Reporter, Margaux Chouraqui est diplômée de King’s College London, et de Sciences Po Paris. Elle a participé pour l’Observatoire des radicalisations (FMSH) à une étude sur la propagande jihadiste francophone et vient de publier La Mythologie Daech aux éditions de l’Observatoire.
Margaux Chouraqui vient de publier "La Mythologie Daech" aux éditions de l’Observatoire. Elle décode ici très clairement le sens de l’hommage national à la mémoire d’Arnaud Beltrame dans la perspective d’une contre-propagande face à un Etat Islamique en déroute.
LORS de son éloge funèbre à Arnaud Beltrame, le 28 mars 2018, Emmanuel Macron a exhorté la jeunesse de France à voir en son acte glorieux un « absolu » plutôt que de tomber dans les « errances fanatiques » des propagandistes jihadistes, ces « adeptes du néant » [1]. Et pour cause, le quotidien des français est depuis 2014 menacée par le terrorisme « maison » : 28 attentats ou tentatives d’attentats ont frappé l’hexagone ; 50 attaques ont été déjouées depuis janvier 2015 par les services de renseignements ;140 auteurs, dont 124 français sont directement impliqués [2].
Honorer la mémoire d’ Arnaud Beltrame contribue à bâtir un contre discours face à une propagande qui a contaminé les esprits des plus vulnérables. Jusqu’ici, nous en étions démunis. Saluer un acte héroïque donne un nouvel exemple de « l’esprit français de résistance », renforçant notre roman national. Jusqu’ici, nous manquions cruellement de symbole. La figure d’ Arnaud Beltrame redonne corps à la vertu militaire, celle du courage, celle de la défense d’une cause juste, noble, et altruiste. Son acte héroïque a sauvé autrui au détriment de sa propre personne. Le brillant officier a un parcours exemplaire, a privilégié la patrie à sa famille, redonnant un sens au devoir et à l’engagement patriotique. Par la dimension sacrificielle de son acte, il est devenu la quintessence du soldat héroïque. Face à lui, Redouane L. et tous les autres, ont des profils de petits délinquants, aux moeurs souvent décadentes, et qui par leur adhésion à l’islamisme radical cherche à absoudre leurs péchés et leurs crimes passés. Une rédemption factice à la dimension égocentrique.
La communication haineuse de l’Etat Islamique a fait de la figure du héros l’un des leviers d’attraction les plus efficaces pour séduire des jeunes en mal d’amour patriotique. La République française se doit de rétablir la vérité : « Le nom d’Arnaud Beltrame est devenu celui de l’héroïsme français » martèle Emmanuel Macron, et non, ceux de Mohammed M., Amedy C., Larossi A., ces nouvelles « vedettes » du Jihad, mortes les armes à la main, assiégées par les forces de l’ordre, à la manière des stars de cinéma, comme le véhiculent tant de sites complotistes, salafistes, portés par la puissance de feu des réseaux sociaux. Une certaine couverture médiatique est aussi responsable de cette valorisation des figures jihadistes, avec des éditions spéciales qui leur sont consacrées et qui dopent les audiences. Nos chaines infos sont fascinées par ces profils du gentil voisin devenu forcené, suivant minute par minute leur traque, diffusant leur nom, leurs photos, et les vidéos amateurs qui ont capté les scènes d’horreur qu’ils ont perpétrées.
Les cellules médiatiques du groupe Etat Islamique n’ont plus qu’à profiter de cette vague : entre 2013 et 2017, de leurs studios à Raqqa et Mossoul, les propagandistes ont produit une iconographie sophistiquée portée par un puissant discours victimaire pour valoriser le terrorisme et ses auteurs, en diffusant des centaines de vidéos dans toutes les langues. La légende des « Chevaliers de l’Islam » qui affrontent les oppresseurs des musulmans, les colonisateurs arrogants est ainsi née, incitant encore au lendemain de la perte de leur Califat de nombreux partisans à passer à l’acte pour entrer dans le Panthéon des héros de la mort. Cette propagande est devenue mythologie, portée par une culture jeune, une culture des cités, qui séduit une jeunesse biberonnée aux jeux vidéos, aux films ultraviolents, aux reportages, au rap. Une culture Daesh qui lobotomise tous ceux qui préfèrent s’extraire de la réalité, plutôt que de se battre pour trouver une place dans notre société en crise d’emploi, d’intégration, de valeurs. Il est tellement plus facile de croire, de se réfugier dans un imaginaire de super héros partis voler au secours des enfants syriens bombardés, des musulmans opprimés, persuadés de porter le flambeau d’un terrorisme juste, et révolutionnaire contre les crimes impunis du puissant Occident.
L’Armée de l’Islam serait devenue aussi légitime que les représentants de l’ordre démocratique, contre lesquels les jihadistes s’attaquent. Le soldat de l’Islam serait aussi plus viril, que le gendarme, le policier, le soldat français. Le mâle sexy-gore est filmé au plus près des combats, alors que le soldat français combattant le terrorisme reste souvent anonyme, rarement incarné. En saluant le héros Beltrame, ce sont tous les engagés anonymes que la France doit honorer, dans leurs combats quotidiens trop souvent tus. L’arme de la médiatisation est pour le terroriste sa meilleure publicité, un instrument mobilisateur de notre jeunesse emprunte de narcissisme et d’individualisme, qui a soif de sensations fortes. Il est temps que la France sache glorifier ses héros du quotidien. L’Amérique en fait des films, celui de Clint Eastwood, Le 15h17 pour Paris, raillé par la critique française, dans lequel les héros du Thalys jouent leur propre rôle. Dopés depuis le plus jeune âge à la Bible, au patriotisme, et aux armes, ces caricatures de l’Amérique sont des instruments de contre-propagande efficaces. A nous de trouver notre propre voie dans l’avènement et la promotion de valeurs, d’hommes et de symboles qui valorisent notre société française dans son ensemble, notre estime.
Au lendemain des attaques de Trèbes et Carcassonne, le 23 mars 2018, nos médias ont braqué leurs projecteurs sur le héros Beltrame, son courage et son abnégation, et non sur ce énième perdu de la République. Et comme le disait le Président Macron : « Alors que le nom de son assassin déjà sombrait dans l’oubli, le nom d’Arnaud Beltrame devenait celui de l’héroïsme français ». Et c’est déjà un début pour contrer efficacement le poison idéologique de l’Etat Islamique.
Copyright Avril 2018-Chouraqui/Diploweb.com
Plus
. Margaux Chouraqui, « La Mythologie Daech » , Editions de l’Observatoire, 2018
4e de couverture
La propagande de l’État islamique agit sur les esprits, manipule les consciences. Pour la rendre plus persuasive, ses communicants s’inspirent des codes et des repères qui nous sont familiers.
Dans cette mise en scène soignée, les plus anciennes traditions sont relayées par les techniques de communication les plus modernes. Le spectacle de la terreur côtoie la description d’un eldorado où le quotidien est spirituel et paisible. L’imaginaire des jeux vidéo ou du cinéma hollywoodien est détourné pour rendre plus séduisant leur message et rallumer l’horizon mythologique du Califat.
Si Daech a perdu la bataille sur le terrain, les armes ne suffiront pas à enterrer la doctrine jihadiste. Les médias de l’État islamique forgent alors un mythe et se livrent à une bataille d’un autre ordre : elle est maintenant culturelle.
S’appuyant sur des dizaines d’heures de vidéos, une trentaine de périodiques de propagande, et une analyse précise des composantes d’un message très – trop – habile, cet ouvrage décortique ce glaçant discours qui n’est autre que la continuation du jihad par d’autres moyens.
Voir le livre de Margaux Chouraqui, La Mythologie Daech sur le site des Editions de l’Observatoire
[1] Le texte de l’hommage se trouve sur le site de l’Elysée http://www.elysee.fr/declarations/article/hommage-national-au-colonel-arnaud-beltrame/
[2] Le Monde, 30-31 mars 2018
SAS Expertise géopolitique - Diploweb, au capital de 3000 euros. Mentions légales.
Directeur des publications, P. Verluise - 1 avenue Lamartine, 94300 Vincennes, France - Présenter le site© Diploweb (sauf mentions contraires) | ISSN 2111-4307 | Déclaration CNIL N°854004 | Droits de reproduction et de diffusion réservés
| Dernière mise à jour le mercredi 20 novembre 2024 |