autant d’enjeux économiques jouant un rôle majeur dans les stratégies des entreprises.
Ces métaux sont d’autant plus importants qu’ils ne sont pas faciles à exploiter, ni à localiser. Certaines puissances comme la Chine concentrent la plus grande part de terres rares actuellement exploitées, d’autres ont la capacité de les traiter… On parle dès lors d’une géopolitique des métaux rares. Cette géopolitique est faite de tensions régulières entre grandes compagnies et individus. Des conflits sociaux et environnementaux ne sont pas rares, comme ce fut le cas au Chili, au Pérou, etc. Parfois la géopolitique est redessinée en temps réel. Le tantale est exploité en Afrique centrale dans des pays fragiles (RDC, Rwanda…). Aujourd’hui, l’Australie, riche en lithium, peut compter produire du tantale grâce à des techniques qui peuvent permettre d’exploiter ce dérivé du lithium.
Face au boom de l’exploitation de ces métaux et du manque d’investissement à l’heure actuelle dans la recherche, de nouvelles problématiques vont apparaître, estime Florian Pizaine. D’abord, il va falloir évaluer l’impact des modes de consommation pour déceler des tendances plus écologiques. Ensuite, les industries devront s’adapter à des pénuries de métaux rares en recyclant de manière efficiente les quantités infimes présentes dans les smartphones. Enfin, il va falloir estimer de manière précise le coût énergétique de la production de ces métaux qui font partie aujourd’hui de la transition numérique. Par exemple, il est facile de dire qu’une voiture électrique participe d’une transition écologique vers un transport « vert »… mais que fait-on des métaux employés pour faire fonctionner les batteries en lithium ?
En outre, l’énergie directe liée à l’exploitation est souvent conséquente. Près de 10% de l’énergie primaire mondiale est utilisée rien que pour l’extraction et l’exploitation des minerais. Les paramètres liés à ce coût énergétique sont donc nombreux. Il faut considérer la concentration en minerai, la taille du grain, les méthodes d’excavations, les lois de la physique…
Le recyclage est aussi un défi. Les industries devraient désormais penser au recyclage avant la conception. Il faudrait faciliter le démontage des pièces, donc l’éco-conception. Le recyclage doit être efficace. Même une quantité infime doit être recyclée. Cependant, le recyclage fait aussi face au défi de son « oubli ». La plupart des métaux ne sont pas ou peu recyclés, la plupart du recyclage revenant aux déchets ménagers et/ou municipaux. L’humanité, conclut F. Pizaine, devrait donc penser à plus de sobriété dans l’attente d’un recyclage plus effectif.
Cette conférence dépeint un tableau méconnu de la géopolitique des matières premières, en particulier des métaux rares. Non seulement ceux-ci sont massivement utilisés dans nos smartphones, mais ils participent aussi à une transition énergétique beaucoup plus large. Dès lors, le coût de ces matières peut s’envoler, la géopolitique se redessiner… et le recyclage se réinventer.
Conférence organisée à Paris, le 24 janvier 2019 par l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale , animée par Érik Orsenna, académicien, économiste, écrivain, conseiller auprès du Président de la République et conseiller d’État. Synthèse par Tristan Facchin.
Dans un monde menacé par de multiples tensions et par le réchauffement climatique, les fleuves, berceaux millénaires des civilisations, semblent particulièrement touchés. Les écosystèmes et l’eau sont pollués, bouleversés par la main de l’homme. De sources de concorde, ils deviennent des sources des tensions très fortes entre États. Érik Orsenna prend le temps de dresser un tableau à la fois lyrique et géopolitique de ces « grandes rivières » sources de notre passé… et de notre futur. Pourquoi les fleuves sont-ils menacés ? En quoi deviennent-ils des sources de tensions ? Quelles peuvent être les solutions pour sauver ces géants ?
Les fleuves n’ont jamais été autant menacés. Ces berceaux de civilisations, parfois millénaires, sont fragilisés par des menaces anthropiques de différentes natures. Tout d’abord, on peut distinguer les menaces structurelles. Ces menaces concernent un aménagement du fleuve pensé comme bénéfique pour l’humain, mais d’où découle des effets indésirables majeurs pour l’environnement et l’eau. On peut citer la construction de digues, de barrages ou d’écluses. E. Orsenna rappelle l’exemple de la rivière Jaune où les pouvoirs chinois ont construit des digues pour éviter les crues destructrices sur la riziculture. Une conséquence notable est que de nouvelles digues sont sans cesse nécessaires à cause du dépôt de sédiments qui s’accumule au fond du chenal et qui fait inexorablement remonter le lit de la rivière. Pour l’académicien, il ne fait guère de doute que trop aménager peut conduire le fleuve à une mort douce.
Par ailleurs, les fleuves sont menacés par une pollution qui conduit à une dégradation de l’eau mais aussi de l’écosystème et des rivages. Les pollutions sont de multiples formes, mais comme le rappelle E. Orsenna, le pire reste le plastique. Il cite le chiffre de 50 kilos de plastique déversé chaque seconde par un fleuve asiatique… Un autre problème est que dans la plupart des pays du Sud, le système de recyclage des eaux usées est inexistant, ou alors ne fonctionne que très mal… La pollution chimique due aux pesticides, la pollution industrielle ou la destruction des forêts pour faire pousser des engrais « bio » participent aussi de la mort des fleuves. L’académicien rappelle qu’on ne peut réduire le fleuve à une simple étendue d’eau : c’est aussi un ensemble.
Certains fleuves deviendront sources de tensions dans les années à venir, s’ils ne le sont pas déjà. Les exemples du Brahmapoutre et du Gange en Asie sont révélateurs. Symboles culturels et religieux en Inde, au point d’être personnifiés, ces fleuves sont aménagés par le Pakistan et la Chine. Cette dernière utilise ces fleuves pour assouvir les besoins de l’agriculture chinoise mais aussi pour fragiliser stratégiquement ses voisins. À cet égard, la carte du « Château d’Eau » tibétain est particulièrement marquante pour appréhender la puissance hydropolitique chinoise qui maîtrise donc par le Tibet les trois quarts des fleuves asiatiques.
L’Égypte, « don du Nil » et des pharaons, ciment de la puissance historique de l’Égypte est source de tensions récurrentes entre l’Égypte et les États en amont. E. Orsenna narre une anecdote personnelle. Alors qu’il visite l’Égypte puis l’Éthiopie, les autorités de chaque État le somment d’avertir le voisin de ne pas faire de « bêtise »… Comprenez par bêtise la construction d’un barrage comme le « Gibe III » ou le « Renaissance ». Désormais, la donne géopolitique a changé. L’Éthiopie, dopée par l’investissement chinois, rattrape son retard pour maîtriser le Nil...
Les fleuves sont aussi des sources de tensions à une échelle inter-régionale. Le fleuve Saint-Laurent est régulièrement le théâtre de tensions inter-régionales entre le Canada et les États-Unis. Le manque d’eau criant de la Californie est un argument suffisant pour faire de l’eau canadienne un enjeu géopolitique entre les deux États. En Europe, le Danube connaît lui aussi une gestion difficile du fait des nombreux États riverains et de leurs législations respectives.
Face aux menaces d’aujourd’hui et de demain, les États doivent s’entraider, partager leurs expériences et développer une vision multilatérale. Le fleuve Sénégal, objet de tensions entre l’État éponyme et la Mauritanie, est par exemple traité de manière collective par ces deux pays qui en dépendent. L’aménagement et la gestion sont d’autant plus efficaces que chaque État s’y conforme. On peut citer certains exemples marquants comme le barrage d’Itaipu entre le Brésil, l’Argentine et le Paraguay, mais aussi le Danube ou le Rhône en Europe.
Le multilatéralisme est une solution particulièrement efficace. Travailler ensemble permet de créer de nouvelles formes de citoyenneté et d’arriver à un consensus autour de ces ressources chères aux riverains. En revanche, il ne faut pas confondre multilatéralisme et autorité centralisée opérant au nom d’une vision générale. Il faut plutôt privilégier les structures régionales qui possèdent une connaissance approfondie du territoire et qui peuvent mener des actions concrètes plus rapidement.
Le problème des fleuves n’est pas un problème « exotique ». Les fleuves en danger ne sont pas uniquement dans les pays du Sud. En France, la Garonne manque d’eau, et le Bugey cristallise les rivalités avec la Suisse… Ces tensions révèlent une représentation bien différente de celle que l’on se fait de cet « or » banal. En effet, si des terrains d’entente doivent être trouvés, on doit prendre en compte des intérêts souvent divergents, propres à la représentation du fleuve source de richesse.
Conférence co-organisée à Paris par la Société de Géographie en partenariat avec le Centre géopolitique et le Diploweb.com, le jeudi 17 janvier 2019 à la Société de Géographie, avec Gérard-François Dumont ancien recteur, géographe, économiste, démographe et professeur à l’université Paris IV. Synthèse par Noé Pennetier.
Dans un monde toujours plus fragmenté, comment analyser les dynamiques de population ? Sont-elles les mêmes ? Quelles sont leur poids stratégiques ? Peut-on parler de géopolitique de la démographie ?
Le recteur Gérard François Dumont se présente volontiers comme un géographe. Passionné de géographie, celui-ci a toujours défendu son approche démographique. Non seulement la démographie est un enjeu de puissance, mais elle est aussi co-actrice de l’Histoire. Déjà Adam Smith en 1776, dans son livre La richesse des nations, liait la démographie à la puissance du marché et de l’État… L’histoire de la construction des États-Unis montre d’ailleurs comment le facteur démographique a joué un rôle moteur dans le développement de ces colonies jadis britanniques. On considère d’ailleurs la croissance démographique américaine comme la plus forte croissance historique mondiale… Autre temps, autre contexte. Lors de la guerre de Corée, le poids démographique de la Chine lui permet d’envoyer des dizaines de milliers de « volontaires » au front pour soutenir les troupes nord-coréennes.
La géo-démographie peut permettre de rendre scientifique des « lois démographiques ». Par exemple la « loi du nombre ». L’importance démographique d’une population exerce des effets géopolitiques. Le poids démographique des États peut en effet avoir un rôle dans les relations internationales. L’Égypte est un géant humain contrairement à ses voisins d’Afrique du Nord. Celle-ci a donc été choisie pour être le siège de la ligue Arabe. Or, en 1979, l’Égypte est exclue. Comment la Ligue peut-elle faire sans le pays qui a le poids démographique le plus grand ? Le pays des pharaons est finalement réintégré en… 1989, car son poids démographique est un élément indispensable pour rassurer les pays arabes face à l’Iran. Le siège de la Ligue, auparavant à Tunis revient au Caire. Enfin, la « loi d’attirance » migratoire montre que l’immigration d’attirance peut permettre d’augmenter le poids géopolitique du pays, comme les États-Unis au XIXe siècle. Au total le recteur en dénombre dix. Les « dix commandements » de la géo-démographie. Cependant, ces « lois » ne peuvent donner lieu à des « évidences » démographiques, par exemple qu’un État riche et puissant a forcément une très grande population (Chine, États-Unis). Elles ne demeurent que des facteurs permettant une meilleure compréhension de l’histoire et de l’actualité.
La géo-démographie, tout comme l’histoire, nous apprend beaucoup sur la géopolitique du monde. Le « poids du nombre » de la Chine au conseil de sécurité en 1971 peut interroger quant à la position stratégique de l’Inde. Celle-ci, pourrait dépasser numériquement l’Empire du Milieu d’ici 2030... En Amérique du sud les États ont longtemps été la chasse gardée des États-Unis – référence à la doctrine Monroe de 1823. Pourtant, en 2003 la population du Brésil lui permet de devenir un géant démographique, dépassant ainsi les États-Unis, ce qui lui permet de demander un siège au Conseil de sécurité de l’ONU… sans demander l’avis des États-Unis. Ces exemples montrent que l’ordre démographique peut-être bouleversé et peut avoir des répercussions sur la géopolitique des États… Même dans l’Union européenne. Considérons l’exemple de la Turquie. Pour ses défenseurs, elle pourrait, par son histoire, son économie, ses « services rendus », rentrer dans l’Union Européenne… Cependant le mode de répartition des députés au Parlement européen pourrait laisser craindre un raz de marée de députés turques… En Allemagne la langueur démographique de la population allemande vieillissante et les vagues migratoires « de remplacement » faisant dire à Madame Merkel « nous y arriverons ». Aujourd’hui l’Allemagne a des « besoins prioritaires » et doit donc considérer de nouvelles perspectives stratégiques. Enfin, en Russie, la population vieillit et, jusqu’à maintenant cela n’a pas été le plus grand problème de Poutine. En revanche, si la Russie veut maintenir une position centrale, elle devra encourager une politique migratoire pour combler le vide démographique.
La géo-démographie est une discipline, avec ses « lois » capables d’expliquer les dynamiques historiques passées et offre des ressources pour penser l’avenir. Aujourd’hui, elle peut être d’une grande aide pour remonter les fils de l’histoire en temps de crises dans un monde fragmenté, loin d’être simple et uniforme.
Conférence organisée à Paris par les Cafés Géo le mardi 18 décembre 2018 au Café Flore, avec Julietta Fuentes-Carrera, chercheuse et professeure au CentroGeo de Mexico, et Philippe Subra, géographe et directeur de l’Institut Français de Géopolitique à l’Université Paris , co-auteurs de l’ouvrage Israël l’Obsession du territoire chez Armand Colin. Synthèse par Tristan Facchin.
En Israël, peut-être bien plus qu’ailleurs dans le monde, les problématiques d’aménagement sont des questions géopolitiques. Les autoroutes, les murs sont les reflets de politiques qui s’inscrivent dans la construction de l’État hébreu, pour les juifs et contre les populations arabes. Quelles sont les traductions spatiales de ces politiques d’inclusion de populations juives et d’exclusion des populations arabes ? Quelles sont les conséquences actuelles de choix politiques historiques sur l’aménagement israélien ?
Les relations entre aménagement et géopolitique en Israël sont anciennes. Certes, certaines dates sont marquantes : 1967 pour le début de la construction de colonies en territoires occupés, 2002 pour la construction des premiers murs. La stratégie territoriale poursuit pourtant les mêmes objectifs depuis le Yichouv – l’implantation juive en Palestine avant la création de l’Etat d’Israël, entre 1890 et 1948. L’aménagement commence par l’établissement de points d’ancrages sur des marécages… accéléré par l’invention de la quinine. L’organisation spatiale du peuplement devient stratégique. « L’homa Oumigdal » littéralement la tour et le mur, permettent ainsi l’implantation et le contrôle des axes de communication. Le défi était alors de créer un État ex nihilo. La judaïsation n’intervient donc que tardivement comme conséquence des politiques de remplissage – de populations juives – et de la marginalisation des populations locales. En somme, comme le dit P. Subra, « plus tard dans l’histoire ». Par la suite, les murs et les limites prennent le relais. Ils servent autant à connecter les espaces juifs qu’à séparer les arabes. À Ramla, en 2012, un mur de quatre kilomètres est construit entre un quartier arabe et un quartier juif. Les arabes sont contraints d’en faire le tour pour se rendre au centre-ville. L’argument sécuritaire pour justifier le mur s’appuie sur une articulation entre le système d’aménagement et le juridique. Des zones d’aménagement sont destinées aux populations juives. Les arabes sont obligés de construire illégalement des habitats. La criminalité monte. Au nom de la sécurité, de nouvelles limites sont donc établies... D’autres dispositifs, comme les routes, sont des éléments de cette stratégie. Les arabes ne profitent que d’un réseau secondaire, tandis que les villes à dominante juive sont reliées par des autoroutes. Ce dispositif est encore plus efficace que les murs. À la différence de ces derniers, on ne peut pas détruire aisément un réseau routier. Philippe Subra conclut que « les actions d’aménagement qu’on trouve partout dans le monde servent, en Israël, à prendre le contrôle du territoire au dépens de la population palestinienne, si bien que ce qui revêt, ailleurs, un caractère banal prend ici une importance géopolitique forte ».
Pour les politiques israéliennes, l’enjeu était de ne pas finir comme un « État sans peuple » comme l’a dit Ben Gourion. L’État était là, mais de grands espaces étaient vides comme le désert du Néguev. Ariel Sharon, alors à la tête du ministère de l’aménagement du pays, a donc conçu un plan de répartition de la population. S’ensuit un boom démographique et une diversification ethnique : en 1948, la majorité des migrants étaient européens. Mais en 1953, ce sont les Juifs orientaux, principalement irakiens et yéménites, qui dominent. Contrairement aux premiers, ils sont pour la plupart pauvres et peu diplômés. La différence est nette entre ceux qu’on appelle encore aujourd’hui les Mizrahim (les orientaux) et les Européens des premiers temps. La société israélienne devient complexe, partagée entre ethnies, confessions. Par exemple, il y a un clivage entre laïcs et ultra religieux appelés Haredim. Elle se perçoit comme un mouvement de libération contre l’oppresseur extérieur et intérieur (le rabbin et la Torah jugés oppressifs). La population Haredim connaît une croissance démographique, supérieure à celle des Juifs laïcs et des Palestiniens musulmans. Ils investissent dans des quartiers, des villes, des colonies. Les Israéliens les plus laïques s’en méfient, au point de ne pas fréquenter leurs quartiers. Pour P. Subra, jusqu’à maintenant, la politique israélienne a atteint ses objectifs : accueillir les populations juives, combler les faiblesses stratégiques, peupler les frontières. Mais Israël se heurte à des problèmes importants. Les impacts de la colonisation et la domination de la population juive sur les Arabes, mènent d’après lui, à une forme d’« apartheid ». La question démographique est aussi un problème. Comment ce territoire pourrait, vers 2050, accueillir 25 millions d’habitants, et ainsi passer d’une densité de 400 à 700 habitants au kilomètre carré ? Qu’en sera-t-il de la coexistence future ? Le départ d’une partie de la population arabe peut être une « solution ». Mais alors la politique d’aménagement aurait atteint tous ses buts, et la coexistence sa fin.
En Israël, les questions d’aménagement sont donc étroitement liées avec la politique. Ce n’est pas un hasard si l’Israélien Sharon Rotbard disait que « l’aménagement du territoire n’est qu’une prolongation de la guerre ».
Qui veut la mort de l’ONU ? (A) ; L’État est-il « has been » ? (B) ; Grand prix de l’Académie du renseignement (C) ; Les outre-mers français et les nouveaux risques maritimes ; Les dissuasions (E)
Conférence organisée à Paris par l’IRIS 14 novembre 2018 avec Anne-Cécile Robert, journaliste et spécialiste des institutions européennes et de l’Afrique, et Romuald Sciora, écrivain, essayiste, documentaliste et spéciali), tous deux spécialisés sur les Nations unies et co-auteurs du livre « Qui veut la mort de l’ONU ? », en présence de Jean-Marc de La Sablière, ancien conseiller diplomatique du président Chirac et ancien représentant de la France au Conseil de Sécurité des Nations unies. Synthèse par Noé Pennetier.
« Les Nations unies ne sont pas parfaites, mais c’est la seule chose que nous ayons »
Cette organisation supranationale est aujourd’hui à la poursuite d’un rêve. Son enjeu civilisationnel semble aujourd’hui biaisé. Les trois missions principales – maintien de la paix, développement des relations amicales entre les nations, réduction de la pauvreté, de la maladie et de l’analphabétisme – sont constamment remises en cause. Les moyens d’action de l’ONU, et la place du droit de veto durant ces dernières, font l’objet de nombreux débats. Les Nations unies n’occupent pas une place centrale dans la gouvernance internationale, mission dont se saisissent de nouveaux acteurs. Face à ces constats, n’assistons-nous pas à la mort de l’ONU ?
À Paris le 11 novembre 2018 se présente une nouvelle occasion pour Emmanuel Macron de prôner le multilatéralisme. Or, ne pas inviter l’ONU à cette commémoration centenaire, bien que son Secrétaire Général Antonio Guterres soit présent, n’est-ce pas une barrière au multilatéralisme ? Peut-on considérer la vente d’armes à travers le monde comme une logique multilatérale ? Anne-Cécile Robert dénonce un affaiblissement des consciences. Est-ce là une cause ou une conséquence de la montée de souverainistes contre les actions mondiales ? De plus, les difficultés sont multiples. D’une part, Antonio Guterres prétend ne pas vouloir froisser Donald Trump. D’autre part, ce dernier se montre très insolent envers l’ONU : retrait de l’Accord de Paris, de l’UNESCO, de l’accord sur le nucléaire en Iran, du Conseil des droits de l’Homme, ainsi que ses discours contre le multilatéralisme. Romuald Sciora expose une conséquence des élections de mi-mandat de novembre 2018, victorieuses pour les démocrates au Congrès. Donald Trump pourrait connaître des difficultés à agir à l’intérieur des États-Unis. Mais l’article 2 de la Constitution américaine permet au Président de conclure des traités internationaux avec ratification du Sénat (où les républicains restent majoritaires après les élections de mi-mandat). Les pouvoirs de Donald Trump sont donc encore conséquents, et l’ONU n’est pas protégée des mauvais coups.
Les Nations unies ne sont pas adaptées au système financier international. Avec la fin de la Guerre froide, l’idéologie financière ultra-libérale s’exprime en faveur d’une destruction de l’État. Comment l’ONU, organisation regroupant aujourd’hui 193 États membres, peut-elle être politiquement représentative et légitime face aux nouvelles gouvernances mondiales ? Si certains forums intègrent la parole de la société civile, comme celui de Paris sur la Paix le 11 novembre 2018, ce phénomène est encore peu répandu. Parallèlement, le fonctionnement de l’ONU est régulièrement remis en cause. Faut-il enlever le droit de veto, modifier la constitution du Conseil de sécurité pour qu’il soit plus représentatif, augmenter le nombre de sièges des membres permanents malgré des risques de blocage ? Nos deux auteurs rappellent que sans droit de veto il n’y a pas d’ONU. De plus, ce pouvoir de paralysie joue un rôle bien réel dans les relations internationales. Le discours de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité le 14 février 2003 contre l’agression américaine en Irak en est la preuve. Les États-Unis, craignant un veto français à leur proposition de résolution de guerre en Irak, ont décidé d’agir sans approbation de l’ONU. Si cette dernière s’en est trouvée discréditée, cela lui permet néanmoins de « garder la face » malgré les conséquences catastrophiques de cette guerre.
Au sujet du Conseil de sécurité, on peut se demander s’il était déjà représentatif lors de sa création en 1945, notamment pour le cas français. Désormais, de nouvelles puissances sont indéniablement légitimes pour devenir membre permanent. Mais le rôle des alliances et le statut des conflits aujourd’hui causeraient sûrement des blocages.
Conférence organisée à Paris par l’Association des Étudiants et Alumni du MRIAE Paris 1 Panthéon Sorbonne, le Centre géopolitique et le Diploweb.com, le 21 novembre 2018 à la Sorbonne, avec Frédéric Ramel, professeur des universités et directeur du département de science politique à Sciences Po Paris, François Gaulme, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, et Julien Nocetti, chercheur auprès de l’Ifri. Synthèse par Noé Pennetier.
La question est relativement jeune. Elle apparaît dans les débats théoriques des relations internationales dans les années 1970. Portée par l’enlisement au Vietnam, les crises pétrolières ou l’émergence de l’écologie, elle remet en cause l’État qui n’est plus le seul acteur clé. Parallèlement, la fin d’un monde bipolaire restructure l’espace international dans les années 1990. Depuis le début des années 2000, on assiste à une nouvelle séquence pour cette question d’État dépassé, comme s’il s’agissait d’une revanche. Tout d’abord, sur le plan stratégique, le 11 septembre 2001 illustre la vulnérabilité des États-Unis, symbole jusqu’alors « d’hyperpuissance ». Ceci entraîne le déclenchement de deux guerres inter-étatiques (États-Unis contre l’Afghanistan dès 2001 et contre l’Irak dès 2003), avec une désÉtatisation de la guerre par un phénomène de privatisation des armées. Il y a donc une transformation de l’État stratégique qui interroge : gagner une guerre, est-ce la victoire politique ? De plus, les années 2000 marquent un tournant pour l’économie mondiale. La réaction des États à la crise de 2008 en témoigne. Il y a d’une part les réflexes nationaux habituels des États souverains, et d’autre part la coopération multilatérale, avec la réactivation du G20 par exemple. Enfin, le désir d’État et d’identité nationale forte datant du XIXe siècle, interrompu avec la fin de Seconde Guerre mondiale, réapparaît en 2016 avec le Brexit et l’élection de Donald Trump. Les réactions néo-nationalistes, alimentées par la peur du déclassement, fustigent la mondialisation. On assiste à une crise du multilatéralisme, telle une revanche à la remise en cause de l’État depuis la seconde moitié du XXe siècle.
Bonus vidéo de la conférence. International : l’Etat est-il "has been" ?
En 1952, Alfred Sauvy inventait le terme de « tiers-monde » pour qualifier les États inclus dans aucun des deux blocs dominants de la Guerre froide. Aujourd’hui, ce terme a été remplacé par celui des pays « des suds ». Pour classifier les États les plus en marge, les politologues inventent dans les années 1990 les termes d’États-faillis ou d’États-effondrés. Ce sont des États incapables de contrôler leur territoire, d’avoir une unité nationale ou de se représenter auprès des instances internationales. Toutes ces qualifications découlent de normes instaurées par des États occidentaux, à l’instar des États-Unis qui justifient ainsi leur ingérence en Afghanistan ou en Irak. Mais le développement « à l’occidentale » est-il une finalité en soi ? Les États créés, dits « États hybrides », lient société traditionnelle et État moderne. Ils deviennent « hybride » entre démocratisation et dictature.
Le numérique prend une place centrale dans l’État de demain, lui permettant de s’affirmer ou de se ré-affirmer. Les objectifs sont de taille et les conséquences sont multiples : économiques, sociales, juridiques, politiques, stratégiques et éthiques. Les grandes plateformes numériques, comme les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), rattrapent l’État. Elles influent par leur puissance financière. En effet, le PIB cumulé d’Apple et d’Amazon dépasse celui de la France. Cette puissance s’accompagne d’un contrôle multidimensionnel, notamment par la collecte de données personnelles à des fins publicitaires ou politiques, comme ce fut le cas lors de l’élection de Donald Trump en 2016 ainsi que l’a révélé le scandale de Cambridge Analytica. Le Web est un espace propice à la conflictualité, que ce soit par les réseaux sociaux (et les tweets de Donald Trump) ou par des sites qui se constituent en véritables contre-pouvoirs, comme Wikileaks. S’ensuit l’hypothèse d’une cyberguerre. Le cyberespace devient un nouvel espace de lutte, et face à l’inaction des États, celui-ci est favorable aux hackers. Le privé, au détriment du public, se saisit de l’enjeu. Cependant, les États s’adaptent à la menace. Les capacités numériques se militarisent et le cyberespace se voit ré-étatisé. Une cyberdiplomatie est également à l’œuvre. Elle tend à regrouper des acteurs très variés, des États aux entreprises. Ceci illustre le caractère dépassé de l’État mais également sa volonté de reprendre sa place à la grande table des décideurs.
Cet événement fondateur a eu lieu à Paris le 9 janvier 2019 à l’École militaire, en présence notamment de François Chambon, directeur de l’Académie du renseignement, Laurent Nuñez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, Pierre de Bousquet, président du jury et coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, et Patricia Allémonière, présidente d’honneur du jury. Synthèse par Noé Pennetier.
Le Grand prix de l’Académie du renseignement a pour but de valoriser le renseignement français. « Connaître » et « Anticiper » sont les maîtres mots de ce service public. Ils font l’objet d’une attention particulière par la communauté du renseignement et le monde universitaire à l’occasion de cet événement.
Créée en 2010, l’Académie du renseignement cherche à nourrir et à transmettre la culture du renseignement. Ce nouveau prix a pour objectif premier la rencontre d’acteurs pluridisciplinaires, dont la variété nourrissent la qualité du renseignement.
Ce prix récompense désormais chaque année deux lauréats, l’un pour une thèse de doctorat visant à encourager des formations de diplomates et des grades universitaires, l’autre pour une distinction d’œuvre de création symbolisant ce que la République doit aux acteurs du renseignement. Ce sont au total 13 candidatures, 7 postulant au titre de lauréat d’œuvre de création et 6 pour le prix universitaire.
L’art du renseignement est méconnu, mais ses enjeux méritent, si ce n’est d’être connus, d’être au moins reconnus. Au final, le renseignement apparaît pour Pierre de Bousquet comme une sorte d’accès au monde. De plus, le perpétuel mouvement de cette science devrait susciter les intérêts face à une constante reconstruction.
Bonus vidéo. Remise du Premier Grand Prix de l’Académie du renseignement
Trois enjeux appuient ces nouveaux prix : l’efficacité, avec une mise en dialogue des différents savoirs, le management, comme inhérent au renseignement pour se mettre en perspective et générer des vocations, et la démocratie, dans un souci de transparence face à ce qui peut être nommé la « partie manquante de l’histoire ». Une volonté pédagogique s’impose afin de rendre visible le monde de demain.
Patricia Allémonière dévoile les lauréats en compagnie de Laurent Nuñez. Pour la mention « Recherche » et « Thèse universitaire », le lauréat de cette première édition 2018 est le capitaine Baptiste Colom-y-Canals. Docteur en Histoire des relations internationales, sa thèse s’intitule « Le renseignement aérien en France (1945-1994) ». Le prix s’accompagne d’un chèque de 4000€.
Pour la mention œuvre de création, le prix et un chèque de la même valeur reviennent à Jean-Christophe Notin pour son ouvrage aux Éditions Tallandier, « Le maître du secret. Alexandre de Marenches, légende des services secrets français ». Lors des prochaines éditions, Pierre de Bousquet souhaite agrandir la sphère d’intérêt au-delà des sciences politiques, de l’histoire ou du droit.
Conférence organisée à Paris à la Prépa de l’ENC Blomet, le 19 novembre 2018, avec Yan Giron, auteur de Précis de la puissance maritime. Vers la faculté d’agir, RL21 éditions. Synthèse par Joséphine Boucher.
L’intervention de Yan Giron décrit la composante maritime des outre-mers français et leurs risques passés et présents. On les apprécie par leur « criticité », qui combine la fréquence et la gravité.
Le terme d’outre-mer désigne d’abord ce qui est au-delà des océans. La mer est le lien qui permet d’aller chercher des leviers de puissance économique et stratégique éloignés. Ceci implique de réfléchir tant sur l’outre-mer lui-même que sur son lien avec la métropole et avec la région qui l’entoure. Les possessions territoriales françaises et leurs zones économiques exclusives (ZEE) à l’emprise spatiale considérable sont une véritable richesse nationale. Permettant d’accéder à des positions stratégiques, ces territoires portent la France au rang de puissance mondiale et la font jouir de multiples ressources. L’espace maritime français, 11 millions de km2 et deuxième surface maritime mondiale sous souveraineté, représente alors un enjeu économique et de croissance durable « bleue ».
La construction historique de ces espaces est associée à la colonisation. Elle débute aux XVème et XVIème siècles, en s’étendant de l’Atlantique à l’océan Indien et enfin au Pacifique au XIXème siècle. Ces dynamiques de mise en valeur des territoires et d’intérêts économiques sont couplées à une forte volonté politique et religieuse. Mais cette aventure maritime engendrait de nombreux flux et donc plusieurs facteurs de risques, comme l’exposition à la piraterie et aux menaces d’État, rendant alors nécessaires les questions de sûreté en mer, de cohésion des territoires et de sécurisation des voies commerciales.
Bonus vidéo. Yan Giron : Les outre-mers français et les nouveaux risques maritimes
Aujourd’hui, l’essentiel des routes maritimes françaises ne passe plus par les possessions d’outre-mer, reléguées à la marge des flux mondiaux et formant un anneau « nord » entre la Chine, l’Amérique du Nord et l’Europe. Pour autant, les activités maritimes y sont encore importantes et diversifiées : flux commerciaux et militaires, rente économique à travers les activités de pêche, énergies hydrocarbures, prospections pétrolières et gazières, tourisme balnéaire littoral et croisiériste. Ces activités augment la dépendance sur les océans et les menaces maritimes comme l’immigration et la pêche illégales, ou encore le narcotrafic. Face à un panel des risques élargi dans des espaces de plus en plus denses, l’Action de l’État en Mer vise à mettre en place une capacité de gestion sécuritaire. Cette implication étatique s’accompagne de dynamiques privées et criminelles s’imposant plus facilement dans des territoires insulaires fragiles.
À court terme, on observera le déplacement du point d’équilibre économique des échanges maritimes mondiaux vers la zone Pacifique sous l’effet de la Chine. Le monde se dirige vers une coopération Sud-Sud accrue et sino-centrée. Cette évolution des équilibres prend la forme de nouvelles routes maritimes secondaires, désormais support de la croissance commerciale. Or, leur faible encadrement par les accords internationaux sur la sécurité des navires fait apparaître des risques de pollution, de fret illicite et de nouveaux mécanismes de criminalité maritime. Mais la mer est aussi vecteur d’opportunités, il s’agit donc de réfléchir à un contrat social de puissances maritimes pour trouver l’équilibre entre retombées économiques, sécurité et durabilité.
IXème Assises Nationales de la Recherche Stratégique, organisées à Paris, le 6 décembre 2018, par le Conseil Supérieur de la Formation et de la Recherche Stratégiques (CSFRS), l’IHEDN et l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, à l’École militaire. Synthèse par Joséphine Boucher.
L’événement a réuni des intervenants français, russes, américains et britanniques, ainsi que des représentants d’autorités religieuses. Cette variété d’experts a pour but de bousculer les idées reçues et de construire un débat sur la dissuasion nucléaire. Nous vivons aujourd’hui un retour des rapports de force, des frontières et des murs. Dans ce nouveau contexte, la dissuasion nucléaire va jouer un rôle stabilisateur ? Sera-t-elle un nouveau marqueur de la puissance entre États ? Certains considèrent que la dissuasion est inutile et qu’elle n’a pas évolué depuis les années 1960. Elle est pourtant la clé de voûte des stratégies de défense et elle est marquée par des évolutions conceptuelles, doctrinaires et d’effets. Elle prend en compte les nouvelles menaces et un paysage stratégique mouvant. Les intervenants cherchent à déconstruire l’idée que le foisonnement technologique et le renforcement des capacités non-nucléaires puissent remplacer la dissuasion nucléaire. Or, l’arme nucléaire a une valeur unique que les autres armes n’ont pas : elle offre à l’adversaire la certitude de dommages inacceptables et incalculables.
Bonus vidéo. CSFRS. Les dissuasions. IXème Assises Nationales de la Recherche Stratégique
Pour autant, il paraît nécessaire d’adopter une réflexion permanente sur les conditions d’utilisation de la dissuasion par l’arme nucléaire. C’est un danger international et une insécurité permanente dont il faudrait sortir, et c’est aux États détenteurs de réfléchir à leur obligation de désarmement nucléaire, pensent ses opposants.
Copyright Mars 2019-Facchin-Bernard-Chamontin-Pennetier-Boucher-Ménard/Diploweb.com
. L. Chamontin, "Ukraine et Russie : pour comprendre"
. G-F Dumont, P. Verluise, "The Geopolitics of Europe : From the Atlantic to the Urals"
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