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"Appelez-moi Excellence. Un ambassadeur parle", par Bernard Dorin, Ambassadeur de France
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Ed. Stanké international, juin 2001, 328 p. (diffusion au Canada : Québec-Livre, diffusion hors Canada : Inter Forum) L'Ambassadeur de France Bernard Dorin propose au lecteur deux privilèges. Tout d'abord, partager l'expérience du seul diplomate français à avoir été ambassadeur dans cinq pays : Haïti, l'Afrique du Sud, le Brésil, le Japon et le Royaume-Uni. Après plus de quinze années à des postes aussi variés qu'importants, cette partie du propos est riche en réflexions pertinentes et en anecdotes aussi savoureuses que significatives. Cependant, cet ouvrage tire sa singularité de sa deuxième qualité : longtemps obligé au "devoir de réserve", l'Ambassadeur de France Bernard Dorin prend ici le risque d'exprimer au grand jour ses convictions quant aux qualités et aux défauts de la Diplomatie, à laquelle il met une majuscule. Pis - ou mieux encore selon le point de vue - il prend position sur des sujets plus que délicats, généralement mis à la marge du débat public. Un système absurde ? Après avoir défini la Diplomatie et tordu le cou à quelques idées fausses concernant le métier d'ambassadeur - l'un des plus absorbants et des plus épuisants - Bernard Dorin commence à analyser le fonctionnement réel du ministère des Affaires étrangères. "La diplomatie française est un peu à l'image de ces antiques sauriens : ses membres exécutants que sont les postes diplomatiques et consulaires demeurent relativement surdimensionnés, malgré des coupes sombres, par rapport au cerveau, le service central qui, lui, est désespérément menu. Or, on sait ce qu'il est advenu des dinosaures, il est vrai au terme de quelques millions d'années "(p.38) Dessaisi d'une partie de son domaine par la Présidence de la République, le ministère des Affaires étrangères donnant sur le Quai d'Orsay manque singulièrement de personnel. En 2001, la Direction d'Amérique ne dispose que de deux secrétaires adjoints pour suivre au jour le jour une vingtaine de pays de la zone. Alors que trois secrétaires adjoints se partagent la Colombie, l'Equateur, le Pérou, le Venezuela, la Bolivie, le Chili, le Paraguay et l'Uruguay. Pis, un seul secrétaire adjoint doit traiter les affaires de deux Etats aussi importants que le Brésil et l'Argentine auxquels on a d'ailleurs ajouté le "Mercosur". "Quand on considère que le grade de secrétaire adjoint est l'un des moins élevé dans la hiérarchie, et que sa tâche consiste, non seulement à analyser les télégrammes et les dépêches qu'il reçoit des postes, mais aussi à concevoir et à préparer les instructions données aux ambassadeurs accrédités dans les pays qu'il gère, on mesure l'absurdité du système." (p. 41) Comment un tel sous-équipement, pour ne pas écrire sous-développement, ne produirait-il pas une importante perte en ligne d'informations ? "Aussi la grande question que nous devons nous poser est-elle la suivante : la France a-t-elle actuellement les moyens d'une grande politique mondiale déployée sur tous les continents ? La réponse est malheureusement négative." (p. 45) Propositions Bernard Dorin ne se contente pas de dire au grand jour ce qu'il convient généralement de taire, il propose des idées de réformes du Quai. Il se prononce notamment en faveur d'une modification de l'accès à la Carrière, en supprimant l'accès par le rang de sortie à l'Ecole Nationale d'Administration. L'auteur pense préférable de revenir au système du choix à l'entrée, ce qui témoigne bien davantage d'un engagement. B. Dorin prône en deuxième lieu de rendre au Secrétaire général du Quai d'Orsay son rôle de concepteur de la politique extérieure de la France, à l'abri des modes et des pressions médiatiques. Il faudrait également décharger le ministre de beaucoup de fonctions de représentation qui le détournent de la réflexion. Pour assurer l'unicité et la cohérence de la politique de la France dans chacune des grandes régions du monde, Bernard Dorin pense qu'il faudrait désigner des "ambassadeurs de région", dont la résidence serait la capitale de l'Etat le plus important de la zone. Il pourrait ainsi coordonner l'action des collègues de sa zone d'attribution. Ce qui éviterait l'émiettement de l'action diplomatique. Au sein de chaque ambassade, l'auteur entend supprimer la séparation des fonctions politiques des fonctions économiques et commerciales. "Cela signifierait rien moins que la suppression pure et simple du corps dit de "l'expansion économique" administré par la Direction des Relations économiques extérieures du ministère des Finances."(p. 55) Voilà une proposition qui ne fera certainement pas plaisir au sein de l'enceinte qui depuis plusieurs décennies réduit le budget des Affaires étrangères. Supprimer un "corps administratif " en France ? Cela signifierait que l'on retranche au lieu d'ajouter. Ce qui serait une rupture à l'égard de l'héritage comportemental monarchique d'une partie des élites qui se drapent dans les plis de la République. Pour balayer devant la porte du Quai, B. Dorin propose également de moderniser les méthodes de travail - notamment par l'usage des téléconférences - et de revoir la carte de l'implantation diplomatique. Il importe, bien sûr, de redonner au service central les moyens financiers et humains d'exploiter les informations recueillies par les postes et de développer une véritable politique de l'information. Enfin, l'Ambassadeur B. Dorin souhaite qu'on en revienne à la notion d'unicité de l'action extérieure de l'Etat, sous l'égide du Quai. Une rigidité imbécile Encore faut-il avoir une politique étrangère cohérente à mettre en uvre. L'Ambassadeur B. Dorin ne semble pas vraiment convaincu que ce soit actuellement le cas. Il déplore longuement l'absence de vision et l'absence de prévision des politiques étrangères. Il vise ici aussi bien les Etats-Unis que les Européens et la France. Ces déficits prennent une part de leur origine dans le culte du statu quo que partagent bien des diplomaties. L'auteur en analyse la nature et les effets pervers, s'appuyant notamment sur les conséquences dramatiques de l'intangibilité des frontières lors de la décolonisation de l'Afrique (p. 109) "Ce que je prétends [ ], et fermement, c'est qu'il faut absolument se libérer de la rigidité imbécile du principe d'intangibilité absolue des frontières d'Etat et reconnaître que, dans certains cas et sous certaines conditions, les frontières peuvent et doivent changer."(p. 115) Retour aux sources Plus que sur le statu quo, l'Ambassadeur B. Dorin pense que la diplomatie d'un Etat décent doit s'appuyer sur des principes. La France "se doit d'être à la tête de la défense des particularismes culturels et linguistiques dans le monde entier face à la formidable entreprise d'uniformisation venue d'Outre-Atlantique."(p. 120) Quels peuvent être les fondements de l'action diplomatique de la France ? "Il faut les chercher dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et plus généralement dans les grands principes légués, tant par les auteurs de la constitution américaine de 1787, que par les révolutionnaires français de 1789."(p. 120) "Arrière, hypocrisie !" Bernard Dorin ne se contente pas de discours enflammés d'après-boire, il exige une cohérence entre les discours et les actes. "Il est [ ] navrant de constater que ce que l'on nomme à juste titre les "idées françaises" sont étrangement absentes de notre action diplomatique qui a parfois sacrifié la morale au profit d'intérêts à courte vue ou de condamnables ventes d'armes aux pays du Tiers-Monde."(p. 121) Et de dénoncer le soutien de la France aux régimes africains dictatoriaux et corrompus, le prêt d'avions de guerre à l'agresseur irakien en pleine guerre contre l'Iran, les sourires aux dirigeants chinois peu après le génocide tibétain et le massacre de Tienanmen, la vente d'hélicoptères de combat à la Turquie engagée contre une sanglante répression contre les Kurdes, la modestie des réactions contre le bombardement russe de Groznyï "Arrière donc l'hypocrisie ! Retrouvons les accents de Bernanos dans Les Grands cimetières sous la lune pour stigmatiser l'ignominie ! Laissons-nous soulever par l'indignation ! Elle est très nécessaire, car dénonçant sans relâche et sans complaisance les compromissions et les lâchetés passées et présentes de notre diplomatie, c'est l'image même de la France, son honneur, sa dignité que l'on tente de préserver ou plutôt, hélas, de laver ! Comment ne voit-on pas que le prestige de notre pays serait immense s'il prenait la tête d'un grand mouvement mondial pour la défense des opprimés, pour la dénonciation des génocides partout où ils se produisent, pour un ordre mondial fondé sur le respect des droits et des libertés. Bien sûr, cela reviendrait à se démarquer totalement des diplomaties traditionnelles fondées sur le conformisme frileux, mais qu'aurions-nous à y perdre ?" (p. 122). Cohérence Ces propos peuvent étonner sous la plume d'un Ambassadeur, mais la vie de Bernard Dorin témoigne de sa cohérence avec cet engagement. D'une part parce que sa carrière diplomatique a été un temps suspendue par son engagement moral contre le prêt d'armes françaises destinées au génocide des Kurdes (pp. 158-160). D'autre part parce qu'il s'est physiquement engagé au côté des combattants Kurdes, allant jusqu'à faire avec eux une charge de cavalerie (pp. 190-196). Enfin, parce qu'il a uvré sur le plan politique en leur faveur. Aussi ne peut-on pas lui faire le reproche de découvrir sur le tard les vertus de la morale. Il ne fait que rendre public ce qu'il a été, par l'obligation du devoir de réserve, obligé de faire secrètement pendant toute sa carrière. Voir une carte de la répartition des kurdes au Moyen-Orient Aussi est-il légitime quand il interroge : "A-t-on pris conscience du fait que ce sont, semble-t-il, des Mirages français peints en blancs (!) qui ont gazé Halabja (6000 morts dans cette ville kurde d'Irak) en 1998, que ce sont des hélicoptères français qui brûlent les villages et traquent les maquis du sud-est anatolien ? Ce sont précisément ces ventes d'armes qu'il faut condamner sans appel. La France est après les Etats-Unis et la Russie, le troisième vendeur d'armes de la planète ! Or nous avons vendu essentiellement ces armes aux pays du Tiers-Monde et, au seul Irak, pour 130 milliards de francs ! Ayons le courage de reconnaître qu'il s'agit là d'une honte pour notre pays." (p. 130) L'auteur démontre l'inanité des arguments habituellement opposés à cette exigence rarement exprimée par un responsable. Il est vrai que les ventes d'armes constitue le marché sur lequel les commissions et les rétro commissions sont les plus juteuses. "Voyez-vous, mon cher ... " Au sujet des grands contrats, il rapporte le propos d'un conseiller d'une des plus importantes compagnies pétrolières françaises qui tirait un grand profit du pétrole brut irakien. Alors que Bernard Dorin sollicitait un don pour la Croix-Rouge à destination des blessés au napalm du Kurdistan d'Irak, il s'entendit répondre par ce monsieur fort élégant :"Voyez-vous, mon cher, quelques milliers de personnes de plus grillées, embrochées, empalées dans ces pays là, quelle différence ?" (p. 131). Sans répondre, il est parti. Bernard Dorin voudrait voir la diplomatie placée sous le signe d'autres valeurs : le courage de dire et de faire, la volonté de suivre une politique lucide et cohérente, l'imagination, la ferveur, la réflexion et la transparence. Il en dénonce la férocité, aussi bien à l'égard des individus que des nations, à cause d'une "immense dose d'indifférence à la souffrance, un superbe mépris pour les conséquences, éventuellement tragiques, de la "grande politique", bref une absence assez générale d'humanité". (p. 162) L'identité Il prône pour le diplomate l'engagement en faveur d'un idéal. "Pour moi, cette grande idée a été la défense des identités qui a tout naturellement débouché sur l'opposition au génocide sous toutes ses formes. La défense des identités nationales, essentiellement linguistiques, m'a conduit à la francophonie, l'horreur du génocide au soutien du peuple kurde". (p. 166) Les deux l'ont constamment amené, en marge de la "Carrière", seul ou avec des amis, à monter des "coups", notamment à propos du Québec. Il serait dommage de dévoiler ici les nombreuses révélations que l'auteur fait à propos de la petite et la grande histoire du "Vive le Québec libre !" lancé par le général de Gaulle en 1967 depuis le balcon de l'Hôtel de Ville de Montréal. (pp. 168-185 et pp. 197-207). Un livre pour tous, y compris les lycéens Au total, un livre inattendu et d'autant plus précieux. Ecrit avec talent, il se lit avec beaucoup de plaisir. Ce qui permet d'en conseiller la lecture à tous, y compris à des élèves de lycée. En effet, la partie consacrée à Haïti est une excellente initiation à la complexité du sous-développement, au programme de Seconde (209-230). Le chapitre consacré au Royaume-Uni offre une belle introduction à la dernière partie du programme de Première (pp. 295-319). Enfin, les élèves de Terminale trouveront dans le propos consacré au Japon bien des clés pour en comprendre la puissance . (pp. 275-294) Ils dégagerons du chapitre sur le Brésil bien des éléments pour illustrer les difficultés du développement en Amérique Latine (pp. 251-273). Avoir pour guide dans la découverte de ces pays l'homme qui y a été Ambassadeur de France pendant plusieurs années, ayant accès à de nombreuses sources et contacts, qui n'en rêverait ? L'Empereur du Japon. Crédits: Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure Bernard Dorin achève son propos en désignant à la France une "nouvelle frontière": l'exploration des océans. Disposant d'un très important domaine maritime grâce aux DOM-TOM, la France pourrait prendre un avantage à la fois scientifique et économique, notamment pour la détection et l'extraction des nodules polymétalliques. Encore faudrait-il qu'un homme politique d'envergure sache faire de ce rêve une dynamique. NDLR. Consulter également notre Bibliographie pour l'étude de la diplomatie, http://www.diploweb.com/diplomatie.htm Copyright juin 2001-Verluise/www.diploweb.com |
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. "Les suites des attentats du 11 septembre 2001", par Bernard Dorin, Ambassadeur de France. . "Où s'arrête l'Europe ?", par Bernard Dorin, Ambassadeur de France. . L'élargissement de l'Union européenne à l'Europe centrale et orientale . "Comment voir le monde ?" par Alexandra Viatteau, enseignante en sciences de l'information. |
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Biographie de Bernard Dorin, Ambassadeur de France |
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. 1950 : Diplôme de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. . 1953 : Admis à l'Ecole Nationale d'Administration . 1963 - 1964 : Adjoint au Secrétaire Général du Ministère des Affaires Etrangères. . 1964 - 1966 : Conseiller Technique - pour les affaires diplomatiques - au cabinet du Ministre de l'Information. Directeur Adjoint du "Service de Liaison Interministériel pour l'Information". . 1966 - 1967 : Conseiller Technique - pour les affaires diplomatiques - au cabinet du Ministre Délégué chargé de la Recherche Scientifique et des Questions Atomiques et Spatiales. . 1967 - 1968 : Conseiller Technique - pour les affaires diplomatiques - au cabinet du Ministre de l'Education Nationale, chargé en particulier des relations avec les universités africaines. . 1968 - 1969 : Conseiller Technique - pour les affaires diplomatiques - au cabinet du Ministre chargé de la Recherche Scientifique et Conseiller technique "officieux" au Cabinet du Ministre de l'Education Nationale. . 1969 - 1970 : Année sabbatique à l'Université de Harward, au Center for International Affairs. . 1970 - 1972 : Chargé de mission auprès du Directeur du Personnel du Ministère des Affaires Etrangères. . 1972 - 1975 : Ambassadeur en Haïti. Plus jeune Ambassadeur du corps diplomatique français. . 1975 - 1978 : Créateur et chef du Service des Affaires Francophones du Ministère des Affaires Etrangères. . 1978 - 1981 : Ambassadeur en République d'Afrique du Sud. . 1981 - 1984 : Directeur d'Amérique au Ministère des Affaires Etrangères (Etats-Unis, Canada et Amérique Latine). . 1984 - 1987 : Ambassadeur au Brésil. . 1987 - 1990 : Ambassadeur au Japon. . 1991 - 1993 : Ambassadeur en Grande-Bretagne. . 1er janvier 1992 : Elevé à la dignité d'Ambassadeur de France. . 1993 - 1997 : Conseiller d'Etat en service extraordinaire. . 2001 : "Appelez-moi Excellence. Un ambassadeur parle", éd. Stanké. Officier de la Légion d'Honneur. Grand-Croix de l'Ordre de Victoria (G.C.V.O.) Membre fondateur de l'Association France-Québec. Président des Amitiés francophones, 39 Avenue de Saxe, 75007, Paris, France. |
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