Léa Gobin, étudiante en Master 2 de Géopolitique - Risques et Défense à l’Institut Français de Géopolitique (IFG), Université Paris VIII. Selma Mihoubi, journaliste et doctorante en Géographie mention Géopolitique à l’IFG (Paris VIII). Elle prépare une thèse sur sur la stratégie d’implantation des médias étrangers en Afrique sahélienne. Estelle Ménard, diplômée d’un Master 2 Relations internationales et Action à l’étranger de l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, étudiante en Master 2 Géopolitique - Territoires et enjeux de pouvoir à l’Institut français de géopolitique (IFG, Université Paris VIII).
Avec nos meilleurs voeux pour 2018, cette quatrième édition présente neuf conférences récentes autour de trois axes : Asie, l’affirmation des puissances ? (I) ; Le Moyen-Orient en crise (II) ; Rapports de forces (III).
Voici une synthèse exclusive de conférences diplomatiques, géopolitiques, stratégiques et relations internationales tenues entre septembre et décembre 2017. A partir des notes prises lors de ces événements, nous vous proposons des éléments pour vous informer de ce que nous en avons retenu. Cela peut vous être utile pour « connaître l’air du temps », identifier des thèmes nouveaux, des experts talentueux, des ouvrages de référence. L’objectif est d’offrir un prolongement dans le temps et dans l’espace d’évènements qui contribuent à nourrir la réflexion publique française et internationale. Que vous soyez à Bordeaux ou Kourou, à Québec, Sydney ou New Delhi, vous pouvez ainsi avoir connaissance des réflexions partagées lors de ces événements. Pour l’instant, nous couvrons les conférences organisées en région parisienne, mais nous vous invitons à faire de même dans votre région ou dans votre pays. Vous saurez trouver le bon support pour développer ce concept initié par Diploweb pour que vivent les idées à l’international !
L’Inde est-elle une grande puissance ? (A) ; 19eme congrès du Parti Communiste chinois : une nouvelle ère ? (B).
Cette séance a été organisée par l’Académie des sciences d’outre-mer, le 3 novembre 2017 à Paris.
« L’Inde profite au monde, et en a besoin. »
L’ambassadeur d’Inde en France, Vinay Kwatra, a entamé cet après-midi par une présentation générale de l’Inde. Il s’est focalisé sur son développement socio-économique, ainsi que sur l’efficacité des stratégies diplomatiques du pouvoir de Delhi. L’Ambassadeur a mis en avant l’ancrage solide de la démocratie en Inde, ajouté à un dynamisme économique, et une large diaspora de plus de 300 millions d’Indiens, selon les chiffres de 2017 du Ministère indien des Affaires extérieures : autant de facteurs de stabilité et de puissance régionale, voire mondiale. Pour acquérir cette posture, le pouvoir indien a mis en place un arsenal diplomatique influent, qui a permis de construire des relations bilatérales et multilatérales, dans un premier temps dans son voisinage proche, puis vers des territoires plus éloignés comme sur le continent africain. « L’Inde ne fait pas cavalier seul » dans son émergence.
Michel Lummaux, ancien ambassadeur de France au Bangladesh, au Népal, au Sri Lanka et aux Maldives.
L’Inde est-elle une grande puissance régionale ou, LA grande puissance de la sous-région ? Tous les pays de l’Asie du Sud héritent de la civilisation indienne, et se tournent souvent vers l’Inde pour y faire études supérieures ou carrières professionnelles. Mais le pays est-il vraiment un géant bienveillant, comme l’affirme le pouvoir central ? De nombreux problèmes géopolitiques subsistent notamment aux frontières avec le Népal ou le Bangladesh, mais la situation progresse pacifiquement avec le gouvernement de N. Modi. À l’échelle de la sous-région, l’Inde est effectivement une grande puissance, mais au niveau de tout le continent asiatique, la rivalité avec la Chine reste difficile à gérer. Si en termes de soft power, l’Inde a un pouvoir d’attraction nettement supérieur à la Chine, le PIB enregistré par Pékin reste 5 fois supérieur à celui de son concurrent. Finalement, à l’échelle mondiale, il manque deux attributs de puissance nécessaires à l’Inde : être reconnue par le Traité de non-prolifération (TNP) de 1968, et obtenir un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies.
Éric La Vertu, directeur adjoint centre de crise et de soutien, ministère des Affaires étrangères et du développement international, ancien consul de France à Bangalore.
La région de Bangalore est un « puits de sciences ». La domination anglaise à l’époque coloniale a permis le développement de l’enseignement, mais c’est le pouvoir central indien qui a donné un élan à la recherche scientifique. On compte aujourd’hui 9 prix Nobel de scientifiques d’origine indienne. Les politiques ont axé les recherches pour le développement des zones rurales, mais aussi vers les énergies renouvelables et nucléaire, et dans le domaine spatial en lien étroit avec la France. Aujourd’hui, l’Inde est à la pointe de la recherche scientifique internationale, néanmoins, il manque encore de grandes infrastructures dédiées au développement du secteur d’un point de vue national.
Douglas Gressieux, membre correspondant de l’Académie des sciences d’outre-mer.
Les anciens comptoirs français et portugais, sont encore aujourd’hui des atouts dans la politique étrangère indienne. Diu, Damman et Goa, régies par les portugais jusqu’en 1961, sont des zones stratégiques. Goa notamment, est la plaque tournante des relations touristiques entre l’Inde et le reste du monde. À Pondichery, l’Institut culturel français impulse la recherche et permet le rayonnement des deux cultures.
Marc Aicardi de Saint-Paul, membre titulaire et président de section à l’Académie des sciences d’outre-mer.
Les diasporas indiennes en Afrique sont historiques, notamment sous l’époque coloniale. Leur présence sur le continent africain corrèle avec la nécessité de main d‘œuvre suite à l’abolition de l’esclavage. Il s’agit principalement de travailleurs aussi appelés « free passengers », ou encore, des commerçants gujarati musulmans. L’importance de la diaspora est telle qu’elle a dû être encadrée politiquement. En Afrique du Sud par exemple, les autorités ont créé un ministère des Affaires indiennes. En Inde, le pouvoir a décidé dès 1948 d’inclure les Indiens de l’étranger dans la sphère politique nationale. Aujourd’hui, la diaspora indienne est un atout de poids dans le rayonnement du pays, et dans sa concurrence avec la puissance chinoise.
Alain Lamballe, membre titulaire et président de section à l’Académie des sciences d’outre-mer.
La Chine et le Pakistan s’avèrent être des obstacles à la montée en puissance de l’Inde, notamment à cause des nombreuses revendications territoriales qui les opposent. Un climat de tension persiste dans les régions du Cachemire principalement, mais aucune attitude belliqueuse n’a été relevée de part et d’autre. La Chine fait un travail diplomatique et économique avec les pays voisins de l’Inde, afin d’étendre son influence aux portes de son rival. Le Pakistan est quant à lui un facteur de déstabilisation. Le pouvoir emploie des moyens militaires très importants au Cachemire, sans compter les actes terroristes qui révèlent une stratégie de provocation. Autant d’éléments qui poussent l’Inde à augmenter massivement ses dépenses militaires, et entravent son développement.
Nicole Vilboux, chercheuse associée sur les États-Unis à la Fondation pour la recherche stratégique.
Dans la montée en puissance de l’Inde, les États-Unis jouent un rôle crucial, par une aide technologique et un soutien politique dans les affaires internationales. L’administration Trump est décidée à s’opposer au projet chinois de Ceinture et de Route de la soie, et promeut une stratégie régionale où l’Inde serait garante de la démocratie, la paix et la sécurité. D’où l’augmentation récente significative des ventes d’armes des États-Unis au pouvoir indien, et l’organisation régulière d’activités militaires communes. Néanmoins, la relation entre Delhi et Washington est mise en danger par le rapprochement entre le l’Inde et l’Iran. Aussi, Modi rejette la proposition américaine d’effectuer des patrouilles communes en mer de Chine méridionale, ce qui pourrait limiter la coopération militaire entre les deux pays.
Mélissa Levaillant, chercheuse sur l’Inde à l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire.
L’Inde entretient des relations diplomatiques avec Israël depuis les années 1990. Pourtant, avant la création de l’État d’Israël, les élites indiennes soutiennent la Palestine. Puis, à l’indépendance de l’Inde, le pouvoir ne veut pas créer de tensions avec la communauté musulmane, et avance doucement dans ses relations avec Tel Aviv. La chute de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) en 1991 marque un tournant dans les relations entre les deux pays : Delhi perd son plus important partenaire militaire, et s’oriente vers les pays du Golfe pour palier à ce manque, et assurer sa sécurité énergétique. Depuis, l’Inde et Israël entretiennent une coopération militaire, très poussée dans plusieurs domaines (renseignement, contre-insurrection). Après des années de discrétion autour de cette relation, le pouvoir indien incarné par Modi choisit de promouvoir ses liens avec Tel Aviv, tout en réaffirmant ses alliances avec les pays du Golfe.
Cette conférence a été organisée par le CERI-Sciences Po le 8 novembre 2017 à Paris.
Jean-Philippe Béja, sinologue, chercheur et enseignant chercheur à Sciences Po, directeur de recherche émérite au CNRS.
Jusqu’à ce XIXe congrès du PCC, la Chine poursuivait son chemin vers le développement, tout en faisant profil bas sur la scène internationale. Mais Xi Jinping entame une rupture, estimant que la Chine a atteint le statut de grande puissance, et doit sortir de cet immobilisme pour s’affirmer sur la scène internationale. Le secrétaire général du PCC est le premier depuis Mao à inscrire son nom et sa pensée dans la charte du parti de son vivant. Le dirigeant chinois durcit le régime en interne, mais ouvre la Chine sur le monde en nouant des relations diplomatiques et économiques à travers les continents. Cette nouvelle légitimité permet à la Chine d’affirmer ses positions en matière de politique étrangère.
Jérôme Doyon, docteur associé au CERI-Sciences Po, spécialiste de la politique intérieure chinoise.
L’opacité structurelle qui réside autour du PCC ne permet pas d’avoir des informations précises sur son fonctionnement, donc il s’avère que beaucoup d’affirmations à ce sujet ne sont en fait que des suppositions. Xi Jinping voudrait que ce congrès marque une rupture et a mis en avant des efforts de démocratisation. Mais finalement, il entreprend des réformes pour légiférer certaines pratiques internes non officielles, et reprendre en main le parti sous toutes ses facettes, en renforçant son contrôle sur les institutions, les entreprises d’État, et l’armée.
Sebastian Veg, directeur d’études à l’EHESS, membre du centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine, enseignant HDR autour de l’histoire intellectuelle et culturelle de la Chine au XXème siècle.
Au niveau idéologique, le pouvoir chinois est marqué par un affaiblissement, notamment du à l’institutionnalisation du parti qui ne permet plus les conflits d’idées. Ce qui provoque un manque de renouvellement de l’appareil théorique. Xi Jinping tente effectivement d’ouvrir une nouvelle ère, tout en reprenant les codes et les idées précédentes, comme les principes maoïstes ou confucianistes. Ce congrès marque donc une réaffirmation de l’idéologie et de la propagande chinoise, la censure et la répression étant mises en avant comme des actions nécessaires à la souveraineté.
François Bougon, chef adjoint du service international du Monde , spécialiste de l’Asie, ancien correspondant de l’ Agence France-Presse à Pékin.
Dans cette nouvelle ère, Xi Jinping veut remettre l’État, et donc le Parti au centre. Il rompt avec l’idée de Deng Xiaoping selon laquelle la distribution des pouvoirs est nécessaire au bon fonctionnement du pays, et estime que la décentralisation des pouvoirs créée le chaos. Cela se traduit par exemple à Hong Kong par l’amenuisement de l’autonomie par une législation excessive de Pékin. La Chine réprime ainsi les débats et les champs d’action pour affirmer sa souveraineté, et joue de la situation défavorable de la démocratie dans les pays occidentaux pour légitimer son projet socialiste.
Le Liban dans les crises au Moyen-Orient : quels enjeux pour la sécurité interne du pays ? Place et défis du Liban dans son environnement régional (A) ; Le Yémen et le monde. Dans l’abîme de la guerre (B) ; La guerre Iran-Irak (1980-1988) (C).
Conférence organisée par Sciences Po Monde Arabe, le 8 novembre 2017 à Paris.
« On est à distance de tous les conflits mais on ne les ignore pas car on ne peut pas rester sans réagir. Il nous faut préserver la stabilité et la souveraineté du Liban. »
Son Excellence Monsieur Rami Adwan, ambassadeur du Liban en France, diplômé d’une école de commerce et ancien étudiant à Sciences Po en Master relations internationales.
Aujourd’hui, l’État du Liban fait face à deux défis d’envergure qui menacent la stabilité interne du pays : celle de la crise des réfugiés et des incursions djihadistes sur le territoire. Quelle est la place du Liban dans la crise syrienne ? Les deux pays partagent une frontière commune et depuis la crise de 2011, ils entretiennent des relations tumultueuses. Depuis la déclaration de Baabda en 2012, la politique officielle du gouvernement libanais a été celle de la distanciation et le refus d’intervenir dans les conflits qui secouent la région.
Mais depuis l’arrivée massive des migrants syriens – 1 700 000 personnes depuis le début de la crise humanitaire – le pays ne pouvait pas rester sans réagir. « Nous sommes les premières victimes de cette crise ». Au Liban, les secteurs de l’éducation et de la santé sont les premiers touchés (écoles et hôpitaux surchargés, impact sur les minima sociaux). « Trois options s’offrent à nous pour gérer cette situation d’instabilité interne » : la réinstallation des réfugiés dans des pays tiers mais ce n’est pas une solution durable pour la Syrie ; l’accueil des réfugiés au Liban mais l’intégration est compliquée et risque de menacer les institutions et l’économie du pays ; reste l’encouragement au retour des réfugiés en Syrie dans des lieux stables. Pour le développement des projets et pour attirer les investisseurs, le gouvernement libanais se voit dans l’obligation de régler cette question cruciale.
Le gouvernement libanais est au milieu de la guerre des axes entre Téhéran et Riyad et paie le prix de sa non affiliation à l’Iran ou à l’Arabie saoudite. « Il n’est pas dans notre intérêt d’adhérer à un camp ou à un autre. ». À préciser que lors de la conférence, la démission du premier ministre Saad Hariri, leader sunnite, n’était pas valable constitutionnellement ni officiellement selon l’Ambassadeur. Ce pays en crise tente de se mobiliser et de relever les défis pour revaloriser son économie et peser dans la région. La France a compris ce dont le Liban avait besoin et joue un rôle moteur en répondant aux nécessités de soutien à l’armée libanaise pour combler le manque de don saoudien. L’armée libanaise est la première ligne de défense de l’Europe et la dernière présente géographiquement face à ce qu’était Daesh. L’excellente relation franco-libanaise vise à relancer de grands projets d’infrastructures au Liban mais aussi à discuter du retour des réfugiés en Syrie et des éléments de reconstruction.
Conférence organisée par Sciences Po, le 9 novembre 2017 à Paris. Présentation et débat sur l’ouvrage de Laurent Bonnefoy, « Le Yémen : de l’Arabie heureuse à la guerre », Paris, Fayard, 2017.
« Le Yémen reste perçu comme une marge dans le traitement journalistique de la guerre. Est-ce une guerre cachée ou négligée ? »
Laurent Bonnefoy, auteur et chargé de recherche au CNRS.
Le livre qu’il présente est avant tout la production de nouveaux enjeux méthodologiques. Aujourd’hui, nous devons appréhender des dynamiques sans pouvoir retourner sur un terrain inaccessible en considérant le contexte de guerre. Ce travail est donc une approche externe qui étudie les relations et les interactions du Yémen avec le monde. Il fallait démontrer que l’insertion du Yémen était singulière et intéressante pour appréhender des phénomènes tels que la violence djihadiste, la polarisation confessionnelle, politique ou les questions migratoires.
Historiquement, le concept de Yémen est fortement valorisé, représenté dans le Coran, il sert de référence pour les habitants. Cependant l’idée d’une nation Yéménite est contestée. À partir de la période islamique, on observe un clivage et des trajectoires divergentes entre un Nord zaydite chiite marqué par la volonté d’autarcie et le rejet de l’étranger et un sud colonisé, ouvert sur le monde et imprégné de l’expérience socialiste et du sunnisme. Une dynamique d’unité est enclenchée avec la république de 1990, mais rapidement, les élites du Sud considérent que l’unification est biaisée au profit de la population du Nord avec l’intégration des islamistes dans les structures politiques. Dès lors, l’essentiel de l’énergie des djihadistes se concentre contre l’État et ses alliés, dans un mouvement de guérilla. Conduit par le contexte international, l’État suit une logique de répression et brise les liens avec la frange islamiste djihadiste. L’intervention des monarchies du Golfe accélère la destruction de la société sans prendre en compte les problèmes sur le terrain. Le Yémen fait déjà face à de nombreux défis structurels avec une fécondité encore très élevée (4,1 enfant par femme en âge de procréer, âge médian de la population : 16 ans) et l’épuisement des ressources en eau. Les politiques menées par l’Arabie saoudite et par les Émirats Arabes Unis peuvent sembler bénéfiques car elles s’attaquent à l’islam politique mais en réalité il y a un soutien pour les courants salafistes. La volonté de l’Arabie saoudite est d’empêcher l’affirmation d’une république chiite zaydite, elle finance ainsi tribus et partis religieux. Une large partie des yéménites considère qu’il y a une agression militaire et identitaire de l’Arabie saoudite.
Pour aller plus loin : Laurent Bonnefoy, « Le Yémen : de l’Arabie heureuse à la guerre », Paris, Fayard, 2017.
Conférence organisée par l’Institut de recherche stratégique de l’École Militaire, le 27 novembre 2017 à Paris. Présentation et débat sur l’ouvrage de Pierre Razoux, La guerre Iran-Irak 1980-1988, Paris, réédité chez Perrin, coll. Tempus (2017).
« La guerre Iran-Irak est une synthèse de toutes les guerres du XXème siècle. »
Pierre Razoux, historien et directeur de recherche à l’IRSEM.
La guerre Iran-Irak est une matrice incontournable pour comprendre la situation géopolitique actuelle. De la région du Golfe à la dérive du Levant, on assiste à des rapports de force qui se créent, évoluent et qui sont le fruit des frustrations de la guerre Iran-Irak. Déclenchée en 1980 par Saddam Hussein, l’offensive fulgurante contre les cibles iraniennes avait pour objectif le déplacement de la frontière de Chatt-el-Arab. C’est la guerre de Saddam Hussein contre les Iraniens. Saddam Hussein soutient très rapidement les Kurdes iraniens pour mettre à genoux les lignes arrières iraniennes. Le leadership iranien mène de son côté trois guerres en même temps, contre les oppositions intérieures dans les grandes villes, contre les kurdes qui veulent leur propre État et contre les Irakiens.
Dès les premiers jours du conflit, les Irakiens alignent 1 600 chars et attaquent sur trois fronts. Cette guerre, qui a duré plus de sept ans, a été un condensé de toutes les horreurs et les techniques militaires du XXème siècle. D’un côté, Saddam Hussein se lançait dans une guerre à crédit avec une armée moins nombreuse mais une technologie de pointe financée par de nombreux États, de l’autre côté, les Iraniens étaient extrêmement économes mais disposaient d’une masse humaine en capacité. La guerre s’achève en août 1988 sur un bilan lourd et avec un statu quo. On ne peut parler d’un vainqueur même si en août 1988 l’Irak a repris l’ascendant. La balle est remise au centre mais les Iraniens ont su bâtir leur influence de Téhéran jusqu’au Liban.
En réalité, la guerre s’est arrêtée au printemps 2016 lorsque les milices chiites envoyées par Téhéran reprennent Tikrit à Daesh et plantent le drapeau sur le mausolée de Saddam Hussein. Le message envoyé à toutes les monarchies du Golfe est simple : « On a gagné, mais pas vous. » L’État iranien a repris sa place d’acteur incontournable de 1979. La question clef est de savoir si les Iraniens vont se satisfaire de cette victoire ou faire tomber d’autres régimes. D’après Pierre Razoux, le camp des réalistes à Téhéran et une certaine partie des Gardiens de la révolution veulent se protéger et garder l’ascendant face aux acteurs de la région. Paradoxalement on se trouve à un carrefour déterminant de l’avenir de la région. En conséquence l’Iran, Israël et la Turquie arrivent à la conclusion qu’ils peuvent trouver un intérêt à stabiliser le jeu.
Pour aller plus loin : Pierre Razoux, « La guerre Iran-Irak 1980-1988 », Paris, réédité chez Perrin, coll. Tempus (2017).
L’Europe face au spectre du populisme (A) ; Les outre-mer (B) ; La gauche en Europe : retour sur l’expérience Syriza (C) ; La dissuasion nucléaire a-t-elle un avenir ? (D).
Conférence organisée par l’association Le Vent Se Lève, le 9 novembre 2017 à l’ENS-Ulm, Paris.
Christophe Ventura, animateur et rédacteur en chef de Mémoire des luttes , spécialiste de l’Amérique latine et des populistes de la région.
Comment interpréter le terme « populisme », si controversé aujourd’hui ? Tantôt utilisé pour disqualifier son adversaire, il peut aussi être défini comme une stratégie politique qui permet d’élargir les alliances, de rendre plus hétérogène la base de support et de faire vivre les rapports de force en société. Il s’agit là d’apporter une nouvelle représentation du populisme, qui va au-delà de celles retrouvées habituellement dans les discours politiques et médiatiques. La théorie populiste affirme l’autonomie du politique par rapport à l’économie et la finance, et elle voudrait que le « peuple » soit en constante construction et déconstruction, au rythme des contingences de la société.
Ce cadre théorique permet d’analyser la période qui débute après la crise de 2008, « un moment populiste », selon Ventura. Il y aura d’abord les « Printemps arabes » ; puis l’émergence de partis et de forces antisystème en Europe, en périphérie du bipartisme, sans place déterminée sur l’échiquier politique ; et plus récemment, l’élection de Donald Trump aux États-Unis ainsi que la montée en popularité de Jeremy Corbyn au Royaume-Uni. Tous ces exemples démontrent nettement qu’on ne peut parler de populisme comme un bloc monolithique. Néanmoins, ils mettent en évidence un moment de rupture entre une population et un régime suite à une crise (économique, sociale, de légitimité).
C’est une stratégie en trois temps : désignation d’un adversaire, construction d’un « nous » contre un « eux », et la création de liens pour rassembler des acteurs hétérogènes. Ce dernier point se fait à travers l’organisation de solidarités concrètes – et non pas par des solidarités idéologiques – grâce à des centres d’intérêt transversaux : l’environnement, la consommation, la démocratie participative, le nationalisme, etc. Le but est d’agglomérer les forces en dehors de l’affiliation intellectuelle « droite-gauche » et du rapport « capital-travail » et d’être présent sur le terrain de l’adversaire.
Force est de constater qu’avec l’affirmation des stratégies populistes à travers le monde, et la multitude de représentations que le terme suscite, le sujet a dépassé le cadre théorique et intellectuel. Il influence même d’autres stratégies politiques. Conséquemment, pour Ventura, Emmanuel Macron aurait très bien compris ce moment populiste, et pour assurer le consensus, plutôt que de déconstruire le « système », il l’aurait reconfiguré.
Conférence organisée par le Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM), le 11 octobre 2017 à l’École militaire, Paris.
Olivier Coupry, contre-amiral d’escadre. Il commande les forces spéciales de l’European Union Force (EUFOR) au Tchad en 2008. En août 2015, il prend le commandement des forces armées aux Antilles, de la zone maritime Antilles et de la base de Défense Antilles.
Les outre-mer représentent 97% des 11 millions de kilomètres carrés de Zone économique exclusive (ZEE) de la France. Celle-ci possède dix bases et stations navales outre-mer et dispose de 7000 militaires dont 2000 marins. Au-delà de la protection des populations et des intérêts économiques de cet espace, la défense des outre-mer est indispensable à la sécurité nationale dans son ensemble. Des insécurités de différentes natures émanent de cet espace : économiques (montée en puissance de la Chine sur le continent asiatique), étatiques (menace nucléaire nord-coréenne), criminelles (trafic de drogue et d’humains) et terroristes (djihadisme).
La présence de la France au sein de plusieurs groupes de coopération militaire dans le Pacifique et dans les Caraïbes augmente sa capacité d’intervention au-delà de la métropole. Cette présence a des externalités diplomatiques et économiques positives : c’est une façon d’entretenir sa légitimité au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et de mettre en avant son savoir-faire militaire. Ce qui a valu à une société française (Naval Group) de remporter en 2016 un contrat pour la production de douze sous-marins australiens. Au-delà de sa fonction préventive, la France allie ses forces terrestres, aériennes et maritimes pour protéger ses installations stratégiques et ses intérêts commerciaux, comme le programme NEMO, une plate-forme flottante d’énergie thermique en Martinique. Enfin, les outre-mer contribuent pour 6,4% des jeunes recrues de l’armée française.
Les forces armées ont une importance particulière dans les Antilles, vaste archipel de deux fois la taille de la méditerranée, densément peuplé (près de deux fois plus que la France métropolitaine), et attirant des millions de touristes chaque année. Au-delà des menaces climatiques, les aléas géopolitiques inquiètent. On craint les déplacements forcés depuis le Venezuela qui subit une grave crise économique et politique. La menace terroriste pèse sur Trinidad et Tobago, point de départ de certains combattants de Daech. Des incertitudes persistent quant aux relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba et malgré les accords de paix passés entre la Colombie et les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC), la production de cocaïne a augmenté. Les stratégies militaires de lutte contre le narcotrafic sont pour l’instant efficaces mais insuffisantes : en 2015, sur 3000 tonnes de cocaïne produites, 300 ont été interceptées.
Conférence organisée par la Fondation Jean-Jaurès, le 26 septembre 2017 à Paris.
Kostas Botopoulos est docteur en droit constitutionnel. Il a également été député européen du Pasok et président du Greek Capital Markets Authority. Emmanuel Maurel est député européen, membre du Bureau national du Parti socialiste et animateur du courant « Maintenant la gauche ».
Le péché originel de Syriza réside dans son alliance au gouvernement avec l’extrême-droite. Cette alliance ajoute un poids nationaliste et anti-européen au parti, pour qui la crise financière devient vite « la faute des autres », sans aucune remise en question du rôle de la Grèce. Syriza se construit en opposition totale aux socialistes, qu’il considère comme des imposteurs. Farouchement opposé aux politiques de séparation entre l’Église et l’État, au prélèvement d’impôts. Le parti se montre aussi anti-libertaire, ambigu dans ses relations avec la presse et avec les réfugiés turcs après le coup d’État manqué contre le président R. Erdogan.
L’intervention de Kostas Botopoulos est fortement nuancée par Emmanuel Maurel et ce qu’il appelle son « ressenti de parlementaire européen ». Il considère qu’Alexis Tsipras était dans une position difficile lorsqu’il dut se présenter devant le Parlement puis devant le Conseil européen. Ces deux entités n’avaient plus un discours européen de la coopération, mais de la punition, allant même jusqu’à parler d’exclusion de la zone Schengen malgré le contexte de crise migratoire. C’est ce qui excuse l’imbroglio du référendum : il n’aurait pas pu faire autrement, et c’est même ce qu’il y avait de mieux à faire pour la Grèce. Maurel met plutôt l’accent sur l’attitude de Syriza : son refus idéologique de l’austérité, son rejet de la troïka et sa position très critique envers le néo-libéralisme. Parmi les points positifs, il mentionne la promotion de la souveraineté, de la démocratie participative, et sa dénonciation des failles de la politique traditionnelle. Ainsi, pour Maurel, « la mémoire des échecs permet de féconder l’avenir ».
C’est également ce qui explique l’attitude anti-européenne et l’organisation d’un référendum sur les mesures que la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) voulaient leur imposer. Il en conclut que si Syriza est apparu dans un premier temps comme un vent de changement, il a également été source de déceptions, notamment lorsqu’Alexis Tsipras signe l’accord avec la Commission européenne, la BCE et le FMI malgré le « Non » des Grecs au référendum qu’il avait lui-même organisé plus tôt.
Conférence organisée par le Diploweb.com et GEM, le 15 novembre 2017 à Paris.
Éric Danon, spécialiste des questions de sécurité internationale et de prospective stratégique. Ambassadeur, il est actuellement Directeur Général adjoint pour les affaires politiques et de sécurité au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE).
Tandis qu’on observe un vaste mouvement anti-nucléaire, incarné notamment par le prix Nobel de la paix et le Vatican, la dissuasion nucléaire reste au cœur des questions géopolitiques. Neuf pays disposent aujourd’hui d’un arsenal nucléaire (États-Unis, Russie, Chine, Angleterre, France, Inde, Pakistan, Israël, Corée du Nord), entretenant une relation d’asymétrie avec tous ceux qui y ont renoncé en signant le Traité de non-prolifération (TNP) en 1958.
Les détracteurs de la dissuasion nucléaire remettent en cause son utilité, le système international qu’il entretient et soulignent enfin le danger qu’il représente pour l’humanité. L’évolution des normes du droit humanitaire s’accompagne de préoccupations toujours plus grandes pour la santé et l’environnement. Par ailleurs, s’il n’y a pas eu d’affrontement direct durant la Guerre froide, la dissuasion nucléaire n’a pas empêché les guerres proxy. Elle est aussi inutile car beaucoup trop puissante pour être utilisée aujourd’hui, et contreproductive car, en l’utilisant, un pays s’exposerait à sa propre destruction. Enfin, elle correspond à un ordre mondial qui n’est plus souhaitable : si tous les pays devraient avoir le même poids décisionnel, il n’est pas normal que la stabilité mondiale repose sur la rationalité supposée de seulement neuf individus. Inversement, il n’est pas rassurant de savoir que le déclenchement de la bombe par une puissance nucléaire relève de la décision d’un seul homme, qui plus est si l’on doute de sa rationalité. Les opposants affirment qu’il ne faut pas se leurrer quant au désarmement : les pays nucléaires n’y ont pas intérêt.
QUESTIONS :
. Quelles sont les principales idées fausses au sujet de la dissuasion nucléaire ?
. Quelle est l’idée principale concernant la dissuasion nucléaire ?
. Dans les prochains mois, quels sont les sujets importants à suivre autour de la dissuasion nucléaire ?
Cette vidéo peut facilement être diffusée en classe ou en amphi pour illustrer un cours ou un débat.
Les défenseurs de la dissuasion nucléaire rétorquent que celle-ci est centrale à la géostratégie. D’abord, elle remplace aujourd’hui le souvenir de la guerre comme garant du maintien de la stabilité dans le monde occidental. Par ailleurs, la tension nucléaire s’est limitée à quatre problèmes géopolitiques – la Guerre froide ; l’Inde et le Pakistan ; le Moyen-Orient et la Corée – et cette tension ne peut diminuer que si le problème géopolitique est d’abord résolu. Il suffit de regarder l’impact de la réunification de l’Allemagne (1990) sur la réduction de l’arsenal de la Russie et des États-Unis. Par ailleurs, le nucléaire à un effet de stabilisation et de réduction des inégalités : si un pays possède la bombe, il n’a pas besoin d’un arsenal conventionnel très important. Enfin, le risque de détournement terroriste est extrêmement faible.
Qu’en est-il de l’avenir de la dissuasion nucléaire ? Les alliances, leur stabilité et leur longévité sont incertaines. Les questions de l’Iran et de la Corée du Nord vont servir de cas d’école pour la lutte contre la prolifération nucléaire, tandis que la profondeur stratégique se perd avec l’allongement des missiles, la discrétion des sous-marins, les drones et le développement du risque cyber. Capable de paralyser un pays et ses infrastructures vitales, l’intelligence artificielle sera d’ailleurs peut-être une forme de dissuasion plus efficace. Pour empêcher que des événements comme ceux d’Hiroshima et de Nagasaki se reproduisent, les anti-nucléaires appuient qu’il faut se débarrasser de la bombe ; les pro-nucléaires, que celle-ci est indispensable. Pour Danon, il s’agit surtout de trouver un régime de sécurité collective aussi fort car, tel qu’il le résume, « l’équilibre de la dissuasion nucléaire est à la sécurité ce que la démocratie est à la politique : c’est le pire système à l’exception de tous les autres que l’on a essayé avant ».
PS : Les photos de la conférence de l’Ambassadeur E. Danon sont disponibles sur le Meetup Conférence géopolitique Paris Diploweb
NB : La vidéo de la conférence complète de l’Ambassadeur Eric Danon sera mise en ligne sur Diploweb en janvier 2018.
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| Dernière mise à jour le dimanche 17 novembre 2024 |