Docteur et agrégé en philosophie, ancien élève de l’ENS-Ulm et de l’ENA, Cyrille Bret est maître de conférences à Sciences Po Paris où il enseigne la philosophie. Il dirige le think tank eurasiaprospective.net. Ancien auditeur de l’IHEDN, il vient de publier « Dix attentats qui ont changé le monde. Comprendre le terrorisme au XXIe siècle » chez Armand Colin, après « Qu’est-ce que le terrorisme ? » chez Vrin. Il a travaillé avec Antoine Garapon à l’Ecole Nationale de la Magistrature et dans les services d’inspection générale des services de sécurité et de renseignement. Entretien réalisé par Antonin Dacos pour Diploweb. A. Dacos étudie le droit public, l’histoire et les relations internationales à Sciences Po Rennes.
Le terrorisme n’est pas une idéologie ou une religion. C’est un moyen d’action politique ultra violent qui vise à créer un effet de terreur pour imposer une vision du monde et établir une domination politique. Cyrille Bret vient de publier « Dix attentats qui ont changé le monde. Comprendre le terrorisme au XXI è siècle » chez Armand Colin. Il répond très clairement aux questions d’Antonin Dacos pour Diploweb.com.
Antonin Dacos (A. D. ) : Qu’est ce qui caractérise un acte terroriste ? En quoi est-il différent d’un acte de guerre par exemple ?
Cyrille Bret (C. B. ) : La spécificité de la tactique terroriste c’est son efficience. Le coût d’organisation est très faible pour un effet politique maximal. Organiser un attentat, aussi impressionnant que celui du 11 septembre 2001, demande des ressources réduites. Mais son effet politique est massif, notamment lorsque les sociétés qu’il cible se sentent attaquées dans leur identité et leurs symboles essentiels. Les terroristes cherchent à cibler les vulnérabilités, les failles et les conflits latents des sociétés pour les exploiter et les aggraver. C’est en cela que le terrorisme est un phénomène politique plus que sécuritaire. Le dommage est humain et matériel, bien sûr, mais aussi, et surtout, symbolique. La démonstration de violence de l’acte terroriste est pensée dans ce but. Les dommages matériels et humains ne font pas directement partie de l’objectif, ils sont un moyen d’arriver à une fin : créer un effet de terreur.
A. D. : Comment une société réagit-t-elle à un attentat ? Qu’est ce qui caractérise sa réaction à cette épreuve ?
C. B. : Un attentat est un traumatisme collectif qui peut structurer la sensibilité politique de toute une génération.
Son traitement politique et social est essentiel. Il constitue un véritable test pour les services publics, les responsables politiques et le lien social. Au début, tous les médias du monde le suivent de la même manière, c’est à dire en se conformant aux codes du direct. La croisée des chemins se fait sur le sens politique donné à l’attentat par la société. C’est une épreuve nationale qui demande l’unité. Dans les cas espagnols et russes présentés dans mon livre, la population civile se divise. Certains courants critiquent l’antiterrorisme au lieu de se regrouper dans un mouvement d’ « Union sacrée ». Les scandales russes empêchent de créer l’unité autour des victimes puis des autorités et enfin du refus du terrorisme. La réaction de la société aggrave donc les effets dévastateurs de l’attentat.
En ce qui concerne les discordes nationales, les attentats de Madrid (2004) sont un cas d’école. La divergence d’analyse autour des attentats ressuscite l’opposition entre « l’Espagne noire » franquiste et « l’Espagne rouge » communiste et socialiste. La tuerie rouvre des fractures collectives et politiques.
Attention tout de même. Un attentat peut aussi révéler la capacité de résilience d’une société. En Norvège après l’attaque d’Oslo (2011), une critique constructive est réalisée. Le massacre fait prendre conscience que la société norvégienne peut être fracturée et générer des discours et des actes de haine. Avec les tueries d’Anders Behring Breivik, la société norvégienne a douloureusement acquis une conscience d’elle-même plus claire.
A. D. : Pourquoi et comment le terrorisme évolue-t-il ?
C. B. : Les groupes recourant au terrorisme instrumentalisent la violence pour conquérir de la visibilité médiatique et établir une domination politique ou inverser un rapport de force. L’exposition médiatique peut leur apporter des ressources financières, servir leur propagande, être un outil de recrutement pour les combattants… Ce qui se passe à Paris en 2015, c’est une lutte d’influence entre organisations : les 7, 8 et 9 janvier c’est APQA qui frappe alors que le 13 novembre, c’est sa rivale, l’organisation EI Cette compétition engendre, comme dans tout réseau criminel, un effet d’imitation et de surenchère dans l’horreur : on fait ce qui marche chez les autres et on essaye de faire « mieux ». Ainsi, les attentats de Paris sont des reproductions quasiment à l’identique, dans les objectifs et les moyens, des attaques de Mumbai, en Inde, en 2008. On retrouve le ciblage d’un lieu de socialisation plus que de pouvoirs et des attaques dans la rue complètement « en aveugle » et aléatoires pour augmenter le sentiment d’insécurité générale.
A. D. : Le terrorisme s’adapte donc aux normes médiatiques de son époque ?
C. B. : Absolument, il les exploite. Les terroristes ont toujours cherché à manipuler les médias pour servir leurs objectifs. Les anarchistes du XIXee siècle s’imposent médiatiquement grâce aux nouvelles rotatives qui permettent un tirage rapide et abondant des gravures représentant leurs actes de violence. Aujourd’hui, le terrorisme s’adapte aux médias du direct et à Internet. Il peut même dépenser même beaucoup de moyens en ce sens.
Non seulement l’organisation EI a des spécialistes de la communication, mais l’organisation possède même plusieurs agences de communication, pour ne pas dire de publicité ! Chacune est dirigée vers un « public » identifié avec des supports spécifiques, des vidéos YouTube aux communiqués de presse, avec à chaque fois une traduction dans une multitude de langues.
La communication médiatique peut aussi être pensée dans le cas d’actes de terrorisme « individuel ». Lors des attentats d’Oslo et d’Utoya en Norvège, Anders Behring Breivik agit en solitaire. Pourtant, il se sert de son procès comme d’un espace de visibilité et de promotion de ses idées. Il enverra également à la presse un manifeste politique destiné à justifier ses meurtres, long de plus de 1500 pages. La visibilité de son discours politique est donc primordiale dans son action.
A. D. : Vous soulignez que le terrorisme peut aussi être un terrorisme d’État...
C. B. : Oui. Le terrorisme est une tactique qui peut être aussi utilisée par des pouvoirs publics. Un État peut avoir comme but politique de faire régner la terreur, sur sa population ou celle d’un territoire tiers. Il peut donc y avoir un terrorisme d’État.
Je dirai même plus. C’est un terrorisme d’État qui a notamment contribué à la matrice théorique du terrorisme. L’usage de la terreur comme outil politique existe depuis toujours. Mais, l’un des premiers à théoriser le terrorisme est le révolutionnaire français Maximilien Robespierre (1758-1794). Son discours du 2 Pluviôse An IV est particulièrement marquant. Il théorise un effet psychologique de paralysie et de sidération sur les opposants politiques par le moyen de la terreur. Pour vaincre l’opposition royaliste, il déclenche des opérations de répression massives et arbitraires. En justifiant l’usage de l’effet de la terreur au nom d’une certaine idée du bien commun, il contribue à l’une des principales caractéristiques de l’action terroriste. C’est d’ailleurs dans ce contexte que naît le concept de « terroriste » comme « partisan de la Terreur » comme l’a bien souligné l’historien de la Révolution François Furet.
A. D. : Dans votre livre, « Dix attentats qui ont changé le monde. Comprendre le terrorisme au XXIè siècle » (éd. Armand Colin) vous partagez votre crainte d’une banalisation du terrorisme comme outil politique.
C. B. : Le terrorisme n’est pas une idéologie ou une religion. Il est un moyen d’action politique ultra violent pour imposer une certaine vision du monde et établir une domination politique. C’est donc une méthode que n’importe quel groupe peut utiliser. Le terrorisme qui est sous nos yeux aujourd’hui est identifié comme provenant largement de groupes d’extrême-droite ou islamistes. Mais de nouvelles menaces terroristes peuvent voir le jour.
Bonus vidéo. E. Danon, H. Micheron : Quels futurs pour le terrorisme ?
Dans la deuxième partie de cette conférence Diploweb.com en Sorbonne, Eric Danon développe l’exemple de l’éco-terrorisme, qui pourrait naître de la radicalisation d’individus frustrés de la lenteur avec laquelle les gouvernements agissent aujourd’hui face aux dangers qui menacent les grands équilibres de la planète, voire de la complicité de certains gouvernements avec de grandes entreprises prédatrices de notre environnement.
Voir la vidéo et son résumé sur Diploweb.com
Le processus de réduction de la violence, socle de notre démocratie, a été très long à construire. J’ai peur qu’il soit bien plus facile à déconstruire.
Dans une société où la visibilité médiatique devient de plus en plus importante, la tentation peut être grande de choisir les stratégies de communication qui offrent le plus de visibilité. L’usage de la violence voire d’actes de terreur pour acquérir des « parts » de temps médiatique peut représenter une tentation face à laquelle nos démocraties doivent se tenir prêtes.
Copyright Octobre 2020-Bret-Dacos/Diploweb.com
Plus
. Cyrille Bret, « Dix attentats qui ont changé le monde. Comprendre le terrorisme au XXI è siècle » éd. Armand Colin, 2020. Sur Amazon
4e de couverture
Notre siècle est né le 11 septembre 2001, à New York, sous les yeux des téléspectateurs du monde entier. L’« âge de la terreur » commence avec la série d’attentats de masse qui frappent de douleur et de stupeur tous les continents. De Mumbai à Paris, de Beslan à Oslo et de Tunis à Bruxelles, ces répliques du séisme américain jalonnent notre temps et façonnent la vie collective.
Pour juguler la sidération et l’effroi, il faut analyser les « effets de terreur » de ces crimes et de ces crises. Car ils transforment les cultures politiques autant qu’ils scandent la marche du monde.
Dix attentats ne résument pas un siècle encore jeune.
Mais ils en révèlent le visage.
Bonus vidéo. J-F Gayraud Terrorisme et crime organisé. Les hybrides : nouvelle perception stratégique
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