Arnaud Muller est étudiant de Master 2 à l’Institut Français de Géopolitique (Paris VIII). Cet article est tiré de son mémoire de recherche « La recolonisation de l’Arctique russe et la « puissance pauvre ». Le développement territorial autoritaire des villes de l’oblast de Mourmansk ». Il rédige actuellement un mémoire sur les aspects cyber du conflit du Haut-Karabagh sous la direction de Kevin Limonier (GEODE).
En Russie comme ailleurs, le discours de la puissance se heurte aux réalités de l’espace et de la société. Ainsi, les stratégies de développement de l’Arctique par l’Etat russe investissent inégalement le territoire, en se concentrant sur les ports de la Route maritime du Nord et en marginalisant les villes monofonctionnelles frappées de la « malédiction des ressources ». La dépendance générale aux structures mentales soviétiques reste visible dans la répétition des arguments du pouvoir et dans les politiques de recolonisation de ces périphéries exploitées, qui incarnent cette « puissance pauvre » où se côtoient des mégaprojets innovants et des villes monofonctionnelles désertées, dans lesquelles les « mégaprojets » de diversification économique comme les stations de ski tiennent du même déterminisme technologique édicté à l’échelle du Kremlin qui néglige les particularités locales.
Brillante démonstration documentée, clairement rédigée et illustrée de plusieurs cartes.
LA « reconquête » ou la « recolonisation » de l’Arctique par l’Etat russe, terme élaboré par des chercheurs Occidentaux [1], est un ensemble de discours et de stratégies de réinvestissement de ce territoire par le pouvoir central après une période d’abandon et de déclin. Ces stratégies émergent en 2008 pendant la « redécouverte de l’Arctique [2] », véritable tournant de la politique de l’État russe dans ses périphéries, qui repose sur des mégaprojets innovants. Ce « retour du Léviathan [3] » en Arctique s’accompagne d’une réactualisation des attributs de la puissance soviétique et de ses modes d’expression, par l’héroïsation des explorateurs et la mythification des ressources et la revitalisation des ports de la Route maritime du Nord. Ces stratégies sont formulées dans des discours programmatiques par le chef de l’État, Vladimir Poutine. Les inégalités territoriales, révélées par l’indice de Gini mis en carte, indiquent toutefois que la tendance de déclin n’est inversée qu’à la marge par les politiques de développement et qu’une « malédiction des ressources » empêche ces territoires de connaître les retombées économiques des richesses qu’ils produisent. Ce déclin profond est visible dans les villes monofonctionnelles qui étaient au cœur de la production de la richesse à l’ère soviétique et dans lesquels le pouvoir actuel investit pour empêcher la crise sociale de se transformer en crise politique, mais pas dans la reconversion de leur économie.
Le résultat de ce développement territorial est paradoxal : en cherchant à inverser la tendance de déclin démographique et économique qui a commencé avec l’effondrement de l’URSS (décembre 1991), ces politiques ont renforcé le statut de périphérie exploitée des territoires extractifs de l’Arctique russe, pourtant centraux dans l’économie nationale.
La reconquête de l’Arctique est accompagnée d’un ensemble de discours qui transforment les représentations en programmes de développement, modelant le paysage via des mégaprojets comme la Route maritime du Nord. Cette politique de développement a cependant pour effet de renforcer le statut de périphérie exploitée des régions arctiques, à qui les richesses qu’elles produisent échappent, aggravant le déclin visible depuis 1991. Dans les villes monofonctionnelles, la fermeture des usines menace leur raison d’être et les force à la reconversion.
Considérons successivement Les métadiscours, récits de la conquête (A) ; Du discours à la réalité : les programmes de développement et la rationalisation du territoire (B) ; Le mégaprojet de la Route maritime du Nord (C).
Le corpus des métadiscours sur l’Arctique est produit par les élites politiques et intellectuelles. Ils justifient le rôle spécifique de la Russie dans le monde à partir de son territoire, de sa taille et d’autres aspects de la puissance. Après l’effondrement de l’URSS, certains discours sur l’identité russe identifient l’Arctique comme la terre mythique d’origine des aryens hyperboréaux ou berceau perdu de la « race russe » selon des intellectuels comme l’eurasianiste Alexandre Douguine [4]. Certaines de ces théories sont intégrées dans les discours du régime pour légitimer ses politiques [5] et leur donner une profondeur idéologique. Depuis les années 2000, les discours de l’Etat affirment de plus en plus que l’Arctique est le territoire de la réincarnation de la Russie comme une grande puissance [6]. En 2008, le président D. Medvedev s’exprimait ainsi : « Notre plus grande tâche consiste maintenant à faire de l’Arctique la base de ressources de la Russie pour le XXIe siècle », faisant de ces ressources mythifiées le combustible de la reconquête, liant les régions arctiques au destin de la Russie. La nordicité devient un élément cardinal de l’identité russe : Vladimir Poutine disait ainsi en 2010 : « Au fond, la Russie est un pays du Nord [7] ». La Russie est post-impériale en Arctique : la recolonisation est magnifiée par les « mégaprojets » en développement : « de grands projets dans l’Arctique sont déjà en cours de réalisation. La Route maritime du Nord est en train de renaître : en 2013, plus d’un million et demi de tonnes de cargaisons ont été transportées le long de cette route, alors qu’il y a quelques années encore, ce chiffre était légèrement supérieur à un demi-million de tonnes », d’après le président russe au Conseil de Sécurité en 2014.
La recentralisation de l’Etat sous V. Poutine est une nouvelle fabrique du territoire : l’identité des régions est désormais définie dans un processus « top-down » d’allocation de ressources politiques selon le rôle qu’elles jouent dans le destin national [8]. La restructuration administrative des régions arctiques a donné naissance à la « Zone arctique de la Fédération de Russie » au statut juridique particulier, enregistrée dans les « Principes fondamentaux de la politique d’État de la Fédération de Russie dans l’Arctique et au-delà » (2008). La Zone arctique dispose d’un financement particulier pour les programmes de développement qui y sont implémentés ; si elle n’a pas de statut politique, c’est l’échelle de projection des stratégies territoriales élaborées par le gouvernement.
Les discours de Vladimir Poutine sont reformulés dans les programmes de développement territorial qui récapitulent les représentations du pouvoir, les stratégies et les acteurs mobilisés. Dans la Zone arctique, l’objectif du développement est d’inverser la tendance au déclin. Le principe d’action de ces politiques est le déterminisme technologique : il s’agit d’imposer un modèle fonctionnel dans un milieu afin de provoquer le développement économique. Ce modèle est celui des mégaprojets, qui incarnent le discours de puissance de l’Etat sur le territoire dans des formes spectaculaires de modernité [9], comme la Route maritime du Nord.
La Route maritime du Nord (RMN) est un projet hérité de la planification stalinienne qui vise à articuler le littoral arctique avec le continent russe. Depuis la recentralisation administrative de la RMN sous V. Poutine en 2000, l’augmentation du tonnage est spectaculaire : la Russie prévoit vingt millions de tonnes sur la RMN d’ici 2025, soit quatre fois les chiffres de 2020. Mais les perspectives restent limitées : on compte moins de cent transits complets par an, chiffre variable selon les années et soumis aux incertitudes de la navigation polaire. La rentabilité de la RMN est réduite par le coût des bateaux et le besoin de former des équipages dotés de compétences spéciales (« l’impôt du froid » selon Jean Radvanyi [10]).
Le transit de destination, vocation principale de la RMN, suit un itinéraire de cabotage pour évacuer les ressources extraites près des ports et ravitailler les populations qui ne sont pas reliées par le rail ou la route. La façade maritime arctique comptait jusqu’à cinquante ports actifs sous l’URSS ; aujourd’hui, vingt-cinq ports sont actifs dont neuf toute l’année et un port de fond d’estuaire à Doudinka. La RMN est avant tout une voie de sortie des matières premières : le trafic d’entrée est bien inférieur au trafic de sortie, ce qui confirme le statut de périphérie exploitée de l’Arctique russe qui reçoit moins de richesses qu’elle n’en produit.
La notion de « puissance pauvre » de Georges Sokoloff [11] est utile pour décrire ce mode d’action du pouvoir russe, hérité de l’URSS, qui investit l’espace arctique avec un arsenal d’outils ponctuels (bases militaires, bases extractives, ports ultramodernes) ou linéaires (Route maritime du Nord) sans compenser la pauvreté du territoire, son déclin et l’augmentation des inégalités. L’impuissance des mégaprojets à créer de la richesse locale s’explique par la déconnexion de ces objets au territoire sur lequel ils sont imposés : la majorité des employés sont étrangers à la région [12] et ce statut de périphérie exploitée est assumé ouvertement par le gouvernement russe, qui n’y voit qu’un réservoir de ressources.
Observons maintenant comment Les ressources locales échappent aux budgets régionaux (A) ; La croissance locale est limitée par la monospécialisation des activités (B) ; La dépendance de l’économie russe aux ressources arctiques empêche la diversification des activités locales (C).
La « malédiction des ressources » est un phénomène propre aux régions qui ne parviennent pas à conserver les richesses produites localement sur leur territoire. Ce terme sert ici à expliquer l’écart entre les richesses produites sur les territoires de la Zone arctique (dans lesquelles l’industrie extractive représente une part significative du produit régional brut : 15% à Mourmansk, 67,5% en Nenetsie), et les inégalités de salaire sur le territoire mesurées par l’indice de Gini [13].
Les territoires extractifs de l’Arctique, en situation de périphérie et fortement dépendants de la RMN, ont une économie basée sur l’extraction de matières premières. En Arctique, ces activités ne participent pas à la croissance locale puisque les ressources sont captées par l’Etat fédéral. Le revenu extractif représente une part marginale (systématiquement moins de 10%) du budget des régions. En revanche, les impôts locaux et les subsides fédéraux représentent une part importante de ce budget.
La croissance économique régionale ne dépend pas des activités extractives, mais des subsides de l’Etat central : on constate l’impossible croissance endogène des périphéries exploitées [14]. Cependant, l’abondance des ressources n’est pas la seule cause du déclin de l’Arctique sur le long terme : un des éléments les plus importants de la malédiction des ressources est le manque de diversification des activités économiques.
La spécialisation est une des causes majeures du déclin des régions périphériques. Le manque de diversification des activités peut être compris comme la conséquence d’un blocage psychologique : « le déni du déclin potentiel est l’un des éléments de la malédiction des ressources dans les régions éloignées. Quand on vit comme si la ressource serait inépuisable, on s’expose à un déclin économique plus abrupte et plus difficile à gérer », selon Lee Huskey [15]. Le manque de diversification économique à l’échelle intrarégionale est lisible dans l’espace : les villes monofonctionnelles sont nombreuses dans les régions de l’Ouest (Carélie, Mourmansk, Arkhangelsk dans une moindre mesure).
Il n’en reste pas moins que la monospécialisation n’est pas un facteur suffisant pour expliquer tous les aspects du déclin des régions de l’Arctique russe. La situation particulière de l’Arctique russe renforce ce constat : la diversification économique est rendue impossible par les structures économiques héritées de la planification soviétique. Un problème de fond, commun aux pays arctiques de grande taille, est le mix économique entre une subsistance agricole autochtone traditionnelle et le secteur extractif [16]. Ce mix s’inscrit dans le contexte de l’impossible développement d’un secteur industriel moderne et compétitif dans des conditions climatiques extrêmes, une démographie déclinante et une mauvaise accessibilité. Les économies fondées sur un modèle d’exploitation de ressources sont dans une phase transitoire. La manne gazière et pétrolière arctique n’est qu’un moyen de repousser la question de l’épuisement des ressources et du changement climatique plus sensible en Arctique que dans le reste du monde [17].
Les facteurs du déclin de l’Arctique russe sont à explorer dans les espaces où il est le plus visible, soit dans les villes monofonctionnelles, produits géographiques de l’idéologie soviétique dépendantes de l’exploitation de ressources uniques. Ces territoires en crise doivent leur survie aux subsides fédérales qui visent à prévenir la transformation de la crise économique en crise politique qui menacerait le régime.
Terminons notre étude par trois points clés : Le retrait de l’État et la néolibéralisation de l’espace : les territoires du Grand Nord dans la compétition économique (A) ; Le déclin démographique et économique : les villes coloniales ne peuvent pas survivre sans la métropole (B) ; La politique de l’État dans les territoires en crise : l’exemple de la reconversion de la ville de Kirovsk (C).
La décentralisation (1991-2000) a succédé à l’hypercentralisation soviétique : les territoires ont gagné en autonomie et l’Etat s’est retiré de l’économie des périphéries arctiques. Cela a augmenté la distance entre la métropole (la Russie continentale [18]) et les périphéries productives dépendantes de l’Etat. La traduction la plus concrète de ce retrait a été la disparition de l’outil le plus efficace de la colonisation, la « prime du Nord ». La fin de l’URSS, remplacé par un État russe caractérisé par l’absence d’investissement sous Eltsine, a entraîné une baisse continue de la production [19] et a plongé les régions arctiques dans la crise. L’économie de ces régions a hérité d’une planification soviétique ambivalente à la fois trop spécialisée pour diversifier leur économie et échapper à la crise, et trop homogénéisée pour être compétitives. La « thérapie de choc » (réformes de Eltsine) a détérioré les infrastructures des régions arctiques : les pannes de chauffage, d’eau et d’électricité sont devenues fréquentes tandis que le financement public du ravitaillement par bateau dans les régions du Nord a été réduit.
Les effets sociaux de cette politique sont mesurables dans les démographies de l’Extrême nord et de l’Extrême orient, qui ont chuté à partir de 1991 [20] et qui ont compté les plus forts taux de pauvreté (deux à trois fois supérieurs à ceux de la Russie centrale [21]), de suicide et d’alcoolisme [22] entre 1991 et 2000. Ce déclin se poursuit : sur la période 2013-2017, le taux de pauvreté dans la région de Mourmansk a augmenté de 10,8 % à 12,6 %. Les enquêtes auprès de la population indiquent que les plus graves problèmes sont le manque d’accès aux services médicaux, la gestion insatisfaisante des logements et la pollution de l’environnement. Dans la région de Mourmansk, la période actuelle est marquée par une phase de stagnation relative de la démographie, mais de déclin continu des villes monofonctionnelles, ce qui s’explique par les migrations vers la capitale. La population de la capitale de Mourmansk décline moins vite, ce qui s’explique par la diversité d’activités qu’elle propose.
La géographie urbaine de la région de Mourmansk est héritée de la colonisation soviétique : les villes sont des colonies de peuplement fixées autour d’industries extractives. Purs produits de la planification et de l’idéologie, elles constituaient de véritables hétérotopies [23] et les régions arctiques, vides d’histoire aux yeux des planificateurs, blancs sur la carte à coloniser, étaient le lieu idéal pour réaliser le projet soviétique affranchi de contraintes historiques. Pendant l’ère soviétique, la Péninsule de Kola est passée d’une « terra nullius » [24] peuplée de 5200 habitants en 1916 à 1190000 en 1990 et est devenue l’une des régions les plus productives de l’Union soviétique grâce aux efforts de peuplement et d’industrialisation.
La carte ci-dessus (Évolution de la population des villes de l’oblast de Mourmansk, 1916-2020) figure l’évolution de la population des villes de l’oblast de Mourmansk depuis la colonisation russe. La population urbaine de la région a cru de façon exponentielle à partir des années 1930, nourrie par les migrations de paysans pauvres, attirés par la prime du Nord, et les prisonniers des goulags.Après la Seconde Guerre mondiale, les entreprises d’État paternalistes ont pris en charge les besoins des familles ouvrières : le logement, les divertissements, les soins, etc. Les structures de l’entreprise se sont confondues avec celles de la municipalité : cette situation s’est poursuivie jusqu’au passage à l’économie libérale et le retrait de l’État des industries extractives.
Les entreprises privées ont abandonné leur rôle social et les municipalités ont dû assurer les services du paternalisme disparu. Le paysage du déclin est visible dans les photographies de la gare de Kirovsk par le photographe russe Mikhaïl Lebedev. Kirovsk est l’une des six villes monofonctionnelles de l’oblast de Mourmansk : construite autour de deux entreprises minières qui extraient du minerai phosphatique pour en faire de l’engrais, la ville a perdu 40% de ses habitants entre 1990 et 2020. Les villes monofonctionnelles sont aujourd’hui un héritage en berne : trente ans après l’effondrement de l’URSS, elles composent un ensemble de territoires désertés. Les villes monofonctionnelles de l’oblast de Mourmansk, autrefois fleurons de l’industrie soviétique, qui ont fait de la région le premier territoire productif de l’URSS occidentale et de l’Europe orientale, sont aujourd’hui dans ce que certains appellent la « deuxième Russie [25] ».
Il faut attendre les années 2000 et le « retour du Léviathan » pour que les territoires russes désindustrialisés bénéficient d’une politique de gestion de la crise. Dans les pays du bloc de l’Ouest, la désindustrialisation a eu lieu à partir des années 1960-70. Le retard russe s’explique par la dépendance de l’économie au modèle industriel soviétique d’État jusqu’à son effondrement en 1991. L’État russe post-soviétique actuel, qui a reconstitué son emprise sur la sphère privée sous V. Poutine, est l’instance qui contrôle et décide des stratégies des secteurs économiques stratégiques, dont le secteur extractif. L’Etat a forcé les entreprises à rétablir leur rôle paternaliste, dans un schéma hérité du fonctionnement soviétique.
Dans la ville de Kirovsk, dans l’oblast de Mourmansk, les élites économiques et politiques confondent leurs intérêts. On y retrouve des membres dirigeants des entreprises locales parmi les députés du parti du pouvoir (Phos Agro, possédée par des acteurs influents comme le recteur de l’Université des Mines de Saint-Pétersbourg, proche de Vladimir Poutine). Le champ d’action des entreprises dépasse la sphère privée : ce sont des acteurs politiques qui pourvoient aux besoins de leurs ouvriers dans une politique de paternalisme renouvelé. PhosAgro finance la réparation des routes, la reconstruction des infrastructures sociales et en parraine des projets sociaux. L’Etat russe fait en sorte que ses dépenses en matière de responsabilité sociale soient élevées (en 2011, PhosAgro a donné 1,3 milliard de roubles à la municipalité, environ 25 millions d’euros, ce qui correspond au budget annuel de Kirovsk).
Les plans de développement du Kremlin visent à réorienter la production vers des opportunités de développement durable et incitent les entreprises extractives de toute la Fédération à innover dans leurs stratégies de filières. À Kirovsk, cette diversification s’accomplit dans une économie touristique tertiarisée. La diversification et le discours sur le développement durable sont combinés dans la construction d’une station de ski créée en 2015 dans le massif des Khibiny, et dans la mise en place d’un parc naturel en 2018 sur ce territoire. La diversification économique exploite les aménités paysagères et touristiques : elle est guidée par un ensemble de représentations autour de la notion de développement, de durabilité et de protection de l’environnement. Mais dans le contexte du déclin économique et démographique, de la dégradation des infrastructures de transport et de l’ensemble de la ville de Kirovsk, les conditions ne sont pas réunies pour accueillir les activités de la diversification. Le tourisme est un secteur d’autant plus problématique dans un territoire où dominent l’exploitation minière du paysage et le délabrement des façades.
Les stratégies de développement de l’Arctique par l’Etat russe investissent inégalement le territoire en se concentrant sur des espaces ponctuels (les ports de la RMN) et en marginalisant les villes monofonctionnelles frappées de la malédiction des ressources. La dépendance générale aux structures mentales soviétiques est visible dans la répétition des arguments du pouvoir et dans les politiques de recolonisation de ces périphéries exploitées, qui incarnent cette « puissance pauvre » où se côtoient les mégaprojets innovants et les villes monofonctionnelles désertées, dans lesquelles les « mégaprojets » de diversification économique comme les stations de ski tiennent du même déterminisme technologique édicté à l’échelle du Kremlin qui néglige les particularités locales.
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Bonus vidéo. L’Arctique est-il -vraiment- stratégique ?
Par CSFRS, DIPLOWEB, GEOSTRATEGIA, Laurent Mayet, Michel Foucher, Thomas Merle
Nous vous proposons de visionner la vidéo de synthèse des « Perspectives Stratégiques » du CSFRS élaborées en partenariat avec Diploweb : l’Arctique est-il - vraiment - stratégique ? Elle vous permettra de retrouver les points saillants des interventions et discours développés sur cette région du monde, source d’intérêts et de fantasmes. Ces « Perspectives stratégiques » ont rassemblé plus de 150 participants le 30 mai 2018 à l’Ecole militaire (Paris).
Par ordre d’apparition, les intervenants :
Olivier Caron, Directeur général du CSFRS.
Pierre Verluise, Fondateur associé de DIPLOWEB.
Thomas Merle, agrégé d’histoire, agrégé de géographie, doctorant en géopolitique à l’Université de Reims : De la « course aux mers chaudes » à l’Arctique, un retournement géohistorique russe ?
Laurent Mayet, adjoint de l’ambassadeur pour les océans. Ancien conseiller de Michel Rocard ; ancien représentant spécial des Affaires étrangères pour les questions polaires ; président-fondateur du think tank Le Cercle Polaire. Plus de 50 séjours en Arctique.
Ambassadeur Michel Foucher, Chaire de Géopolitique mondiale au Collège d’études mondiales de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme. Conseiller de la direction de la prospective du Ministère des Affaires étrangères et européennes. Directeur des études de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (2009 à 2013). Michel Foucher (dir.) « L’Artique. La nouvelle frontière », Paris, éd. Biblis.
[1] Hohmann, S. (2017), « L’Arctique russe, reconquête d’un front pionnier ? », Hérodote, Kinossian, N. (2016) « Re-colonising the Arctic : the preparation of spatial planning policy in Murmansk Oblast’, Russia », Environment and Planning.
[2] Kinossian, N. (2016), « State-led metropolisation in Russia », Urban Research & Practice.
[3] En référence au Léviathan de Hobbes qui désigne l’Etat : voir Gelman, V. (2007), « Le retour du Léviathan : la politique de recentralisation en Russie depuis 2000 », Critique internationale.
[4] Douguine, A. (1993), Giperboreskaya teoriya. Opyt ariosofskogo issledovaniïa (Théorie hyperboréale : une expérience dans l’enquête ariosophique), Moscou, cité par Laruelle, M. (2012), « Larger, Higher, Farther North… Geographical Metanarratives of the Nation in Russia », Eurasian Geography and Economics.
[5] Laruelle, M. (2012), « Larger, Higher, Farther North… Geographical Metanarratives of the Nation in Russia », Eurasian Geography and Economics.
[6] Kinossian, N. (2016) « Re-colonising the Arctic : the preparation of spatial planning policy in Murmansk Oblast’, Russia », Environment and Planning.
[7] Chtamler-Gossman, A. (2013), « Chto takoe Sever ? Konseptsiya Rossiïskogo prostranstva » (« Qu’est-ce que le Nord ? Concept de l’espace russe »), Arktika XXI Vek, Goumanitarnye naouki.
[8] Makarychev, A. (2012), « Alternative logics of russian regionalism : critical theory perspectives », Region : regional studies of Russia, Eastern europe, and Central Asia.
[9] « State dirigisme in megaprojects : governing the 2014 Winter Olympics in Sochi », Environment and Planning : « In what Altshulcr and Lubcroff (2003, page 8) call the "great mcga-projcct era" in the 1950s and 1960s, modernisation was the rallying cry of megaprojects. »
[10] Radvanyi, J. (2017), « Adapter les réseaux de transport eurasiens : réussites et défis », Revue Défense Nationale
[11] Sokoloff, G. (1993), La Puissance pauvre, Fayard.
[12] Saxinger, G., et al (2016), « Ready to go ! The next generation of mobile high skilled workforce in the Russian petroleum industry », The Extractive industries and society.
[13] L’indice de Gini est une mesure des disparités dans une population donnée ; variant entre 0 et 1, il est égal à 0 dans une région où tous les niveaux de vie sont égaux ; plus l’indice est élevé, plus l’inégalité est importante.
[14] Mered, M. (2019), Les Mondes polaires, PUF.
[15] Huskey, L. (2018), « An Arctic development strategy ? The North Slope Inupiat and the resource curse », Canadian journal of development studies.
[16] Southcott, C., Natcher, D. (2017), « Extractive industries and Indigenous subsistence economies : a complex and unresolved relationship », Canadian Journal of Development Studies / Revue canadienne d’études du développement.
[17] Duarte, C., et al, (2012), « Abrupt climate change in the Arctic », Nature Climate Change.
[18] Les termes « материк » (materik) ou « Большая земля » (Bolshaïa zemlya, littéralement la Grande terre) sont employés par les habitants de l’Extrême nord pour désigner le reste de la Russie, selon Gras, C. (2013), Le Nord, c’est l’Est, Phébus. Si le terme « материк » signifie continent, son étymologie (de мать, mat’ la mère) souligne le rapport de dépendance et d’affiliation au territoire central que l’on peut retrouver dans le terme de « métropole » (la ville-mère), confirmant la dimension coloniale des relations entre le centre et les périphéries arctiques.
[19] Gelman, V. (2007), « Le retour du Léviathan : la politique de recentralisation en Russie depuis 2000 », Critique internationale.
[20] Kontorovitch, V. (2000), « Can Russia resettle in the Far East ? » Post-communist economies.
[21] Rassel, M. (2009), « Neoliberalism in the North : the transformation of social policy in Russia’s northern periphery », Polar Geography.
[22] Einarsson, N., Larsen, J., Nilsson, A. And Young, O. (2004), Arctic Human Development Report, Akureyi.
[23] Dans le sens de Michel Foucault : un lieu réel qui fixe l’idéologie dans l’espace.
[24] Kinossian, N. (2017), « Exploring Arctic Diversity by “Hitting the Road” : Where Finland, Norway, and Russia Meet », Focus on Geography.
[25] Zubarevitch, N. (2012), « Four Russias : rethinking the post-soviet map », Open democracy.
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