Géopolitique de l’énergie nucléaire et du risque terroriste

Par Manon LOUVET, Marie MOGNARD, le 8 février 2018  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Manon Louvet, étudiante au Magistère de Relations Internationales et Action à l’Etranger à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où elle suit une formation pluridisciplinaire. Marie Mognard étudiante en Master Relations Internationales et Action à l’Etranger à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Le nucléaire, en tant qu’énergie alternative aux énergies fossiles, est un instrument de puissance puisqu’il permet une indépendance énergétique relative aux Etats qui font le choix d’investir dedans. Cet instrument de puissance représente pourtant un danger car il est susceptible d’être une cible de terrorisme. Comment la France et les pays européens font-ils face au risque de terrorisme nucléaire ? Ce texte est né d’un exposé réalisé dans le cours de Géographie politique de Pierre Verluise dans le cadre du MRIAE de l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1).

« FAUT-il attendre qu’un acte de malveillance subvienne sur une centrale pour qu’EDF sorte enfin du déni dans lequel elle est engluée ? ». Suite à l’action de Greenpeace en octobre 2017, dont des membres ont pénétré dans l’enceinte de la centrale de Cattenom en Moselle et y ont fait éclater des feux d’artifice, Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire auprès de Greenpeace France, dénonce la protection insuffisante des centrales en France contre des actes de malveillance terroriste. La France est le deuxième Etat le plus nucléarisé au monde, possédant sur son territoire plus de la moitié des réacteurs en Europe, elle est donc concernée en premier lieu par la sécurité nucléaire.

La notion de sécurité nucléaire renvoie à la mise en place des dispositifs vis-à-vis de la malveillance, c’est-à-dire le vol de matières nucléaires ou le sabotage des installations, alors que celle de sûreté nucléaire concerne les dispositions assurant le fonctionnement normal d’une installation.

Les trois principales zones nucléarisées, c’est-à-dire avec la plus forte implantation de réacteurs ainsi que de déchets nucléaires, dans le monde sont les Etats-Unis, le Japon et l’Europe. Nous nous concentrerons sur l’Europe et tout particulièrement sur la France.

Comment la France et les pays européens font-ils face au risque de terrorisme nucléaire ?

Les risques de terrorisme nucléaire, bien réels, font l’objet de mesures de protection similaires mais non homogènes selon les Etats, et mobilisent différents types d’acteurs.

Géopolitique de l'énergie nucléaire et du risque terroriste
Carte des installations nucléaires en activité en France au 1er janvier 2017
Cette carte des installations nucléaires en activité en France au 1er janvier 2017 est extraite du site officiel ecologique-solidaire.gouv.fr/installations-nucleaires-en-france
ecologique-solidaire.gouv.fr

Les différents types de risques de terrorisme nucléaire

A l’intérieur des installations

Tout d’abord, le risque le plus évident est celui de la pénétration dans l’installation nucléaire elle-même, possible, comme l’ont démontré les militants de Greenpeace. Ce groupe de militants a ainsi pu rester au sein de l’enceinte de la centrale de Cattenom, mais à l’extérieur du bâtiment-même, pendant 8 minutes avant l’arrivée des autorités.

Le risque d’attaque par drones est également de plus en plus probable. En effet, à l’automne 2014, de nombreux survols illégaux de drones ont eu lieu sur 13 des 19 centrales nucléaires françaises, mais aussi sur d’autres sites nucléaires. Les risques encourus dépendent de la technologie utilisée. Il existe de petits drones, avec une grande capacité de mouvement, que l’on peut se procurer facilement sur internet. S’ils sont agiles et pourraient donc pénétrer dans l’enceinte du site, ils n’ont en revanche qu’une faible capacité de charge et ne pourraient donc pas transporter du matériel foncièrement important ou dangereux. D’autres drones, relevant cette fois de matériel militaire, sont beaucoup plus puissants et pourraient ainsi faire plus de dégâts. Néanmoins, ils sont très facilement repérables sur les radars, moins agiles donc plus faciles à suivre et surtout plus difficiles à se procurer.

Une coupure d’électricité ou d’eau de longue durée représente également un danger très élevé pour une centrale. Le système le plus utilisé au monde est celui des réacteurs à eau pressurisée. L’eau permet de refroidir le combustible chauffé par la réaction de fission. La circulation d’eau est permise par le recours à des pompes et autres systèmes. Les systèmes électriques sont nécessaires pour assurer le bon fonctionnement du refroidissement. . La perte totale des alimentations électriques empêche une bonne évacuation de la puissance résiduelle dans le coeur du réacteur, conduit à un échauffement du coeur, s’ensuivent des phénomènes qui peuvent conduire à la fusion du coeur, la formation d’hydrogène et à des risques de d’explosion et/oude rejets radioactifs dans l’atmosphère. C’est ce qui s’est par exemple passé lors de l’accident de la centrale de Fukushima en 2011, avec le tsunami dont la violence a arrêté tous les systèmes d’urgence prévus pour préserver le confinement et le refroidissement du réacteur de la centrale. Des groupes terroristes pourraient utiliser ces faiblesses afin de provoquer un accident nucléaire de grande ampleur.

Enfin, il y a le risque d’insider. Le profil des individus travaillant au sein des sites nucléarisés est contrôlé en amont, mais il est toujours possible que des groupes extrémistes aient un contact au sein de l’établissement qui puisse agir de manière nuisible ou transmettre des informations sensibles.

Toutes ces intrusions ou risques peuvent mener à des opérations de sabotage de la centrale, avec risque d’explosion et de rejet de matières radioactives dans l’air, mais aussi au vol de matières nucléaires qui permettrait la fabrication de bombes dites “sales”.

A l’extérieur des installations

En premier lieu, le risque de cyberattaque constitue un risque d’attaque depuis l’extérieur.

Lancer une attaque informatique pourrait permettre de perturber à distance les systèmes essentiels au bon fonctionnement et à la sûreté de la centrale, et serait donc susceptible de provoquer une réaction en chaîne menant à un accident nucléaire. Les exemples du virus Stuxnet en Iran en 2010, ou de la centrale à Gundremmingen en Allemagne en novembre 2016, montrent qu’une telle attaque est plausible et serait, utilisée par des terroristes, très dommageable.

En second lieu, les matières radioactives étant trouvables en dehors des centrales, elles sont aussi sujettes à une utilisation malveillante. En effet, des terroristes pourraient tenter de fabriquer une “bombe sale”, c’est à dire une arme explosive conventionnelle à laquelle on ajoute un matériel radioactif.

Ces matières sont utiles dans divers secteurs civils en dehors de la production d’énergie. On peut donc les trouver dans des laboratoires, dans des hôpitaux, les matières radioactives étant nécessaires à plusieurs technologies médicales dont la radiologie. Enfin, des terroristes pourraient tenter de les voler durant le transport des matières.

Les mesures de contre-terrorisme nucléaire dans différents pays

La prise de conscience du risque

A la fin des années 1950, la principale préoccupation mondiale concernant le nucléaire était le risque de prolifération de l’arme nucléaire. Le vol de matières nucléaires inquiétait, mais l’enrichissement de ces matières et le niveau de technologie nécessaires à la fabrication d’une telle arme limitait le risque sur les installations nucléaires. C’est à partir des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis que s’opère une prise de conscience des Etats. Ils réalisent que le risque de sabotage est réel, avec de graves dangers liés comme une explosion ou un rejet de radioactivité dans l’air, mais que le vol de matières nucléaires est également à craindre. Certes, celui-ci ne risquerait pas de mener à l’arme nucléaire, mais serait suffisant pour fabriquer une bombe sale. Des mesures ont donc été prises pour renforcer la sécurité des installations nucléaires.

La récente vague d’attentats, dont une grande partie a notamment visé l’Europe occidentale, s’ils n’ont pas déclenché une alarme particulière chez les différentes puissances étatiques, ont rendu le risque de terrorisme nucléaire plus proche qu’auparavant. La difficulté de la sécurité nucléaire repose particulièrement sur l’anticipation. En effet, lors de la phase de conception de nouvelles installations nucléaires ou la rénovation d’anciennes, les autorités et les exploitants prennent en compte les technologies actuelles et certaines avancées potentielles, mais ne peuvent pas déjouer l’inconnue du futur. Ainsi, il est nécessaire de reétudier périodiquement les mesures de protection des installations au regard de l’évolution de la menace et le cas échéant de renforcer les mesures.

Différentes mesures pour différents États

Pour se protéger contre les risques de terrorisme nucléaire, les Etats adoptent des logiques similaires. Les protections physique et informatique des installations nucléaires et autres sites utilisant des matières radioactives nécessitent l’établissement de multiples couches de protection, afin de pouvoir d’une part alerter sur l’intrusion et d’autre part ralentir celle-ci, pour éviter un maximum de dégâts.

S’agissant du transport de matières, les principales mesures de protection sont de garder une vigilance aiguë sur les autorisations accordées et les itinéraires empruntés, qui doivent être modifiés régulièrement afin d’éviter une embuscade potentielle de la part de terroristes.

La réponse à un acte malveillant est assurée par des PSPG (Pelotons Spécialisés de Protection de la Gendarmerie) spécialisés dans le contre-terrorisme nucléaire, formés par la Gendarmerie Nationale mais employés par EDF.

Néanmoins, la sécurité nucléaire connaît des sensibilités différentes selon les pays. D’abord, si quasiment tous les Etats mettent sous la protection régalienne l’anticipation et la gestion des crises, la France et le Royaume-Uni laissent aux opérateurs privés le soin d’assurer la protection des installations alors que l’Inde par exemple garde celles-ci sous sa responsabilité. Lorsque la protection est placée sous la responsabilité des opérateurs, l’Etat peut fixer une exigence de moyens ou une exigence de résultats. Cette dernière méthode offre la souplesse nécessaire pour adapter les moyens aux spécificités de l’installation nucléaire mais également pour adapter les mesures à l’état de la menace. Ainsi en France, c’est essentiellement cette deuxième option qui a été retenue par l’État au travers de la réglementation sur la protection des installations nucléaires. Lecontrôle de cette réglementation est confié au Département de la Sécurité Nucléaire qui appartient aux services du Haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère chargé de l’énergie. En particulier, via ses inspecteurs de la sécurité des matières nucléaires il s’assurent par des inspections que les mesures de sécurité mises en place sur les installations permettent de faire face à la menace.

En France, en complément des moyens techniques de protection, la réponse à un acte malveillant est assurée par des PSPG (Pelotons Spécialisés de Protection de la Gendarmerie) spécialisés dans le contre-terrorisme nucléaire, formés par la Gendarmerie Nationale mais employés par EDF. Par ailleurs, les personnes accédant aux installations nucléaires subissent des enquêtes personnelles pour tenter d’empêcher le risque de l’insider.

La Belgique tente de contrer ce risque de l’insider grâce à une culture de la sécurité au sein des installations, notamment grâce à la méthode “Quatre yeux” qui impose de travailler en permanence à deux pour éviter les “accidents” volontaires grâce à une vigilance mutuelle.

Chaque pays ayant une culture qui lui est propre, les mesures de sécurité doivent être adaptées. Par exemple, au Japon, mettre en place un dispositif d’enquêtes individuelles pose des difficultés car les japonais ont très à cœur leur vie privée, ainsi le risque d’insider risquerait d’en être augmenté.

Les autres acteurs de la sécurité nucléaire

Les organisations et accords internationaux

Il existe quelques organisations internationales concernant le nucléaire. L’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique), rattachée aux Nations-Unies, permet d’échanger des bonnes pratiques, mais plus encore, de promouvoir le nucléaire dans les domaines utiles comme la médecine et l’agriculture. Au niveau européen, l’ENSRA (European Nuclear Security Regulators Association) permet à quinze pays membres , d’échanger des données sensibles de manière plus ouverte grâce aux relations privilégiées entre Etats européens.

La Convention sur la protection physique des matières et installations nucléaires de 1980 puis son amendement qui est entré en vigueur en 2016 contraignent les pays ratificateurs à protéger leurs installations et matières nucléaires et à coopérer en cas de vol. La France a ratifié cette convention en 1991 et son amendement en 2013 tout en en ayant pris en compte les principes dans sa réglementation dès 2011. .

Le moyen le plus effectif à l’international reste donc les accords bilatéraux, qui permettent le partage de bonnes pratiques entre Etats alliés.

En effet, le partage d’informations sur la sécurité nucléaire est un enjeu-clé des relations interétatiques, car il comporte le risque de fuite d’informations sensibles. La sécurité nationale est une prérogative purement régalienne, il faut donc veiller à ne pas partager des informations stratégiques ou des ressources avec d’autres qui pourraient se révéler malveillants et ainsi veiller à la protection de ses intérêts.

La société civile

La sécurité nucléaire est un sujet qui tient à cœur non seulement aux Etats, mais aussi aux citoyens qu’elle concerne directement. Ainsi la société civile devient partie-prenante du sujet, malgré les contradictions entre transparence démocratique et défense qui rendent la dénonciation des risques difficile. En France, des organisations comme Greenpeace et Sortir du Nucléaire prennent néanmoins le pari : le risque de terrorisme nucléaire renforce leur conviction et leur donne un argument supplémentaire pour une sortie du nucléaire. Cela reste à nuancer, car des données précises sur le sujet sont impossibles à trouver et communiquer, du fait de leur caractère hautement confidentiel.

Conclusion

Des publications terroristes de 2013 montrent clairement des volontés d’attaque sur les centrales nucléaires, la question actuelle relève donc plutôt du quand que du si. Différents dispositifs permettent de retarder, voire d’empêcher, une attaque sur un site où se trouvent des matières nucléaires ou radioactives, mais il existe un réel besoin de nouvelles mesures, adaptées à la technologie d’aujourd’hui et à celle de demain, là réside la principale difficulté. Autre complexité, celle de la collaboration des différents acteurs partagée. Entre partage de bonnes pratiques entre Etats utiles à l’amélioration globale de la sécurité nucléaire mais nécessairement restreint par le besoin de protéger les informations les plus sensibles, de garder une spécificité nationale stratégique nécessaire pour garantir sa sécurité. Autre sujet, les relations avec la société civile, inquiète pour sa sécurité, qui attend légitimement des informations de la part des autorités, mais à qui il n’est pas possible de tout dire pour ne pas fragiliser sa sécurité. .

Il faut cependant nuancer la situation, car les risques sont limités en fonction des technologies laissées aux mains des groupes terroristes. Certaines sont seulement à la disposition d’États, comme les drones militaires, et nécessitent un certain savoir-faire pour leur utilisation, qu’actuellement il est difficile pour des groupes extrémistes de se procurer.

Copyright Février 2018-Louvet-Monard/Diploweb.com


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Bibliographie :

Sites web
AIEA, www.iaea.org (dernière consultation le 23/11/2017)

ENSRA, http://www.ensra.org/ (dernière consultation le 23/11/2017)

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Greenpeace France (2017), “Action : Greenpeace France fait des étincelles à Cattenom pour dénoncer sa vulnérabilité” ; URL :https://www.greenpeace.fr/espace-presse/action-greenpeace-france-etincelles-a-cattenom-denoncer-vulnerabilite/ (dernière consultation le 22/11/2017)

Greenpeace France (2017), “résumé du rapport « La sécurité des réacteurs nucléaires et des piscines d’entreposage du combustible en France et en Belgique, et les mesures de renforcement associées »”, URL :https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2017/10/R%C3%A9sum%C3%A9-Rapport_FR.pdf?_ga=2.67846994.2127606443.1511361885-1359976473.1506525438 (dernière consultation le 22/11/2017)

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Le Parisien (2016), “Le “terrorisme nucléaire” menace bien réelle selon l’AIEA” ; URL : http://www.leparisien.fr/flash-actualite-monde/le-terrorisme-nucleaire-menace-bien-reelle-selon-l-aiea-25-03-2016-5660215.php (dernière consultation le 23/11/2017)

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Nouvel Obs (2017), “Nos centrales nucléaires sont terriblement vulnérables : la preuve” ; URL :https://tempsreel.nouvelobs.com/planete/20171012.OBS5876/nos-centrales-nucleaires-sont-terriblement-vulnerables-la-preuve.html (dernière consultation le 22/11/2017)

World Economic Forum (2014), “Why drones are a growing nuclear security issue” ; URL : https://www.weforum.org/agenda/2014/12/why-drones-are-a-growing-nuclear-security-issue/

IRSN : L’accident de Fukushima DAIICHI (11 mars 2011) : état des connaissances

Documents institutionnels

Assemblée Nationale (2014), Compte rendu de l’audition publique du 24 novembre 2014 sur “Les drones et la sécurité des installations nucléaires“, disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/cr-oecst/14-15/c1415056.pdf

Gouvernement français (2005), “Amendement de la Convention sur la protection physique des matières nucléaires”, disponible sur http://www.francetnp.gouv.fr/IMG/pdf/amendement_2005.pdf

Ouvrage

Rajeswari Pillai Rajagopalan, Nuclear Security in India, ORF (Observer Research Foundation), 2015. Consultable sur http://www.orfonline.org/wp-content/uploads/2015/02/NUCLEAR_SECURITY_IN_INDIA.pdf


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