Philippe Sébille-Lopez est géopolitologue et directeur du cabinet Géopolia. Titulaire d’un doctorat de géopolitique, il est analyste-consultant indépendant spécialisé sur les enjeux énergétiques dans les relations internationales. Il est notamment l’auteur de Géopolitiques du pétrole, Editions Armand Colin, 2006.
Charlotte Bezamat-Mantes a réalisé les deux cartes inédites de cet article. Elle est doctorante à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris 8) et rédactrice-cartographe pour Diploweb.com depuis 2014.
Voici une masse considérable d’informations contextualisées et conceptualisées pour comprendre les dessous géopolitiques du gaz naturel en Europe. Philippe Sébille-Lopez livre ici de manière pédagogique un exemple actualisé de géopolitique de l’énergie. Il décrypte notamment la stratégie des Etats-Unis autour de Nordstream 2 (NS2) pour ouvrir un marché au GNL américain. Illustré de deux cartes inédites réalisées par Charlotte Bezamat-Mantes pour Diploweb.com
LES INTERACTIONS entre l’énergie et la géopolitique sont complexes à analyser. Par ailleurs, la pandémie du Covid19 a provoqué en 2020 un choc majeur totalement inédit sur les marchés mondiaux de l’énergie, dont les effets à long terme restent encore pour l’heure difficiles à évaluer. Avant même ce choc, le panorama énergétique mondial enregistrait déjà de profondes et rapides transformations aux prolongements géopolitiques évidents. C’était le cas avec la révolution des pétrole et gaz dits de schiste aux Etats-Unis, de l’escalade des tensions entre les Etats-Unis et la Chine, de la nouvelle Guerre froide entre Washington et Moscou, de la prise en compte de la transition énergétique à l’œuvre dans de nombreux pays, y compris au Moyen-Orient, et bien sûr du défi posé par le changement climatique.
L’énergie est par nature l’un des éléments fondamentaux de la souveraineté d’un Etat. Pour cette raison, les questions énergétiques et géopolitiques sont souvent liées. C’est clair pour le pétrole, mais aussi pour l’hydroélectricité des barrages, avec le partage des eaux des bassins versants entre pays, ou dans le nucléaire, avec les enjeux de non-prolifération entre nucléaire civil et militaire [1]. A mesure que la production et la consommation mondiale de gaz naturel se renforcent, ce dernier (re)fait à son tour l’objet d’importants enjeux géopolitiques. Le fort développement du gaz naturel liquéfié (GNL) permet une diversification des échanges en multipliant le nombre de pays de destination, ce qui devrait, en théorie, réduire les tensions autour de cette source d’énergie. Mais les flux de GNL peuvent aussi comporter, comme les échanges par gazoducs, une composante géopolitique très importante.
Afin de définir le cadre de ces enjeux gaziers en Europe, un préambule sera consacré à la place du gaz naturel dans la consommation d’énergie primaire dans le monde et en Europe. On verra que cette consommation est en constante augmentation dans le monde ces dernières années et qu’à l’inverse sa demande stagne en Europe. Plusieurs aspects complémentaires sur la sécurité énergétique de l’Union européenne (UE) seront examinés parallèlement.
La question des enjeux géopolitiques autour de la question du gaz dans l’UE sera au cœur de cette analyse. Elle sera étudiée à la lumière de deux études de cas sur des gazoducs emblématiques : l’un au nord de l’Europe, sous la mer Baltique, Norsdteam2 (NS2) ; l’autre, sous la Méditerranée, à partir des nouvelles découvertes gazières de Méditerranée orientale, le projet de gazoduc EastMed. Les enjeux liés à la forte croissance des échanges mondiaux de GNL seront également abordés en parallèle. A partir de ces deux projets de gazoducs visant à approvisionner l’UE, on verra comment les visions et intérêts géopolitiques de quelques rares pays de l’UE, mais surtout d’acteurs étatiques non-européens, ont progressivement, à force de pressions, pris le pas sur toute autre considération, notamment énergétiques et économiques européennes. On notera également que ces intérêts extérieurs ont été acceptés, voire favorisés, avec une certaine complaisance, par des mesures réglementaires adoptées au niveau intra-communautaire, le tout en contradiction avec certains discours sur l’indépendance énergétique tenus par ailleurs. Cet exercice permettra également d’examiner dans le prolongement de ces questions énergétiques, plusieurs aspects des relations qu’entretiennent l’UE et certains de ses pays-membres avec la politique étrangère des États-Unis sous l’administration Trump.
Dans cet article et par souci de concision, les unités de mesure seront souvent exprimées dans leur forme usuelle abrégée en anglais. Ainsi, bcmy = Billion cubic meter/year pour milliards de mètres cubes par an.
Le gaz naturel représente en 2019 près d’un quart de la consommation d’énergie primaire dans le monde (24,2%). En 2019, sur les 3.989 bcm [2] de gaz naturel produits, les échanges mondiaux représentent 984 bcm soit environ un quart de la production mondiale [3]. Ces flux internationaux de gaz naturel sont répartis de la façon suivante : 500 bcm (51%) par gazoducs ; 485 bcm (49%) sous forme GNL, réexportations incluses. Parallèlement à la forte hausse des exportations mondiales de gaz, la part du GNL dans les échanges internationaux a augmenté régulièrement, surtout ces dix dernières années. En 2009, pour 670 bcm de gaz exportés dans le monde, la part du GNL n’était que de 37,1% contre 62,9% pour le transport par gazoduc. Cette hausse des flux mondiaux de GNL s’est encore renforcée ces toutes dernières années, avec 13% de progression en 2019 par rapport à 2018. Avec le GNL, les échanges mondiaux de gaz naturel entrent donc dans un nouveau paradigme.
Ceci s’explique notamment par l’émergence de nouveaux grands pays exportateurs de gaz avérés (Etats-Unis, Australie) ou potentiels (Turkménistan) qui s’ajoutent aux grands exportateurs mondiaux traditionnels (Russie, Qatar, Canada, Norvège, Algérie, etc.) qu’il s’agisse de GNL ou d’exportation par gazoducs. Certains pays producteurs parmi ces exportateurs traditionnels amorcent d’ailleurs leur déclin gazier, pour différentes raisons, mais de nouveaux pays producteurs et futurs exportateurs apparaissent, notamment en Afrique, ou confirment leur potentiel dans d’autres régions du monde.
Concernant les gazoducs, c’est la relation de dépendance structurelle que les pays clients entretiennent durablement avec leurs pays fournisseurs qui fait l’objet d’inquiétudes, même s’il s’agit souvent en fait davantage d’une certaine interdépendance assumée entre les acteurs. Ce point explique aussi pourquoi les interruptions volontaires de flux gaziers par gazoduc sont extrêmement rares, y compris entre pays aux systèmes politiques et intérêts stratégiques différents. Il en va autrement des pressions géopolitiques. A l’inverse, le GNL ne crée en apparence qu’un lien commercial, entre d’une part les sociétés et Etats fournisseurs et d’autre part les sociétés et Etats importateurs. Mais à la différence des gazoducs qui créent un lien fixe, les flux GNL peuvent être plus souples et évolutifs. Cependant, à mesure que la part du GNL se renforce, il n’est pas impossible qu’en fonction de critères économiques et/ou politiques liés à des contextes de tensions dans l’avenir, les livraisons vers certains pays soient réduites, voire interrompues, et reroutées vers d’autres destinations. D’une certaine façon, la sécurité promise par le GNL grâce à sa souplesse et sa fluidité n’est pas garantie en toute circonstance, un peu comme dans le cas des gazoducs, même si certains affirment un peu vite que d’autres fournisseurs viendraient remplacer les livraisons défaillantes. Cette conviction semble en effet assez théorique, si l’on considère la diversité des contextes pouvant donner lieu à ces tensions, leur nature et leur degré d’intensité.
Ce regain d’intérêt mondial pour le gaz naturel s’explique aussi par des facteurs conjoncturels liés notamment à la transition énergétique et à la nécessité de réduire la consommation de charbon au niveau mondial. Le charbon représente à lui seul environ 30% des émissions mondiales de CO2. Des trois énergies fossiles, le charbon est la plus émettrice de gaz à effet de serre (GES) alors que le gaz naturel est de loin la moins polluante, dès lors qu’un effort technique est consenti pour réduire au mieux les émissions de méthane. Principale critique envers le gaz naturel, ses émissions de méthane dans l’atmosphère dont l’intensité en termes de GES est bien supérieure à celle du CO2. Malheureusement, les émissions de méthane sont en grande partie d’origine naturelle. Dans le décompte des origines de ces émissions, le secteur pétrolier et gazier représente 30% des 60% du méthane d’origine anthropique, mais « seulement » 18% du total des émissions de méthane dans le monde, dès lors que 40% de ces émissions sont d’origines naturelles (zones humides, dégel du Permafrost, etc.). Précision importante, la plus grande part des 18% d’émissions de méthane est liée à la production pétrolière et au torchage du gaz associé, les émissions de méthane dans la production gazière conventionnelle stricto sensu étant moins importantes.
Le gaz naturel est aussi très facilement substituable au charbon dans les centrales thermiques pour produire de l’électricité. De plus, dans les centrales électriques au gaz à cycle combiné, le gain de productivité énergétique est très significatif. Facile à mettre en production, les centrales thermiques au gaz peuvent aussi servir de back-up aux énergies renouvelables intermittentes non-pilotables, comme l’éolien et le solaire, lorsque leurs capacités de production sont insuffisantes pour maintenir la tension requise sur les réseaux électriques et éviter des délestages ou pire des pannes géantes de courant. C’est ce back-up insuffisant qui est à l’origine des importantes coupures d’électricité intervenues en Californie durant l’été 2020, alors que la production d’électricité, essentiellement d’origine solaire et éolienne, ne pouvait plus répondre suffisamment à la forte demande des entreprises et des usagers, stimulée par l’usage des climatiseurs. C’est aussi le cas à certaines périodes dans le sud de l’Allemagne. Que dire du fiasco des renouvelables intermittents en Australie ? Une certaine prudence est donc de mise.
En Europe, un autre facteur pourrait favoriser le même scénario, faute d’un libre accès plus équitable au réseau électrique pour toutes les sources de production électrique dans l’UE. La règle de l’accès prioritaire réservé à l’électricité d’origine renouvelable, de surcroît subventionnée, fausse le signal prix et torpille les autres formes d’offres énergétiques rendues non compétitives, y compris pour des centrales électriques au gaz à cycles combinés de dernière génération. La priorité donnée par le passé au dogme de la concurrence par la Commission européenne, notamment à l’encontre d’opérateurs publics historiques nationaux menacés d’abus de position dominante dans le secteur de l’énergie, a surtout favorisé l’émergence de sociétés, souvent filiales de grands groupes dans le secteur de la distribution d’électricité, mais d’assez peu de nouveaux acteurs de taille significative du côté de la production. Or c’est bien cette dernière qui est prépondérante en matière de sécurité énergétique. Ce double standard de la Commission en matière de concurrence illustre le caractère plus politique qu’économique de certaines de ses règles et orientations stratégiques dans le secteur énergétique.
La disponibilité du gaz naturel, malgré une hausse de 34% de sa consommation dans le monde depuis dix ans, reste une ressource naturelle abondante avec de nombreuses découvertes chaque année, ce qui n’est plus le cas pour le pétrole. Les réserves prouvées de gaz sont de 50 ans, au rythme actuel de production/consommation.
Pourtant, malgré tous ces atouts et contrairement à sa progression importante dans le mix-énergétique de toutes les régions du monde, la consommation de gaz naturel stagne dans l’UE, et le rôle du gaz est de plus en plus controversé, d’abord en tant que source d’énergie fossile pour des raisons écologiques, mais aussi pour ses aspects géopolitiques induits, notamment à l’encontre de la Russie. Le graphique ci-dessous illustre par son trait rouge cette relative stagnation de la demande de gaz en Europe depuis 2010 et pour les vingt prochaines années. Certains organismes, dont l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), pensent même que cette demande devrait baisser, voire stagner, du fait de la hausse des renouvelables intermittents.
Source Wood Mackenzie : 3 septembre 2019 [4]
Mais l’AIE prévoit aussi, assez paradoxalement, que la demande de GNL en Europe est encore loin d’être stabilisée. Elle considère que les importations de GNL en Europe (UE+) augmenteront de près de 20% d’ici 2040 par rapport au niveau de 2016. Logiquement, elle affirme aussi que les capacités de regazéification devraient encore augmenter malgré des taux d’utilisation autour de 30% en 2018 au sein de l’UE. Ce dernier point est confirmé par la carte n°1 jointe ci-dessus « Approvisionnement gazier vu de l’Union européenne : gaz russe vs projet BABS et GNL » (bonus au format PDF), qui permet de visualiser les points d’entrée du gaz naturel en Europe par gazoducs et le dynamisme entourant les infrastructures de réception du GNL. Ces prévisions soulèvent au moins deux points intéressants. D’abord celle de la rationalité économique de ces terminaux de regazéification, avec en creux la part des approvisionnements futurs de l’UE par gazoduc, de loin le moyen normalement le plus économique d’importer du gaz pour l’UE, vu la proximité d’abondantes ressources gazières à des distances économiques comme l’illustre la carte n°2 jointe ci-dessous « L’Union européenne, dépourvue de gaz naturel, est entourée d’immenses réserves gazières » (bonus au format PDF) . Ensuite et en filigrane, c’est la compétition entre le GNL, états-unien ou autre, et le gaz russe par gazoduc, qui prend ici tout son sens à travers ces prévisions. Ceci confirme ce que de nombreux spécialistes de l’énergie se plaisent à souligner depuis longtemps, le caractère parfois très politique de certains discours et orientations de l’AIE [5]. S’agissant du renforcement des approvisionnements gaziers de l’UE par GNL, l’AIE, organisme où les économistes sont très majoritaires, parle assez peu de la dimension économique. Or, il faudrait intégrer la hausse inévitable des prix du GNL à moyen-long terme, à mesure que la demande de GNL en Asie va augmenter et entrer en compétition avec les prix vers l’UE, une fois passé le marasme actuel du secteur notamment lié à l’effet Covid.
Le graphique ci-dessus matérialise aussi le déclin des sources approvisionnements de l’UE par gazoducs venant d’Europe et d’Afrique du nord, notamment de Norvège et d’Algérie. Hors Russie et GNL, il permet de visualiser le déclin croissant de la structure actuelle des approvisionnements gaziers de l’Europe, en considérant simplement que la demande européenne de gaz reste constante jusqu’en 2040. A fortiori, si cette demande devait augmenter, elle offrirait des opportunités encore plus larges à de nouvelles sources gazières complémentaires indispensables. Le titre de ce graphique de Wood Mackenzie explicite parfaitement cette réalité. La dépendance gazière extérieure de l’UE va offrir de nouvelles opportunités à la Russie et aux producteurs de GNL à partir des années 2020. Le conflit géopolitique autour du gazoduc Nordstream2 prend tout son sens lorsqu’on l’insère dans ce cadre.
Quoi qu’il en soit, une certitude s’impose : alors que le gaz naturel représentait 22% du mix énergétique de l’UE en 2018, la faible production gazière l’UE va continuer de décliner fortement et sa dépendance aux importations de gaz, qui représentaient déjà 83% de sa consommation en 2018, ne peut qu’augmenter. Le développement du biogaz n’en couvrira au mieux qu’une petite partie, vu les problèmes environnementaux que pourraient poser à terme, localement, les nitrates et certains digestats.
L’UE va notamment voir sa principale source domestique de production de gaz, le gisement de Groningue aux Pays-Bas, mise à l’arrêt prématurément pour cause de risques sismiques. Ensuite, l’UE entend réduire drastiquement la production électrique de ses pays-membres à partir du charbon, ce qui est parfaitement souhaitable et justifié. Il semble donc probable que la demande de gaz devra augmenter, au moins temporairement sur une à deux décennies, notamment pour remplacer le charbon, et a fortiori si l’opposition au nucléaire perdure ou se renforce encore au sein de l’UE, au moins à l’ouest. Rappelons que le nucléaire n’émet pas du tout de CO2, d’où l’absence totale de justification de son remplacement par des renouvelables intermittents sur la base d’arguments climatiques.
Ces perspectives d’une consommation de gaz naturel en stagnation en Europe, alors qu’elle va augmenter sur tous les autres continents, s’explique très largement par la forte hausse attendue de la production électrique à partir des renouvelables intermittents dans l’UE. Elles conduisent à poser plusieurs questions iconoclastes. Peut-on raisonnablement penser que les énergies dites propres, biomasse, hydroélectricité, ou intermittentes, solaire et éolien (qu’il s’agisse d’éolien à terre ou en mer fixe ou flottant) permettront d’assurer la sécurité énergétique future de l’UE ?
Ne risque-t-on pas de voir apparaître d’ici quelques années des pénuries sur certains métaux stratégiques indispensables à la transition énergétique dans son ensemble ? Car la liste de ces métaux stratégiques va bien au-delà des seules terres rares, souvent évoquées du fait de l’extrême domination de la Chine dans leur production, alors que d’autres grands pays (Etats-Unis, Russie, Canada, Australie) pourraient au moins en théorie en produire davantage. Il faut y ajouter pêle-mêle cobalt, tungstène, cuivre, nickel, aluminium, lithium, plomb, graphite, argent, etc. Il en faudra énormément pour fabriquer et renouveler les stocks de batteries, électrolyseurs, éoliennes, panneaux solaires, compteurs intelligents ou câbles électriques indispensables à la transition énergétique telle qu’elle est annoncée. L’inévitable impact environnemental de cet important regain de l’activité minière planétaire lié à la transition énergétique sera lui-même amplifié par les besoins liés à la transition numérique, eux-mêmes renforcés par le développement de la 5G (si elle s’impose partout, pour le meilleur et pour le pire) et une forme probable de pérennisation sociétale du télétravail post-Covid19.
L’impact de toutes ces mutations est-il correctement évalué ? Mesure-t-on bien les énormes quantités de métaux qui, in fine, seront déversées dans les sols, rivières et océans ? Outre l’impact environnemental, cette ruée vers les métaux stratégiques, en termes de compétition entre Etats pour l’accès à ces ressources critiques et les importants besoins en eau de l’industrie minière, y compris dans des zones déjà soumises à un stress hydrique, ne risquent-ils pas de créer à leur tour des tensions sources de conflits ?
Autant de questions dont les réponses apparaissent encore aujourd’hui très insuffisamment documentées et discutées. Une dernière question iconoclaste, qui répond indirectement à celles qui précèdent : choisit-on une source d’énergie parce qu’elle est vraiment la meilleure ou devient-elle la meilleure parce qu’on la choisit, y compris en la subventionnant fortement tout en pénalisant à des degrés divers les sources d’énergie concurrentes ?
Le dogmatisme sur les renouvelables intermittents pourrait bien relever d’une dangereuse triple illusion : au plan de la sécurité énergétique d’abord, la stabilité des réseaux et de la production d’énergie notamment électrique ne peut supporter un trop fort pourcentage d’énergies intermittentes, sans parler de la problématique des énormes batteries de stockage pour pallier cette intermittence. Au plan économique ensuite, les coûts de maintenance et de renouvellement des infrastructures de production, dans un véritable marché sans subvention directe ou indirecte finiront par se traduire par une facture électrique en forte hausse pour les consommateurs européens et une moindre compétitivité pour ses entreprises. Enfin les coûts environnementaux réels, directs et indirects, notamment du solaire et de l’éolien, et plus généralement de certaines « filières vertes » sur l’ensemble de la chaine de valeur, reste aussi à apprécier sur la durée avec toutes leurs conséquences localement et au niveau planétaire. Le cas du SF6, par exemple, le plus nocif de tous les GES, dont l’usage va fortement augmenter avec la montée en puissance des énergies renouvelables intermittentes est peu ou pas discuté dans la littérature des mouvements écologistes [6].
Sans une part significative de nucléaire en production de base et de gaz naturel en production à la fois en base dans certains pays, d’appoint (semi-base) et de crête ailleurs, la sécurité énergétique de l’UE risque de devenir de plus en plus précaire et illusoire, avec au mieux un gain environnemental sur les émissions directes de CO2, mais au prix d’une facture en hausse et très chèrement payée, surtout au regard des objectifs climatiques et environnementaux au niveau mondial.
Depuis son élaboration dans la seconde partie des années 1990, la politique européenne de l’énergie a toujours été basée sur trois grands principes concomitants et cohérents en théorie, mais difficilement réalisables simultanément dans la pratique : sécurité des approvisionnements ; compétitivité économique et respect de l’environnement. Mais du fait de priorités variables au fil du temps entre ces trois éléments difficilement conciliables, bien que toujours présentés comme assurés, ce fameux triptyque équilibré est de plus en plus difficile à réaliser sans sacrifier l’un ou l’autre des trois postulats.
Il semble que l’UE, du fait d’un dogmatisme en partie compréhensible vu le poids de l’enjeu climatique dans une partie de l’opinion publique, donne aujourd’hui volontairement la priorité à l’environnement. Mais doit-elle sacrifiée pour autant sa sécurité énergétique et affaiblir sa compétitivité économique, sans parler de la facture à terme pour ses consommateurs. Un meilleur équilibre entre ces trois priorités semble souhaitable et le gaz naturel peut constituer l’une des solutions alternatives provisoires. Les 50 ans de réserves gazières prouvées constituent un horizon de temps susceptible de favoriser la recherche et la mise en place industriellement de nouvelles formes d’énergie réellement plus propres et durables mais encore en devenir aujourd’hui. Pour cela, il faudrait considérer le gaz naturel avant tout comme une source d’énergie utile, sans en exagérer les aspects géopolitiques induits. Il faudrait aussi que l’UE soit en mesure de décider par elle-même de sa politique énergétique, sans laisser des puissances extérieures en instrumentaliser les aspects géopolitiques au-delà du raisonnable. Les deux études de cas qui suivent démontrent clairement que l’UE en est encore incapable.
Le gaz naturel représente actuellement un peu plus de 24% de l’ensemble de la consommation d’énergie primaire de l’UE. En 2019, la demande de gaz de l’UE28 représentait autour de 485 bcm, dont 26% utilisés dans des centrales pour la génération d’électricité et environ 23% dans l’industrie. Le reste, soit environ la moitié, est utilisé dans le secteur résidentiel, les commerces et celui des services, essentiellement pour le chauffage.
Le pic de la production gazière en Europe a été atteint en 2004, avec 318 bcm. Ce chiffre incluait le Royaume-Uni pour 100 bcm et la Norvège pour 78 bcm. Par construction, la production de l’UE27 à l’époque n’était donc déjà que de 140 bcm. Elle est en 2020 à peine supérieure à 60 bcm.
En 2019, d’après les statistiques de la Commission européenne, l’UE28, en incluant donc le Royaume-Uni, a produit moins de 25% de sa consommation gazière. La dépendance extérieure de l’UE28 représentait déjà 75% de sa consommation. Avec le départ du Royaume-Uni, la dépendance extérieure de l’UE27 en 2020 pourrait dépasser les 80%, sauf si la baisse de la demande, liée au Covid19, brouille pour le moment cette perspective. En 2019, 74% du gaz importé dans l’UE étaient acheminés par gazoduc, pour l’essentiel en provenance de Russie (31%), Norvège (28%) et Algérie (5%). Cette même année, le GNL représentait un peu plus de 25% du gaz importé dans l’UE, en provenance notamment du Qatar (28%), de Russie (20%), des Etats-Unis (16%) et du Nigeria (12%). Toujours en 2019, 14 des 28 pays de l’UE ont importé du GNL pour un volume total équivalent à 108 bcm de gaz, soit 75% de plus qu’en 2018. Les principaux importateurs étaient, par ordre décroissant : Espagne (22,4 bcm) ; France (22,1 bcm) ; Royaume-Uni (18 bcm) ; Italie (13,5 bcm) ; Belgique et Pays-Bas avec respectivement 8,8 et 8,6 bcm.
Comme on le verra, la volonté de la deuxième Commission Juncker a été d’augmenter la part des importations de gaz de l’UE sous forme GNL pour multiplier les sources d’approvisionnement et ainsi en améliorer la sécurité, au moins en théorie. Cette orientation politico-énergétique à Bruxelles s’oppose bien sûr à la volonté de Berlin de sécuriser ses approvisionnements directement à partir de la Russie par gazoduc avec le projet Nordstream2 (NS2) contournant l’Ukraine une nouvelle fois. Les interruptions ou réductions temporaires des livraisons de gaz intervenues dans les différentes crises russo-ukrainiennes à partir de 2005, expliquaient ce choix, a fortiori dans le contexte de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et du soutien de Moscou aux séparatistes ukrainiens dans le Donbass. Avec NS2, Berlin a fait le choix d’une interdépendance gazière assumée avec Moscou, avec en contrepartie des avantages indéniables sur le plan économique en matière de prix. En Europe, les oppositions à ce gazoduc sont d’abord apparues en Pologne et dans les pays baltes, dès l’évocation même de ce projet. Elles se sont ensuite sérieusement radicalisées et renforcées, notamment avec l’entrée en jeu de l’administration Trump à partir de janvier 2017.
Les milliards en devises, euros ou dollars US, seront ci-après exprimés en giga (G€ ou G$)
Le gazoduc sous la mer Baltique Nordstream2 (NS2), long de 1.290 km, est doté d’une capacité de 55 bcmy. Son coût est estimé à environ 9 milliards d’euros (9 G€) [7]. Mais à mesure que les obstacles se sont multipliés sur sa route, ce coût au final devrait être supérieur. Il est financé pour moitié par Gazprom et l’autre moitié par cinq sociétés européennes : OMV (Autriche), Wintershall Dea et Uniper (Allemagne), Engie (France) et Shell (Anglo-néerlandaise). En suivant pratiquement le même tracé, il consiste à doubler les capacités du gazoduc sous-marin Nord Stream (NS1), dont le projet avait été lancé en 1997. Les travaux sur NS1 avaient démarré fin 2005 pour se terminer en 2011 avec une mise en service effective en 2012. La construction du NS2 a commencé en avril 2018 et devait se terminer fin 2019. Mais suite aux multiples obstacles, de toutes natures, venus d’abord de certains pays du nord et de l’est de l’UE, suivis par des mesures d’ordre réglementaire intra-UE, le tout sur fond de pressions, manœuvres, menaces de sanctions et sanctions de l’administration Trump, aussi bien sur certains pays alliés européens que sur des entreprises européennes, la construction de ce gazoduc est à présent à l’arrêt.
On notera que ces sanctions de Washington visent potentiellement 120 sociétés, essentiellement européennes, d’une douzaine de pays, allant des sociétés européennes directement partenaires sur le projet, à leurs sous-traitants impliqués sur ce gazoduc, en passant par certains ports européens actifs dans sa construction, des entreprises de services maritimes ou encore des assureurs. Plusieurs dizaines de citoyens européens, du fait de leurs liens avec le projet, sont aussi nommément visés. Ces ultimes sanctions de Washington, qui n’ont pour seule légitimité qu’un éventuel vote du Congrès, sur la base d’un texte bipartisan qui serait facilement adopté, comme tous ceux qui l’ont déjà précédé concernant NS2, posent d’abord la question de leur légitimité au regard du droit international. Réponse : aucune. Elles illustrent surtout, une fois de plus, le poids des sanctions unilatérales et extraterritoriales états-uniennes. Seule originalité de ces sanctions de Washington, et contrairement aux précédentes qui visaient la Russie, l’Iran, le Venezuela, Cuba, la Chine ou la Corée du nord, elles ciblent un projet européen, soutenu par plusieurs pays européens et réalisé par des entreprises européennes, le tout en Europe, un « territoire allié », composé notamment des 21 pays de l’UE (après le départ des Britanniques), également membres de l’OTAN, sur les 30 pays, que compte l’organisation. Comme on le verra, le peu de cas que l’administration Trump peut faire de la souveraineté énergétique européenne dans son principe, a été singulièrement favorisé par tous les relais utiles qu’elle a su trouver au sein même de l’UE, auprès de certains Etats-membres ou institutions communautaires.
Car le gazoduc NS2 est certainement le plus controversé de tous les gazoducs approvisionnant l’UE. C’est d’ailleurs le seul gazoduc au monde dont la construction a été interrompue alors qu’elle était déjà achevée à 94%. D’autres gazoducs russes, comme le Yamal, via la Biélorussie et la Pologne, ou Brotherhood et Soyouz, via l’Ukraine, pourtant construits pour certains durant la Guerre froide, n’ont jamais suscité cette hostilité. A posteriori, on constate que son jumeau, Nordstream1, construit entre 2005 et 2011 a finalement fait l’objet d’assez peu de critiques, surtout si l’on considère l’opposition à NS2 qui s’est régulièrement renforcée au fil du temps entre 2014 et 2020. A l’époque de la construction de NS1, la révolution des pétrole et gaz dits de schiste aux Etats-Unis n’était encore que dans sa phase initiale, d’où l’absence d’alternative gazière géopolitique Outre-Atlantique.
La littérature et les commentaires abondent sur ce projet de gazoduc. Pour cette raison et bien qu’il y aurait à l’évidence matière à discuter aussi de son intérêt en termes économique, technique et de ressources disponibles, qui sont trois facteurs fondamentaux pour juger de la pertinence d’un projet de gazoduc, l’essentiel des débats sur NS2 s’est porté progressivement sur ses seuls enjeux géopolitiques. De fait, ces trois niveaux fondamentaux d’analyse peu discutés font apparaitre pour la plupart des spécialistes du secteur les avantages incontestables de ce gazoduc, notamment par rapport à des approvisionnements en GNL, mais aussi par rapport à d’autres gazoducs vers l’Europe. Simple illustration technique parmi d’autres, les pertes énergétiques liées au transport du gaz sont d’environ 4% à 5% par gazoducs et de 15% à 20% dans le cas du GNL. Mais certains gazoducs peuvent être aussi de fausses bonnes idées. Cet aspect sera notamment examiné dans notre seconde partie consacrée au gazoduc sous la mer Méditerranée, l’EastMed, un autre projet, soutenu celui-là par la Commission de l’UE, bien qu’il ne présente aucun des avantages de NS2 dans les trois domaines précités. Pour cette raison, notre analyse sera centrée essentiellement sur ces aspects géopolitiques afin de contribuer à un débat très souvent biaisé en la matière.
Deux éléments majeurs assez caractéristiques de l’UE ressortent dans pratiquement toutes les analyses relatives à sa sécurité au sens large : d’une part, le poids des Etats-Unis dans l’élaboration des stratégies européennes dans ce domaine, qu’il s’agisse d’énergie ou de défense ; d’autre part l’extrême division qui caractérise les 27 Etats-membres, y compris sur ces questions essentielles de sécurité au rang desquelles figure bien sûr la sécurité énergétique de l’UE. Ces deux éléments serviront utilement de fil rouge dans les deux études de cas à suivre consacrées d’abord au gazoduc Nordstream2, ensuite au projet de gazoduc EastMed.
Le contexte géopolitique entre la Russie et les Etats-Unis a fortement évolué entre l’achèvement de de NS1 et le lancement de la construction de NS2. Washington, déjà sous l’administration Obama, avait tiré les leçons de NS1. Par ailleurs, les printemps arabes, avec dans leurs sillages les crises de déstabilisation et de fragilisation des pouvoirs en place, prolongés par des mouvements sociaux durables aux conséquences encore imprévisibles, ont permis un retour de la Russie dans la région Moyen-Orient Afrique du nord (MENA). Ce dernier a été favorisé par un certain désengagement stratégique de cette région opéré par l’administration Trump. Il faut bien préciser que ce retour de la Russie de Vladimir Poutine dans la région MENA est d’abord très sélectif mais aussi en partie surévalué dans certaines analyses. Nul doute qu’une comparaison argumentée entre le poids de l’Union soviétique sur cette région durant la Guerre froide et celui de la Russie aujourd’hui conduirait à placer l’URSS devant la Russie en termes d’influence et de capacité d’action à différents niveaux dans cette zone géographique. La région MENA n’en recèle pas moins aujourd’hui encore environ 50% des réserves mondiales de pétrole et autour de 40% des réserves de gaz naturel.
Enfin, l’annexion de la Crimée en 2014 et le soutien russe aux sécessionnistes ukrainiens du Donbass compromettaient les projets d’élargissement vers l’est de l’OTAN et contraignait l’UE à suivre Washington en prenant à son tour des sanctions contre la Russie. Or le retour de la Russie sur la scène internationale, après l’intermède assez catastrophique, vu de Moscou, des présidences Eltsine, était essentiellement financé, comme jadis du temps de l’URSS, par ses exportations de pétrole et de gaz dont l’Europe est encore aujourd’hui la principale destination. A partir de 2003, la forte hausse des prix du pétrole et du gaz a favorisé le retour à meilleure fortune de la Russie. Mais plus de la moitié des exportations russes de gaz naturel transitait encore par l’Ukraine en 2016 alors que l’accord liant les deux pays sur le transit du gaz russe vers l’Europe arrivait à échéance fin 2019. D’où une excellente opportunité de pression pour Washington, vu l’importance pour Moscou de construire NS2. Ce dernier doit en effet assurer la pérennité des rentrées financières liées aux exportations de gaz vers l’UE, en doublant ses capacités d’exportations gazières directes vers l’Allemagne, le plus important consommateur de gaz naturel en Europe, sans dépendre des aléas de l’évolution de la situation politique en Ukraine.
C’est dans ce contexte qu’apparait en 2016, un plan pour l’Europe élaboré à Washington : le projet BABS (Baltic, Adriatic, Black Sea).
La genèse du projet BABS
C’est à l’initiative conjointe de la Pologne et de la Croatie, que, les 25 et 26 août 2016, le Forum International de Dubrovnik a concrétisé l’idée d’une coopération renforcée au centre de l’Europe, dans l’espace terrestre entre la Baltique, l’Adriatique et la mer Noire, autour de grands projets d’intérêts communs. C’est lors de ce forum réunissant les représentants de douze pays d’Europe centrale, tous membres de l’UE, que le projet BABS, aussi appelé « Initiative des Trois mers », a été lancé. A l’exception de l’Autriche, pays neutre simple « partenaire » de l’OTAN et membre déjà ancien de l’UE (1995), les 11 autres pays (Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) sont tous d’anciens pays d’Europe de l’est, autrefois presque tous l’emprise de l’URSS [8] et entrés dans l’UE lors des trois dernières vagues d’élargissement en 2004, 2007 et 2013, soit douze nouveaux pays (10 + 2). A la date du Forum, ces 11 pays étaient déjà tous membres à part entière de l’OTAN, y ayant tous adhéré entre 1999 et 2004, sauf la Croatie en 2009. Au terme de ce forum, une déclaration commune sur la coopération dans les domaines de l’énergie, des transports, du numérique et de l’économie entre les douze pays de la région est adoptée, à la satisfaction de Washington et des pays participants.
Un travail préparatoire avait été réalisé en amont de ce forum à l’initiative de la Pologne et de la Roumanie, notamment dans le cadre de l’OTAN, lors de deux conférences regroupant neuf des onze pays précités, d’abord à Bucarest le 4 novembre 2015, puis lors du sommet de l’OTAN de Varsovie les 8 et 9 juillet 2016. C’est à Bucarest, que ces onze pays, ont exprimé clairement l’idée du renforcement du flanc Est de l’OTAN par la présence de forces armées de l’Alliance sur leur territoire, à l’exception notable de trois pays, Hongrie, Slovaquie et République tchèque, qui n’ont certes pas demandé la présence militaire de l’Alliance sur leur sol, mais ont soutenu la demande des huit autres pays. Une fois de plus, on peut constater que les questions énergétiques ne sont jamais très loin des accords militaires et de défense, sans parler des ventes d’armes qui les accompagnent. Tout était donc prêt pour le lancement du projet BABS en août 2016. L’administration Obama, en fin de mandat, était bien sûr présente, vu les intérêts stratégiques des Etats-Unis en Europe centrale depuis l’effondrement du mur de Berlin (1989), et a fortiori après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Mais signe de l’ouverture qui caractérisait la diplomatie Obama et à la demande de la plupart des onze pays concernés, la Chine était aussi invitée au Forum de Dubrovnik. La Chine, avec son projet chinois des routes de la soie (OBOR ou BRI) et ses corridors maritimes et terrestres, avait déjà son propre agenda en Europe centrale et orientale depuis 2012 dans le cadre du partenariat 16+1 [9]. Mais c’est surtout avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche début 2017, que le volet énergétique du projet BABS va singulièrement s’accélérer, alors que dans le même temps, le partenariat 16+1 va lui au contraire largement s’enliser, à l’exception de quelques projets concrets.
2017 à 2019 : l’administration Trump transforme le projet BABS en boulevard pour le GNL made in USA
L’arrivée de Donald Trump aux affaires va transformer et dynamiser le projet BABS. Fidèle à son slogan « Energy independence, energy dominance », l’administration Trump va utiliser le projet BABS dans le but d’affaiblir la Russie et de favoriser les exportations de GNL états-uniens vers l’Europe. Afin de contrer les flux de gaz russe est-ouest, le projet BABS va devenir exclusivement un corridor stratégique gazier en Europe centrale sur l’axe nord-sud, approvisionné à partir des trois mers déjà mentionnées. Les signaux politiques dans ce sens sont sans ambiguïté.
Le « Forum international » se réunit en juillet 2017 à Varsovie en présence de Donald Trump. Le suivant, en septembre 2018, se déroule à Bucarest en présence de Rick Perry, Secrétaire d’état à l’énergie et de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. Entre ces deux fora, Jean-Claude Juncker a rencontré Donald Trump à Washington, le 25 juillet 2018 dans le but d’initier une coopération énergétique renforcée entre l’UE et les Etats-Unis. Il convient de préciser que ces discussions se sont tenues dans le contexte des menaces de sanctions commerciales brandies par Washington contre plusieurs pays de l’UE. Le communiqué commun du 25 juillet 2018 pose les bases de cette collaboration dont le détail sera officialisé lors du Forum de Bucarest en septembre 2018.
Rick Perry y annonce le lancement du Partnership for Transatlantic Energy Cooperation (PTEC) et de son corridor énergétique Nord-sud à travers l’Europe de l’est. Le volet législatif du PTEC au Congrès est officialisé sous la forme du European Energy Security and Diversification Act introduit au Congrès le 28 février 2019, avec à la clé un budget de 1 G$ pour initier et favoriser des études sur des projets énergétiques états-Uniens en Europe de l’est. L’intitulé de ce texte législatif est intéressant dans sa formulation. On est passé subtilement de l’intérêt des Etats-Unis à l’intérêt de l’Europe. Or il est clair que le marché européen du gaz constituait pour Washington une planche de salut indispensable. Normalement, le GNL états-unien aurait dû trouver son marché en Asie et singulièrement en Chine. Mais la guerre commerciale déclenchée par l’administration Trump à partir de 2018 contre la Chine a presque totalement fermé, au moins temporairement, ce marché naturel pourtant on ne peut plus prometteur. Dans le même temps, le marché du gaz aux Etats-Unis, avec des hausses de production de 10% par an entre 2017 et 2019, commençait à être saturé. De ce fait, les prix du gaz ne cessaient d’y baisser menaçant les fondements mêmes de cette industrie qui amorçait une phase essentielle de son développement aux Etats-Unis avec l’accélération des projets de construction de terminaux de liquéfaction de GNL et la montée en puissance des capacités d’exportation des terminaux déjà en service. Une partie de cette production gazière venait notamment de l’exploitation des pétroles de schiste du bassin Permian au Texas, d’où des conséquences indirectes au niveau de la production pétrolière. Durant ses deux premières années au Secrétariat d’état à l’énergie, Rick Perry s’était improvisé ambassadeur, pour ne pas dire VRP, du GNL états-unien. Il a arpenté, l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Asie et bien sûr l’Europe, mais sans rencontrer de succès à la mesure des besoins. Il fallait donc pour Washington trouver à tout prix des débouchés commerciaux, ou mieux, un marché de substitution. Ce sera fait avec l’accord scellé en juillet 2018 à Washington entre Jean-Claude Junker et Donald Trump.
Parallèlement, pour sécuriser sa part du marché européen, l’administration Trump va soigneusement torpiller le projet NS2 à travers de multiples menaces de sanctions ciblées sur les pays de l’UE et/ou leurs entreprises participant au projet. A l’inverse, des récompenses sous formes diverses seront accordées aux principaux pays d’Europe centrale fidèles soutiens et relais des intérêts de Washington. Ce double standard assez classique du « diviser pour régner » dans la stratégie des Etats-Unis en Europe a toujours parfaitement fonctionné du fait des divisions intra-UE. L’élargissement de l’UE de 2004 vers l’est n’a fait qu’augmenter et renforcer les sources de divisions, à mesure que les divergences d’intérêts stratégiques entre Europe occidentale et Europe orientale s’accentuaient, notamment vis-à-vis de la Russie.
Ce double standard entre Europe de l’est et de l’ouest est aussi utilisé par l’administration Trump dans son bras de fer commercial lancé fin 2017 contre l’UE. Les pays principalement ciblés par les menaces de sanctions commerciales de Washington sont logiquement ceux qui exportent le plus vers les Etats-Unis et donc situés en Europe de l’ouest : l’Allemagne pour ses exportations automobiles, la France et l’Italie sur leurs produits alimentaires et viticoles, le Royaume-Uni et l’Irlande sur divers produits dont les spiritueux. Aucune sanction n’est envisagée contre les pays d’Europe de l’est.
C’est précisément pour tenter de désamorcer cette guerre commerciale larvée, que Jean-Claude Juncker se rend à Washington pour rencontrer Donald Trump en juillet 2018. En situation de faiblesse devant les menaces commerciales et/ou par pure conviction d’ordre stratégique, la Commission de l’UE va clairement s’engager à partir de cette date à soutenir les importations de GNL états-unien dans l’UE. Le communiqué publié au terme de ses entretiens est sans ambiguïté sur l’agenda énergétique de Washington en Europe et sur la collaboration que la Commission lui apportera [10].
La Commission de l’UE sort de sa neutralité sur NS2 sur fond de pressions commerciales de Donald Trump
La rencontre entre Jean-Claude Juncker et Donald Trump à Washington, fin juillet 2018, consacre donc le lancement du partenariat énergétique entre les Etats-Unis et l’UE. Ce rapprochement stratégico-énergétique est ensuite confirmé le 2 mai 2019 lors du Forum de haut niveau BtoB sur l’énergie, car ce sont évidemment au final des entreprises qui mettent en musique les partitions composées par les dirigeants politiques. Dès la fin 2018, les vannes sont ouvertes et les volumes de GNL états-unien augmentent fortement vers le marché européen.
Alors que les exportations de GNL états-Unien vers l’UE stagnaient en 2018, le premier graphique qui suit, relatif à la période avril 2016 à novembre 2019, illustre clairement leur très forte accélération à partir du sommet de Washington (+ 593% en 15 mois).
Ce deuxième graphique, portant sur la période avril 2016 à janvier 2020, permet de visualiser la forte évolution des volumes de GNL importés des Etats-Unis et les principaux pays de l’UE importateurs.
Ces deux graphiques [11] sont extraits de deux documents pdf de la Commission de l’UE régulièrement publiés et très sobrement intitulés : « EU-U.S. LNG TRADE : U.S. liquefied natural gas (LNG) has the potential to help match EU gas needs ». Dans le document de novembre 2019, à la rubrique « Next steps », en page 4, il est même précisé que le but ultime est de faire des Etats-Unis le principal fournisseur de gaz de l’Europe… « Establish regular consultations and promotion activities with market operators to make U.S. the major gas supplier to Europe ». Difficile d’être plus clair quant aux intentions de l’administration Trump en matière d’exportations de GNL vers l’Europe. Il y a pourtant au sein de l’UE beaucoup d’analystes géopolitiques pour nier cette volonté de Washington ou la présenter comme un élément tout à fait relatif et secondaire.
Un rapport de l’US EIA, [12] paru le 30 septembre 2020, intitulé Natural Gas Annual 2019, fait la synthèse sur l’activité gazière aux Etats-Unis en 2019. Il donne sur 214 pages tous les éléments d’analyse concernant la production, les importations, exportations, par gazoducs, GNL, etc. [13] Dans le classement mondial des pays de destination du GNL états-unien en 2019 et selon cette source, la France et le Royaume-Uni sont pratiquement ex aequo au 4ème rang mondial avec des volumes de gaz naturel pour chacun d’entre eux d’environ 3,35 bcm, derrière dans l’ordre, la Corée du sud (7,65 bcm), le Japon (5,70 bcm) et l’Espagne (4,72 bcm). Sur le volet compétitivité prix du GNL exporté des Etats-Unis, le contexte sur les marchés mondiaux en 2019, et a fortiori en 2020 avec le Covid19, n’est pas révélateur des prix jusqu’alors pratiqués dans le monde, ni des prix futurs. Du fait d’une surabondance globale de l’offre GNL, les prix mondiaux du GNL sont à un plus bas historique, qui ne reflète nullement le différentiel de prix traditionnel entre le GNL et gaz russe importé par gazoduc.
On comprend mieux pourquoi la Commission de l’UE va, à partir de juillet 2018, tout faire au niveau réglementaire communautaire pour entraver le projet NS2. Le bouquet final de ce feu d’artifice transatlantique entre Bruxelles et Washington sera tiré en mai 2019, lors de l’adoption de la directive gaz inclue dans le 3ème paquet énergie climat, adoption rendue possible par la volte-face du président français E. Macron en février 2019 sur NS2.
Jusqu’alors, au sein du Conseil européen, les Etats favorables à NS2, dont la France, disposaient d’une minorité de blocage contre cette directive gaz. Ce revirement du président Macron pose notamment la question de la cohérence politique entre l’état stratège et l’état actionnaire. L’état français, détient en effet 23,64% d’Engie, l’une des cinq compagnies privées européennes présente au sein du consortium NS2. En première analyse, l’état se tire clairement une balle dans le pied, soit par conviction politique, soit pour obtenir des contreparties, comme c’est très souvent le cas à Bruxelles. Dans cette dernière hypothèse, il serait intéressant de savoir lesquelles et auprès de qui au sein de l’UE, voire auprès de Washington ? Sans contrepartie, pourquoi le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, Clément Beaune, serait-il revenu à la charge contre NS2 début septembre 2020, rappelant les réserves françaises s’agissant de la dépendance de l’UE au gaz russe, en marge de la tentative d’empoisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny ? Ce faisant, il emboitait le pas aux adversaires de NS2 à travers toute l’Europe et au sein même de la CDU allemande, qui tous réclamaient une nouvelle fois l’abandon du projet.
Sur l’affaire Navalny, quelques rares certitudes : cette tentative a bien eu lieu en Russie et des faisceaux d’indices très sérieux pointent vers les services secrets russes. Mais très peu d’analystes se sont interrogés sur l’éventuel feu vert (ou pas) donné par Vladimir Poutine, en étudiant notamment l’intérêt à agir en l’espèce pour Vladimir Poutine [14]. Alexeï Navalny est certes identifié comme son principal opposant, surtout en Occident. Mais en Russie, l’intelligentsia libérale qui le soutient est très loin de constituer une véritable menace électorale pour Vladimir Poutine, même si les idées défendues par Navalny progressent au sein de la jeunesse des grandes villes russes. De plus, quel serait l’intérêt à agir pour Poutine, avec cette tentative manquée, si l’on mesure le ratio coût/bénéfice, et a fortiori si l’on considère que les élections en Russie sont rarement des modèles de transparence, aux dires même de ses détracteurs ? A l’inverse, il y a au sein des forces de sécurité russes, les fameux Silovikis dont le pouvoir a été renforcé depuis 2014 et l’annexion de la Crimée, des radicaux qui ne veulent surtout pas d’un rapprochement avec l’ouest synonyme d’une perte de leur influence et de leur pouvoir en Russie. Bon nombre de médias occidentaux, toujours prompts à faire du Poutine bashing, devraient essayer de faire preuve de plus de cohérence dans leurs analyses ou à tout le moins de davantage de prudence dans leurs conclusions.
La directive gaz, figurant dans le cadre du 3ème paquet Energie Climat, élaborée par la Commission européenne et adoptée par le Parlement européen dans l’urgence en mai 2019 modifie profondément les règles applicables aux gazoducs tiers. C’est le cas avec celle dite de l’unbundling, c’est-à-dire l’obligation faite pour tout nouveau projet de gazoduc tiers approvisionnant l’UE de disposer d’un opérateur du gazoduc distinct de la ou des compagnie(s) productrice(s) du gaz naturel importé. Les gestionnaires de gazoducs (distincts des fournisseurs de gaz) doivent aussi garantir des tarifs équitables et qu’au moins 10% de la capacité de ces gazoducs seront rendus accessibles à des tiers. En mettant autant de conditions et en conférant des droits très théoriques aux pays d’entrée des futurs gazoducs dans l’UE, on peut se demander si cette volonté de compliquer les projets de gazoducs extérieurs, dirigée à l’évidence contre Gazprom et la Russie, à travers NS2, mais aussi le Turkstream2, ne vise pas d’une façon plus large d’autres projets par gazoduc en rendant leurs montages nécessairement plus consensuels par le nombre d’acteurs désormais requis par l’UE. Indirectement, ce texte favorise de toute évidence, les projets d’importation de GNL, des Etats-Unis ou d’ailleurs, puisque le GNL échappe à ce fatras bureaucratique et réglementaire communautaire, dont on n’a pas fini de mesurer toutes les conséquences.
Une chose est sûre, cette directive renforce le pouvoir de supervision de la Commission qui n’avait pas jusqu’ici de compétences étendues dans ce domaine. Elle complique surtout bien inutilement d’éventuels futurs projets de gazoducs. Par ailleurs, on ne voit pas bien en quoi elle « garantit une meilleure indépendance et souveraineté énergétique de l’UE » comme cela a été indiqué par une source à l’Elysée pour justifier le revirement présidentiel [15]. La relative discrétion avec laquelle cette volte-face, qui va directement modifier la conception même du projet NS2, a été officiellement annoncée et justifiée par l’exécutif est étonnante s’agissant, parait-il, d’un texte pourtant présenté comme essentiel pour l’avenir énergétique de l’UE.
Le service après-vente, une fois la directive adoptée au niveau du Conseil européen en février 2019, va être assuré avec un zèle tout à fait remarquable par la présidence tournante du Conseil alors assurée par la Roumanie. La Roumanie, pays-membre du projet BABS, ne cache pas son souhait de voir une base de l’OTAN s’installer sur son sol, en lieu et place du simple pied-à-terre de l’actuelle base de Constantza sur la mer Noire. La directive gaz sera adoptée par le Conseil et le Parlement de l’UE le 17 avril 2019. Elle entrera en vigueur fin mai 2019, avec à la clé un record de rapidité dans les annales procédurales bruxelloises. L’enjeu était d’importance, car dès juin, c’était la fin de la session parlementaire. Il y avait donc urgence, puisqu’il fallait impérativement que cette directive soit adoptée au plus tôt pour qu’elle soit immédiatement applicable et opposable au projet NS2, dont l’achèvement était prévu pour fin 2019.
Cette volte-face française de février 2019 complique très sérieusement le projet NS2 sur le volet des obligations réglementaires et contractuelles du consortium NS2 avec des répercussions sur le montage initial du projet et des surcoûts très significatifs pour les cinq entreprises européennes partenaires, sans parler de Gazprom. La directive gaz oblige l’opérateur NS2 à modifier complètement sa structure juridique et opérationnelle, à renégocier les contrats de transport du gaz ou à vendre le gazoduc à une entité juridique distincte de Gazprom. Cette dernière étant propriétaire à 100% de la société suisse NordStream2, ceci affaiblit considérablement la base de financement du projet. En outre, la notion juridique d’absence d’achèvement du projet NS2, pour rendre cette directive immédiatement applicable à NS2, est pour le moins abusive, sachant qu’un projet de gazoduc prend au minimum plusieurs années entre sa conception, le lancement de sa construction et son achèvement. NS2 était de surcroit déjà construit à plus de 80% à cette date. En d’autres termes, la Commission et le Parlement de l’UE ont volontairement changé la réglementation applicable aux gazoducs tiers à quelques mois de la date d’achèvement prévu de NS2. Les sanctions états-uniennes visant directement les opérateurs et entreprises en charge de la réalisation des gazoducs NS2 et Turkstream2 viendront compléter fin 2019 et en 2020, ce volet institutionnel, pour bloquer l’achèvement du gazoduc sur le terrain.
Le pseudo filet de sécurité déployé par les Européens pour permettre en théorie l’achèvement de NS2 (et donc l’adoption de la directive gaz en contrepartie), en donnant un certain pouvoir au premier pays de l’UE recevant les gazoducs tiers, en l’espèce l’Allemagne, n’est qu’un artifice ponctué d’incertitudes liées à des recours juridiques à différents niveaux. Politiquement, le Parlement allemand a adopté en 2019, dans l’urgence, une loi repoussant le délai d’application sur son sol de la directive gaz à mai 2020, ce qui devait en théorie offrir une marge suffisante à Gazprom pour terminer le chantier. Mais c’était sans compter sur le véritable coup d’arrêt, après l’adoption de cette directive par 27 des 28 pays de l’UE, qui est venu des sanctions de l’administration Trump visant directement NS2 en décembre 2019. Le seul pays n’ayant pas voté pour la directive gaz est la Bulgarie, pays directement concerné par le Turkstream2, lui aussi en cours d’achèvement, et qui devra donc également respecter ces nouvelles règles supervisées par la Commission. Or dans le nouveau système élaboré par Moscou pour contourner l’Ukraine, NS2 et les deux gazoducs Turkstream sont des éléments indispensables à l’approvisionnement de l’UE en gaz russe, sous peine pour Gazprom de se voir sanctionner pour non-respect de ses obligations contractuelles. Pour Bruxelles, et même si cela n’a pas été clairement exprimé par la Commission Juncker, l’idée est de contraindre Gazprom à maintenir un maximum de flux gaziers à travers l’Ukraine, indépendamment des accords passés entre Kiev et Moscou. En d’autres circonstances, certains n’hésiteraient pas à parler d’ingérence ou des pressions, comme durant les précédentes crises gazières entre les deux pays, mais cette fois à l’encontre de Moscou. Cet argument n’est plus d’actualité et encore moins recevable puisqu’il joue aujourd’hui en faveur de l’Ukraine et contre la Russie.
Cette stratégie de l’administration Trump a été rendue possible par la diversité des points de vue des pays de l’UE sur le dossier NS2. Selon les Etats-membres et les périodes, ce dossier a suscité différentes positions, allant d’une indifférence totale, à un soutien d’intensité variable voire réversible, en passant par un antagonisme extrême et constant. Le cas de NS2 est emblématique du caractère aléatoire de certains projets européens, lorsqu’ils se combinent avec de puissants intérêts extérieurs doublés de relais intérieurs efficaces. Pour bien comprendre la complexité de la situation, liée à la diversité des positions et des enjeux, il convient d’examiner successivement le cas des principaux Etats-membres concernés par ce projet.
L’Allemagne, au cœur du projet NS2
En janvier 2019, la construction de NS2 progressait conformément aux attentes. L’Allemagne, la France et l’Autriche, associés à quatre autres pays-membres (Pays-Bas, Belgique, Grèce et Chypre) disposaient d’une minorité de blocage au sein du Conseil européen contre la nouvelle directive gazière de l’UE. Mais tout au long de l’année 2019, qui devait voir l’achèvement programmé de NS2 en décembre, des obstacles de toute sorte vont être mis sur sa route à l’intérieur de l’UE, en provenance de Washington, et même en Allemagne.
L’Allemagne
Pour Berlin, NS2 constitue la pierre angulaire de la politique énergétique de la chancelière Merkel visant à sortir simultanément l’Allemagne du charbon et du nucléaire. Avant même NS2, et si l’on exclut l’extraordinaire mais éphémère envolée de la consommation de gaz au Royaume-Uni entre 1997 et 2011, liée à l’exploitation de ses gisements découverts en mer du Nord, l’Allemagne est depuis la fin des années 1970 le plus important pays de l’UE pour la consommation de gaz. Cette dernière était de 88,7 bcm en 2019. L’Allemagne est aussi le premier pays client de Gazprom depuis des années. Mais elle ne produit que 5 bcm de gaz par an, soit seulement 5,6% de sa consommation d’où une très forte dépendance extérieure.
Angela Merkel, née dans l’ex-en RDA, connait bien les Russes. Elle considère qu’ils ont trop besoin de vendre leurs hydrocarbures au quotidien pour en faire un outil à l’appui d’éventuelles sanctions ou pressions d’ordre géopolitique contre l’Allemagne, qui est aussi le premier pays européen en termes d’investissements en Russie. En outre, la fixité même d’un gazoduc avec une destination dédiée, à la différence du GNL, freine voire interdit toute possibilité de réorientation de ces flux extérieurs ; l’aspect économique avec des contrats long terme intégrant une part de prix spot (au jour le jour), lui semble en outre plus avantageux que des livraisons GNL aux prix plus fluctuants au gré de la demande et de la concurrence sur le long terme ; au niveau géopolitique, et comme l’illustre le bras de fer engagé par Berlin avec l’administration Trump sur NS2, les approvisionnements GNL pourraient aussi devenir aléatoire avec le temps. L’Allemagne dispose enfin d’une longue pratique en matière de relation gazière avec la Russie.
La longue histoire gazière entre l’Allemagne et la Russie
Dès les années 1950, au pire de la Guerre froide, des industriels d’Allemagne de l’ouest (RFA) avaient entamé des pourparlers avec des représentants des autorités soviétiques sur le gaz et le pétrole russe. La jeune RFA, dont l’économie se développait très rapidement, s’intéressait aux ressources pétrolières et gazières bon marché de l’URSS. Ces projets d’approvisionnements en gaz de la RFA pouvaient permettre en contrepartie à l’URSS de moderniser ses infrastructures gazières. Déjà à l’époque, mais pour des raisons d’ordre géopolitique bien plus compréhensibles qu’aujourd’hui, c’est un embargo états-unien qui mettra un terme à ces projets.
A la fin des années 1960, lors d’une première phase dans la détente est-ouest, l’embargo est levé et l’économie bavaroise, alors en fort développement, reprend contact avec les Soviétiques. Dès 1968, un premier contrat d’approvisionnement en gaz avait été signé entre la RDA et l’URSS. En 1970, c’est un premier contrat de fourniture de gaz qui est signé entre la RFA et l’URSS. La RFA, à partir de ses aciéries de la Ruhr, fournira les tuyaux pour la construction du gazoduc. Les premières livraisons de gaz à la compagnie allemande Ruhrgas interviendront en 1973 sur la base de 3 bcmy pendant vingt ans. Après les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, la relation gazière s’intensifie, l’URSS étant plus que jamais à l’affût de recettes en devises et de revenus stables alors que dans le même temps, les industriels allemands demandaient au gouvernement de réduire leur dépendance aux pays de l’OPEP. Dès 1981, Soyuzgazexport et Ruhrgas signent un nouveau contrat de livraisons additionnelles de 8 bcmy pour la période 1984 à 2008.
Après la réunification allemande en 1990 et la dislocation de l’URSS en 1991, des projets sont mis à l’étude pour renforcer les voies d’exportations vers l’Allemagne. L’idée avancée à l’époque en Occident était de raffermir le lien entre l’ouest et la Fédération de Russie. Mais dans le même temps, l’Ukraine accédait à l’indépendance devenant ainsi un pays de transit vital pour les flux gaziers est-ouest. Bien consciente de cette position stratégique, l’Ukraine va en profiter pour obtenir de Moscou des droits de transit à son avantage. Les détournements de gaz destiné à l’Europe par les réseaux ukrainiens et tout un système de corruption autour de la rente gazière vont voir le jour dès cette époque en Ukraine et persister durant au moins deux décennies.
Pour échapper aux risques de conflits entre l’Ukraine et la Russie, Gazprom et Wintershall, mettent en service en 1999, le gazoduc Jagal, qui permet de relier le nouveau gazoduc Yamal, entre la Russie et la Pologne via le Belarus, aux réseaux allemands et européens de gazoducs. Via le Jagal, Yamal approvisionne aussi les Pays-Bas et la Belgique. La construction du Yamal a démarré en 1993 et ses capacités ont été renforcées au fil du temps pour atteindre leur niveau maximal de 33 bcmy en 2006.
Mais les tensions autour du gaz entre l’Ukraine et la Russie ne faiblissent pas. Dès la fin des années 1990, l’Allemagne réfléchit avec la Russie au moyen de réduire sa dépendance à l’Ukraine. En juillet 2004, une lettre d’intention (MoU) est signée concernant la construction d’un gazoduc sous-marin sous la Baltique de 1.224 km entre Viborg et Lubmin (Greisfeld). Ce sera le premier projet Nordstream. La Révolution orange, qui survient à Kiev en novembre 2004, ne fait qu’accélérer le projet. Dès 2005, les deux compagnies allemandes, Wintershall et E.On Ruhrgas, constituent avec Gazprom le consortium Nord Stream AG, qui sera propriétaire et opérateur du gazoduc Nordstream. Ce projet a été soutenu de bout en bout par Vladimir Poutine et le chancelier allemand (SPD) Gerhard Schröder.
En 2014, après l’annexion de la Crimée et le conflit qui s’ensuit dans le Donbass, les mêmes causes produisent les mêmes effets qu’en 2004. Déjà évoqué sommairement sur le papier dès 2013, le projet NS2 va s’accélérer, sous la pression des évènements en Ukraine. Mais cette fois, forte de l’expérience de Nordstream(1), l’administration Obama va, dès 2015, mettre sur les rails le projet BABS, par l’intermédiaire de la Pologne et la Roumanie, pour contrer le projet NS2. On connait la suite.
NS2 : une question qui divise aussi en Allemagne
Le rôle joué par Gerhard Schröder dans la genèse des deux projets Nordstream fait l’objet de débat Outre-Rhin. Après la défaite électorale du parti socialiste (SPD), et son remplacement à la tête de l’exécutif allemand par la Chancelière Angela Merkel de l’Union chrétienne démocrate (CDU) en 2005, Gerhard Schröder devient en 2006 président de conseil d’administration de Nordstream AG. En 2016, il passe président du conseil de NS2. Depuis 2017, il occupe également un poste à temps partiel de directeur indépendant au sein du Conseil d’administration de Rosneft, la première compagnie pétrolière russe. Beaucoup en Allemagne, surtout chez les verts (die Grünen) et à la CDU, lui reprochent ce rôle d’homme lige des réseaux germano-russes, car NS2 est aussi devenu un sujet conflictuel au sein de la classe politique allemande.
Malgré l’union affichée au Parlement allemand (Bundestag) de presque tous les partis politiques (SPD, CDU/CSU, FDP (Parti libéral-démocrate), en décembre 2019, face aux sanctions unilatérales et extraterritoriales des Etats-Unis contre NS2, ce projet divise.
La division en Allemagne sur NS2 s’inscrit même à l’intérieur de certains partis politiques, comme au sein de la CDU d’Angela Merkel, avec d’un côté une fraction russophobe anti-NS2, incarnée par Manfred Weber, contre celle pro-business de ce même parti et de son allié la CSU bavaroise. Le SPD déjà artisan du NS1 est aussi en faveur du NS2 ; les verts sont contre au nom de la lutte contre les énergies fossiles. Les libéraux du FDP sont plus ambigus. Concernant l’opposition à NS2 de Manfred Weber, on peut se demander si elle n’est pas renforcée à des fins de politique intérieure. Angela Merkel en personne avait refusé de soutenir la candidature de Manfred Weber à la présidence de la Commission de l’UE, alors qu’il avait été élu à la tête du parti populaire européen (PPE) au terme des élections européennes de mai 2019. Ce faisant, elle reniait le principe même de la tête de liste (Spitzenkandidat) automatique du parti vainqueur des élections parlementaires européennes pour occuper ce poste, ce que Manfred Weber ne lui a certainement pas pardonné. Ces luttes d’influence intra-CDU s’inscrivent clairement dans la perspective des élections fédérales allemandes de septembre 2021 avec en point de mire la succession de la chancelière Merkel, qui a annoncé qu’elle mettrait un terme à ses fonctions à la tête du pays.
Mais ces oppositions politiques vont devoir intégrer l’impact économique et énergétique d’un éventuel abandon de NS2 sur le tissu économique et industriel de l’Allemagne. Pour écouler le gaz russe de Nordstream, un premier gazoduc nord-sud à travers l’Allemagne avait été réalisé, le long de la frontière polonaise, l’OPAL. Il était indispensable pour acheminer le gaz du nord vers le sud de l’Allemagne, où sont concentrées bon nombre des industries allemandes grandes consommatrices de gaz, mais aussi vers la République tchèque et la Slovaquie.
On retrouve cette même problématique allemande nord-sud avec beaucoup d’électricité produite par des énergies renouvelables intermittentes au nord, où elle est parfois gaspillée parce que l’essentiel de la consommation électrique est aussi au sud. Or, les populations des länder et communes d’Allemagne concernées par l’installation de lignes haute tension nord-sud ne souhaitent pas les voir passer sur leur sol.
Dans la même logique qu’avec Nordstream(1), pour écouler les flux de NS2, l’Allemagne entreprend, depuis 2018, la construction d’un nouveau gazoduc nord-sud, l’EUGAL, parallèlement à l’OPAL. Sans NS2, l’EUGAL [16] deviendrait presque sans objet, et même les éventuels flux de GNL, états-uniens ou autres, des deux terminaux de regazéification que l’Allemagne a été contrainte d’accepter de construire pour échapper à des sanctions contre ses exportations d’automobiles vers les Etats-Unis ne suffiraient pas à le rentabiliser (cf ci-dessous). L’EUGAL doit prolonger les flux de NS2 vers la République tchèque, la Slovaquie, ainsi que l’Autriche et son important hub gazier de Baumgarten (CEGH), qui dispatchera le reste du gaz russe vers l’Europe du sud, voire des Balkans. La première bretelle de ce gazoduc est déjà opérationnelle depuis janvier 2020 avec une capacité de 30 bcmy. L’achèvement de la seconde bretelle, prévue pour janvier 2021, lui donnera alors sa pleine capacité de 55 bcmy, l’équivalent de NS2.
Les incertitudes sur NS2 fragilisent aussi la situation financière de certaines entreprises européennes partenaires de Gazprom. C’est notamment le cas de l’allemande Uniper, qui avait octroyé un prêt au consortium NS2, prêt qu’elle n’est pas sûr de se faire rembourser en cas d’abandon du projet. Ce point souligne accessoirement la situation financière délicate de nombreuses utilities européennes [17], en particulier en matière de surendettement. Cela démontre que la libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité, combinée avec des réglementations conçues pour favoriser le développement des énergies renouvelables intermittentes, via des subventions, des prix garantis et un accès privilégié aux réseaux, ont fortement affaibli les utilities historiques de l’UE.
Pour la grande majorité de la classe politique allemande, malgré des oppositions temporaires de façade, ou plus durables mais à visée électoralistes, l’achèvement de NS2 ne peut plus être remis en question. Ce serait un tel coup porté à la souveraineté allemande, que les conséquences en Allemagne et en Europe, voire au niveau transatlantique, ne peuvent être ignorées. NS2 n’en constitue pas moins la plus grave crise dans les relations transatlantiques germano-états-uniennes depuis la réunification allemande.
Plusieurs contentieux germano-états-uniens
La détérioration des relations entre les deux pays remonte aux années 2013-2014, avec plusieurs affaires d’écoute par les services d’espionnage états-uniens concernant l’Allemagne. C’est d’abord l’affaire des écoutes par la NSA du téléphone portable de la chancelière Merkel, puis celle visant précisément la commission d’enquête parlementaire du Bundestag sur la NSA. C’est enfin l’infiltration par la CIA d’agents au sein des services allemands de renseignement (BND) [18]. Ce dernier volet se terminera par l’expulsion, en 2014, du chef d’antenne de la CIA en poste à Berlin. S’ajoute à ces affaires, une surveillance renforcée des entreprises allemandes pour repérer d’éventuelles violations des embargos états-uniens notamment vers l’Iran. Même si la coopération entre les services de renseignement occidentaux reste la règle, la relation entre Washington et Berlin dans ce domaine n’est plus celle de la grande époque de la Guerre froide, lorsque le BND était un peu considéré à Langley comme une simple filiale régionale de la CIA, notamment face à la RDA et à Moscou.
Sous l’administration Trump, la relation va rapidement se détériorer au niveau politique. La relation personnelle entre Donald Trump et Angela Merkel n’a jamais été bonne. Toutes sortes d’images diffusées lors de leurs différentes rencontres peuvent en témoigner. De fait les sujets de tensions entre les deux pays ne manquent pas. A l’origine de ce refroidissement, les 79 G$ à 66 G$ d’excédent commercial annuel de l’Allemagne envers les Etats-Unis, entre 2014 et 2017 [19]. Les exportations d’automobiles, qui représentent une part très importante des exportations allemandes de biens, sont rapidement désignées par Washington comme cible potentielle en matière de droits de douane. Ensuite, l’insuffisance des dépenses allemandes en matière de défense, alors que les Etats-Unis entretiennent sur le sol allemand 32.000 militaires. La politique d’ouverture de la chancelière lors de la crise migratoire en Europe est aussi vivement critiquée par un président qui ne jure que par la construction d’un mur à la frontière mexicaine et des mesures d’expulsion en matière d’immigration. En politique étrangère, Angela Merkel, comme Paris et Londres, ne suivent pas l’administration Trump sur le retrait de Washington du traité d’accord nucléaire avec l’Iran (JCPoA). Des pressions s’exercent aussi contre le choix envisagé un temps à Berlin d’opter pour le chinois Huawei pour son réseau 5G, Washington menaçant dans ce cas de mettre un terme à la collaboration entre les deux pays en matière de renseignement. On pourrait ajouter la compétition sur les vaccins contre le Covid et dans d’autres domaines, là où des entreprises allemandes peuvent rivaliser avec les entreprises états-uniennes. La liste des multiples critiques envers l’Allemagne et la politique de la chancelière, formulées publiquement et fort peu diplomatiquement par l’ex-ambassadeur états-unien Outre-Rhin, Richard Grenell, constitue une véritable caricature de la fonction d’ambassadeur en poste à l’étranger, a fortiori dans un pays allié. Car c’est bien là l’un des paradoxes de la politique étrangère de l’administration Trump : pouvoir être extrêmement agressif sur différents points envers certains pays alliés, parfois plus qu’à l’encontre d’adversaires déclarés [20].
Dans ces relations contentieuses entre les deux pays, NS2 n’est donc qu’un élément parmi d’autres, mais c’est un élément très important sur lequel l’administration Trump dispose à la fois d’intérêts directs mais aussi de moyens de pression en Europe. Cette analyse démontre à l’évidence qu’elle ne s’est pas privée de les activer. Un autre point sensible pour Berlin, la défense, a lui aussi été frappé. En juillet 2020, Washington annonce le retrait de 12.000 de ses militaires, sur les 32.000 stationnées en Allemagne. Une partie sera rapatriée aux Etats-Unis, une autre répartie entre la Belgique et l’Italie. Le commandement militaire des Etats-Unis en Europe (Eucom), actuellement basé à Stuttgart (RFA), déménagera à Mons, en Belgique, sur le site du Grand quartier général des forces de l’OTAN en Europe (SHAPE [21]). Même si cette mesure a été vivement critiquée aux Etats-Unis, elle résume assez bien la stratégie de Donald Trump en matière de relation bilatérale. Celui que la plupart des médias nous présente souvent comme « le roi du deal » ne semble pas avoir de vision d’ensemble. Cette absence de représentation stratégique, caractérisée par différentes ruptures sur des orientations durables de la politique étrangère des Etats-Unis, n’a en rien structuré une nouvelle politique étrangère alors qu’elle a sans doute durablement ébranlé l’ancienne, notamment en termes de confiance auprès de certains alliés. Faute de vision, la politique étrangère de l’administration Trump est surtout centrée sur quelques orientations ou dossiers qui lui apparaissent essentiels et sur lesquels elle concentre toute son énergie. NS2 figure parmi ces dossiers emblématiques.
Les concessions d’Angela Merkel
Bien consciente que le projet NS2 est l’une des cibles privilégiées de D. Trump, Angela Merkel, qui doit par ailleurs préserver les intérêts allemands dans ce projet au sein même de l’UE, va essayer de donner des gages au président Trump. Début 2019, la chancelière annonce que le gouvernement fédéral participera au financement de la construction de deux terminaux de regazéification GNL sur la Baltique. Il s’agit d’abord du projet de terminal de Wilhemshafen, piloté par la compagnie allemande Uniper, déjà partenaire du projet NS2. Sa capacité envisagée serait de 10 bcmy et il serait approvisionné avec du GNL commercialisé par Exxon, à partir de son terminal d’exportation états-unien de Freeport. Mais ce projet se heurte à l’hostilité des écologistes allemands qui considèrent que sa localisation porterait atteinte à l’environnement. Un deuxième terminal, situé à Brunsbuettel, serait opéré par Vopak RWE, avec une capacité de 4 à 8 bcmy. Enfin un troisième projet, Stade, pourrait voir le jour, avec une capacité pouvant être relevée à 15 bcmy. Au moins deux de ces trois projets devraient être finalisés et obtenir le financement fédéral partiel annoncé. Quels qu’ils soient, ces deux projets, aux volumes prévisionnels importants, ne seront évidemment d’aucune utilité immédiate si NS2 est achevé. Dans cette hypothèse, ces investissements ne seront donc pas correctement rentabilisés. Ils constituent au mieux et de façon très théorique une sécurité d’approvisionnement de long terme, qui resterait toutefois bien trop partielle pour justifier de tels investissements vu les énormes besoins en gaz de l’Allemagne.
Malgré cette première concession, en juin 2020, le secrétaire d’état Mike Pompeo a encore élargit le cadre des sanctions autour de NS2. Nouvelle concession allemande, avec une proposition, début août 2020, d’augmenter la contribution fédérale aux deux projets de terminaux GNL de 1 G€ supplémentaire. Mais cette lettre a été malheureusement adressée au pire moment, juste avant que n’éclate l’affaire de la tentative d’empoisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny. Ce nouvel élément va relancer les critiques contre la Russie et bien sûr contre NS2 en Europe, chez tous les opposants habituels, y compris en Allemagne.
Faute de pouvoir étudier tous les cas de figure au sein de l’UE dans ce chapitre, on concentrera notre propos sur les deux pays européens qui ont été les principaux soutiens de la stratégie de l’administration Trump contre NS2, à savoir le Danemark et la Pologne.
Le Danemark : un allié de circonstances, discret mais fort utile pour Washington en complément des vagues de sanctions de l’administration Trump
Le Danemark a joué un rôle discret mais essentiel en termes d’obstacles au bon déroulement de la construction de NS2. Le Danemark est l’un des 12 pays-membres fondateurs du traité de l’Atlantique nord (OTAN) en 1949. L’un de ses anciens Premier ministres, de 2001 à 2009, Anders Fogh Rasmussen, en a même été l’un des secrétaires généraux de l’organisation, de 2009 à 2014, juste avant d’obtenir un poste à la banque Goldman Sachs. En 1995, la candidature de Rasmussen à ce même poste avait été bloquée par le président Chirac qui le jugeait trop « pro-américain ». Un autre européen, encore plus influent, l’ancien Premier ministre portugais et président de la Commission européenne de 2004 à 2014, José Manuel Barroso, a lui aussi été recruté par Goldman Sachs, après avoir quitté la Commission [22]. Au passage, on peut souligner les connexions entre cette banque et l’exécutif états-unien. Plusieurs secrétaires d’état au Trésor, à commencer par l’actuel, Steven Mnuchin, figuraient parmi les dirigeants de cette banque avant de rejoindre ce secrétariat dans l’administration Trump. C’est aussi le cas d’Henry Paulson, qui après plus de trente ans chez Goldman Sachs, occupera le secrétariat au Trésor entre 2006 et 2009, au sein de l’administration de George W. Bush. C’est lui qui gèrera, dans un premier temps, la crise financière des subprimes, en venant notamment au secours des banques.
Le Danemark ne peut pas refuser grand-chose à Washington, sauf peut-être le rachat du Groenland proposé ingénument par le président Trump, pour 2 ou 3 G$, en août 2019... Mais Copenhague doit composer avec son double statut de pays scandinave et membre de l’UE. La Suède et la Finlande étant favorables à la construction de ce gazoduc pour ses retombées économiques, le Danemark ne souhaitait pas s’y opposer frontalement. Idem vis-à-vis de son grand voisin allemand, à l’origine même du projet. D’où le choix par Copenhague d’une stratégie d’obstacles successifs dans sa réalisation, à coups d’arguments diplomatico-juridiques et environnementaux. Signe des temps, ces arguments n’avaient pourtant pas été invoqués avec la même énergie lors de la construction de Nordstream (1) une dizaine d’années plus tôt, alors que NS2 emprunte pourtant très largement le même tracé. Copenhague a ainsi demandé aux opérateurs du projet de proposer d’abord un premier puis un second tracé pour le gazoduc, avant qu’un troisième tracé soit finalement accepté. Autant de temps perdu qui se traduisent dans ce genre de projet par des surcoûts importants. Encore aujourd’hui, c’est sur la base d’arguments environnementaux que la pose des quelques 80 km de tronçon manquant dans la zone maritime danoise a été temporairement mise à l’arrêt. En effet, le navire de pose de gazoduc ultra-moderne de la société helvético-néerlandaise Allseas, le Pioneering Spirit, ainsi que la société et ses dirigeants sont tombés sous le coup des sanctions de Washington prises en décembre 2019 dans le cadre de la loi PEESA (Protecting Europe’s Energy Security Act), ce qui a contraint ce navire à interrompre ses activités du jour au lendemain.
Le navire russe, Akademik Tcherski, pressenti pour le remplacer, a d’abord dû venir de l’Extrême-Orient russe et surtout finaliser l’amélioration de certains dispositifs à bord. Il ne sera finalement opérationnel sur zone, dans l’est de l’Allemagne, qu’en mai 2020. Mais à cette date, Copenhague invoque la réglementation danoise, qui oblige les navires à disposer d’un système de positionnement dynamique pour être autorisés à effectuer des travaux dans les eaux du royaume. L’Akademik Tcherski est bien doté de ce système mais pas le navire grue d’assistance Fortuna qui a besoin de s’ancrer au fond de la Baltique. Finalement, début juillet 2020, l’Agence danoise de l’énergie (Energistyrelsen), organisme danois compétent sur les autorisations dans ce domaine, finira par donner son accord au motif, selon son communiqué, que : « le reste des travaux sera effectué en dehors de la zone à exigences strictes en matière de protection de l’environnement et qu’il sera donc possible d’utiliser des équipements moins écologiques, y compris des navires avec un positionnement d’ancrage ». En termes d’instrumentalisation des questions environnementales au service d’une stratégie géopolitique, on atteint ici des sommets, pour ne pas dire qu’on touche le fond…
Les travaux sur NS2 auraient donc pu reprendre en théorie début juillet 2020, sauf que dans l’intervalle, un nouveau projet de loi bipartisan, cette fois au Sénat à Washington, a été introduit début juin 2020. Il se prépare à élargir le cadre des sanctions états-uniennes adoptées en décembre 2019. Les nouvelles cibles potentielles sont toujours liées au projet NS2, mais le spectre des victimes potentielles va beaucoup plus loin en visant cette fois toutes les compagnies impliquées d’une manière ou d’une autre, de près ou de loin dans le projet (compagnies d’assurances, autorités portuaires, douanes, etc.) et de plus d’une manière rétroactive. Une manière comme une autre de rappeler à la raison toutes les sociétés qui s’étaient compromises jusqu’ici dans le projet. Le Danemark pouvait donc lever sans problème son interdiction « environnementale » début juillet 2020 et l’Akademik Tscherski se mettre en quête d’un assureur kamikaze désireux de se couper du système dollar.
Par sécurité et au cas où cela ne suffirait pas, le Secrétaire d’état Mike Pompeo annonçait le 15 juillet 2020 que le projet NS2 tombait désormais sous le coup d’une loi adoptée en 2017 par le Congrès pour "contrer les adversaires de l’Amérique à travers les sanctions" (CAATSA) [23]. Ce texte visait à l’époque l’Iran, la Russie et la Corée du nord. Cette précision de M. Pompeo est importante car en 2017, son prédécesseur au secrétariat d’état et ancien PDG d’Exxon, Rex Tillerson, avait exclu le projet NS2 de son champ d’application, au motif parfaitement fondé en droit, que la construction du projet avait déjà commencé avant l’approbation de cette loi. L’UE n’aura même pas cette appréciation pourtant fondamentale en droit, lorsqu’elle adoptera la directive gaz en mai 2019, la rendant immédiatement applicable à NS2 au prétexte que le gazoduc, bien qu’en cours d’achèvement, n’était pas terminé à cette date.
Alors que les sanctions de décembre 2019, prises dans le cadre de la loi PEESA (Protecting Europe’s Energy Security Act) visaient l’assistance technique directe au projet NS2, la loi CAATSA est d’un champ d’application plus large. Elle prévoit aussi des mesures plus strictes, qui peuvent aller jusqu’à une interdiction d’accéder au système financier états-unien.
Toute ces mesures dilatoires de Copenhague ont permis à Bruxelles et Washington de mettre au point leurs stratégies respectives contre le projet NS2 : pour Bruxelles c’est avec l’adoption de la directive gaz en mai 2019, avec la complicité indispensable de certains États-membres. Pour Washington ce sont les sanctions évoquées ci-dessus et notamment celles votées par le Congrès dans le cadre d’un texte relatif au vote du budget de la Défense, une procédure pour le moins originale en matière de sanctions. C’est cette loi PEESA, promulguée dans la foulée par le président Trump juste avant Noël 2019, qui a interrompu depuis lors la construction de NS2. La liste des sanctions et menaces de sanctions ne fait que s’allonger depuis sans que personne en Europe ne s’en étonne. Dernier élément en date et pour que les choses soient bien claires, le 20 octobre 2020, le Département d’état des Etats-Unis, en concertation avec celui du Trésor, publiait un communiqué précisant les contours de la loi PEESA de décembre 2019. [24] Ce communiqué exige à présent que toute compagnie impliquée dans la pose de gazoduc s’engage, dans un délai d’un mois à compter de la publication de ces nouvelles directives, à ne plus collaborer ni financer, de près ou de loin, NS2, Turkstream2 ou d’autres projets de gazoducs « qui pourraient créer des risques pour la sécurité nationale des Etats-Unis, menaceraient la sécurité énergétique de l’Europe et par conséquent mettraient en danger la prospérité politique et économique de l’Europe ».
Faut-il y voir un rapport de cause à effet, car dans la foulée de cette annonce et en concertation avec Bercy, Engie semble jouer la montre sur son engagement d’achat de 7 G$ de GNL à partir du projet du terminal de Rio Grande aux Etats-Unis, officiellement pour des considérations écologiques ?
Il convient bien sûr de s’interroger sur la notion même de sécurité nationale des Etats-Unis appliquée à NS2. Mais contre ce qui s’apparente de plus en plus à une ingérence extravagante doublée d’une violation flagrante de la souveraineté énergétique de l’UE, seule l’Allemagne tente de protester. Bruxelles s’offusque de temps en temps, un peu hypocritement, par la voix de son Haut représentant Josep Borell. Ailleurs, c’est surtout silence dans les rangs ou au contraire la liesse, comme en Pologne.
La Pologne : le principal allié de Washington contre NS2
Si Copenhague a souhaité adopter un profil bas mais très efficace contre NS2, la Pologne au contraire a choisi dès le début le tambour et l’artillerie lourde contre NS2. Principal architecte du projet BABS et adversaire déclaré, dès son avènement, du projet NS2, Varsovie, et surtout le PiS [25] au pouvoir en Pologne depuis 2015, n’a pas ménagé ses efforts pour soutenir les intérêts états-uniens et contrer ceux de Moscou autour de ce projet. Plusieurs raisons à cela, qui vont au-delà du ressentiment de certains pays de l’est envers la Russie. Le PiS, arrivé au pouvoir après sa victoire aux législatives d’octobre 2015, désire ardemment l’implantation d’une base militaire des Etats-Unis ou de l’OTAN en Pologne, que l’actuel gouvernement du Premier ministre issu de ses rangs, Mateusz Morawiecki, est même prêt à financer à concurrence de 2 G$. De façon plus politicienne, les usines polonaises de l’américain Sikorsky, filiale de Lockheed Martin et Agusta Westland, filiale de l’italien Finmeccanica, sont situées dans des régions où le PiS bénéficie d’un fort soutien populaire. Ceci explique en partie la volte-face du gouvernement polonais en 2016 lorsqu’il dénonce un contrat de plus de 2 G€ pour l’acquisition de 50 hélicoptères Caracal auprès d’Airbus pour finalement passer commande d’hélicoptères Black Hawk auprès de Sikorsky. Dans le même registre, en juin 2020, les autorités polonaises ont clairement signifié leur souhait de voir à terme une partie des 12.000 militaires des forces états-uniennes retirées d’Allemagne par Donald Trump redéployés en Pologne.
L’actuel gouvernement polonais pose de sérieuses questions quant à son attachement à l’UE autrement que pour des raisons strictement financières. Parmi les 27 pays de l’UE, la Pologne est celui qui reçoit le plus d’aides de Bruxelles depuis des années. En 2017 et 2018, la contribution nette de Varsovie au budget de l’UE s’est traduite par un solde positif à son profit de 15 G€ par an. La Pologne reçoit ainsi des aides importantes au titre de la politique agricole commune mais aussi de l’aide structurelle aux régions défavorisées. En clair et pour faire simple, la Pologne du PiS est européenne pour toucher les subventions de l’UE, atlantiste en matière de défense et d’énergie, ultra-nationaliste et souverainiste pour tout le reste.
Dans le cadre du projet NS2, Varsovie a joué contre ce projet sur tous les plans : multiples recours juridiques, lobbying intra-communautaire, amende de 40 M€ contre Engie infligée fin 2019 par l’agence polonaise anti-monopole en charge de la concurrence, l’UOKiK, soutiens polymorphes et alliance de fait avec l’Ukraine contre Moscou mais aussi Berlin, alignement sans faille sur les positions de l’administration Trump en matière énergétique, etc. La démonstration de ce volontarisme de Varsovie est sans limite. Le 7 octobre 2020, l’UOKiK a infligé une amende record de 6,5 G€ contre Gazprom au motif que cette dernière n’aurait pas sollicité l’accord préalable de la Pologne avant de construire NS2. Deux poids, deux mesures, les cinq compagnies européennes partenaires de Gazprom ne sont sanctionnées collectivement qu’à 52 millions d’euros d’amendes… Les six compagnies vont évidemment agir en justice contre cette décision.
Si Varsovie adopte une attitude agressive à l’encontre de Moscou, elle fait preuve d’un suivisme, sans égal en Europe, derrière Washington. La Pologne a été jusqu’à accueillir une conférence organisée par le Département états-unien de l’Energie (DoE) pour soutenir les énergies fossiles et le nucléaire en marge de la COP24 sur le climat de Katowice, début décembre 2018...
La Pologne envisage d’ailleurs de se doter de sa première centrale nucléaire. Elle n’est pas la seule en Europe de l’est. L’Ukraine, malgré Tchernobyl (1986), a mis à l’étude la construction de deux nouveaux réacteurs, à Khmelnytskyi, dans l’ouest de l’Ukraine. Fin septembre 2020, le président Zelensky a signé un décret donnant instruction au gouvernement de proposer au Parlement un corpus de lois sur l’industrie nucléaire ukrainienne. Pour les deux pays, une façon évidente de réduire leur dépendance au charbon et au gaz.
La Roumanie va aussi s’équiper de deux nouveaux réacteurs nucléaires sur le site de Cernavoda après l’accord conclu à Washington le 9 octobre 2020 entre les ministres de l’énergie des deux pays. C’est l’EximBank états-unienne qui financera ce projet de 8 G$. En juin 2020, Bucarest et sa compagnie Nuclearelectrica avaient rompu l’accord conclu en mai 2019 avec le groupe China General Nuclear Power Corporation (CGN). Précision, en août 2019, les Etats-Unis avait placé CGN sur la liste noire des de sociétés interdites d’exportation de matériels pour centrale nucléaire, après l’avoir accusée de chercher à voler des technologies nucléaires états-uniennes à des fins militaires. Les perspectives pourraient donc s’annoncer également très prometteuses pour la filière nucléaire états-unienne en Europe, au moins à l’est.
La Pologne doit bien sûr réduire sa dépendance au charbon qui occupe une place fondamentale dans le mix énergétique polonais. En 2018 et selon l’AIE, il assurait encore 77,8% de la production d’énergie primaire, 47,1% de la consommation intérieure totale d’énergie primaire et 78,3% de la production d’électricité, avec pour conséquence des niveaux records d’émissions de CO2.
Tout en mettant un terme à ses importations de gaz russe, l’ambition de la Pologne est aussi de devenir un nouveau hub gazier au nord de l’Europe, à destination des pays d’Europe de l’est. Cette volonté entre très concrètement en opposition avec les intérêts allemands. Varsovie va aussi renforcer ses connections électriques avec les réseaux des trois pays baltes dans le cadre du projet Baltic synchronisation process. Lors du sommet des chefs d’état et de gouvernement de l’UE début octobre 2020 à Bruxelles, et sur proposition de la Commission, les 27 ont convenu de subventionner pour 1 G€ ce programme lancé en 2018 et déjà doté par l’UE d’une subvention de 323 M€.
La dépendance polonaise au gaz russe n’est pas très importante en volume avec environ 10 bcmy, ce qui représente néanmoins en pourcentage la moitié de sa consommation annuelle. Le contrat d’approvisionnement liant la compagnie nationale polonaise Polskie Gornictwo Naftowe i Gazowe (PGNiG) à Gazprom arrive à son terme en 2022 et la Pologne a déjà indiqué à la Russie qu’elle ne souhaitait pas le prolonger, tant est grande la volonté polonaise de s’émanciper de la Russie. Pour remplacer cette source d’approvisionnement, la Pologne mise sur une hausse de ses importations de GNL des Etats-Unis, avec deux contrats déjà signés, et du Qatar. La Pologne va augmenter les capacités de regazéification de son terminal de Świnoujście à cette fin. Peut-être pour amadouer Berlin et à titre de « compensation », les travaux sur ce terminal ont été notamment confié à plusieurs entreprises allemandes. De plus, un nouveau gazoduc sous-marin, le Baltic Pipe, d’une capacité de transport de 10 bcmy, est en cours de construction depuis l’été 2020, pour un coût estimé entre 1,7 et 2,1 G€. Il acheminera du gaz norvégien, via le Danemark, vers la Pologne, qui en a déjà réservé 8 bcmy pour son propre usage. On notera que ce projet de gazoduc « géopolitiquement correct » ne fait l’objet d’aucun obstacle, d’aucune sorte de la part de Copenhague ou de qui ce soit dans et hors de l’UE. Il doit même être achevé en un temps record en 2022, date de la fin du contrat liant Varsovie à Gazprom. Un moyen pour la Pologne d’être en position de force en cas d’éventuelles négociations avec Gazprom, si d’aventure des besoins résiduels en importations de gaz russe apparaissaient d’ici là. Il s’agira au mieux de contrats de court terme, le contrat de long terme entre Gazprom et PGNiG étant déjà arrivé à échéance en mai 2020.
Cependant, les capacités norvégiennes de production/exportation gazières, sont plutôt en baisse depuis 2018. Ces nouvelles livraisons de la Norvège vers la Pologne pourraient donc se faire au détriment de l’un ou de plusieurs des pays d’Europe de l’ouest déjà approvisionnés directement par gazoducs de Norvège, à savoir le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique et la France. Autre évidence, le GNL ou le gaz sous-marin norvégien devraient être plus chers que le gaz russe, ce qui aura un impact sur les prix futurs des éventuelles réexportations polonaises vers le marché de l’UE. Quant à l’Ukraine, elle pourra être approvisionnée via la Pologne, par le renforcement des capacités du gazoduc entre les deux pays qui vont passer de 1,5 bcmy à 5 bcmy.
La Pologne retire déjà un bénéfice substantiel du nouveau système entré en vigueur avec la directive gaz de 2019. Les droits de transit sur le gazoduc Yamal sont en forte hausse au profit de Varsovie. Aux termes de l’accord passé en mai 2020, suite à l’expiration du contrat long terme sur le transit du gaz entre Gazprom et la Pologne, un nouveau contrat de court terme a été négocié entre les Polonais de Gaz System et Gazprom. Cette dernière paiera 7$/1.000 m3 pour la part de ses exportations gazières vers l’UE en transit sur la partie polonaise du gazoduc Yamal, gazoduc dont la construction, y compris sur le territoire polonais, a été financée par la Russie (cf infra). Sur la base des volumes et tarifs négociés pour le 3ème trimestre 2020, et d’après les estimations faites côté polonais, Gazprom paiera au titre du seul 3ème trimestre 2020 un montant total de 40 millions d’euros (M€) en vertu de la clause « ship or pay », qui oblige le contractant, ici Gazprom, à payer les droits de transit sur la base du volume négocié, qu’il utilise ou non les capacités qu’il a réservées sur le gazoduc. Jusqu’à présent et pour une année entière, Gazprom n’avait payé au mieux que 4,7 M€ à la Pologne, d’après Varsovie.
La Pologne est donc la grande gagnante de ce nouveau système élaboré à Bruxelles et l’on comprend mieux son opposition à NS2. Varsovie dispose en outre d’un droit de regard via les enchères sur les volumes de gaz russe arrivant dans l’UE via le gazoduc Yamal. En revanche, peu ou pas de gagnants au sein de l’UE, dans cette stratégie polonaise de diversification de ses sources d’approvisionnement qui concerne aussi l’Ukraine. Cette dernière pourrait ainsi récupérer au final, une partie des volumes de gaz russe dont Varsovie ne voudra plus à échéance de son contrat avec Moscou en 2022. Mais un risque potentiel existe, celui d’un surcoût pour le gaz russe à destination des autres pays importateurs de l’UE. Les enchères de l’opérateur du gaz polonais, Gaz System, pour le 3ème trimestre 2020, ont pour l’instant permis à Gazprom d’obtenir des coûts de transit plutôt corrects, ces enchères étant supervisées par le mécanisme d’allocation de capacités de l’UE (CAM). Mais rien ne dit que cette modération des ambitions polonaises sera éternelle. La relation gazière russo-polonaise est complétée ci-dessous, dans le cadre de l’alliance entre Varsovie et Kiev, au chapitre consacré à la Russie.
Il est assez curieux de constater qu’avec le nouveau système mis en place par la directive gaz de 2019, la Pologne sert désormais d’intermédiaire actif dans les approvisionnements en gaz russe de l’Allemagne, alors même que Varsovie ne veut plus dépendre des importations de gaz russe. Mais le plus étonnant, c’est peut-être l’incidence de la directive gaz sur des gazoducs existants comme le gazoduc allemand OPAL. En septembre 2019, la Cour de justice européenne, suite à une procédure engagée par la compagnie polonaise PGNiG, a décidé que le gazoduc OPAL ne pourrait plus utiliser que 50% de ses capacités pour acheminer le gaz russe de Nordstream(1). Alors qu’il fonctionnait depuis 2016 en acheminant beaucoup plus de gaz russe, suite à une dérogation accordée à l’époque par la Commission de l’UE, il ne tourne plus désormais qu’à 50% de ses capacités. Cette procédure avait clairement pour but de nuire à la Russie, mais aussi à l’Allemagne, bien que Varsovie s’en défende s’agissant de l’Allemagne. Varsovie a engagé son action en justice contre la décision de 2016 de Bruxelles, en affirmant que Gazprom pourrait utiliser OPAL pour contourner l’Ukraine et la Pologne et mettre ainsi en danger sa sécurité énergétique. Pour justifier sa décision d’annuler la dérogation de la Commission, le Tribunal de l’UE de Luxembourg, qui dépend de la Cour européenne de justice, a considéré qu’elle avait été rendue « en méconnaissance du principe de solidarité énergétique de l’UE ». Cette réduction des capacités du gazoduc OPAL oblige Gazprom à maintenir voire augmenter ses acheminements de gaz par le gazoduc Brotherhood, via l’Ukraine, pour pouvoir respecter ses engagements d’exportation vers l’Ouest de l’Europe. Encore une belle illustration de la relation étroite entre Varsovie et Kiev, plus solide à l’évidence qu’entre Varsovie et Berlin. En quoi cette « victoire » de la Pologne, célébrée comme telle, qui favorise l’Ukraine au détriment de l’Allemagne, est-elle le symbole du principe de solidarité énergétique au sein de l’UE ? Une belle illustration en tout cas de l’impact de la directive gaz en termes de complications réglementaires et juridiques, y compris sur ces gazoducs existants.
Pour le moment, toutes les procédures et recours juridiques contre la directive gaz lancés par le consortium NS2 ont été infructueux, soit parce que le préjudice invoqué n’était pas suffisamment démontré, soit parce que la Cour s’était déclarée incompétente. Même en Allemagne, certaines décisions ne lui ont pas été favorables, cette fois en matière de dérogation à la directive gaz, alors que sur le papier, en février 2019, lors du Conseil européen qui a permis l’adoption de la directive gaz, ce filet de sécurité accordé au pays d’entrée de gazoduc tiers dans l’UE devait permettre à NS2 d’échapper à cette directive au moins pour permettre son achèvement. C’était en théorie et surtout bien commode pour permettre l’adoption de la directive en février 2019 au niveau du Conseil européen.
Du fait du jeux des acteurs sur le théâtre européen, on en oublierait presque que les deux principaux pays concernés dès l’origine par le projet NS2 sont d’abord et avant tout la Russie et l’Ukraine, sur fond de relations historiquement complexes, dont les derniers développements avec l’annexion par la Russie de la Crimée en 2014 et la situation dans le Donbass ne vont pas dans le sens d’un apaisement dans l’immédiat.
La Russie
Pour la Russie, les exportations d’hydrocarbures sont un élément majeur et vital de son économie. Dans ce contexte, la question gazière se combine pour partie avec celle de l’élargissement de l’OTAN vers l’est. Le projet BABS en a déjà apporté la démonstration.
Les enjeux économiques et stratégiques pour Moscou autour de la question des hydrocarbures
En 2018, les importations d’énergie primaire russe par l’UE27 représentaient 40% de ses importations gazières, 30% de son pétrole et 42% du charbon importé. Ces recettes en devises, qui vont se réduire avec certitude pour le charbon, doivent rester stables sur le gaz, voire augmenter, a fortiori avec des recettes pétrolières en baisse du fait de la chute de la demande liée au Covid19 et des cours du brut maintenus à la baisse. Dans ce contexte, Moscou devrait rester très raisonnable sur les prix, tant les exportations de matières premières énergétiques vers l’UE sont essentielles pour son budget en temps normal et a fortiori avec les sanctions occidentales. Les exportations de gaz russe vers la Chine vont aussi monter en puissance via le gazoduc Power of Siberia en service depuis décembre 2019. Rappelons, que l’accord sino-russe, dont les termes commerciaux relatifs à ce gazoduc étaient en discussion depuis des années, est finalement intervenu en mai 2014, juste après l’annonce des sanctions des Etats-Unis et de l’UE envers Moscou, suite à l’annexion officielle de la Crimée par la Russie en mars 2014. Ce contrat, d’une valeur estimée à 400 G$ sur 30 ans, prévoit un début des livraisons à 5 bcmy, avant d’atteindre son rythme de croisière de 38 bcmy à partir de 2025.
Pour réduire elle aussi sa dépendance aux exportations par gazoducs et préserver son statut de premier exportateur mondial de gaz, la Russie devait aussi se positionner sur le marché mondial du GNL en forte expansion. La Russie via Gazprom et un partenariat avec Shell exporte déjà du GNL depuis 2009 à partir de l’île de Sakhaline, dans l’Extrême-Orient russe, avec le terminal de liquéfaction de Sakhaline II, dont les capacités ont été augmentées. Il peut exporter à présent 15 bcmy de gaz naturel (11 Mt/an). Sur Sakhaline I [26], Exxon et Rosneft envisagent aussi depuis 2013 de construire un terminal de liquéfaction. Mais les menaces de sanctions états-uniennes visant les investissements de compagnies états-uniennes dans de nouveaux projets pétro-gaziers russes, prises après la crise ukrainienne de 2014, ont contraint Exxon à reporter ce projet. Pour ne pas se laisser trop distancer par les grands acteurs mondiaux du GNL comme le Qatar et l’Australie et demain les Etats-Unis, Moscou a réagi. Deux projets de terminaux de liquéfaction très importants ont été réalisés à partir de la péninsule de Yamal, à l’embouchure de l’Ob : Yamal LNG, avec une capacité d’exportation de 24 bcmy de gaz naturel (17,5 Mt/an de GNL), mis en service en 2017 et pleinement opérationnel depuis 2019 ; Arctic LNG 2, en cours de construction, qui disposera d’une capacité d’exportation de 27 bcmy. Il devrait commencer à être opérationnel vers 2022-2023. Ces deux terminaux de liquéfaction disposent de méthaniers brise-glace afin de pouvoir exporter leur production vers l’Europe et l’Asie durant toute l’année. En outre, pour soulager les finances de Gazprom, ces deux terminaux ont été confiés à une compagnie privée russe, Novatek, majoritaire à 50,1% sur les deux projets, en partenariat avec Total, la compagnie chinoise CNPC et le Fonds chinois pour les routes de la soie sur Yamal LNG ; Total, CNPC plus la chinoise CNOOC et deux compagnies japonaises sur Arctic LNG 2. Dans les deux cas, l’ingénierie et la construction (EPC) ont été confiés à TechnipFMC. Pour favoriser le développement de son secteur GNL, Moscou a aussi accordé aux deux consortiums des avantages fiscaux appréciables, notamment comparés au gaz exporté par Gazprom par gazoducs.
Pour alimenter tous ces projets d’exportation gazière, la Russie va devoir augmenter sa production de gaz. D’après les prévisions de BP en 2019 [27], la production de gaz en Russie devrait atteindre 851 bcm en 2040, soit une progression de 27% sur la période. Mais cette hausse de production dépendra des capacités futures de financement de la Russie et d’éventuels partenaires étrangers, avec en arrière-plan la menace de possibles sanctions états-uniennes. Car la dépendance de la Russie aux revenus des exportations pétrolières et gazières est une vraie dépendance stratégique. Ces revenus sont la base même des capacités financières de l’Etat russe et de sa puissance. Ils représentent en général 40% à 50% du budget du gouvernement, 55% à 60% des recettes d’exportation et environ 30% du PIB. Le tableau ci-dessous [28] illustre l’importance de ces revenus et leur extrême sensibilité aux variations du prix de baril de Brent avec deux illustrations, en 2014 (prix moyen de 98,97 $/b) et 2018 (71,34 $/b) [29]. A titre de comparaison, ces deux dernières années, le cours moyen du Brent s’est établi à 64,34 $/b en 2019 et 41,19 $/b en moyenne pour les trois premiers trimestres de 2020. Le prix du Brent sert de référence pour environ les deux tiers du pétrole commercialisé dans le monde. Le prix du gaz russe exporté par gazoduc est largement corrélé au cours du Brent, avec un délai de six mois, ceci malgré une pondération partielle basée sur les prix spot du gaz. Ce cours du Brent est donc très important à la fois pour les exportations russes de pétrole mais aussi de gaz.
Compte tenu de la dépendance de l’économie russe à ses exportations d’hydrocarbures, avec la crise du Covid19 et ses conséquences en termes de baisse de la demande énergétique globale en 2020, c’est la double peine classique qui frappe tous les pays exportateurs. Suite à l’accord négocié au sein de l’OPEP+10 [30], en avril 2020, pour tenter de faire remonter les cours mondiaux du brut, les 23 pays concernés se sont engagés à réduire leur production d’environ 23%. Pour la Russie, cet engagement s’est traduit par une baisse de production de plus de 2 millions de barils par jour (Mbj). Cette double peine n’a pas arrangé les finances du pays, même si la Russie dispose d’un fonds souverain constitué à partir de 2004, lorsque les cours du brut ont entamé leur hausse quasi régulière [31], hors quelques périodes de crises économiques. Mais les capacités financières de ce « fonds de stabilisation » résultent directement des cours du brut et des performances de l’économie russe, d’où de très importantes fluctuations ces dernières années. Quelques chiffres l’attestent. Selon Reuters, le fonds disposait de 58 G$ début 2019 et 124 G$ le 1er novembre de cette même année. Fin mars 2020, après abondement du fonds avec un surplus budgétaire de 2019, il atteignait 157 G$ soit 11% du PIB d’après l’agence Tass. Cette même source officielle prévoyait à l’époque un fonds à 94 G$ pour fin 2020. Même si l’on peut questionner l’objectivité de cette source, on voit bien l’importance de ce fonds comme principal vecteur d’ajustement des recettes et des dépenses de l’état russe. Depuis 2014 et côté dépenses, les coûts de l’annexion de la Crimée, l’impact des sanctions économiques européennes, la présence militaire russe à l’étranger, et à présent ceux de la lutte contre le Covid19 expliquent aussi ces fluctuations qui s’ajoutent à la volatilité des cours du brut et aux variations de la production pétrolière russe côté recettes.
En chiffres, le total des hydrocarbures dans les exportations de biens de la Russie représentait, en 2014, 330 G$ soit 66% de ses exportations ; 261 G$ soit 58% de ses exportations en 2018. Sur ces deux années, la part du gaz s’établit autour de 50 G$/an et 12% du total des exportations de biens contre 45% à 55% pour le pétrole et les dérivés pétroliers.
Ces revenus des exportations d’hydrocarbures continuent de maintenir à flot l’économie russe malgré les sanctions des Etats-Unis et de l’UE. Ils sont à la base même du pouvoir de Moscou à l’international et bien sûr à ce titre au cœur de la stratégie de l’administration Trump visant à affaiblir la Russie. Quant à l’UE, qui importait 200 bcmy de gaz russe en 2018 et un tiers de sa consommation pétrolière (brut + produits pétroliers) de Russie, elle comptait pour plus de la moitié des recettes d’exportation d’hydrocarbures de la Russie. C’est un des grands griefs de Donald Trump envers les Européens. L’autre grand pays destinataire des hydrocarbures russes est la Chine. Pour Moscou, en 2018, ses hydrocarbures exportés vers la Chine représentaient 42 G$ et 75% du total de ses exportations vers ce pays. Ces flux d’hydrocarbures vers Pékin vont augmenter avec le Power of Siberia et là, les Etats-Unis sont impuissants.
En Europe et aux Etats-Unis, les critiques initiales à l’encontre de NS2 reposaient très largement au départ sur le contournement de l’Ukraine. La question des 55 bcmy qui seraient exportés par NS2 posait moins de problèmes s’ils continuaient de transiter par l’Ukraine. C’était du moins le principal argument avancé par l’UE et Washington, notamment sous l’administration Obama, dans les discours pour soutenir l’Ukraine et le maintien dans les caisses de Kiev, des 2 G$/an de droits de transit liés au gaz russe. Mais cet intérêt d’ordre économique, qui se concevait parfaitement pour Kiev, va rapidement devenir plus stratégique avec l’arrivée de l’administration Trump. Ce dossier se transforme alors en une opposition systémique visant à limiter les volumes de gaz exportés par Moscou vers l’UE et les revenus d’exportation afférents, tout en augmentant la part des exportations de GNL états-unien vers l’Europe. Ce dernier point était essentiel car il intervenait à un moment clé du développement des exportations de GNL aux Etats-Unis, elles-mêmes rendues indispensables pour soutenir l’industrie des pétrole et gaz dits de schiste alors en pleine expansion aux Etats-Unis.
La stratégie russe en Ukraine face à l’OTAN
On a coutume en Occident d’exagérer le poids réel de la menace militaire russe. La Russie dispose d’un budget militaire plus de dix fois inférieur à celui des Etats-Unis, sans même ajouter les forces militaires des alliés européens des Etats-Unis dans l’OTAN. En outre, peu d’analystes questionnent l’intérêt qu’aurait la Russie à agresser militairement un pays de l’UE. L’épée de Damoclès que fait peser la Russie sur l’UE est bien plus théorique qu’effective.
Fort logiquement, la menace militaire russe est exagérément amplifiée et instrumentalisée par Washington comme un épouvantail pour mieux défendre ses intérêts militaro-stratégiques en Europe. En Europe de l’est, plusieurs pays jouent de cette menace russe pour obtenir des mesures de protection militaire renforcées de la part des Etats-Unis dans une sorte de grand jeu stratégique. Certes l’armée russe est mieux équipée et sans doute plus professionnelle que par le passé. Mais la Russie avait déjà compris, avant même l’effondrement de l’URSS, qu’elle n’avait plus les moyens d’être en compétition avec les Etats-Unis en matière d’armement conventionnel, même hors période de sanctions. D’où la stratégie qualitative d’investissements ciblés de Moscou surtout dans des secteurs d’avenir comme les missiles hypersoniques (mach5) et bien sûr le cyberespace. Dans ce dernier cas, c’est tout l’éventail des pouvoirs de nuisance que ce secteur stratégique représente désormais en temps de paix et a fortiori en temps de guerre, qui motive ce choix de la Russie, un choix à la fois économique et stratégique.
L’annexion de la Crimée, à l’origine des sanctions prises contre la Russie par les Etats-Unis et l’UE, est certes contraire aux principes du droit international. Par ailleurs, historiquement, la Crimée n’a jamais été à proprement parler ukrainienne, des invasions au Moyen-âge jusqu’à l’époque où les nomades Tatars d’origine turco-mongole se sont sédentarisés sur cette presqu’île, suivie ensuite de la conquête ottomane. Vers la fin du XVIIème siècle, c’est Catherine II qui reprendra la Crimée aux Ottomans et l’annexera à l’empire russe. Ce n’est qu’en 1954, que Nikita Khrouchtchev, par un décret de 8 lignes, en fera don à l’Ukraine, au sein de l’URSS.
Avec la Crimée, c’est aussi, la base navale de Sébastopol, le port d’attache de la flotte russe de la mer Noire, qui constitue un enjeu important pour la Russie. Dans ce contexte, le Donbass devient un parechoc anti-adhésion à l’OTAN et aussi un levier de pouvoir et/ou une monnaie d’échange dans les inévitables négociations à venir entre Kiev et Moscou sur leurs futures relations mutuelles et pas seulement en termes de volumes de gaz en transit.
Les moyens d’action de la Russie en Ukraine sont nombreux et divers, des plus positifs aux plus négatifs. Malgré les mauvais souvenirs laissés notamment durant la période stalinienne par certaines décisions prises à Moscou concernant l’Ukraine, notamment la grande famine de 1932-1933 (Holodomor), l’histoire commune entre ces deux pays a tissé des liens qui seront plus difficiles à rompre que dans le cas des pays satellites du pacte de Varsovie. Les oligarques ukrainiens, aujourd’hui encore soutiens indispensables de toute forme de pouvoir à Kiev, ont souvent fait fortune en Russie et parfois inversement. Pour Moscou, la question gazière ukrainienne s’intègre dans un cadre élargi à la Pologne. C’est la raison pour laquelle, dans la stratégie nord-sud élaborée par Washington pour contrer les exportations russes majoritairement est-ouest, l’Ukraine peut compter sur un allié inconditionnel au sein de l’UE, la Pologne.
Sur cette question gazière et vu de Moscou, les cas de l’Ukraine et de la Pologne, constituent un même sous-ensemble, puisque ces deux pays sont des pays de transit pour le gaz russe vers l’ouest via deux systèmes distincts. Ce n’est donc pas un hasard si l’on assiste à une forme d’union sacrée entre Varsovie et Kiev face à Moscou. Il convient de noter que depuis quelques années déjà, à travers un gazoduc à flux inversé, la Pologne réexporte du gaz vers l’Ukraine. D’où l’intérêt de revenir sur cette relation gazière particulière entre Moscou et Varsovie, qui est sur le point de se terminer après plus de trente ans d’existence, avant d’examiner le cas de l’Ukraine.
Russie, Pologne et Ukraine : des relations gazières en complète mutation
La Pologne est un important pays de transit pour le gaz russe via la section du gazoduc Yamal qui passe par son territoire. Cette section, appelée EuRoPol pipeline [32], assure le transit de 33 bcmy, dont 10 bcmy à destination de la Pologne, le reste alimentant l’Allemagne et quelques pays d’Europe de l’ouest et d’Europe centrale. Le contrat d’approvisionnement long terme (LTC) liant la Pologne à la Russie expirera le 31 décembre 2022. La compagnie nationale polonaise PGNiG, le principal fournisseur de gaz du pays, a déjà officiellement informé Gazprom qu’il ne serait pas renouvelé. Dans le même temps, la consommation gazière de la Pologne augmente fortement et cette hausse devrait encore s’accentuer à mesure que Varsovie commencera à remplacer sa production d’électricité à partir du charbon (78% en 2018) par du gaz. La consommation de gaz en Pologne est déjà passée de 15,1 bcm en 2009 à 20,4 bcm en 2019 (+35%). Sur la même période, la production de gaz s’est contractée passant de 4,3 bcm en 2009 à 4 bcm en 2019. Elle ne représente donc plus qu’environ 20% de la demande polonaise. Pour pallier cette dépendance extérieure croissante au gaz russe, Varsovie a diversifié ses sources d’approvisionnement. Alors que Gazprom assurait 90% des importations gazières polonaises début 2010, la situation était assez différente en 2019. Sur les 15 bcmy importés par Varsovie, le gaz russe via le gazoduc Yamal, bien que restant la première source d’importation, n’en représentait plus qu’environ 9 bcm, soit 60% du total du gaz importé et environ 45% du gaz consommé, une partie de ce gaz importé étant notamment réexporté vers l’Ukraine. Cette baisse de la dépendance directe envers le gaz russe a été rendue possible par la hausse des importations par gazoducs venant d’Allemagne, de République tchèque et de Slovaquie, passées de moins de 1 bcm en 2010 à 2,5 bcm en 2019. Parallèlement, la Pologne recevait, en 2019, 3,4 bcm sous forme de GNL, via son terminal de regazéification de Świnoujście à la frontière germano-polonaise, dont 1,08 bcm des États-Unis. Ce terminal, d’une capacité annuelle de traitement de 5 bcm est opérationnel depuis 2016. En revanche et pour cause de Covid19, le projet d’extension de ses capacités de traitement à 7,5 bcmy, prévu pour s’achever fin 2021, a été reprogrammé pour 2022. Last but not least, le principal vecteur d’émancipation de la Pologne de Gazprom sera le Baltic pipeline, d’une capacité de 10 bcmy dont 8 bcm sont déjà réservés par Varsovie. Son achèvement est prévu pour 2022. Au terme de ce tour d’horizon des approvisionnements gaziers polonais actuels et futurs, on s’aperçoit que tout a été préparé pour permettre à Varsovie de pouvoir disposer des volumes de gaz nécessaires à ses besoins lors de l’expiration de son contrat d’approvisionnement à long terme avec Gazprom le 31 décembre 2022. S’agissant de Gazprom, que certains critiquent régulièrement au sein de l’UE, il convient néanmoins de souligner que durant presque trente ans, ses livraisons de gaz à destination de la Pologne et de l’UE via le gazoduc Yamal n’ont jamais été interrompues. Si certaines pratiques de Gazprom, notamment en termes de tarifs discriminatoires à l’encontre de plusieurs pays d’Europe de l’est, pratiques désormais révolues, étaient légitimement critiquables, la fiabilité de ses approvisionnements sur la durée devrait être également soulignée. Quant à l’historique des exportations gazières russes vers la Pologne, démarrée sur la base de petites quantités à la fin des années 1940, elles représentaient un volume total de 327 bcm à fin 2019 selon Gazprom. C’est à peine plus que la consommation gazière annuelle de la Chine en 2019. En attendant que les grandes manœuvres autour du gaz en Pologne soient achevées, la Pologne importait encore plus de 75% de son gaz de Russie en 2019 d’après Eurostat, en comptant le gaz russe réexporté d’autres pays de l’UE.
Cette dépendance gazière de Varsovie a souvent donné lieu à des négociations marathon avec Gazprom, notamment sur les droits de transit. En 2006, lorsque le débit du gazoduc Yamal a atteint sa capacité nominale de 33 bcmy, le tarif de transit pour l’EuRoPol était de 1,94 $/1.000m3/100 km, soit 13,7 $/1.000m3 pour la section allant de la frontière du Bélarus jusqu’à la frontière allemande. Mais comme Gazprom avait financé la construction de cette section polonaise du gazoduc Yamal - Europe, l’accord intergouvernemental initial de 2003, entre les trois pays, stipulait que le tarif de transit payé par EuRoPol Gaz devait être défini de manière à « couvrir les coûts opérationnels de fonctionnement du gazoduc plus un bénéfice très modéré ». Durant quatre ans, jusqu’en 2010, Russes et Polonais vont se disputer autour de cette notion de bénéfice très modéré… Au-delà de l’anecdote, cet exemple illustre la récurrence des litiges dès lors qu’il s’agit de droits de transit. Cet élément, que beaucoup ont perdu de vue, était l’un des arguments qui militaient dès 2013 en faveur de NS2 par rapport au transit via l’Ukraine. Outre l’économie réalisée sur ces coûts de transit, c’est aussi un obstacle politique potentiel qui disparait. Dans le nouveau système mis en place par l’UE en 2019, ces droits de transit sont intégrés dans le mécanisme d’allocation de capacités de l’UE (CAM). Mais qui au sein de la Commission va arbitrer et juger de la notion de droits de transit raisonnables, s’agissant de ceux réclamés par le pays d’entrée des gazoducs tiers dans l’UE ? Dans ce domaine et au gré des situations et circonstances, l’histoire nous rappelle que ces questions ne sont jamais simples à traiter, même si en théorie, le bon sens, une autre notion très relative, est toujours sensé l’emporter.
L’Ukraine
Pour rappel, la dernière crise ukrainienne a débuté le 21 novembre 2013, lorsque l’Ukraine du président pro-russe, Viktor Ianoukovitch, refuse de signer l’accord d’association avec l’UE. A Bruxelles, comme à Moscou, les enchères sur les contreparties financières en milliards d’euros offerts à Kiev, en cas de signature ou non de cet accord, étaient en cours depuis déjà plusieurs mois. Finalement, Viktor Ianoukovitch décide de ne pas signer l’accord d’association proposé par l’Union européenne, qui a notamment refusé de lui accorder un prêt de 20 G€. L’Ukraine est divisée entre ce projet d’intégration économique et la proposition russe d’union douanière. Issu du Parti des régions, fortement présent dans l’est russophile et russophone du pays, Ianoukovitch a essayé de jouer un projet contre l’autre pour tenter d’obtenir davantage de chacun. Après son refus, les manifestations de Maïdan vont suivre, un peu sur le modèle de la Révolution orange de 2004, avec une fois encore un soutien très clair des Occidentaux. Elles entraineront la chute du président pro-russe.
Il existait déjà en Ukraine, surtout depuis le début des années 2000, un courant antirusse, qui s’est développé avec l’arrivée aux affaires de Vladimir Poutine en Russie, ce dernier cherchant à reprendre en main cette relation très importante avec Kiev que les années Eltsine avaient laissé s’étioler, au profit d’une classe d’oligarques ukrainiens et russes, qui avaient pris, comme en Russie, le contrôle de l’Ukraine dans les années 1990. L’hostilité envers Moscou va culminer avec l’arrivée au pouvoir de Petro Poroshenko. Ce dernier, un homme d’affaires ayant fait fortune dans le chocolat, a été élu président de l’Ukraine en juin 2014, au lendemain de l’annexion de la Crimée par la Russie. Jusqu’en mai 2019, date de la fin de son mandat, et sur fond de conflit dans l’est de l’Ukraine, sa politique visera à se rapprocher au maximum de Washington. Son successeur, Volodymyr Zelensky, suivra aussi cette ligne mais de façon pour le moment nettement moins belliqueuse envers Moscou. L’administration Trump va elle poursuivre son soutien au nouveau président, jusqu’à ce qu’une bavure téléphonique attire l’attention sur cette relation particulière entre Donald Trump et l’Ukraine. Il s’agit de l’épisode du fameux « quiproquo » et des pressions exercées par Donald Trump sur le nouveau président lors d’un coup de téléphone entre les deux présidents, le 25 juillet 2019. Par ce coup de fil, Donald Trump aurait cherché à obtenir des investigations approfondies plus diligentes dans l’affaire « Burisma ». Burisma est une société gazière ukrainienne, dont Hunter Biden, fils du futur challenger de Donald Trump aux élections présidentielles de 2020, a été membre du conseil d’administration durant cinq ans. Donald Trump voulait savoir notamment si l’ancien vice-président Biden, lorsqu’il était aux affaires, avait cherché à mettre fin à une procédure d’enquête visant cette société en obtenant le renvoi du procureur général d’Ukraine supervisant à l’époque ce dossier. La volonté de compromettre politiquement son futur rival était évidente. En contrepartie de ce geste du président Zelensky, le feu vert à des livraisons d’armes par Washington à Kiev aurait pu être accéléré par le président Trump... Cette affaire donnera lieu à la procédure d’impeachment contre Donald Trump début 2020, bien que faute de majorité au Sénat, et quel que soit le bien-fondé de ces allégations, cette procédure lancée par les Démocrates était vouée à l’échec, les sénateurs Républicains faisant bloc autour du président lors du vote final en février 2020.
Ceci démontre que cette volonté politique d’émancipation « soft » de l’Ukraine envers Moscou, voulue par le nouveau président Zelensky, se double d’enjeux économiques importants, eux-mêmes associés à des intérêts politico-stratégiques qui lui sont extérieurs. La question du gaz n’est que l’un des aspects les plus visibles de ces enjeux. C’est aussi un moyen de pression supplémentaire pour Washington.
La question du gaz en Ukraine et l’accord russo-ukrainien du 30 décembre 2019
Si l’on doit résumer les faits, l’Ukraine a reçu au départ le soutien de la Commission de l’UE et des Etats-Unis pour que soient préservés ses droits de transit sur le gaz russe vers l’UE, environ 2 G$ par an. C’est ce qui a largement justifié l’opposition au projet NS2 qui visait à contourner l’Ukraine. En arrière-plan, la fin de l’accord russo-ukrainien sur le transit du gaz russe, qui arrivait à échéance le 31 décembre 2019, en constituait un élément central. L’arrivée au pouvoir d’un nouveau président, Volodymyr Zelensky, élu en 2018, bien qu’il soit parvenu à un accord avec Moscou sur le transit du gaz fin décembre 2019 n’a pas véritablement changé les données du problème sur NS2. En fait, les vraies raisons des pressions états-uniennes sur NS2 n’étaient pas en Ukraine.
En 2018, le gaz russe en transit via l’Ukraine représentait un volume de 86 bcm. L’Ukraine, en début de négociation réclamait le maintien d’une quantité de gaz en transit de 65 bcmy, au motif que c’était le volume minimum pour maintenir l’équilibre dans son réseau de gazoducs vers l’Europe. Au final, les deux pays, via leurs sociétés respectives Gazprom et Naftogaz Ukrainy sont tombés d’accord sur un volume de gaz en transit de 65 bcm en 2020, puis 40 bcmy de 2021 à 2025. L’accord porte donc a minima sur 225 bcm d’ici 2025, avec des clauses relatives à d’éventuelles volumes additionnels. Sur la base de cet accord, le président Zelensky et les dirigeants de Naftogaz ont déclaré que Naftogaz recevrait sur cinq ans un total de 7,2 G$ pour les services de transit fournis à Gazprom, soit un niveau estimé à environ 2% au-dessus du niveau du contrat de transit précédent (2009-2019), mais qui portait sur des volumes beaucoup plus importants. C’est donc une bonne opération côté ukrainien, mais moins bonne que pour la Pologne avec le Yamal. Le président Zelensky a d’ailleurs publié un message sur Facebook, le jour même de l’accord, proclamant que ce dernier apportait : « la sécurité énergétique et la prospérité pour les Ukrainiens ».
Pour 2020 et vu de Gazprom, le volume négocié devrait suffire si la demande de gaz russe de l’UE reste au niveau de 2019, malgré quelques inquiétudes sur le gazoduc allemand OPAL. Mais pour 2021, les 40 bcmy de volume négocié ne suffiront que si NS2 est en service et connecté aux gazoducs terrestres de l’UE le reliant au gazoduc Turkstream. Et là il y a vraiment des doutes. De plus, les droits de transit ayant été négociés sur une base fixe, si Gazprom n’utilise pas les capacités réservées, cela renchérira le coût unitaire de ses droits de transit. A l’inverse, si Gazprom doit négocier des capacités additionnelles, le tarif devrait être alors supérieur. Le détail des tarifs à payer sur des volumes additionnels n’a pas été rendu public. Mais si l’on considère la stratégie que suggérait plus haut Varsovie à Kiev, à savoir des tarifs alignés sur les contrats court-terme négociés en mai 2020 par PGNiG avec Gazprom, comme référence, cela pourrait être beaucoup plus cher. On note au passage que face à Moscou, et l’une après l’autre au gré des négociations avec Gazprom, l’Ukraine avec son accord de fin décembre 2019 donne d’abord une base de tarif de négociation attractive à la Pologne, qui à son tour après son accord de mai 2020, redonne une nouvelle base de négociation à la hausse à l’Ukraine pour un éventuel contrat de transit pour des volumes additionnels dès 2021…
La Russie et Gazprom ont pourtant fait d’autres concessions à l’occasion de cet accord. Gazprom a accepté de payer 2,9 G$, intérêts compris, pour honorer une décision du Tribunal de Stockholm suite à une plainte de Naftogaz relative à la crise du gaz de 2009. Les deux pays ont aussi accepté de mettre un terme à toutes les procédures administratives et judiciaires qui les opposaient.
Malgré cet accord, qui respectent bien sûr toutes les nouvelles règles imposées par l’UE, et du fait des incertitudes qui planent encore sur l’achèvement de NS2 pour 2021, avec les sanctions et blocages persistants de l’administration Trump, les deux pays pourraient devoir renégocier des termes additionnels à cet accord dès fin 2020 pour les droits en 2021.
Sur les autres questions en suspens entre Kiev et Moscou, notamment la situation dans le Donbass, l’administration Trump aurait tort de croire qu’elle peut jouer un rôle. Elle ne le croit sans doute pas elle-même. Elle cherche uniquement à défendre les intérêts des Etats-Unis, pays dans lequel, républicains comme démocrates considèrent tout simplement normal que l’UE achète du gaz d’Outre-Atlantique plutôt que du gaz russe, sans qu’il soit nécessaire d’en débattre. Les propositions de textes bipartisans portant ces sanctions illustrent clairement cette vision un peu surréaliste qui domine au Congrès, au moins si l’on considère le droit théorique des pays européens à décider de leur politique énergétique. Le maintien des menaces de sanctions contre NS2 démontre en attendant que l’administration Trump ne visaient pas seulement à préserver et soutenir les droits de l’Ukraine en matière de gaz face à la Russie (pour ceux qui l’auraient cru), mais bel et bien surtout à favoriser les intérêts gaziers des Etats-Unis en Europe face à la Russie. Quant au dossier du Donbass et dès lors que personne n’a vraiment envie de déclencher un conflit armé sur ce dossier, malgré les manœuvres militaires récurrentes de l’OTAN, notamment dans l’est de l’Europe, c’est clairement une affaire que seuls Ukrainiens et Russes sont en mesure de régler ensemble et personne à leur place. S’agissant de l’annexion de la Crimée, l’UE serait peut-être bien inspirée de reconsidérer sa position. Lorsque les Etats-Unis ont décidé de reconnaitre l’indépendance autoproclamée du Kosovo, sans aucun referendum, ils n’ont pas vraiment demandé l’avis des européens eux-mêmes divisés. Ce parallèle avec le Kosovo est régulièrement utilisé par la Russie, pour démontrer l’usage des doubles standards assumés par les pays occidentaux. L’UE n’avait pas non plus particulièrement brillé par sa rigueur juridique lors de l’indépendance du Kosovo en 2008. [33]
Plus que les Etats-Unis, l’UE a indirectement apporté son soutien à Kiev sur le terrain en multipliant les interconnections gazières en Europe. L’Ukraine, face à la Russie, peut compter sur des fournitures de gaz par le nord et l’ouest, via le réseau de l’UE, notamment à partir de gazoducs à flux inversés ou venant directement de plusieurs pays d’Europe centrale (Pologne, Allemagne, Slovaquie, Hongrie). Ce gaz pourra aussi arriver via le corridor gazier sud-ouest/nord planifié dans le cadre du projet BABS ou par le sud via le BalkanStream, lui aussi désormais en flux inversé et desservant l’Ukraine via la Bulgarie et la Roumanie. Bref, l’Ukraine, qui ne reçoit plus directement de gaz russe pour sa consommation domestique depuis 2015, ne manquera pas de gaz et Moscou ne pourra pas utiliser l’arme du gaz contre Kiev dans le conflit qui les oppose dans le Donbass. Le gaz russe à usage ukrainien, qui ne vient plus directement de Russie peut bien sûr revenir indirectement via les pays européens cités ci-dessus. Les molécules gazières se moquent des frontières dès lors que la dimension économique passe au second plan.
L’Ukraine, afin d’optimiser sa rente autour du gaz, se propose à présent de devenir un grand site de stockage de gaz à la disposition des compagnies gazières et opérateurs de gazoducs de l’UE. Le pays dispose effectivement d’énorme sites naturels de stockage liés à son histoire gazière. Seul inconvénient dans cette ambition, le déstockage de ce gaz, du fait de l’absence de gazoducs permettant simultanément des flux entrants et sortants du pays. L’arbitrage sera fait par l’ancien opérateur ukrainien de gazoducs, Ukrtransgaz, remplacé depuis le 1er janvier 2020 par GTSOU, suite à la cession conjointe du réseau de transmission de gaz par Ukrtransgaz JSC et Naftogaz Ukraine NJSC, pour satisfaire aux règles de l’UE en matière d’unbundling. Le nouvel opérateur, selon les activités de transit et la disponibilité de ses gazoducs agira prioritairement en fonctions des besoins ukrainiens, ce qui est logique, d’où certains questionnements pour les compagnies quant à l’opportunité de stocker du gaz en Ukraine, malgré des tarifs attractifs.
Bien que l’UE ait fourni une assistance et un cadre réglementaire aux futures importations de gaz russe via l’Ukraine, ce qui a d’une certaine façon favorisé cet accord, au final, Ukrainiens et Russes sont les seuls à véritablement détenir les clés de leurs futures relations mutuelles. Cet accord sur les volumes d’exportation de gaz russe via l’Ukraine démontre qu’ils sont parfaitement capables de s’entendre, dans l’intérêt bien compris des deux parties. Il serait dangereux et contreproductif, surtout pour l’Ukraine, que des pays tiers continuent d’ajouter de l’huile sur le feu, au nom de leurs seuls intérêts stratégiques.
La stratégie des Etats-Unis et de l’OTAN en Ukraine va bien au-delà de la question du gaz
Outre ces aspects énergétiques, le soutien de l’administration Trump à l’Ukraine a pris des formes plus traditionnelles, notamment au plan militaro-stratégique. Washington a vendu des armes permettant à Kiev de pouvoir résister aux séparatistes pro-russes du Donbass, eux-mêmes soutenus par Moscou.
Mais la relation OTAN/Ukraine est bien antérieure puisqu’elle remonte au début des années 1990. Elle constitue aujourd’hui « l’un des partenariats les plus approfondis de l’Alliance », de ses dires même. Les relations se sont ensuite renforcées en 1997 avec la signature de la Charte de partenariat spécifique, portant création de la Commission OTAN-Ukraine (COU), chargée d’approfondir cette coopération. Concernant sa future adhésion, l’Ukraine a bénéficié d’un nouveau format spécifique baptisé « dialogue intensifié » apparu au sommet OTAN de Vilnius en avril 2005. Deux pays vont pouvoir en bénéficier, l’Ukraine et la Géorgie. Pour l’Ukraine, ce plan d’action spécial sera signé en avril 2005, juste après la « Révolution orange » ; pour la Géorgie en 2006. On notera que l’adhésion à l’UE est majoritaire au sein de la population ukrainienne, ce qui n’est pas le cas de l’adhésion à l’OTAN qui continue de diviser. Grâce à ces statuts successifs à la carte, l’Ukraine peut contribuer activement aux opérations et missions dirigées par l’OTAN sans en être officiellement membre. A titre d’exemple, l’armée ukrainienne a participé à des manœuvres navales en mer Noire avec les Etats-Unis en juillet 2020. Ces exercices baptisés « Sea Breeze » ont rassemblé 26 navires, de huit pays, parmi lesquels la Géorgie et la Roumanie et bien sûr des navires de la VIème flotte états-unienne de Méditerranée basée à Naples. Par ailleurs, les Etats-Unis aménagent depuis deux ans les infrastructures de deux ports ukrainiens, dont celui d’Ochakiv, afin de leur permettre de pouvoir accueillir les gros bâtiments de surface de l’US Navy. Depuis plus deux ans, les navires de l’US Navy empruntent de plus en plus souvent les détroits turcs pour naviguer quelques temps en mer Noire. Depuis 2018, différentes unités des forces armées états-uniennes stationnent régulièrement dans différentes bases en Ukraine. Ces éléments concrets supplémentaires confirment la vision stratégique de Washington déjà évoquée plus haut à travers le projet BABS.
On comprend bien que les perspectives d’intégration de l’Ukraine au dispositif OTAN ont pu inquiéter Moscou, ce qui n’est pas étranger à l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. En soutenant les séparatistes du Donbass dans l’est de l’Ukraine, Moscou bloquait de l’intérieur le processus d’adhésion formelle de l’Ukraine à l’OTAN, puisque cette adhésion implique de facto que le pays candidat est bien sûr souverain sur l’ensemble de son territoire. Autre élément d’importance stratégique, la base navale russe de Sébastopol en Crimée, où stationne la flotte russe de Méditerranée. Si l’on ajoute, l’arrivée à échéance, fin 2019, de l’accord de transit sur le gaz russe vers l’UE via l’Ukraine, qui menaçait directement les intérêts économiques de Moscou, on comprend mieux la stratégie d’action de la Russie en Ukraine.
Du côté des Etats-Unis, tout est bon pour affaiblir le lien entre Moscou et Kiev. Même la religion a fini par être instrumentalisée politiquement par Washington en Ukraine. Pour l’administration Trump, les questions religieuses peuvent servir ses intérêts politiques aux États-Unis (cf infra) et stratégiques à l’international.
L’Église orthodoxe, avec environ 260 millions de baptisés dans le monde, est la troisième plus grande confession du christianisme, après l’Église catholique et l’ensemble des confessions protestantes. Le « schisme » intervenu en 2018 entre les Églises orthodoxes ukrainiennes et le patriarcat de Moscou est emblématique à cet égard. Bien qu’il concerne des Églises, ce différend est à la fois religieux et territorial. Il était d’ailleurs considéré par les deux rivaux comme partie intégrante de la crise ukrainienne. Le choix de deux évêques orthodoxes états-uniens, comme médiateurs agréés par le patriarcat de Constantinople, juge arbitre en la matière, est en soi révélateur. Sans surprise, cette médiation a consacré le schisme précité, avec la bénédiction du patriarcat de Constantinople...
Pour les pays de l’UE, il conviendrait sans doute de s’interroger évidemment sur le bien-fondé et l’intérêt stratégique de l’extension de l’OTAN vers l’est. Pour Washington et face à Moscou, l’intérêt stratégique est très clair. Mais plusieurs questions se posent pour l’UE : cette volonté d’extension de l’OTAN est-elle source de stabilité ou de déstabilisation en Europe, a fortiori lorsque la politique de l’organisation, traditionnellement fixée et conduite par les Etats-Unis, est assumée par Donald Trump ? Son obsession du 2% de dépenses militaires pour chaque pays membre de l’OTAN, n’est même pas rationnelle dès lors qu’il ne distingue pas entre les dépenses de fonctionnement, largement obérées par les salaires et pensions et les investissements en matériel. Si l’on ajoute que la stratégie préventive de Moscou contraint l’UE à suivre Washington en matière de sanctions économiques, c’est surtout l’UE qui se pénalise elle-même en sanctionnant ses propres relations commerciales avec la Russie. Alors que les États-Unis, eux, n’y perdent pratiquement rien, faute d’avoir des échanges commerciaux développés avec ce pays. C’est un mécanisme pervers consubstantiel au suivisme assez régulier de l’UE derrière Washington en politique étrangère, la vision politique de l’OTAN et les pressions de Washington, tenant lieu, concrètement, de substitut à la politique étrangère introuvable de l’UE. Même sur l’Iran, où les pays européens critiquent l’administration Trump pour sa sortie du traité sur le nucléaire iranien (JCPoA), suivie de sanctions unilatérales sans précédent de Washington contre Téhéran, ce sont surtout les pays d’Europe qui se privent d’importants contrats avec Téhéran, y compris dans des domaines non stratégiques et donc potentiellement inoffensifs en termes de sécurité régionale. Lorsque l’exécutif à Washington jugera que le régime iranien, celui-ci ou un autre, sera suffisamment affaibli ou présentable pour négocier, les sanctions seront assouplies dans l’intérêt bien compris des entreprises états-uniennes qui pourront alors se ruer vers ce nouvel eldorado du Moyen-Orient.
Les développements qui précèdent démontrent au moins deux choses concernant l’Ukraine. D’une certaine façon et sans que les 42 millions d’Ukrainiens aient été consultés, l’Ukraine, à bien des égards, est "déjà" dans l’OTAN, sans avoir vraiment besoin d’y être formellement pour le moment. Si l’on considère la question gazière, on s’aperçoit que l’Ukraine, là encore d’une certaine façon, est déjà dans l’UE ou en tout cas remplit déjà la plupart des conditions réglementaires de l’UE, au moins sur ce point. Lentement mais surement, l’intégration de l’Ukraine à l’ouest se met en place. Certains flux de populations suivent déjà ce mouvement. Depuis l’intégration de la Pologne dans l’UE en 2004, ce sont environ trois millions de Polonais qui sont partis s’établir en Europe de l’ouest. Depuis la crise de 2014 en Ukraine, ce sont plus de deux millions d’Ukrainiens qui sont partis s’installer en Pologne. Le basculement géopolitique et démographique de l’UE vers l’est, accéléré par le retrait Britannique, se poursuit inexorablement, à l’insu des Européens de l’ouest. On comprend dès lors que la question du Donbass ne sera pas réglée demain car c’est l’un des meilleurs atouts de Moscou en Ukraine.
Que pensent les écologistes européens du gaz naturel en général et du GNL made in USA en particulier ?
Comme on l’a vu, la Pologne, les pays baltes et d’autres pays d’Europe centrale veulent réduire leur dépendance au gaz russe alors même qu’ils ont besoin de davantage de gaz pour réduire leur dépendance au charbon. Il n’est donc pas question pour eux d’abandonner le gaz naturel, bien au contraire. En mai 2020, huit pays d’Europe centrale dont sept pays partenaires au sein du projet BABS (Bulgarie, République tchèque, Grèce, Hongrie, Lituanie, Pologne, Roumanie et Slovaquie) ont ainsi cosigné un texte de deux pages, transmis à la Commission européenne et au Conseil, plaidant pour l’intégration du gaz naturel dans la stratégie vers une Europe neutre en carbone d’ici 2050. [34] Alarmés par la décision de la Banque européenne d’investissement d’arrêter de financer tout nouveau projet lié aux énergies fossiles, y compris pour le gaz, à partir de 2022, ces pays souhaitent continuer de recevoir toutes les aides financières possibles de l’UE. Au-delà des projets labelisés PCI [35], certains de ces pays préparent leurs infrastructures à recevoir du gaz non-russe, à savoir du GNL états-unien ou d’ailleurs.
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’importance de la lutte contre le changement climatique ou la défense de la biodiversité. Il est évident que nous devons collectivement nous préoccuper davantage de notre environnement, sous peine de le rendre de plus en plus invivable. Le problème n’est donc pas l’écologie en soi, bien au contraire, mais l’attitude souvent cacophonique, incohérente et dogmatique de nombreux écologistes à travers les multiples courants et idées qui se réclament de ce mouvement, le plus souvent sur un mode très militant. Ce militantisme, qui peut se comprendre, ne garantit cependant en rien le bien-fondé de toutes les idées et programmes défendus au nom de l’écologie. Il se double trop souvent d’un manque de rigueur dans l’analyse lorsqu’il s’agit d’aborder tous les aspects induits par les multiples formes de mesures labelisées « écologiques ». La transition énergétique telle qu’elle est défendue aujourd’hui par certains discours présentés comme écologiques, met bien sûr en avant les arguments au service de leurs objectifs, mais elle minore ou ignore, volontairement ou pas, ceux qui peuvent les desservir.
Exemple de cette myopie incohérente, la pétition signée par 56 eurodéputés de différents groupes parlementaires, dont un très grand nombre de membres des Verts/ALE, demandant l’arrêt du projet NS2, dans une tribune publiée le 4 septembre 2020 et envoyée au gouvernement allemand ainsi qu’au Haut représentant Josep Borrell. [36] Lorsque l’on fait le décompte dans le détail, 35 des 56 députés signataires de la pétition sont des députés du groupe des Verts, auxquels se sont ajoutés plusieurs députés polonais, baltes et d’Europe centrale, et quelques élus des droites nationalistes (ECR) et du PPE. Si pour les élus des pays de l’est, notamment polonais, ce vote peut s’expliquer par des considérations nationales d’ordre politique, une question devrait être posée au député écologiste signataire, Yannick Jadot, ou à Raphaël Glucksmann (S&D). Ces derniers, prompts à s’attaquer à NS2, ont-ils jugé utile de s’insurger contre la forte hausse des importations de GNL états-unien dans l’UE à partir de 2018 ? Pas à ma connaissance. Pourtant, ce sont désormais 60% de la production gazière aux Etats-Unis qui proviennent des gaz dits de schiste. Ces derniers sont extraits à partir de la fracturation hydraulique (fracking) que ces mêmes écologistes refusent en Europe et condamnent en théorie partout où elle se pratique. Pour ces eurodéputés verts, est-ce le gaz russe qu’il s’agit de condamner, ou bien le gaz naturel en général en tant qu’énergie fossile ? Dès lors, pourquoi ne pas faire une pétition contre le GNL états-unien majoritairement composé de gaz de schiste, ce qui le rend en l’espèce encore plus préjudiciable à l’environnement que le gaz russe conventionnel ? Ignorance, myopie ou intérêts politiques, la posture des Verts sur de nombreuses questions, et notamment sur l’énergie, n’est pas toujours cohérente, et c’est un euphémisme. Avec ou sans arrière-pensées politiques, die Grünen, en Allemagne, par leur radicalité, font au moins preuve d’une plus grande cohérence, notamment sur le gaz de schiste. Cette radicalité des « verts » allemands n’en complique pas moins sérieusement la transition énergétique défendue par la Chancelière Merkel, pour le gaz comme pour l’électricité, du fait de la sortie quasi simultanée du charbon et du nucléaire.
Ce boulevard ouvert au GNL par l’UE, pour des raisons politiques, voire de sécurité, contraint aussi l’Union à adapter son discours environnemental. Mi-2020, une certaine inflexion semblait apparaître à Bruxelles sur le gaz naturel, notamment dans le projet de taxe carbone aux frontières de l’UE inclus dans le nouveau Green Deal de la Commission Ursula von der Leyen. Le secteur gazier, dont les producteurs sont majoritairement hors UE (Russie, Norvège, Algérie pour les gazoducs et Qatar, Nigeria, USA pour le GNL), serait épargné par ce plan de l’UE et le gaz naturel vendu à l’intérieur de l’UE échapperait ainsi à cette taxe. C’est un signal qui doit encore être confirmé. En attendant, il ne manquera pas de mécontenter les écologistes européens les plus radicaux.
(...)
Copyright octobre 2020, Géopolia-Philippe Sébille-Lopez/Diploweb.com
Le monde change, tous les jours, peut-être plus vite que jamais, mais la puissance reste. La puissance reste, mais elle change elle aussi, tous les jours, dans ses modalités. Pourtant, il y a des fondamentaux. Lesquels ? C’est ce que vous allez découvrir et comprendre. Ainsi, vous marquerez des points. Des points décisifs à un moment clé.
Bonus
. Jean-François Drevet, Géopolitique de Chypre. Pourquoi la guerre du gaz ?
Chypre est un Etat membre de l’UE, le seul à subir une occupation étrangère. En effet, la Turquie en occupe la partie nord, tout en étant officiellement candidate à l’UE... Une situation qui en dit beaucoup sur les insuffisances de l’UE quant à la puissance. Est-il possible d’ouvrir les yeux ? Pour cela il faut savoir et comprendre, puis agir.
A cette fin, voici un document de référence à connaître et faire connaître, une remarquable leçon de géopolitique, aussi bien pour les étudiants ou enseignants… que pour les décideurs. La masse d’informations maîtrisées, la connaissance du terrain et du jeu des acteurs, la clarté du propos forcent la considération.
Voici un éclairage qui s’inscrit dans la géopolitique de l’énergie : Pourquoi la guerre du gaz ?
[1] NDLR Sans parler de la questions des déchets nucléaires.
[2] Dans cet article et par souci de concision, les unités de mesure seront souvent exprimées dans leur forme usuelle abrégée en anglais. Ainsi, bcmy = Billion cubic meter/year pour milliards de mètres cubes par an.
[3] La plupart des données chiffrées sont issues de la BP Statistical Review of Word Energy 2020, parue en juin 2020.
[5] Rien de surprenant puisque l’AIE est une émanation de l’OCDE. Elle a été créée par les pays occidentaux et quelques pays d’Asie comme le Japon en 1974, en réponse au premier choc pétrolier intervenu en 1973 suite à la guerre du Kippour et à l’embargo décrété par les pays arabes de l’OPEP contre plusieurs pays ayant soutenu Israël.
[6] Le SF6, ou hexafluorure de soufre, est principalement utilisé dans les systèmes de transport et de distribution d’électricité. Il est 23.000 fois plus puissant que le CO2 en termes d’effet de serre et sa durée de vie dans l’atmosphère est de 3.200 ans. Sa présence dans notre environnement devrait s’intensifier avec l’extension du réseau électrique et l’intégration croissante des énergies renouvelables intermittentes.
[7] Les milliards en devises, euros ou dollars US, seront exprimés en giga (G€ ou G$)
[8] NDLR : Croatie et Slovénie sont issues de la Yougoslavie qui se voulait communiste mais indépendante de l’URSS.
[9] Depuis 2012, le partenariat « 16 + 1 » réunit la Chine et les 16 pays d’Europe centrale et orientale suivants : Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Croatie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Albanie et Macédoine.
[12] US EIA : Energy Information Administration (EIA). Ce service relève du Département de l’Energie des Etats-Unis (DoE). C’est la principale source de statistiques gouvernementales sur l’énergie aux Etats-Unis. Elles concernent aussi bien les données relatives à l’énergie aux Etats-Unis que dans le monde, notamment pour de nombreux pays. C’est l’une des sources statistiques sérieuses dans ce domaine.
[14] NDLR : La direction de la rédaction du Diploweb.com n’est pas convaincue par l’argumentaire de ce paragraphe.
[16] EUGAL : Europäische Gas-Anbindungsleitung
[17] Le terme utilities est un terme anglais qui désigne les entreprises de services aux collectivités comme la production et la distribution de l’eau, du gaz et de l’électricité. Il est utilisé dans le vocabulaire économique courant en français.
[18] BundesNachrichtenDienst, pour Service fédéral de renseignement
[19] Le déficit commercial (biens et services) des Etats-Unis envers l’Allemagne était de 79 G$ (record absolu) en 2014. Il est en baisse constante depuis, avec 67 G$ et 66 G$ respectivement en 2016 et 2017 ; 48,5 G$ et 47 G$ en 2018 et 2019. Mais c’est surtout dans le secteur des services que le déficit s’est réduit. Les exportations allemandes de biens ont encore progressé en 2019 de 4,5% pour atteindre le chiffre record de 130 G$ (118 G€).
[20] Le cas de la Corée du nord et le double discours par rapport à l’Iran est aussi intéressant sur ce point.
[21] Basé à Mons en Belgique depuis 1967, le Supreme Headquarters Allied Powers Europe (SHAPE) était auparavant basé de 1956 à 1966 à proximité de Saint Germain-en-Laye, dans l’ouest de Paris, jusqu’à la décision du Général de Gaulle de quitter le commandement intégré de l’OTAN en 1966.
[22] Début 2018, un collectif d’ONG spécialisées dans la lutte anti-corruption, Alter-EU, a accusé José Manuel Barroso, d’avoir rompu sa promesse de ne pas faire de lobbying pour son employeur Goldman Sachs en rencontrant à Bruxelles un vice-président de l’exécutif européen, en l’espèce le Finlandais Jyrki Katainen, qui faisait partie de la frange la plus libérale de la Commission Juncker.
[23] Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA)
[25] Le Parti Droit et Justice (PiS), est un parti politique conservateur très à droite et eurosceptique, fondé en juin 2001 par les frères Jarosław et Lech Kaczyński. Il détient la majorité à la Diète polonaise depuis 2015. L’actuel président polonais, Andrzej Duda, largement élu en 2015 et réélu de justesse en 2020 est aussi issu de ce parti.
[26] Depuis sa mise en service Sakhaline I produit du pétrole et des condensats, le gaz associé très abondant, étant pour le moment réinjecté, faute de pouvoir lancer le projet de terminal de liquéfaction.
[27] Source : BP Energy Outlook, 2019
[28] Source : S&P Global https://www.spglobal.com/ratings/en/research/articles/190314-hooked-on-oil-is-russia-breaking-free-10898201
[29] Source : EIA, Département de l’énergie des Etats-Unis, pour le cours moyen du Brent
[30] Face à la forte hausse de production des pétroles dits de schiste aux Etats-Unis, et afin d’enrayer la chute des cours du brut, l’OPEP a été contrainte de s’associer à dix autres pays, dont la Russie, lors d’un accord conclu à Vienne les 30 novembre et 10 décembre 2016. Plusieurs accords sur des quotas de production ont été signés depuis par l’OPEP+10, chaque fois que les cours du brut décrochent.
[31] Le record absolu en dollar courant a été atteint en juillet 2008, à 147 $/b, juste avant la crise financière.
[32] EuRoPol Gaz est la coentreprise (JV) russo-polonaise, créée en 1993 pour concevoir, financer et construire le réseau de gazoducs de transit sur le territoire polonais. L’entreprise est propriétaire du tronçon de 684 km du gazoduc Yamal – Europe qui traverse la Pologne.
[33] La déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo violait les principes de la Commission européenne d’arbitrage présidée par Robert Badinter. Celle-ci avait reconnu le droit à la sécession des anciennes républiques fédérées d’URSS et de Yougoslavie, mais pas des entités de statut inférieur, comme le Kosovo qui n’était qu’une province autonome. Cette déclaration d’indépendance n’avait pas non plus été précédée par la tenue d’un référendum, cette option étant d’office écartée. Officiellement, la volonté d’indépendance des Kosovars était évidente vu l’écrasante majorité de la population albanaise par rapport aux Serbes. Mais en fait, les Occidentaux voulaient surtout éviter que soit posée la question d’une éventuelle unification du Kosovo à l’Albanie. Résultat, les Albanais sont à cheval sur trois Etats, Albanie, Kosovo et Macédoine du nord.
[34] https://www.euractiv.com/wp-content/uploads/sites/2/2020/05/Non-paper-Role-of-gas-in-climate-neutral-Europe-Final.pdf
[35] Dans le cadre de la création de l’Europe de l’énergie, la Commission européenne publie régulièrement la liste de ces projets disposant du label PCI. Les PCI (Project of Common Interest) sont des projets transfrontaliers d’infrastructures qui relient les systèmes énergétiques des États-membres de l’UE. Ils ont pour but de contribuer à atteindre les objectifs énergétiques et climatiques de l’UE, à savoir une énergie abordable, sûre et durable pour tous les citoyens.
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