Hervé Baudu, Professeur en Chef de l’Enseignement maritime à l’Ecole Nationale Supérieure Maritime de Marseille, Membre de l’Académie de Marine. Synthèse réalisée par Marie-Caroline Reynier pour Diploweb.com. Marie-Caroline Reynier est étudiante en Master Science Politique majeure Relations Internationales à Sciences Po Paris. La synthèse a été revue et validée par Hervé Baudu.
Visioconférence organisée par l’Institut de l’Océan de l’Alliance Sorbonne Université, le 3 juin 2021 et illustrée par de nombreuses cartes commentées. Intervenant : Hervé Baudu, Professeur en Chef de l’Enseignement maritime à l’Ecole Nationale Supérieure Maritime de Marseille, Membre de l’Académie de Marine. Synthèse réalisée par Marie-Caroline Reynier pour Diploweb.com. Revue et validée par Hervé Baudu.
Synthèse par Marie-Caroline Reynier pour Diploweb.com
En préambule, H. Baudu déconstruit 3 idées fausses qui circulent au sujet de l’Arctique. En effet, les routes maritimes passant par l’océan Arctique ne sont pas appelées à se substituer à celles passant par le canal de Suez ou de Panama car elles sont gelées 6 mois par an. De plus, il n’y pas de ruée vers les hydrocarbures en Arctique car ils sont situés dans des domaines souverains et ne suscitent donc pas de concurrence. Enfin, on ne peut pas parler de conflit en Arctique mais plutôt de tensions. Le climat de discussion apaisé au Conseil de l’Arctique depuis la présidence russe ayant débuté en mai 2021 le prouve.
A la différence de l’Antarctique qui est un continent entouré de mers, l’Arctique est un océan entouré de continents. Il s’agit donc d’un espace fermé sur le plan géographique, physique et réglementaire, ce qui peut expliquer les tensions portant sur l’utilisation des espaces maritimes. L’Arctique est gelé 6 mois par an, en raison de la nuit polaire. Au printemps, au début de la fonte de la banquise, les courants en océan Arctique favorise les eaux libres de glaces le long de la côte russe et embâcle plutôt dans les espaces de l’archipel canadien. Le réchauffement climatique en océan Arctique est 3 fois plus important que sur le reste de la planète. Depuis le début des observations par satellite de la banquise arctique en 1979, cette dernière fond au rythme de 12,8 % en moyenne par décennie. La banquise perd environ 8% de sa superficie par décennie depuis 1980. Son épaisseur moyenne est passée de 3,6 mètres à 1,25 mètres sur la même période de temps.
Il existe 3 routes maritimes en Arctique. Le passage Nord-Est est compris entre les détroits de Kara et de Béring. Le passage Nord-Ouest le long des côtes canadiennes est praticable 1 mois par an (de fin août à fin septembre). Enfin, la route transpolaire, route théorique, est idéalement la plus courte entre le Pacifique Nord et l’Atlantique Nord.
Le tracé des eaux intérieures où les Etats côtiers sont souverains suscite des revendications. La Russie s’est arrogée des eaux intérieures dans les détroits de Vilkitsky, et de Kara et demandent donc une autorisation aux navires souhaitant y transiter. Le Canada a fait de même en considérant tout l’archipel comme eau intérieure, ce que conteste les Etats-Unis qui l’identifie comme des eaux archipélagiques avec libre passage. Ce cas n’a pas été porté devant le tribunal des Nations-Unies en raison du faible enjeu maritime : 40 navires transitent de manière continue entre le détroit de Béring et la mer de Barents par an soit l’équivalent du trafic maritime par le canal de Suez par jour.
Dans les eaux territoriales jusqu’à la limite des 12 milles, un navire étranger jouit d’un droit de passage inoffensif sans entrave. La navigation doit y être rapide et continue.
La Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer, aussi appelée Convention de Montego Bay, établit une Zone Economique Exclusive (ZEE) limitée par la ligne des 200 milles nautiques à partir de la ligne de base. L’Etat côtier y est propriétaire de son sous-sol (ressources halieutiques, hydrocarbures, nodules polymétalliques). La Russie, la Norvège et le Svalbard, le Canada, les Etats-Unis, le Danemark au titre du Groënland possèdent ainsi des ZEE. Des puissances extérieures peuvent forer après en avoir obtenu l’autorisation, ce que fait la Chine en mer de Kara à la demande de la Russie. Si les Etats-Unis n’ont pas signé la Convention de Montego Bay, ils reconnaissent la limite des 200 milles pour les autres pays et se l’appliquent en tant que signataires des 2 conventions précédentes (1962, 1964) non abrogées.
En cas de litiges frontaliers au sujet de ZEE, les 2 pays limitrophes doivent trouver un arrangement entre eux. En Arctique, le litige entre la Norvège et la Russie a ainsi été résolu. Le Danemark au titre du Groënland et le Canada se sont également arrangés pour laisser en suspens le conflit autour de l’île Hans car il ne présente pas d’intérêt économique et stratégique.
Si les eaux intérieures restreignent la route maritime d’été, les navires peuvent passer dans les eaux de la ZEE, réglementées par l’article 234 de la convention de Montego Bay. Il prévoit un droit non-discriminatoire de contrôle de la route dans les ZEE couvertes par la glace afin de prévenir les risques de pollution. De ce fait, les Russes s’arrogent légalement le contrôle de la route du Nord-Est. Les navires souhaitant passer doivent demander une autorisation payante à la Northern Sea Route, administration russe en charge. La Russie fait valoir ses investissements dans des brise-glace modernes pour justifier le coût du passage (5$/tonne équivalent au tarif de passage par Suez). Ces coûts pourraient faire naître des revendications sur l’obligation à se soumettre à un péage alors que la mer est libre de glaces une bonne partie de l’été.
Une extension de la ZEE dans la limite de 350 milles est prévue par la convention de Montego Bay si l’Etat côtier peut justifier de l’extension de son plateau continental. Il doit déposer un dossier auprès de la Commission des limites du plateau continental qui étudie le bien-fondé de la demande sans trancher. En Arctique, la Russie, comme le Danemark, font valoir la continuité de la dorsale de Lomonosov. Les prétentions d’extension aux 350 milles des pays de l’océan Arctique couvrent quasiment tout l’Arctique. La zone de Gakkel, seule zone restante, fait désormais également l’objet d’un dossier d’extension déposé par la Russie en mars 2021.
Au-delà du plateau continental, la zone est gérée par l’Autorité internationale des fonds marins à laquelle il faut demander l’autorisation d’exploitation des ressources. Celles-ci abondent un fonds au profit des pays n’ayant pas de façades maritimes.
La Russie réaffirme la réglementation des espaces maritimes en Arctique au regard de ses intérêts majeurs et ambitions économiques. En effet, 15% de son PIB provient de l’exportation majoritairement des hydrocarbures situés en Arctique. Face à la dynamique mondiale de transition énergétique et ses impératifs de réduction de gaz à effet de serre, elle veut profiter de cette manne en hydrocarbures avec le gaz notamment.
Elle investit beaucoup surtout sur le passage Nord-Est. La loi sur l’extension et le contrôle de cette route prévoit un budget de 146 milliards de dollars jusqu’en 2035 à travers l’investissement dans des brise-glace et des infrastructures portuaires. La construction de brise-glaces tels que la série Arktika à propulsion nucléaire (60 MW) vise à ouvrir des routes l’hiver. Actuellement, l’usine de Novatek, Yamal LNG, produit 20 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié acheminé par des tankers brise-glaces toutes les 36 heures. Le trafic se concentre dans la presque-île de Yamal, la péninsule de Gydan et de Taymyr. Les projets d’acteurs privés tels que Rosneft (pétrole) et Novatek (gaz) prévoient de décupler le volume d’extraction vers l’Asie.
Pour aller plus loin : informations et figures complémentaires sur le site polar-navigation
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