Synthèses rédigées par Amélie André étudiante en Master 1 Géographie mention Géopolitique de l’Université Paris I ; Jeanne Durieux, en Master "Métiers de l’information" à Science Po Aix ; Isabelle Gilbert candidate en Master ; Florian Manet, colonel de la gendarmerie nationale ; Anna Monti, en Master à l’ILERI ; Marie-Caroline Reynier en Master à Sciences Po Paris ; Elena Roney, en 3ème année de Licence à Paris 3 (Sorbonne-Nouvelle) en majeure études internationales, mineure anglais.
Secrétariat de rédaction Pierrette Roux, étudiante en troisième année de licence d’anglais-espagnol et future étudiante en Master de relations internationales à Sciences Po Lille ; et Pierre Verluise Docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb.com.
Voici les synthèses de 12 conférences ou webinaires de référence qui tracent les contours de grands questionnements géopolitiques et internationaux. Il apparaît qu’aux échelles planétaire (I), continentale (II), régionale (III) et nationale (IV) des défis surgissent pour résister aux fractures géopolitiques et affronter les enjeux de sécurité actuels.
Le Diploweb.com publie cette quinzième édition dans l’intention d’étendre dans l’espace et le temps le bénéfice de ces moments d’intelligence du monde. Faire rayonner l’intelligence géopolitique et stratégique, c’est dans l’ADN du Diploweb.com depuis l’an 2000. Nous sommes heureux de faire connaître les belles productions d’autrui. Et nous incitons d’autres sites à partager cette philosophie de l’action. Bonne lecture.
Le multilatéralisme en pratique à la FAO depuis 2019 : quelles implications pour la fabrique des politiques agricoles ? (A) Concours géopolitique. Ma thèse avec le Diploweb en 7 minutes ! (B)
Conférence organisée par le GRAM, le 17 mars 2022. Jean-Jacques Gabas est enseignant à Sciences Po et membre du GEMDEV. Yannick Fiedler, chargé de programme à la FAO, est auteur de la thèse « des principes à la pratique : du processus de décision de la FAO et de son influence dans la transformation des politiques d’investissement agricole ». Synthèse par Jeanne Durieux.
Depuis septembre 2019, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) est dirigée par le chinois Qu Dongyu. Cette nouvelle direction est liée au changement dans le rapport de force international.
Jean Jacques Gabas affirme l’importance du lien entre la nouvelle direction générale de la FAO et le fonctionnement du multilatéralisme. Il s’agit d’abord de se pencher sur le fonctionnement de la politique intérieure. Il faut réfléchir sur la possibilité d’une convergence internationale entre le développement agricole en général, les orientations de la FAO, les relations entre la Chine et les pays en développement, l’engouement du concept de l’émergence dans ces mêmes pays, et le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires tenu en septembre 2021. Il y a, pour lui, l’installation d’un paradigme dans ce puzzle international. Il faut également se pencher sur les oubliés du débat international : la transition écologique, les questions démo-économiques sur l’Afrique au Sud du Sahara, les enjeux liés au financement très faible de l’agriculture dans les pays en développement, la formidable croissance de la financiarisation de l’économie agricole.
L’enseignant constate une présence croissante de cadres chinois au sein de l’organisation sur des postes stratégiques à la FAO. La méthode de management en interne est très centralisée, et le modèle de gouvernance non inclusif. Il constate également que les alliances se construisent sur la base de volontés de coalitions politiques (notamment sur les coalitions Chine-Argentine). Il faut donc se poser la question d’une possible influence chinoise.
La convergence des modèles agricoles dans le cadre d’un multilatéralisme animé par la FAO peut se comprendre à partir de plusieurs points. Il faut d’abord comprendre le « multilatéralisme » à la FAO via l’influence chinoise. L’initiative « main dans la main » de la FAO qui vise à éradiquer la faim et la pauvreté concerne des pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Le concept consiste à créer des débouchés dans le secteur de l’alimentation et de l’agriculture, pour inciter les investisseurs à s’implanter dans ces pays. Cette initiative nécessite la collecte de données, et ces collectes s’organisent sur les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (les NTIC). Le concept principal tient au fait que la transformation des systèmes agricoles passera par la technologie. La FAO doit également tenir un rôle dans la transformation des systèmes agricoles ruraux. Il existe très peu d’informations sur cette initiative, pourtant considérée comme essentielle. Les dossiers sont très centralisés au niveau de la direction générale.
On accorde une place très faible à la transition écologique, au profit de la prédominance de l’agrobusiness.
L’article « « ’China Standard 2035’, là où la mondialisation rencontre la géopolitique » publié par le Crédit Agricole en mars 2021 [1] souligne les similitudes entre les nouveaux secteurs stratégiques chinois et les orientations en cours des politiques de la FAO. De fait, le sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires de 2021 voit les discussions s’orienter essentiellement autour de la validation d’un modèle uniquement basé sur l’augmentation de la productivité, de l’accès à l’industrie des pesticides…
Les plans émergence en Afrique se rapprochent plutôt du développement de pôles d’agribusiness.
Ainsi, ce modèle agricole veut s’ériger en référentiel dominant dans la construction des politiques agricoles de développement, sans prendre en compte les enjeux agroécologiques, pourtant centraux. Le débat scientifique est étouffé par ce modèle hégémonique. L’agriculture est ignorée dans son ensemble, quand on voit qu’une très faible partie des budgets des États africains sont dirigés vers l’agriculture, alors que la population rurale continue de croitre.
En outre, la financiarisation de l’agriculture est une question vivace. Depuis la crise de 2007, les inégalités foncières ont augmenté, et les transactions foncières sont toujours plus gérées par des fonds d’investissement internationaux. La Terre devient un actif financier dénué de propriétaire connu, et les processus décisionnels sont extérieurs à l’actualité du monde agricole. On considère qu’il est normal que l’agriculture soit de plus en plus faible, de plus en plus productive, de plus en plus concentrée. En considérant que le développement de l’agriculture ne passe que par l’augmentation de la production, on va droit dans le mur. Dans ce cadre, la FAO donne des impulsions et construit des paradigmes : en ce sens, elle influence la mise en place des politiques agricoles et des budgets.
Yannick Fiedler s’attèle ensuite à nuancer dans une certaine mesure l’hégémonie de l’agrobusiness, en montrant que d’autres modèles alternatifs font leur chemin.
Pour lui, lorsque Jean-Jacques Gabas parle de convergence normative sur le plan agricole, ce sont en fait des transformations inhérentes aux transformations des Nations Unies, et non spécifiques à la FAO.
En réalité, tout un travail est mené par exemple en ce moment autour des jeunes en Tunisie, qui travaillent sur des approches alternatives : les jeunes, de par leur rôle de promoteur territorial, viennent contredire l’hégémonie de l’agrobusiness. La question centrale continue de s’articuler sur les moyens de rendre l’agriculture plus attractive pour les jeunes, tout en les incitant à la rendre plus durable.
Les dynamiques propres à la FAO ne sont-elles pas en réalité enchâssées dans des dynamiques plus larges de transformation de gouvernance mondiale ?
Pour Jean-Jacques Gabas, on observe une régression de l’agriculture alternative sur certaines analyses. Pourquoi la collecte de métadonnées est-elle le fer de lance dans la politique de la FAO sans qu’on en sache les objectifs ? Il existe un mirage sur le fait que la digitalisation règlerait le problème, qui écarte toutes les questions d’économie politique.
Pour Yannick Fielder, ce discours sur la digitalisation est enchâssé dans une dynamique plus large qui n’est pas propre au système agricole, et la mise à disposition des données de façon centralisée permettrait de gagner en efficacité en matière de projets d’analyse.
Face à l’implication croissante des énergies sur les terres agricoles, va-t-on vers l’autonomisation des agriculteurs ou vers l’accaparement des terres par le business de l’énergie ?
Le cas du biocarburant est assez explicite : l’engouement envers les bio-carburants dans les années 2000 était unanime : pourtant, les travaux scientifiques ont montré que cette énergie n’avait aucun effet sur l’amélioration des revenus des agriculteurs, et ces projets ont été abandonnés.
Que répondre aux critiques de la société civile concernant l’hégémonie de l’agrobusiness ?
Pour Jean-Jacques Gabas, il n’existe pas de modèle alternatif, mais des nuances dans les modèles alternatifs en fonction des situations : il s’agit donc de ne pas caricaturer une opposition binaire entre modèle productiviste et alternatif. Aux yeux des populations civiles, ce sont les grands du système alimentaire mondial qui sont coupables de cet agrobusiness hégémonique. Yannick Fiedler rajoute que le développement agricole est complexe et endogène à chaque contexte. Le rôle de la FAO est avant tout normatif : celle-ci devrait accompagner les pays membres à trouver des solutions qui s’inscriraient dans leur contexte spécifique.
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La guerre en Ukraine met en évidence l’importance d’une compétence géopolitique. Ce concours Ma thèse avec le Diploweb en 7 minutes (MTD7) permet de faire connaître des doctorants et jeunes docteurs dans les domaines géopolitiques et stratégiques. Il s’agit donc de valoriser la recherche. Organisé et financé par le Diploweb.com premier site géopolitique francophone fondé par Pierre Verluise en l’an 2000.
01:53 Présentation des membres du jury : Hervé THERY, Florent PARMENTIER, PIERRE VERLUISE, Richard COFFRE, Marie-Caroline REYNIER, Anna MONTI
02:56 Premier candidat Monsieur Paco MILHIET Thèse : L’Indo-Pacifique français : constructions régionales, stratégie nationale, déclinaisons locales (2013-2020). En co-tutelle Université de Polynésie française et Institut catholique de Paris. Thèse soutenue publiquement le 17 décembre 2021. Docteur. Titre de la présentation pour le concours MTD7 : La stratégie Indo-Pacifique française.
10:58 Deuxième candidate Madame Maud BENICHOU DUHIL de BENAZE Thèse : Modélisation hybride de réseaux dans un "champ criminel" : contribution des sciences sociales et d’outils logiciels au renseignement criminel. Université de Bordeaux Doctorante, depuis juin 2019. Titre de la présentation pour le concours MTD7 : Inverser le regard institutionnel sur la criminalité organisée
19:08 Troisième candidat Monsieur Sami RAMDANI. Lauréat élu par le jury. Thèse : "Analyse géopolitique du projet de gazoduc Nord Stream 2". Université Paris 8, Institut Français de Géopolitique (IFG). Doctorant, depuis septembre 2018. Titre de la présentation pour le concours MTD7 : Analyse géolégale du projet Nord Stream 2.
26:47 Quatrième candidate Madame Laetitia ARRENAULT Thèse : Le droit pénal européen face à l’extraterritorialité de la loi américaine « Foreign Corrupt Practices Act » (FCPA). Université Paris II Panthéon Assas. Doctorante, depuis décembre 2018. Titre de la présentation pour le concours MTD7 : L’Europe au cœur d’une guerre méconnue.
36:35 Durant la délibération du jury : candidat pour l’honneur Monsieur Ivan SAND. Thèse : Géographie politique et militaire de la projection aérienne des armées françaises depuis 1945. Université. Paris-Sorbonne. Docteur, thèse soutenue le 2 juillet 2020. Officier de l’armée de l’air et de l’espace depuis 2014, Ivan SAND occupe en 2022 le poste de chef de la division "puissance aérospatiale" au Centre d’Études Stratégiques Aérospatiales, situé à l’École militaire. Titulaire d’un doctorat en géographie depuis 2020, ses recherches portent sur la projection aérienne des armées françaises. Sa thèse a reçu le prix Clément Ader, décerné par l’armée de l’air et de l’espace, qui récompense chaque année la meilleure thèse consacrée aux questions aériennes et spatiales. Compte tenu de l’ancienneté de ses relations avec le Diploweb, il a concouru "pour l’honneur" à la deuxième édition de "Ma thèse avec le Diploweb en 7 minutes". Membre du Conseil scientifique du Diploweb.com depuis février 2022. Titre de la présentation pour le concours MTD7 : Géopolitique de la projection aérienne : quels enjeux pour la France ?
45:12 Présentation du jury et proclamation du résultat du concours MTD7
La Glasnost de M. Gorbatchev (1985-1991) : transparence ou désinformation ? (A) ; La Présidence française et la souveraineté de l’Union européenne (B), La résilience de l’Europe face au retour de la puissance (C) ; L’Europe : changer ou périr ? (D)
Conférence organisée, le 18 novembre 2021, par la Prépa du Lycée ENC Blomet et Diploweb.com. Intervenant : Pierre Verluise, Docteur en géopolitique de l’Université de Paris IV Sorbonne, fondateur du premier site géopolitique francophone, Diploweb.com et Chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Synthèse par Anna Monti.
En 1985, au cœur du régime soviétique se trouve un homme, Mikhaïl Gorbatchev, Secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique. Il se fait mondialement connaître par un discours sur la réforme – Perestroïka – et sa politique de Glasnost, traduite en français par le terme « transparence ». Mots clés d’une stratégie bien pensée, Perestroïka et Glasnost ont un impact retentissant sur le continent européen, voire le monde.
Que nous apprend le 7ème Secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique ? Cette problématique est à un la fois un hommage et une référence au maitre ouvrage de Michel Heller, « Le 7e secrétaire : splendeur et misère de M. Gorbatchev », éd. O. Orban 1990.
Il est possible dans les contextes les plus singuliers (1), de transformer des faiblesses internes en moyens de perturber la compréhension externe (2) afin d’établir un rapport de forces plus favorable (3).
1. Il est possible dans les contextes les plus singuliers …
Alors que l’économie soviétique est au plus bas, les années Gorbatchev sont celles d’un remarquable coup de maître dans ce domaine. Elles sont marquées par une fuite massive des capitaux en dehors de l’URSS estimée entre 25 et 100 milliards de dollars et par un triplement de l’endettement extérieur à hauteur de 70 milliards de dollars. Pourtant, les Européens de l’Ouest acceptent de lui faire aveuglement crédit. (…)
Le KGB réalise que « l’Occident aspire à être trompé, et trompé d’une manière qui lui convienne » écrit le dissident soviétique Alexandre Zinoviev. (…) M. Gorbatchev propose à l’Occident « la forme de mensonge qui convient à ce dernier » explique A. Zinoviev. Ce mensonge n’est autre que la démonstration publique d’une volonté réformiste de la part de l’URSS. En d’autres termes, M. Gorbatchev mène une campagne se voulant illustrer les bonnes volontés de l’URSS. Il offre à l’Occident « le leader communiste que le monde occidental espère », énonce l’historien Michel Heller. Sa stratégie transforme l’image de l’Union soviétique.
Bonus vidéo. P. Verluise. La « Glasnost » de M. Gorbatchev (1985-1991) : transparence ou désinformation ?
2. …de transformer des faiblesses internes en moyens de perturber la compréhension externe…
Le 7ème secrétaire général du Parti Communiste offre une nouvelle grille de lecture de l’URSS, un discours de « réforme » en faveur de l’économie de marché et d’autre part, des propositions de désarmement. Il capte l’intérêt et l’attention des Occidentaux. Il complète son arsenal stratégique, en faisant croire à l’Occident à une plus grande liberté d’information. À cette fin, la presse soviétique admet qu’il existe bien des prostituées et des toxicomanes en URSS. Comme ailleurs. Cela tranche avec la langue de bois habituelle, explique P. Verluise. Cette déclaration est ressentie comme une rupture en tous domaines avec le passé, pourtant ce n’est « qu’un contrôle étatique plus moderne » devant « assurer un meilleur contrôle du flot de l’information qui parvient en Occident » énonce A. Zinoviev. L’information soviétique est tout de même jugée plus fiable aux yeux de l’Occident.
Michel Heller écrit, « il s’agit de maîtriser le Verbe afin de le transformer en une arme puissante entre les mains du Secrétaire général ». Le vrai et le faux s’entremêlent et l’information s’adapte aux besoins du moment. C’est ainsi que les correspondants étrangers en URSS tombent dans le piège. M. Heller poursuit, « toutes « les nouvelles à sensation » leur tombent, préfabriquées, de sources soviétiques : par le biais des agences de presse TASS et Novosti, aux « briefing » dans les ministères, lors de conversations de confiance avec les leaders soviétiques ». La presse étrangère est parfaitement contrôlée grâce à une stratégie moderne de censure. Des journalistes et des universitaires se transforment en relais d’influence enthousiastes.
3. …afin d’établir un rapport de forces plus favorable
À présent que le tableau est dressé, il est temps de se demander pourquoi Gorbatchev s’est-il donné tant de mal avec la « perestroïka » et la « la glasnost » ?
A l’échelle nationale, il n’est « qu’une réponse : pour repousser au maximum la chute du système soviétique », explique M. Heller. Alors qu’à l’échelle internationale, ajoute Nora Buhks, la « Glasnost », « vise, dans son ensemble à faire croire à une évaluation libérale du système soviétique ». L’objectif est limpide : que les Occidentaux soutiennent l’URSS, au travers de financements. Dit autrement par Françoise Thom, il y a une volonté soviétique « d’associer la communauté internationale à l’entretien, au financement, à l’équipement et à l’alimentation des pays socialistes ». Elle qualifie le communisme de « véritable machine de pillage et de parasitisme ».
En effet, en empruntant massivement aux Européens, les Soviétiques les ont piégés dans leur filet, « puisqu’une fois atteint un certain niveau de crédits, le débiteur tient son créancier », explique un banquier. Pour atteindre ce résultat, la stratégie mise en œuvre s’est déroulée en quatre temps. (…)
Ainsi la « Glasnost », elle est à la fois une politique de transparence, puisque traduite ainsi par les agences soviétiques mais également une remarquable opération de désinformation massive, incitant les Européens à prendre des décisions contraires à leurs intérêts. Ce qui est la définition même d’une opération de désinformation réussie.
Webinaire organisé par l’Association française de Science politique le 19 janvier 2022. Intervenants : Michel Mangenot, Secrétaire général de l’AFSP, directeur de l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8 ; Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS, CEVIPOF-Sciences Po, directeur du Département d’études politiques et de gouvernance européennes du Collège d’Europe ; Amandine Crespy, professeure de science politique à l’Institut d’études européennes, directrice adjointe du CEVIPOL, Université Libre de Bruxelles ; Luuk Van Middelaar, professeur à l’Université de Leyde (Pays-Bas), philosophe politique et historien, ancien conseiller du président du Conseil européen. Synthèse par Amélie André
Le 1er janvier 2022 a débuté la Présidence française du Conseil de l’Union européenne. Pour six mois, le gouvernement français assure la présidence tournante. La treizième Présidence française de cette institution soulève plusieurs paradoxes. Tout d’abord, s’il s’agit d’un exercice classique, puisque c’est la treizième Présidence française depuis 1958, il est également nouveau, car c’est la première depuis le Traité de Lisbonne, qui introduit une rupture dans le système présidentiel de l’Union européenne. Ensuite, il s’agit d’un exercice plus contraint et plus attendu qu’en 2008, car il se concentre davantage sur l’influence que sur la représentation, et doit s’intégrer dans le trio de présidences avec la République Tchèque et la Suède. Enfin, si cette présidence soulève de nombreuses opportunités concernant la souveraineté européenne, elle comporte également des risques, en termes de comparaisons avec 2008, et du calendrier des élections présidentielles françaises. Après le discours d’Emmanuel Macron du 19 Janvier 2022 devant le Parlement européen, dans lequel le Président prônait une Europe plus souveraine, ce webinaire questionne cette priorité française qu’est la souveraineté.
Le contexte de l’émergence de la notion de souveraineté dans l’Union européenne (Olivier Costa)
Olivier Costa rappelle tout d’abord que la notion de souveraineté est ancienne dans la perception de la construction de l’Union européenne : le Général de Gaulle soutenait déjà une vision d’une Europe politique, souveraine.
Elle revêt néanmoins une importance nouvelle pour la Présidence française du Conseil de l’Union européenne. Celle-ci s’explique par le contexte singulier, à plusieurs échelles, qui pousse les Etats à considérer l’UE comme une entité souveraine. Tout d’abord, à l’échelle nationale, la Présidence constitue un enjeu politique dans le cadre des élections présidentielles d’avril 2022. Ensuite, le contexte européen est celui d’une crise de ses valeurs, qui sont contestées et ne peuvent prétendre à l’universalité. Une évolution récente ces cinq à dix dernières années, soulignée par Ursula Von der Leyen dans son discours devant la Commission Européenne en juillet 2019, note l’existence d’un consensus nouveau : l’UE doit exister à l’échelle mondiale autrement que par son poids commercial ou par la diffusion de ses valeurs. En effet, un contexte mondial singulier contraint l’UE à changer et adapter ses actions : le projet d’intégration par l’économie, la promotion du libre-échange sont ébranlés par l’émergence de nouvelles puissances. Ces raisons ont engendré l’apparition d’un nouveau discours sur la souveraineté, la puissance, l’autonomie stratégique.
La notion de souveraineté est apparue en quatre étapes. Premièrement, dans le champ scientifique : la communauté européenne y est décrite comme une « superpuissance en devenir », une « puissance civile », un « pouvoir normatif ». Puis, l’UE a connu un processus de politisation depuis l’intégration d’élections en 1979. Ce nouveau type de pouvoir pousse la communauté à être pensée comme une entité politique, dont la souveraineté est un aspect important. Ensuite, le Traité de Maastricht instaure de nouveaux éléments autour de la notion de souveraineté : citoyenneté européenne, la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC). Finalement apparait un discours sur la souveraineté de l’Union qui devient distinct, accompagné d’un sentiment d’urgence.
Dans ce contexte, penser une souveraineté pour l’Union européenne est difficile. Il s’agit ainsi d’un exercice en contradiction avec les valeurs européennes (coopération pacifique entre les Etats, refus de visée impérialiste, attachement au multilatéralisme), qui fait suite à un échec de la stratégie de la puissance civile.
Les thèmes et l’attitude de la France face au besoin de souveraineté (Amandine Crespy)
Selon Amandine Crespy, les thèmes de travail et l’attitude de la France dans la Présidence du Conseil de l’Union européenne apparaissent éloignés des enjeux de souveraineté. Les défis sont pluriels. Ils touchent aux conflits de souveraineté dans l’Union : conflits entre les Etats et l’UE, conflits de principes, mais également de souveraineté territoriale. Ils sont générateurs de division plutôt que d’appartenance. L’Union européenne fait face à un problème double : d’une part, l’intégration européenne a renforcé les pouvoirs exécutifs, tandis que les Parlements se sont trouvés affaiblis et que la composante populaire de la souveraineté a été diluée. Les propositions engagées par la France ne répondent pas à ces enjeux : les réformes sur le volet démocratique ou institutionnel sont marginales (revoir les Traités, améliorer le cadre législatif sur les élections européennes).
Cependant, Amandine Crespy souligne que les propositions de la Présidence française sur les questions de souveraineté et de puissance marquent une continuité avec les idées historiques portées par les précédentes présidences, ce qui montre qu’Emmanuel Macron se place dans ce sillage français. Ainsi, N. Sarkozy, qui a assuré la Présidence française de l’UE en 2008, soulevait les idées d’énergie et de développement durable (qui pourraient être assimilées à la « Relance » macronienne), de défense européenne (« Puissance »), de réformes de la Politique Agricole Commune (« Relance »). Précédemment, J. Chirac, en 2000, souhaitait moderniser l’économie, renforcer le modèle social européen (là où E. Macron veut développer le revenu minimum européen), accentuer la place de l’UE dans le monde. Cela témoigne du fait que malgré certaines priorités et inflexions qui changent selon le contexte, une tradition française perdure dans la Présidence de l’UE.
Enfin, à travers le thème de la souveraineté européenne, la Présidence française témoigne d’un prisme régalien fort. En effet, l’idée de souveraineté est envisagée sous le prisme de la puissance, de l’Etat, par la mise en commun d’attributs régaliens liés à la sécurité, interne et externe. Trois thèmes d’action se dégagent principalement : le développement de la défense et de la sécurité, à travers le renforcement de l’espace Schengen, de la Politique de Défense et de Sécurité pour assurer l’autonomie de l’Union vis-à-vis de l’OTAN. Le second thème concerne la maîtrise par l’UE de son voisinage, en particulier l’Afrique et les Balkans. Enfin, l’idée de l’appartenance et de la culture est également avancée. Cet agenda, centré sur la sécurité et revendiqué par l’Elysée, mobilise prioritairement des questions régaliennes et sécuritaires.
« Relance, Puissance, Appartenance » : que se cache-t-il derrière cette devise française ? (Luuk Van Middelaar)
Luuk Van Middelaar s’intéresse plus précisément au triptyque de la Présidence française : « Relance, Puissance, Appartenance ». Comment les idées de puissance et d’appartenance sont-elles liées ? La puissance fait référence à la défense, à la sécurité, à la promotion des valeurs de l’Union européenne. Elle se montre aujourd’hui dans un moment de tension aux frontières orientales de l’UE, comme elle s’était déjà révélée sous la Présidence de N. Sarkozy en 2008 avec la guerre au Caucase (le Président avait alors négocié). L’appartenance désigne quant à elle l’idée de culture, d’histoire, d’imaginaire européen commun, traduisant les valeurs de l’UE. Le travail sur cette dimension par E. Macron se concentre sur des évènements autour des universités européennes, l’histoire de l’Europe (passé commun), le projet d’une Académie d’Europe. L’objectif est d’inclure, d’associer le monde intellectuel au projet européen dans le contexte qui lui est singulier.
Selon L. Van Middelaar, puissance et appartenance sont liées et indissociables. Il n’existe pas de souveraineté sans récit. Cela est visible par exemple à travers le terme de « géopolitique » qui renvoie à des dimensions multiples : la reconnaissance du pouvoir comme instrument, le territoire, une dimension temporelle. Toutes les puissances mobilisent leur histoire dans une perspective d’appartenance mutuelle, commune, sur laquelle reposent la souveraineté d’une entité. La devise française pour cette présidence insiste donc sur l’importance de l’appartenance européenne dans la construction d’une Europe souveraine.
Ainsi, la souveraineté n’est pas un thème pionnier de l’Union européenne, qui se concentre sur les valeurs et la construction économique. Pourtant, face au contexte changeant, la communauté européenne se voit contrainte de s’adapter afin de trouver une puissance nouvelle. Cette idée est au cœur de la Présidence française de l’Union européenne. La France a en effet, depuis le début de la construction européenne, insisté sur une construction politique, souveraine de l’Union. C’est ainsi que la France, par sa Présidence et à travers la devise « Relance, Puissance, Appartenance », tente d’infléchir cette idée.
Visioconférence organisée par la Chaire « Grands enjeux stratégiques contemporains » de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne le lundi 28 mars 2022.
L’intervenant attendu, Timo Pesonen, directeur général de l’industrie de la défense et de l’espace au sein de la Commission européenne (DEFIS), a été remplacé par Alain Alexis, conseiller pour les synergies des industries civiles, de l’espace et de la défense pour la DEFIS. Synthèse par Isabelle Gilbert.
Selon A. Alexis, le retour de la puissance se traduit au travers de divers éléments. Il est persuadé que les facteurs de la résilience de l’UE pour y faire face sont présents mais doivent être développés pour être déployés. Afin d’aboutir cet objectif, certaines stratégies sont déjà en place, d’autres sont en construction.
Le retour de la puissance
En termes d’éléments de retour de la puissance, A. Alexis parle bien sûr de l’invasion russe en Ukraine à compter du 24 février 2022. La guerre de la Russie en Ukraine est la première guerre étatique depuis 1945, ce qui nous paraissait impossible en Europe géographique ces dernières décennies. Il rappelle que M. Juncker, président de la Commission européenne de 2014 à 2019, avait alors été visionnaire en persévérant dans les investissements en matière de défense. Faisant face en ce temps-là à nombre de réticences au sein de la Commission et sans lesquels nous serions, aujourd’hui, démunis face à ce conflit.
A. Alexis cite également deux autres éléments. Le premier concerne les attaques terroristes perpétrées dans certaines villes européennes ces dernières années. Le deuxième concerne la crise sanitaire de la COVID-19 qui a mis en lumière nos dépendances à des pays tiers.
Selon lui, ceux-ci entraînent une prise de conscience bénéfique et mettent en évidence notre besoin de capacités de défense.
La résilience
A. Alexis met en avant la réaction inattendue et rapide de l’UE dans le conflit qui oppose l’Ukraine à la Russie. Tout d’abord, cette crise a permis la levée d’une prohibition, en place depuis sa création, à savoir l’approbation de livrer des armes létales à un pays belligérant.
Ensuite, l’UE a été capable d’accueillir plus de deux millions de réfugiés ukrainiens en un temps très court.
Ces évènements montrent que l’UE est capable de réagir, de mobiliser ses forces et aussi de mobiliser des fonds importants comme le fonds de relance européen, créé à l’occasion de la crise sanitaire.
Par conséquent, les éléments de la résilience sont présents. Cela étant, il pose la question de savoir si cela est suffisant ? Non, il faut que l’UE développe sa résilience, car elle fait face à des challenges auxquels il va falloir répondre.
À court terme, il s’agit bien évidemment d’utiliser tous les moyens à notre disposition (économiques, financiers, politiques, militaires) pour mettre fin au conflit russo-ukrainien ainsi que pour soutenir l’Ukraine.
À moyen et long termes, les principaux enjeux de l’UE sont variés. Le développement d’autocraties ces dernières décennies est à prendre en compte, car elles sont plus sujettes au conflit et ne font pas l’apologie des droits de l’homme. L’évolution de la situation économique internationale et de ses rapports de force sont également cruciaux. A. Alexis rappelle que si nous regardons la prospective d’ici à 2050, seule l’Allemagne fera partie du Groupe des Huit. Du point de vue des activités numériques, aujourd’hui, certaines entreprises ont un chiffre d’affaires supérieur au PIB de certains États-membres. Si l’UE veut rester dans la course, elle doit s’en donner les moyens. Elle doit aussi travailler sur le domaine des technologies critiques dans lequel nous sommes dépendants en matière de capacités. Le secteur de l’énergie pour lequel la situation actuelle met en évidence notre dépendance au gaz russe. L’énergie de certains États-membres provenant à 90 % de Russie. Or une dépendance énergétique à un pays tiers induit une dépendance politique et comprend un risque sécuritaire.
En ce qui concerne la défense, A. Alexis attire notre attention sur le fait que, souvent, nous sous-estimons l’importance de l’UE. Elle se situe devant la Chine avec le deuxième budget mondial. Cela étant, la difficulté réside dans le fait que ce budget est fragmenté en vingt-sept et donc en autant d’approches et de priorités.
Les actions entreprises
Certaines stratégies sont déjà en cours. Toujours dans le domaine de la défense, la stratégie principale est la création du Fonds européen de défense en 2016. Il a pour ambition de financer des éléments de recherche et de développement. Ce qui permettrait à l’UE d’intervenir non pas en termes de défense directement mais en termes de capacités. Une autre action concerne la création de la DG DEFIS au 1er janvier 2020 et qui témoigne de l’importance que l’UE accorde à cette question.
De manière générale, la DG DEFIS a reçu mandat pour mener une étude sur l’identification des technologies critiques afin d’identifier nos dépendances. Cette étude est déjà en cours pour les secteurs sensibles que sont celui des semi-conducteurs et des systèmes autonomes.
Même s’il est trop tôt pour en tirer les conclusions, certains enseignements peuvent déjà être émis.
À savoir un manque d’anticipation, un faible niveau de recherche et de développement, la restriction territoriale en ce qui concerne le matériel acquis hors de l’UE, les matières premières et l’idée de chercher des éléments de substitution.
Enfin, les entreprises de défense européenne rapportent avoir des difficultés à recruter des personnes qualifiées de haut niveau. Les interrogations se portent sur les moyens mis en matière de formation et d’expertise.
Les stratégies à venir
Concrètement, le Conseil de l’UE a adopté en mars 2022 la Boussole stratégique (Strategic COMPASS), document important qui identifie pour la première fois les différents risques au niveau européen. Car les États-membres sont unanimes sur le fait de vouloir développer des capacités qu’il faut identifier, et sur le fait de vouloir réduire les dépendances technologiques.
Il s’agit ensuite de suivre la déclaration de Versailles. Cette déclaration a été ratifiée lors de la réunion des chefs d’États à Versailles début mars 2022. La Commission a reçu mandat de préparer un rapport pour le Conseil européen suivant. Ce rapport doit mettre en avant les servitudes en termes de capacités ainsi que les domaines dans lesquels les investissements sont nécessaires de la part des États-membres.
A. Alexis précise que ces éléments ne sont pas opérationnels mais donnent une feuille de route à l’UE.
Il revient, pour conclure, sur la prise de conscience salvatrice que la paix n’est pas acquise, que l’UE a les capacités de réagir.
Il présente aussi des pistes sur lesquelles il encourage à travailler pour que l’UE puisse aboutir sa résilience et passer à l’étape ultérieure.
Il s’agit des synergies dans le domaine de la recherche, de développer davantage de mécanismes collectifs de gestion de crise, de travailler ensemble sur les menaces hybrides, d’encourager la coopération industrielle, de développer ensemble une stratégie spatiale.
Conférence organisée par Diploweb.com, le 24 mars 2022, à la Prépa du Lycée Blomet (Paris), en partenariat avec le Centre Géopolitique et ADEA MRIAE de l’Université Paris 1. Intervenante : Nicole Gnesotto, professeure émérite du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) ; vice-présidente de l’Institut Jacques Delors. Synthèse réalisée par Marie-Caroline Reynier, validée par N. Gnesotto.
Cette conférence s’articule autour du livre de Mme Nicole Gnesotto, « L’Europe : changer ou périr » (éditions Tallandier, 2022). En préambule, N. Gnesotto explique que le titre de son ouvrage, choisi en 2021, traduit la situation paradoxale dans laquelle se trouve l’Union européenne. En effet, alors que l’Union européenne débloquait des consensus dans son fonctionnement et les crises traversées depuis la fin de la Guerre froide, elle se montre incapable de construire une voie lui permettant de s’affirmer sur la scène internationale dans le contexte de la crise économique de 2008, de la crise des réfugiés de 2015 et de la crise du COVID de 2020. N. Gnesotto exprime également son inquiétude quant à la désaffection de la population européenne vis-à-vis de l’Union européenne. Dès lors, N. Gnesotto cherche à comprendre d’où vient l’impuissance de l’Union européenne à répondre de façon constructive et crédible aux crises : elle suggère que le problème réside dans l’ADN même de la construction européenne, dont les principes de base correspondaient au monde de 1950 mais ne fonctionnent plus dans celui de 2020. Elle actualise également son raisonnement au regard du moment historique que constitue la guerre en Ukraine depuis le 24 février 2022.
Pourquoi les fondamentaux de l’Union européenne ne sont-ils plus adaptés au monde actuel ?
Deux principes de bases ont construit le fonctionnement de l’Union européenne après la fin de la Seconde Guerre mondiale. En premier lieu, les pays européens ont souhaité construire la paix par le commerce, par une intégration économique et commerciale autour des deux anciens ennemis, la France et l’Allemagne. Il s’agit de l’idée fondatrice, défendue par R. Schuman et J. Monnet, qui a présidé à la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) signée en 1951 : le commerce adoucit les mœurs et pacifie le monde.
Deuxièmement, l’Europe communautaire s’est construite en déléguant les questions de sécurité et de défense aux Etats-Unis. Ces derniers, ayant identifié le système communiste comme la principale menace dès le début de la guerre de Corée en 1950, ont souhaité réarmer l’Allemagne fédérale. Ainsi, en 1954, l’Allemagne fédérale et l’Italie, deux pays vaincus de la Seconde Guerre mondiale, intègrent l’OTAN (créée en 1949). La Communauté économique européenne (CEE) accepte donc un partage des tâches en gérant la prospérité des pays membres et en confiant la sécurité à l’OTAN.
Ce partage des tâches satisfait les différents acteurs jusqu’à la chute de l’URSS en 1991 puisqu’il permet à l’Union européenne de devenir la première puissance commerciale mondiale, une très grande puissance démographique et monétaire. L’Union européenne, en payant peu pour sa défense, peut consacrer une grande partie de ses ressources à la croissance économique, elle-même génératrice de protection sociale. Néanmoins, ce système, fonctionnel durant la Guerre froide, se met à patiner à la fin de la Guerre froide. En effet, 1991 ne marque pas seulement la fin de la Guerre froide mais également l’entrée dans la mondialisation. Les deux grands blocs communistes, la Chine et l’URSS, décident, pour des raisons différentes, de rentrer dans l’économie de marché.
Le modèle de référence de l’Union européenne, construit autour de la paix par le commerce et la garantie de sa défense par les Etats-Unis, montre alors son inefficacité.
Bonus vidéo. N. Gnesotto. L’Europe : changer ou périr ?
La thèse de la pacification par le commerce mondial est battue en brèche lors de la crise économique de 2008. Cette crise, qui engendre une récession de l’économie européenne en 2011 et 2012, illustre les limites de la déréglementation des marchés économiques. La crise du COVID en 2020 a également renforcé le caractère utopique du modèle d’interdépendance économique : l’interdépendance n’est pas une garantie contre la géopolitique au contraire. Dans la mondialisation, le commerce est géopolitique. C’est ainsi que la crise sanitaire de COVID-19 a montré la dépendance de l’Union européenne à l’égard notamment du régime communiste chinois (masques, doliprane…).
Deuxièmement, l’idée d’une protection sécuritaire garantie par les Etats-Unis vacille dès 2003 lorsque George W. Bush envahit l’Irak sans mandat onusien. L’élection de Donald Trump à la présidence américaine en 2016 constitue un réel tournant dans la mesure où il part en guerre contre tous les fondamentaux occidentaux. Face aux déclarations de Trump sur l’obsolescence de l’OTAN, les Européens s’inquiètent que les Etats-Unis ne remplissent pas leurs obligations contenues dans le traité de l’OTAN. Cette fissure dans la croyance aveugle des Européens dans la protection américaine s’accroit lors du départ rapide des Américains de l’Afghanistan en août 2021.
Selon N. Gnesotto, les fondamentaux de l’Union européenne ne fonctionnent plus car le monde actuel n’a rien à voir avec celui dans lequel l’Union européenne est née. N. Gnesotto souligne donc la nécessité de changer les concepts de base ayant présidé à la construction de l’Union européenne, à savoir changer la foi absolue dans l’excellence du marché en remettant du contrôle politique sur les marchés et construire une plus grande souveraineté européenne en matière de sécurité.
Quelles sont les conséquences de la guerre en Ukraine pour l’Union européenne ? Pourquoi est-il encore plus urgent de changer les fondamentaux européens ?
L’agression de V. Poutine à l’encontre de l’Ukraine constitue un moment de rupture et de choc pour les pays membres de l’Union européenne. Leur réveil est douloureux, tout particulièrement pour l’Allemagne dont le modèle fondé sur les vertus du commerce, le dialogue, le « soft power » et l’interdépendance comme facteur de paix, s’effondre. N. Gnesotto insiste sur ce triple choc pour l’Allemagne dans la mesure où elle prend conscience de sa triple dépendance, à l’égard de la Chine pour le commerce, à l’égard de la Russie pour son gaz et à l’égard des Etats-Unis pour sa défense. L’Allemagne, leader de l’Union européenne, devient aujourd’hui le maillon faible de la construction européenne.
Quelles ont été les réactions des pays Européens ? L’Allemagne fait le choix de se réarmer, en annonçant débloquer 100 milliards d’euros pour sa défense (ce qui représente plus de deux fois le budget de défense français). Cette volonté allemande de construire une puissance militaire solide constitue une révolution psychologique fondamentale.
Tous les pays de l’Union européenne décident également d’augmenter leur budget de défense pour atteindre au moins 2% de leur PIB. Il faut également noter l’unanimité extraordinaire des pays occidentaux dans les sanctions, très dures sur le plan économique comme en témoigne le bannissement de la Russie du réseau bancaire SWIFT.
Enfin, les citoyens européens constituent un front uni contre cette guerre, ce qui amène les grandes entreprises occidentales à quitter la Russie, en vertu de leurs engagements de RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). Ainsi, pour préserver leurs images de marque, les entreprises du luxe, les grandes entreprises américaines tels que Coca-Cola, McDonalds, Starbucks, mais aussi Zara, H&M, Adidas ont fermé leurs boutiques en Russie. Après les récentes annonces de retrait de Renault et Total de la Russie, seuls Auchan et Leroy Merlin, propriétés du groupe Mulliez, maintiennent leur implantation dans ce pays.
Toutefois, si la réaction européenne est très forte, une grande incertitude demeure sur l’avenir de la guerre. Au vu de la décision du sommet de l’OTAN le 24 mars 2022 de fournir des éléments de protection aux Ukrainiens face aux attaques chimiques, N. Gnesotto redoute un des scénarios du pire. Elle espère également que l’Union européenne soutiendra sans réserve les compromis diplomatiques possibles que pourraient accepter V. Zelensky.
N. Gnesotto conclut en soulevant la question du réveil stratégique de l’Union européenne, qui prend une importance significative à l’heure de la guerre en Ukraine. Si les chefs de gouvernement européens ont adopté le 24 mars 2022 une boussole stratégique, N. Gnesotto appelle à rester prudent sur le qualificatif d’Europe puissance. Un moment de prise de conscience se produit actuellement mais il s’agit bien plus d’un moment d’émotion que d’un moment de puissance. L’Union européenne se réveille mais d’abord au sein de l’OTAN, comme en atteste l’achat par les Allemands d’avions de combat américains F-35 en mars 2022. Parler d’autonomie stratégique européenne est inaudible aujourd’hui, à l’heure où il faut s’appuyer sur la communauté atlantique face à la Russie ; son temps viendra dans une seconde étape.
Dix ans après les printemps arabes, un Maghreb plus que jamais fragmenté et fragilisé (A) ; L’avenir de la Méditerranée, entre conflits et confluences (B) ; Les recompositions géopolitiques en Méditerranée (C).
Conférence tenue le jeudi 9 décembre 2021, par la Fondation Méditerranéenne d’Etudes Stratégiques (FMES). Intervenant : Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, spécialiste du Maghreb. Synthèse par Jeanne Durieux.
On ne parle uniquement du Maghreb que lorsque celui-ci va mal, ou lorsqu’un représentant politique s’y rend officiellement. De fait, l’actualité était riche cet été : on peut mentionner la crise algéro-marocaine et la rupture de leurs relations diplomatiques, le renvoi du gouvernement et du Parlement par le président tunisien le 25 juillet… Le Maghreb vit en quasi-autarcie depuis bientôt deux ans : les frontières sont fermées, les vols internationaux ne circulent plus… Les élites diplômées fuient vers l’Europe ou le Canada.
La situation est donc complexe aujourd’hui, alors même qu’on fêtait il y a dix ans les Printemps arabes.
En dix ans, les maux de la région ont-ils été réglés ou en partie résorbés ?
A l’évidence, trop peu. La seule grande nouveauté tient à la régression et le discrédit relatif des islamistes, plus ou moins relié à la mouvance des Frères musulmans qui ont un véritable esprit politique : pour autant, les politiques dont ils ont bénéficié à l’issue des Printemps arabes n’ont pas convaincu les opinions régionales. La situation est difficile sur le plan économique. Et, par-dessus, vient s’emboiter la crise du Covid 19, qui a fait disparaitre le Maghreb des écrans pendant plus d’un an et a considérablement affaibli la région. La sortie de la crise fait apparaitre certaines réalités : citons notamment les Turcs qui sont allés s’installer en Lybie avec les djihadistes syriens, alors que la France était occupée à gérer la crise des masques. Le gouvernement algérien a mis fin au Hirak, le président tunisien a mis à l’écart les institutions démocratiquement élues…
Dix ans de gâchis ou des clarifications nécessaires ?
Les Printemps arabes ont aggravé les tensions régionales et les égoïsmes nationaux : la perspective d’un Maghreb uni n’a jamais été aussi éloignée qu’aujourd’hui. Les Printemps arabes de 2011 ont entrainé un effet de contagion mimétique, tout en laissant chaque gouvernement réagir à sa manière, selon son appréciation et son histoire. Dix ans après, la Tunisie poursuit son histoire politique constitutionnelle démarrée au XIXe siècle. En Algérie, le Hirak est un moment de réaffirmation de la force et du pouvoir ; à Rabat, le Palais Royal s’est distingué par son habileté à contenir la révolte et isoler les acteurs, en faisant des concessions symboliques, et en acceptant notamment qu’un Premier Ministre islamique puisse diriger le gouvernement. La réaction libyenne renvoie à l’histoire d’un pays qui n’est pas un état nation, et marque le retour à une vision tribale et islamique des réalités politique. En réalité, plus on s’éloigne de 2011, plus les pays s’enfoncent dans la trajectoire qui leur est propre.
Le mot même « Maghreb » est contesté par les amazighs (les berbères d’Algérie, de Maroc et de Libye) qui affirment la pluralité du Maghreb qui n’est pas qu’arabe. En réalité, le printemps arabe a masqué un printemps berbère sur un mode mineur.
Les ferments de la contestation des régimes en 2011 tenaient à l’appauvrissement des populations : ces inégalités sociales et régionales à l’intérieur des pays n’ont jamais diminué, voire se sont parfois intensifiées. Le Covid est un coup de grâce : prenons l’exemple de la Lybie, qui a connu un effondrement économique du fait de l’arrêt des exportations, alors même qu’elle est le pays le plus riche en hydrocarbures de l’Afrique. Les crises économiques, intenses ou larvées, sont particulièrement cruelles dans les régions périphériques du Maghreb, fait étonnant quand on sait que le Printemps arabe est né dans le centre-ouest de la Tunisie, région frontalière avec l’Algérie de haut-plateau. Rien n’est arrangé depuis dix ans, y compris dans les régions qui avaient fait naitre la révolution.
En Tunisie s’observe le retour progressif de la prévalence des tribus qui bloquent les oléoducs et les gazoducs : on note une désagrégation de la conscience nationale et de l’Etat-nation à travers son économie.
Quel rôle de l’islam politique ?
L’islam politique est apparu non plus seulement comme une force d’opposition mais aussi de gouvernement, à travers les mouvements liés aux Frères Musulmans en Lybie, au Maroc et en Tunisie. Ainsi, le Maroc se fait le siège d’une cohabitation déséquilibrée en faveur du Palais. Le chef du gouvernement était islamiste, mais les autres fonctions régaliennes restaient aux mains du Palais. Finalement, celui-ci a exigé le départ du premier ministre islamiste pour un autre individu beaucoup moins charismatique : la parole du chef du gouvernement s’est affadie, jusqu’à lui faire endosser la reconnaissance d’Israël avec les accords d’Abraham en décembre 2020. Les élections législatives qui ont suivi en septembre 2021 ont donc permis au Palais de reprendre la main sur les islamistes dans une certaine indifférence.
En Lybie, les islamistes avaient une part importante du gouvernement dans le Parlement élu après la première révolution, et dans la gouvernance de certaines villes, mais ils ont perdu les élections de 2014. Depuis, ils sont restés au pouvoir sur une partie du territoire.
En Tunisie, les islamistes ont dirigé le gouvernement entre 2011 et 2014. Ils ont ensuite retrouvé un rôle actif à la tête du Parlement dès 2019 : pourtant, ils ont perdu les espérances qu’ils avaient levées au départ, ce qui explique le dénouement du 25 juillet dernier.
Au cours de ces évolutions de moyenne durée se sont produites des crises. Notons déjà la guerre en Syrie, théâtre d’un djihad international. Les pays du Maghreb n’anticipent que tardivement cette menace. La crise n’est aujourd’hui pas terminée : se pose la question du retour des anciens djihadistes. Par-dessus s’agrègent des crises politiques : le Hirak de la région du Rif, au Maroc, entre 2016 et 2019, se fait l’expression d’une contestation collective et régionale face à la carence des infrastructures d’Etat, et la corruption des élites locales. Le Hirak algérien vise d’abord à forcer la famille Bouteflika à quitter le pouvoir, pour ensuite exiger une démocratisation des institutions, alors même que l’Algérie fait face à un véritable chômage de masse. La répression est invisible mais brutale.
Le Maghreb à l’os du point de vue économique
Enfin, le COVID a permis d’étouffer les contestations politiques en forçant les pays à se replier sur eux-mêmes. Dans ce contexte-là, le Hirak s’est étouffé. De façon générale, le virus n’a pas fait beaucoup de morts. Pour autant, la fermeture des frontières a privé les populations des ressources, confrontées à des Etats qui n’avaient pas les moyens de mettre en place des subventions. Les Etats ferment donc les yeux sur la flambée migratoire, jusqu’à parfois favoriser les émigrations.
Le Maghreb est face à des impasses politiques : l’Algérie se congèle autour d’un vieux président élu par une petite partie de la population ; la Tunisie suit une logique de fuite en avant, guidée par un président au bord de la banqueroute. Le roi du Maroc est solidement accroché à son trône, mais quid de sa santé ? Des islamistes ? De l’appauvrissement des populations ?
Finalement, ces processus inaboutis se sont accompagnés d’un intérêt renouvelé des nations étrangères pour le Maghreb. Les monarchies du golfe sont très actives ; les Turcs, les Chinois, les Américains et les Russes lorgnent également la région.
Une seule solution : la réindustrialisation
La seule solution réside pour Pierre Vermeren dans la co-industrialisation de la région. Le Maghreb compte peu d’emplois industriels, alors même que la population a doublé en trente ans. L’agriculture ne sauvera pas la région, et le tourisme non plus. Sans production, les cadres quittent le Maghreb : il faut industrialiser le pays pour les faire rester. La réindustrialisation régionale, concertée avec l’UE, est une solution viable, plutôt que de laisser basculer la région dans des zones d’influences étrangères.
Table-ronde organisée le 16 octobre 2021, à l’Institut du monde arabe. Intervenants : Avraham Burg, ancien président de la Knesset (1999-2003) ; Leila Shahid, ancienne ambassadrice de Palestine en France et auprès de l’Union européenne ; Pierre Vimont, diplomate français, secrétaire général exécutif du Service européen pour l’action extérieure. Modération : Benjamin Barthe, journaliste (Le Monde). Synthèse par Elena Roney
Lors de cette table-ronde, trois thèmes ont été abordés, à savoir la désunion de la Méditerranée, l’impasse des dialogues entre différents acteurs nationaux et internationaux, et la faillite à faire à la fois État et société.
D’où proviennent les crispations rituelles entre les opinions publiques arabes et européennes ?
Pour Leïla Shahid, le monde arabe ne cultive pas de ressentiment à l’encontre des pays européens et si le dialogue est empêché, c’est que le monde arabe se sent blessé à cause de la colonisation. Les tensions qui naissent entre les anciens pays colonisateurs et les anciens pays colonisés sont dues à un passé empli de souffrance, et à un présent plein de non-dits qui ne permettent pas l’instauration d’un dialogue apaisé.
L’Union européenne et sa politique de voisinage en Méditerranée
Selon Pierre Vimont, l’UE est confrontée à un double problème dans sa politique de voisinage avec la Méditerranée. Le premier est qu’elle a voulu développer des relations économiques avec le monde méditerranéen sans s’intéresser au problème sécuritaire. Le second est qu’avec l’élargissement à 27, l’UE s’est retrouvée avec des pays ayant des préoccupations radicalement différentes. Ainsi, d’anciennes puissances coloniales comme la France, l’Espagne ou l’Italie manifestent un vif intérêt pour les relations avec les anciens pays colonisés du Moyen-Orient. Face à celles-ci se trouvent des pays d’Europe de l’Est principalement qui sont plus intéressés par les relations avec la Russie et les problèmes en Ukraine. Pierre Vimont souligne également le manque de rôle politique de l’UE dans les pays du Moyen-Orient. En effet, bien qu’elle soit active diplomatiquement, humainement, économiquement et militairement dans certains pays, elle ne s’octroie jamais de rôle politique.
A quels nouveaux défis l’Europe et le Moyen-Orient sont-ils aujourd’hui confrontés ?
Pour Avraham Burg, l’histoire est la politique du passé, et la politique est l’histoire du futur. Il dénonce l’hypocrisie des puissances occidentales qui prônent à longueur de temps une politique de paix, mais qui possèdent les dix plus grandes entreprises fournisseuses d’armes au monde. Ce sont les démocraties libérales qui exportent des quantités astronomiques d’armes au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne. Toutes ces armes exportées provoquent une explosion de violence dans la région méditerranéenne, ce qui provoque de nombreuses migrations. Ainsi assiste-t-on aujourd’hui à un réel changement au niveau de la composition de la population du Moyen-Orient. Les minorités chrétiennes par exemple quittent en masse la région, de nombreux Musulmans émigrent également vers l’Europe. Cette dernière et le Moyen-Orient doivent tous deux apprendre un nouveau langage, afin de pouvoir se comprendre. C’est d’ailleurs leur principal défi.
Les autres défis auxquels sont confrontés les pays du Moyen-Orient sont la structure de l’Etat et la laïcité. Au Moyen-Orient, la séparation de la religion et de l’État est tout sauf naturelle. En effet, Mahomet était à la fois un théologien et un politicien. Dans le monde musulman, la fusion entre l’institution religieuse et l’Etat existe depuis toujours. Pour la plupart des Musulmans partis en Europe, la notion de laïcité est donc compliquée à comprendre à leur arrivée.
L’Europe quant à elle doit établir un véritable travail de mémoire, tant sur la question de la Shoah que sur celle de la colonisation. En effet, c’est de tous les non-dits concernant ces traumatismes historiques que découle la plupart des conflits au Moyen-Orient. Ainsi, tant que ces questions n’auront pas été réglées, toute forme de dialogue entre les deux régions restera vaine.
De nombreux gouvernements au Moyen-Orient ne reconnaissent pas les caractères pluri-confessionnels de leur pays. Cette non-reconnaissance est-elle partagée par l’ensemble de la population ?
Selon Avraham Burg, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à l’élection de Donald Trump en 2016, le monde dans lequel nous vivions appartenait aux Démocrates et aux Conservateurs. Depuis l’élection du Président américain, on assiste à un essor très important de démocraties illibérales, celles de Viktor Orban, de Benyamin Netanyahu ou encore de Recep Tayyip Erdogan en étant des exemples. Aujourd’hui ce ne sont plus des affrontements de certains groupes contre d’autres groupes, mais plutôt de quelques extrêmes contre quelques extrêmes. La haine aujourd’hui n’a plus de frontière. Elle peut être très forte dans certains pays du Moyen-Orient et opposer quelques membres d’un certain groupe confessionnel, contre quelques membres d’un autre groupe confessionnel. C’est par exemple le cas en Israël où aujourd’hui Benyamin Netanyahu tente d’attiser la haine des Juifs à l’encontre des Musulmans.
Les accords d’Oslo signés en 1993 pour tenter de résoudre le conflit israëlo-palestinien se sont-ils révélés efficaces ?
Pour Leila Shahid, les accords d’Oslo n’ont jamais été véritablement appliqués. Le processus fait partie de l’histoire, mais il n’est plus d’actualité. De plus, le conflit d’aujourd’hui a changé, il faut inventer une nouvelle solution pour le résoudre. Il faut étudier en profondeur le conflit, analyser les traditions, les cultures, les religions de chacun pour pouvoir arrêter la guerre israélo-palestinienne. Aujourd’hui les Palestiniennes et les Palestiniens sont extrêmement marginalisés. Environ 60% d’entre eux n’auraient ainsi pas de papier d’identité, le gouvernement israélien refusant de leur en fournir. Il y a également un problème avec la Russie qui multiplie ses interventions dans le pays et attise le conflit.
Pour résoudre ce dernier, il faudrait un monde sans nationalisme, ni religion officielle. Ce qui doit intéresser, c’est le droit pour chaque communauté de vivre librement, sans être oppressée. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Il n’y a pas d’autorité palestinienne et le territoire est occupé par l’armée depuis près de 73 ans. Les insultes racistes deviennent même assumées et revendiquées dans la Knesset par des députés d’extrême droite.
Comment expliquer le somnambulisme démocratique en Europe vis-à-vis de certains pays du Moyen-Orient qui ne respectent pas les droits humains ?
Pour Pierre Vimont, il y a aujourd’hui un désintérêt de l’Union européenne pour le processus de paix dans certains pays du Moyen-Orient. On ne veut plus traiter ce problème dans les chancelleries diplomatiques. Le conflit en Syrie, les tensions dans les relations Iran-Irak, la pression migratoire que fait peser la Turquie sur l’Europe, ou encore la question israélo-palestinienne sont peu voire pas abordés, peu de solutions sont proposées. Le cœur de cette marginalisation réside dans la montée de l’individualisme. En effet, comment régler des problèmes collectifs quand chacun ne s’intéresse plus qu’à son cas personnel et à ses intérêts propres ?
Aujourd’hui, la société israélienne vote de plus en plus à droite, et la communauté internationale n’intervient pas dans le conflit israélo-palestinien. D’où peut alors venir le salut de la société ?
Pour Avraham Burg la solution ne peut pas provenir de la création de deux Etats, l’un palestinien et l’autre israélien. En effet, cela déboucherait sur un non-respect pérenne des droits palestiniens. Il faut alors penser à quoi ressemblerait un seul Etat, réunissant à la fois Palestiniens et Israéliens, sans qu’il n’y ait d’abus contre la communauté palestinienne. Selon Avraham Burg, il faudrait ainsi qu’une discussion s’ouvre entre des représentants des deux communautés et que se crée une instance pour discuter du conflit, et de l’oppression actuelle de la communauté palestinienne. Il faudrait également que se créent deux autres instances, l’une dans laquelle la communauté israélienne pourrait parler de ses problèmes internes et les régler, et une autre dans laquelle la communauté palestinienne se réunirait afin de venir à bout des problématiques auxquelles elle fait face.
Conférence organisée par l’Université de Toulon et la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES). Intervenant : Pierre Razoux, historien français spécialisé dans les conflits contemporains et les relations internationales, directeur académique de la FMES et expert reconnu sur le sujet du Moyen-Orient et de la Méditerranée, à la fois au sein d’institutions du Ministère des Armées et à l’étranger. Synthèse par Jeanne Durieux.
Le bassin méditerranéen, aussi bien en mer que sur les rives, est un vaste champ de confrontations et de rivalités à tous points de vue. On ne peut comprendre les rapports de force et les enjeux géopolitiques qui se jouent sur les deux rives, si on ne comprend pas un certain nombre de conflits ou de rivalités au Moyen-Orient.
La Méditerranée est le segment de la principale route maritime commerciale qui relie l’Amérique du Nord, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie. C’est la route la plus fréquentée, car paradoxalement la plus sûre et la plus rapide : par elle passent les énergies et les ressources premières.
Le bassin méditerranéen est devenu une zone de convoitises dans le cadre de la grande rivalité commerciale entre la Chine et les Etats-Unis. Depuis une vingtaine d’années, les Etats-Unis effectuent un redéploiement stratégique pour sortir de la logique d’engagement permanent promise par Clinton. Ils ont donc formé une sorte de continuum européen qui s’arrête aux frontières chinoises et indiennes, qu’ils déterminent comme une zone à protéger ; le continuum défend les principales routes maritimes et est défié par un certain nombre d’acteurs qui tentent de pousser leurs pions pour défendre leurs intérêts.
La stratégie chinoise est différente et s’organise sur 40 ans. La Chine ambitionne, entre autres, de détrôner les Etats-Unis, première puissance mondiale. Dans cette optique, le bassin méditerranéen, qui accueille les routes terrestres et maritimes orientales, est une zone essentielle pour la vision chinoise.
En outre, le bassin méditerranéen est un espace de transit intense du pétrole et du gaz naturel, organisé par les oléoducs et les gazoducs. On sait donc que l’Italie est plutôt conciliante avec la Turquie, puisque l’un des principaux gazoducs et oléoducs qui irriguent l’Italie part de Tripoli, en Libye, zone actuellement contrôlée par l’armée turque. Quant aux américains, ceux-ci ont posé des bases qui leur permettent de protéger les points de passage obligés que sont le détroit de Gibraltar, la Sicile, le canal de Suez et la mer Egée, et les endroits traversés par les gazoducs et les pipelines. En Méditerranée orientale se construit depuis une dizaine d’années un plateau de jeu d’échecs. La Méditerranée est aussi parcourue par de nombreux câbles sous-marins. L’enjeu est d’autant plus crucial que la conflictualité de demain se jouera sur le plan du cyber et de l’informationnel.
La Méditerranée comme un foyer de crises
La Méditerranée est aussi au cœur de flux de migrants et de réfugiés. L’UE a tenté d’ériger une ligne d’arrêt de ces flux, au sud des rives européennes, mais cette ligne est fragilisée par les routes terrestres qui la contournent.
L’UE se perçoit aujourd’hui comme une citadelle assiégée par les politiques revanchardes de la Russie, par la conjonction de la décomposition du monde arabo-musulman et de son donjon bruxellois. Or, ce n’est pas dans une position hyper-défensive que l’on trouve les bonnes solutions.
Vu d’Europe, le bassin méditerranéen compte plusieurs grands foyers de djihadisme : l’immense bande saharo-sahélienne, la Libye, le Sinaï, qui subit une rébellion poreuse. Enfin, Daech ne peut être enterré.
Il faut donc tout faire pour éviter la réunion des fronts djihadistes, qui entrainerait la formation d’un vaste continuum. Face à cette potentialité, deux positions se structurent à Bruxelles : ceux qui considèrent que la rive sud ne les concerne pas, s’opposent à ceux qui insistent sur la nécessité de travailler avec les gouvernements de la rive sud-méditerranéenne, pour les aider à renforcer la ligne d’endiguement des flux. Pourtant, les pays du Sud, qui devraient travailler main dans la main sont, de fait, structurés mentalement et géopolitiquement sur des bandes Nord/Sud.
Quel agenda géopolitique des puissances méditerranéennes ?
Le Maroc cherche à sécuriser le régime et la succession du roi Mohammed VI. Le Maroc et l’Algérie sont rivaux pour le leadership du monde arabe. Le but est donc d’empêcher les Algériens d’avoir un accès maritime à l’Atlantique, via le Sahara occidental : s’il accédait à l’indépendance, celui-ci viendrait ouvrir l’accès maritime algérien et couper de moitié celui du Maroc. Les Marocains cherchent à maintenir un lien privilégié avec l’UE, et avec ses principaux clients économiques que sont les Etats-Unis, le Canada et le Brésil. Le Maroc doit aussi gérer la normalisation de ses rapports avec Israël.
L’Algérie, quant à elle, a pour priorité d’assurer la survie du régime après le Hirak. Face aux difficultés internes, l’Algérie tente de faire diversion en ranimant les tensions avec ses adversaires. On peut s’interroger sur le futur probable de la mise en place de bases chinoises et russes (ces derniers sont déjà fortement présents sur les terres algériennes) en Algérie contre leur soutien au régime algérien.
La Tunisie est, depuis 2011, le laboratoire de la démocratie dans le monde arabe. La Tunisie cherche à nouer de bonnes relations avec tout son entourage, ayant comme priorité première la sécurisation interne.
La Libye voit les forces du gouvernement national reconnu par la communauté internationale, soutenues par la Turquie, s’opposer à l’armée nationale libyenne, anciennement contrôlée par le maréchal Haftar, fortement soutenue par l’Egypte, la Russie et les Emirats Arabes Unis. Le dossier libyen est au cœur de ces rivalités de puissance. Pour l’instant, le sud libyen est ouvert à la libre circulation de tous les groupes armés.
L’Egypte du maréchal Sissi est une bombe démocratique et socio-économique à retardement. L’Egypte fait face à d’immenses problèmes environnementaux et agricoles, et doit donc nouer de bonnes relations avec son entourage, en raison de son statut de gardienne du canal de Suez. Il s’agit de protéger l’axe Nord-Sud du Nil, de sécuriser les gisements offshore en Méditerranée, la mer Rouge, de consolider la frontière avec la Libye et le Soudan, tout en restant en bons termes avec Israël et la Syrie. La Turquie représente le vrai rival idéologique et régional de l’Egypte.
La Turquie reste sous l’emprise de l’agenda géopolitique du président R. Erdogan qui voudrait être la figure historique la plus importante de l’histoire de la Turquie moderne. Face à une situation économique qui vacille, il s’agit donc de flatter le nationalisme ambiant et s’assurer qu’il n’y ait aucune indépendance kurde. Face à la Russie, aux Etats-Unis et aux Iraniens qui le limitent Erdogan se concentre sur la marge de manœuvre qu’il a en direction de l’UE et de la Méditerranée orientale, d’où il peut pousser ses pions. Erdogan est dans une situation confortable, dans la mesure où les Etats-Unis, les Russes, les Chinois et l’Union européenne ont besoin de lui. Erdogan cherche à s’imposer comme hub énergétique.
Le Liban est en état de décomposition avancée. Pour Pierre Razoux, pour comprendre les clés de décryptage du Liban, il faut suivre l’argent et les familles libanaises druzes, chiites, sunnites et chrétiennes, qui font le jeu géopolitique libanais. La ZEE du pays recèle des gisements gaziers probables. On note également le rôle des grands parrains du Liban, dont l’Iran, et de certaines communautés chrétiennes qui désirent maintenir la stabilité du pays.
En Syrie, l’armée turque occupe physiquement quatre têtes de pont, dont celle du Nord, carrefour vital disputé par tous. La Syrie est alors un espace de confrontations entre les ambitions iraniennes qui cherchent à accéder à la Méditerranée et au Liban, et les Israéliens qui font tout pour les en empêcher. Le chaos syrien n’est pas près de s’apaiser.
Quel agenda des puissances occidentales ?
La France achète 20% du pétrole dans la région, pour équilibrer la balance commerciale des échanges dans le bassin méditerranéen, et veut maintenir une liberté de circulation maritime. Pour préserver cet équilibre, il est donc nécessaire de contenir Daech, d’éviter l’implosion de l’Algérie, du Liban et de l’Egypte, qui maintient la séparation des foyers djihadistes. Quant aux Britanniques, ils sont redevenus avec le Brexit ce qu’ils ont toujours été dans l’histoire : un peuple de corsaires. Le Royaume-Uni chasse tous azimuts et tente de challenger les puissances étrangères. Les Etats-Unis ne cherchent pas à quitter le Moyen-Orient mais à réorganiser leurs dispositifs et leur présence ; paradoxalement, ils augmentent leurs infrastructures, de manière à revenir rapidement s’il le faut.
Quelles menaces sur notre sécurité maritime ? (A) ; Covid-19 en Inde : ce que la crise sanitaire révèle du pays de Narendra Modi (B) ; La Colombie 5 ans après les accords de paix (C).
Conférence labellisée LFD organisée le 6 janvier 2022 par Diploweb.com et la Prépa du Lycée ENC Blomet. Florian Manet est colonel de la gendarmerie nationale. Expert en analyse du risque maritime, il est l’auteur de nombreux articles dédiés à la criminalité organisée, à la cybercriminalité ainsi qu’au renseignement. Il a, notamment, publié un ouvrage fondateur, Le crime en bleu, essai de thalossopolitique, édition Nuvis. Images et son James Lebreton. Photos de la salle et de l’orateur : Pierrette Roux. Montage James Lebreton et Pierre Verluise.
La crise sanitaire a mis en lumière un trait caractéristique de nos sociétés et de nos économies contemporaines : une extrême dépendance aux espaces océaniques. Consubstantielle à la globalisation, ce processus irréfragable, qualifié de maritimisation, affecte tous les pans de notre existence. Activité économique. Ressources en matières premières. Alimentation. Énergie. Loisirs…
Dans ce contexte, les espaces océaniques sont aujourd’hui l’objet de rivalités et d’affirmation de puissance pour les acteurs étatiques qui protègent les artères du commerce international et exercent leur souveraineté dans leurs mers territoriales ou leurs zones économiques exclusives contre toutes velléités malveillantes. Le défi est de taille à l’image du cas de la France qui exerce ses responsabilités sur tous les océans du monde, forte du deuxième empire maritime du monde avec 11 millions de kilomètres carrés.
Plus encore, ces équilibres fragiles sont aussi gravement menacés par un acteur masqué mais très efficace : la criminalité organisée. Ces syndicats du crime transnationaux ont parfaitement appréhendé les atouts de la maritimisation afin d’asseoir leur pouvoir et de s’assurer des profits considérables. Sont-ils suffisamment puissants pour remettre en cause la stabilité des relations internationales ?
Un impensé stratégique ?
Les menaces maritimes se résument traditionnellement à des combats entre flottes de combat ainsi qu’à la piraterie maritime. En outre, le feu et l’eau symbolisent la prédominance des enjeux de sécurité sur ceux de la sûreté en matière de navigation maritime. A la suite du naufrage du TITANIC, le 14 avril 1912, les conventions internationales se sont focalisées sur la sauvegarde de la vie humaine en mer. De ce fait, considérer l’action malveillante de l’homme à l’œuvre en mer a constitué une véritable révolution mentale chez les marins. Le traumatisme du détournement de l’ACHILLE LAURO le 17 octobre 1985 s’est traduit par un texte fondateur prévenant les actes de violence volontaire en mer. D’ailleurs, cette vision réductrice est entretenue par un chiffre noir, c’est-à-dire par une réalité statistique de la criminalité insuffisamment documentée. En conséquence, cette menace interlope, grise, mouvante est rarement prise en considération alors qu’elle agit quotidiennement et contribue à déstabiliser davantage encore des équilibres socio-économiques pourtant bien fragiles.
Bonus vidéo. F. Manet Quelles menaces sur notre sécurité maritime ?
La thalassocratie criminelle, clé de compréhension des relations internationales ?
Tout comme les acteurs économiques ou étatiques, la criminalité organisée a appréhendé les atouts exceptionnels offerts par la maritimisation des échanges au sein d’un monde globalisé. Dans ce grand village mondial, la mer unit, rapproche et démultiplie les potentialités de l’entreprise humaine. Elle exploite avec brio une « logistisation » des relations internationales au travers des infrastructures et vecteurs soutenant la performance des chaînes d’approvisionnement mondialisée. Le transport maritime propose, en effet, des solutions logistiques interconnectées, massifiées et bon marché. Il relie, avec régularité, les zones de production et les foyers de consommation.
Les organisations criminelles transnationales « prenant la mer » agissent telles des thalassocraties qui tirent leur puissance de la mer. Ainsi, elles conçoivent les espaces maritimes à la fois comme des théâtres d’opérations criminelles mais aussi comme le vecteur facilitant leur commerce illicite.
Ces syndicats du crime perturbent la navigation des flottes de commerce par des actes de piraterie ou de brigandage dans le Golfe de Guinée, dans les Caraïbes ou encore dans les détroits asiatiques. Cette menace asymétrique ne parvient, toutefois, pas à interrompre la navigation dans ces artères vitales du commerce international. Ils fragilisent, par ailleurs, les écosystèmes maritimes par la pêche illégale ou des rejets volontaires d’hydrocarbures. Plus subtilement, les systèmes embarqués de navigation ou de propulsion des navires sont susceptibles d’être ciblés par des cyberattaques. Enfin, comment ne pas redouter des scénarii de ‘Bataclan sur mer’, ou actes extrêmes de terrorisme perpétrés à bord de navires de croisière ?
Enfin, la thalassocratie criminelle pénètre les interstices de la globalisation, tirant profit des flux maritimes du commerce international. Ainsi, les trafics illicites de toutes natures – produits stupéfiants, armes, médicaments contrefaits, véhicules volés ...- prennent appui sur la navigation de plaisance, les porte-conteneurs et autres vraquiers. A l’insu, souvent des armateurs. Les plus déterminés affrètent même des flottilles dédiées de navires voire lancent des « narco-sous-marins » lestés de cocaïne pour assouvir les marchés de consommation européens.
Quelles réponses apporter à ces menaces maritimes grandissantes ?
Le « crime en bleu » trouble l’ordre public socio-économique dans un village global déterminé par des chaînes d’approvisionnement mondialisées. La mise hors service d’une artère vitale de la navigation maritime engendre irrémédiablement des effets secondaires en cascade sur l’ensemble de l’économie comme le rappelle l’échouement accidentel de l’EVERGIVEN dans le canal de Suez le 23 mars 2021. Finalement, c’est le spectre d’un chaos économique qui hante les analystes. De plus, souvent tue, cette criminalité défit la souveraineté des États aussi bien sur la mer territoriale, la zone économique exclusive ou en haute mer, notamment, sur sa flotte sous pavillon. Comment, alors, garantir une présence nationale sur de vastes étendues océaniques ? Enfin, la maritimisation dévoyée par des organisations criminelles contribue à la prospérité du capitalisme criminel. Elle offre de puissants effets de levier rendu possible par des économies d’échelle ainsi que par d’avantageux ratio risques/ bénéfices. La cocaïne prend, ainsi, sa réelle valeur à l’issue d’une transatlantique, noyée dans des flux gigantesques de marchandises.
Interlopes, hybrides et transnationales, ces menaces maritimes appellent résolument une réaction coordonnée de la part des différentes parties prenantes. Acteurs économiques. États. Organisations internationales. Elles incitent à développer de nouvelles approches transverses et holistiques d’analyse du risque fondé sur un dialogue terre-mer approfondi. Une situation maritime peut, en ce sens, constituer une clé de compréhension d’un événement à terre. Et réciproquement. Considérant, ainsi, la pertinence d’un regard thalassocentré, la géopolitique ne peut, de fait, se départir d’une thalassopolitique. Rappelons, à ce titre, que 70 % de la surface du globe est recouverte d’eau salée. Dans cette perspective, ne convient-il pas de renommer le globe terrestre en « royaume d’Archimède » ?
Au-delà des seules questions de moyens toujours trop faibles, au regard des immensités océaniques et de l’agilité de la thalassocratie criminelle, il s’agit, aussi, d’intégrer la criminalité organisée au sein du corpus juridique relatif au « droit de la mer » établi par la Convention de Montego Bay et au « droit en mer ». Elle est devenue assurément un acteur à part entière des relations internationales susceptible d’en perturber les équilibres. Cette nécessité impérieuse sera-t-elle suffisamment fédératrice au niveau international ?
Conférence organisée par l’INALCO, le 20 octobre 2021. Intervenants : Yves-Marie Rault Chodankar, géographe, spécialiste de l’industrie pharmaceutique indienne, postdoctorant au Centre Population et Développement (Ceped) et à l’Institut Francilien Recherche Innovation Société (IFRIS) ; Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur senior à Asia Centre, en Inde ; Anne Viguier, historienne, spécialiste de l’Inde, maîtresse de conférences à l’Inalco et chercheuse au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes américains, africains et asiatiques ; Patrick de Jacquelot, journaliste indépendant ; Yves-Marie Rault Chodankar, géographe, spécialiste de l’industrie pharmaceutique indienne, postdoctorant au Centre Population et Développement (Ceped) et à l’Institut Francilien Recherche Innovation Société (IFRIS) ; Christophe Guilmoto, directeur de recherche en démographie à l’Institut de Recherche pour le Développement, en poste au CEPED (Université Paris-Descartes, INSERM), enseignant à Paris Descartes et à l’EHESS. Synthèse par Jeanne Durieux.
Patrick de Jacquelot (journaliste à Asialyst et ancien correspondant des Échos en Inde, médiateur de cette conférence) : Quelles ont été les grandes étapes de la crise ?
Yves-Marie Rault Chodankar, géographe, spécialiste de l’industrie pharmaceutique indienne, postdoctorant au Centre Population et Développement (Ceped) et à l’Institut Francilien Recherche Innovation Société (IFRIS), affirme que les taux de contamination restent relativement faibles jusqu’à la fin mars 2021. Les contaminations s’accélèrent ensuite, jusqu’à déclencher une violente crise migratoire en Inde. Dès janvier 2021, le gouvernement se félicite d’avoir contrôlé la pandémie, mais une nouvelle vague plus meurtrière, frappe l’Inde en mars 2021, qui subit alors une pénurie d’oxygène et d’équipements médicaux qui la paralyse. Officiellement, le bilan est de 450 000 décès, et reste dans la moyenne inférieure des décès mondiaux. Ces chiffres sont très douteux, au regard des pénuries nombreuses. En fait, en temps normal, la plupart des Etats indiens n’enregistrent pas tous leurs décès, et nombre des décès ne sont pas attribués au COVID, mais aux facteurs de comorbidité.
Pour l’expert Christophe Guilmoto, le bilan réel des décès est sept fois supérieur : l’Inde serait alors le pays avec le taux de mortalité le plus sévère au monde, juste après le Brésil. En outre, le système de santé indien est fort mal doté et souffre de disparités entre les Etats.
Ces disparités entre Etats ont été encore plus exacerbées dans ces trois dernières décennies de néo-libéralisation de l’économie indiennes. La priorité est largement donnée à la croissance économique, comme en témoigne la levée rapide des restrictions après la première vague pour relancer une croissance en berne dans l’année 2020.
La campagne de vaccination débute le 16 janvier 2021, au creux de la vague, avec un vaccin développé localement par l’entreprise Bharat Biotech, le Covaxin et le vaccin d’Astra Zeneca. Néanmoins, le Covaxin représente aujourd’hui seulement 10% des doses injectées aux Indiens. Pourtant, le refrain du gouvernement reste toujours le même : l’Inde vaccinera le monde. Aujourd’hui, 20% des Indiens sont vaccinés, contre la moitié de la population du Brésil, et la vaccination en Inde risque de prendre du temps au vu des disparités entre les hôpitaux privés et publics et l’inégalité d’accès aux vaccins en fonction des territoires.
Que peut-on dire de la réaction du gouvernement face à la crise sanitaire ?
Pour Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur senior à Asia Centre, en Inde, la première mesure prise par le gouvernement a été un « trop » avec cette décision brutale d’un confinement massif en mars 2020. Pour éviter une catastrophe sanitaire, le gouvernement a déclenché une catastrophe sociale qui a conduit à la perte de 20 millions d’emplois. Dans un système économique où le travail informel représente au moins 80% des emplois, la disparition de l’emploi a des conséquences dramatiques sur les travailleurs informels, dont nombre sont des migrants. La classe moyenne a également été ébranlée en piochant dans son épargne.
Les conséquences économiques se doivent aussi d’être soulignées. L’Inde était rentrée dans une phase de ralentissement économique avant la crise sanitaire, conduisant à la création de deux plans de relance successifs, qui négligeaient la stimulation de la demande, vecteur essentiel dans la croissance indienne.
Pour Jean Luc Racine, le problème réside également dans le fait que les critiques soient définies comme étant finalement le résultat d’une conspiration à l’étranger. Les journalistes qui ne plaisent pas font l’objet d’enquêtes fiscales. En fait, Modi subit certes une baisse de sa popularité, mais selon certains sondages au mois de mai 2021, il bénéficierait encore de plus de 60% des intentions de vote. Le véritable test viendra en février prochain, lors des élections de l’Uttar Pradesh, plus grand Etat de l’Inde en termes de population.
Quel rôle a joué la structure fédérale indienne dans la crise sanitaire ?
Anne Viguier, historienne, spécialiste de l’Inde, maîtresse de conférences à l’Inalco et chercheuse au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes américains, africains et asiatiques, explique que le système fédéral indien est composé d’un pouvoir central à New-Delhi avec un Parlement et un gouvernement dirigé par un Premier Ministre responsable devant ce Parlement. Les 28 Etats indiens contiennent une assemblée élue au suffrage universel et un gouvernement responsable devant cette assemblée, dirigé par un chief minister. La santé publique et la politique sanitaire sont du domaine des Etats. La planification sociale et économique est du domaine partagé du centre et des Etats, permettant au centre de créer des dispositifs d’aide sociale ensuite relayés dans les Etats. C’est un système dans lequel le centre a plus de pouvoir : on parle parfois d’un quasi-fédéralisme. Le centre reçoit l’essentiel des impôts qu’il redistribue ensuite aux Etats.
Il faut s’interroger sur les équilibres politiques actuels. Une majorité des Etats est gouvernée par le BJP, le parti du président, mais une majorité des Indiens vit dans des Etats dirigés par des opposants au BJP. Le rapport de force est donc intéressant à souligner.
Durant la première vague, on peut parler d’une centralisation imposée. Le confinement national est décidé par le centre, sans concertation avec les Etats qui sont pourtant amenés à mettre en œuvre ce confinement La politique centralisée peine à contenir les contaminations, et le centre finit par accorder un peu plus d’autonomie aux Etats, mais ceux-ci se plaignent de ne pas recevoir de fonds.
Les alertes remontent ensuite progressivement des Etats qui subissent la deuxième vague de contamination, mais les leaders du BJP sont à ce moment-là en pleine campagne et surfent sur un optimisme exagéré des chiffres de contaminations. Les Etats assument seuls la gestion de la crise, mais les hautes cours des Etats et la Cour suprême obligent finalement le centre à mieux répartir les livraisons d’oxygène. Ce manque de coordination au centre pénalise fortement la campagne de vaccination.
Quels enseignements peut-on tirer de la crise du COVID en matière de fédéralisme ?
Pour Anne Viguier, la crise révèle d’abord un problème structurel d’accès aux ressources redistribuées par le centre. Ensuite, il faut souligner le problème de la personnification du pouvoir à travers la figure de Modi. Néanmoins, le BJP n’est pas tout puissant, et les Etats ont quand même des marges de manœuvre et leur action s’est parfois révélée très efficace.
Le fédéralisme est-il un avantage ou un inconvénient ? Dans une période de crise, les périodes de coordination en sont rendues difficiles. En Inde, le problème financier des Etats surplombe. Cependant, dans un pays à l’échelle de l’Inde, le fédéralisme est sans doute une nécessité, car il permet une meilleure adaptation aux réalités locales. Il n’est pas certain qu’un fédéralisme coercitif, sous la coupe du centre, puisse s’imposer véritablement en Inde.
Que dire de la répartition des décès en fonction des classes sociales et des territoires ?
Si peu d’informations circulent sur le nombre de morts dans les campagnes, on ne peut qu’imaginer une détresse très forte. Les populations indiennes les plus pauvres ont été frappées plus durement : 60% des bidonvillois de Bombay en septembre 2020 avaient des anticorps de COVID. La gestion de la crise du COVID reflète l’évolution du gouvernement indien vers l’évolution d’un illibéralisme assumé.
Patrick de Jacquelot insiste sur le fait que les chiffres du chômage en Inde de 7 à 8% ne signifient pas grand-chose... En Inde, la population est trop pauvre pour avoir le luxe de se mettre au chômage, selon un adage indien. Le chômage réel est beaucoup plus élevé, mais il prend la forme d’un sous-emploi considérable. Dans les enquêtes récentes sur les évolutions de l’emploi, on note une augmentation du taux de l’emploi informel : la proportion d’emploi dans l’économie formelle diminue, ce qui est un signe très négatif.
Finalement, pour Yves-Marie Rault Chodankar, la crise a été perçue pour beaucoup d’Indiens comme un problème de plus parmi des milliers d’autres problèmes à régler.
Conférence en espagnol organisée dans le cadre du Forum de Paris pour la paix 2021 en partenariat avec Sciences Po’s Paris School of International Affairs (PSIA) le 9 novembre 2021. Intervenants : Juan Manuel Santos, président de la Colombie 2010 à 2018, prix Nobel de la paix 2016, signataire des accords de paix ; Rodrigo Londoño, ancien commandant des FARC (2011-2016), président du parti Fuerza Alternativa Revolucionaria del Comun (depuis 2017), signataire des accords de paix ; Sergio Jaramillo, ancien Haut-Commissaire de la Paix (2012-2016) ; Sandra Ramirez, sénatrice au Congrès de la République de Colombie pour le parti Fuerza Alternativa Revolucionaria del Común. Président de séance : Olivier Dabène, professeur à Sciences Po, président de l’OPALC (Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes). Synthèse réalisée par Marie-Caroline Reynier.
En préambule, O. Dabène rappelle que l’Accord final pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable, signé le 24 novembre 2016, s’articule autour de 6 points clés : une réforme agraire complète, la participation politique des anciens combattants, la fin du conflit, une solution au problème des drogues illicites, la réparation des victimes du conflit et la mise en place d’un mécanisme d’approbation et vérification de l’accord de paix. S. Ramirez souligne également que l’accord de paix est le premier au monde à intégrer l’approche genrée ainsi qu’une perspective ethnique, culturelle et environnementale. Cet accord comprend 578 dispositions dont la mise en place est prévue sur une durée de 15 ans.
Comment évaluer le bilan de l’accord de paix colombien 5 ans après sa signature ?
5 ans après la signature de l’accord de paix à La Havane, selon les données de l’institut Kroc, choisi par les 2 parties du conflit pour vérifier la mise en œuvre de l’accord, 28% des dispositions sont complètement mises en oeuvre, 18% sont en cours de mise en œuvre, 35% sont au plus faible niveau de mise en œuvre et 19% ne sont pas du tout mises en œuvre.
Cette mise en œuvre de l’accord de paix se caractérise également par la disparité du traitement des objectifs. En effet, sur les 6 points clés de l’accord, les meilleurs résultats concernent les thèmes relatifs à la fin du conflit, aux mécanismes d’approbation et vérification tandis que les pires résultats concernent les thèmes relatifs à la participation politique et à la réparation des victimes du conflit.
Toutefois, selon O. Dabène, l’évaluation quantitative du bilan des accords de paix n’est pas suffisante pour identifier les obstacles qui empêchent la pleine réalisation de l’accord de paix.
Ainsi, J. M. Santos et S. Jaramillo rappellent que l’accord de paix n’était pas seulement un accord avec les FARC mais aussi un accord cherchant à s’attaquer aux racines de la violence et donc visant à transformer le pays, tout particulièrement les zones affectées par 53 ans de conflit armé. Il ne s’agit pas seulement de désarmer les 13 000 membres des FARC mais de proposer un projet social, politique et économique. Ainsi, dès le début des négociations, le processus de paix a été complété par une série de mesures, notamment la loi sur les victimes et la restitution des terres. Celle-ci reconnaît l’existence d’un conflit armé et permet d’appliquer la justice transitionnelle. Dès lors, à partir de 2012, les victimes ont commencé à recevoir des réparations. De plus, R. Londoño estime que cet accord de paix a permis de prendre conscience des immenses inégalités politiques, économiques, sociales en Colombie ainsi que d’ouvrir le débat sur des sujets tels que l’inégal accès à la terre, la ségrégation dans les grandes villes, l’exclusion politique des minorités sociales, la protection de l’environnement.
J.M. Santos souligne que l’institut Kroc a conclu que l’accord de paix colombien est l’accord « le plus ambitieux, le plus complet et le plus profond jamais négocié ». Les rapports de la mission de l’ONU en Colombie mettent en avant l’implication d’une grande majorité des anciens guérilleros dans le processus puisque 13 608 anciens membres des FARC en font partie, ce qui est supérieur à la moyenne des autres processus récemment mis en œuvre. 155 coopératives d’anciens combattants ont ainsi été créées dans tout le pays.
Quelle est la situation actuelle des enjeux clés identifiés dans l’accord de paix colombien en 2016 ?
Concernant la fin du conflit et les enjeux sécuritaires, R. Londoño met l’accent sur la fin de l’effusion de sang grâce à l’accord de paix de 2016. D’après les chiffres de l’Observatoire de la mémoire et des conflits du Centre National de Mémoire Historique, la guerre en Colombie a causé 262 197 morts dont 215 005 civils. Comme le rappelle S. Jaramillo, la guerre en Colombie, au sens du conflit entre l’insurrection qui tentait de prendre le pouvoir et les paramilitaires et l’Etat, est terminée. Néanmoins, il existe toujours de nombreuses sources de violences en Colombie, comme le montre l’assassinat d’anciens combattants. Selon l’ONU, 292 anciens combattants ont été assassinés, dont 23 en raison de leur origine ethnique. J.M. Santos et S. Jaramillo expliquent cette persistance de la violence par l’absence de mise en œuvre par le gouvernement actuel de Iván Duque (2018-2022) des dispositions relatives à la sécurité prévues dans l’accord de paix. R. Londoño rappelle la nécessité de mettre en œuvre les plans de développement à l’échelle régionale pour favoriser la réinsertion des anciens combattants.
Concernant la participation politique des anciens combattants, J.M Santos souligne que les élections présidentielles et législatives de 2018 ont été les plus pacifiques de l’histoire de la Colombie. Les FARC, qui sont devenus le parti Fuerza Alternativa Revolucionaria del Común, ont obtenu 10 sièges, à savoir 5 au Sénat et 5 à la Chambre des représentants. Malgré les nombreux désaccords, la création de 16 circonscriptions spéciales, visant à représenter spécifiquement les citoyens des zones les plus touchées par le conflit au Congrès, a été approuvée.
Concernant le problème des drogues illicites, J.M. Santos estime que l’origine majeure de la violence en Colombie est liée au narcotrafic. Ainsi, il justifie la nécessité de donner une alternative aux agriculteurs pour qu’ils arrêtent de planter. Les résultats du processus de substitution volontaire des cultures illégales sont très positifs : alors que la replantation est habituellement estimée entre 40% et 60%, l’ONU a mesuré une replantation inférieure à 1% dans le cas colombien. Malheureusement, J.M Santos regrette que cette politique initiée auprès de 99 000 familles n’ait pas été poursuivie par le gouvernement de Iván Duque qui préfère mener une politique répressive. Or, J.M. Santos considère, au regard de son expérience, que les politiques répressives de lutte contre la drogue ne sont pas efficaces. Alors qu’il était un des défenseurs de cette politique répressive (qu’il appliqua en tant que Ministre de la Défense, de 2006 à 2009), il prône aujourd’hui la légalisation de la drogue pour lutter contre le narcotrafic.
Concernant le processus de justice transitionnelle, au cœur de l’accord, J.M. Santos rappelle que pour la première fois, les 2 parties se sont mises d’accord pour créer un tribunal spécial et s’y soumettre, en vertu du Statut de Rome. Ainsi, le mécanisme de Juridiction Spéciale pour la Paix n’est pas un tribunal imposé par les vainqueurs de la guerre, comme ce fut le cas à Nuremberg ou à Tokyo, ni un tribunal imposé par la communauté internationale, comme en Yougoslavie ou au Rwanda. La raison d’être de ce tribunal est le droit des victimes, leur droit à la vérité, à la réparation et à la justice. Dans cette perspective, J.M. Santos met l’accent sur l’ambition de la Juridiction Spéciale pour la Paix : il y a eu 24 personnes jugées à Nuremberg, 28 au tribunal de Tokyo, 161 au tribunal pour la Yougoslavie, 93 au tribunal pour le Rwanda et 13 000 comparutions en Colombie.
Enfin, J.M. Santos regrette la très faible mise en œuvre de la réforme agraire. Il s’agit en effet, selon lui, d’un problème essentiel étant donné que la Colombie est un des pays avec la plus mauvaise répartition des terres, ce qui renforce la concentration des inégalités et de la pauvreté. S. Jaramillo rappelle que la Colombie est le deuxième pays le plus inégalitaire d’Amérique latine d’après le récent rapport de la Banque mondiale.
Quel avenir pour l’accord de paix colombien ?
J.M. Santos attire l’attention sur le modèle que peut représenter l’accord de paix colombien pour d’autres pays, quand l’Espagne discute de la responsabilité de ETA (mouvement indépendantiste basque) et où au Royaume-Uni, le premier ministre Boris Johnson a présenté un projet de loi afin d’amnistier les victimes de la guerre contre l’IRA (armée républicaine irlandaise) dans les années 1970. Le cas irlandais, où les accords de paix du Vendredi Saint (10 avril 1998) ne prévoyaient pas de clauses relatives à la justice, la vérité, la réparation, illustre l’innovation proposée par l’accord de paix colombien.
R. Londoño et S. Jaramillo soulignent le rôle crucial joué par la communauté internationale dans le processus de négociation qui a permis d’aboutir à la signature de l’accord de paix. L’Union européenne (qui a créé un Fonds européen pour la Colombie), l’ONU, les Etats-Unis, la Norvège, Cuba, le Venezuela, le Chili et les 15 pays membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies ont œuvré de manière significative.
Si le gouvernement actuel de Iván Duque s’est montré très réticent dans le passé sur la mise en œuvre de l’accord, J.M. Santos note qu’il se montre plus proactif durant les derniers mois. Deux décisions, au mois de novembre 2021, sont également venues confirmer les avancées de l’accord de paix. Premièrement, après avoir suspendu l’examen préliminaire (ouvert il y a 17 ans), le procureur de la Cour Pénale Internationale a signé un accord avec le gouvernement colombien dans lequel celui-ci s’engage à soutenir la justice transitionnelle et à lui accorder les fonds nécessaires pour mettre en œuvre le processus de paix. S. Jaramillo rappelle que pour la première fois, la Cour Pénale Internationale reconnaît un système transitoire comme étant conforme au Statut de Rome.
Deuxièmement, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a approuvé à l’unanimité l’extension du mandat de la Mission des Nations Unies en Colombie pour 1 an supplémentaire.
J.M. Santos se montre donc optimiste sur l’avenir de cet accord de paix signé il y a 5 ans, en bonne voie pour atteindre son objectif : « réconcilier le cœur des Colombiens ».
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[1] Crédit Agricole SA, « ‘China Standard 2035’, là où la mondialisation rencontre la géopolitique », Perspectives, 10/03/2021.
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