Cette troisième édition présente sept conférences autour de trois axes : Sécurité internationale (I), l’Europe face à elle-même (II), l’art de la diplomatie (III).
Voici une synthèse des conférences diplomatiques, géopolitiques, stratégiques et relations internationales tenues entre mars et mai 2017. A partir des notes prises lors de ces événements, nous vous proposons des éléments pour vous informer de ce que nous en avons retenu. Cela peut vous être utile pour « connaître l’air du temps », identifier des thèmes nouveaux, des experts talentueux. L’objectif est d’offrir un prolongement dans le temps et dans l’espace d’évènements qui contribuent à nourrir la réflexion publique française et internationale. Que vous soyez à Lyon ou Brest, à Los Angeles, Québec ou Pékin, vous pouvez avoir connaissance des réflexions partagées lors de ces événements. Pour l’instant, nous couvrons les conférences organisées en région parisienne, mais nous vous invitons à faire de même dans votre région ou dans votre pays. Vous saurez trouver le bon support pour développer ce concept initié par Diploweb pour que vivent les idées à l’international !
Les deux conférences de cette première section permettent de mieux comprendre deux enjeux actuels de la sécurité mondiale : la dissuasion nucléaire et l’Internet. Le principe de dissuasion est un sujet fondamental pour la sécurité mondiale, même s’il n’est plus sur le devant de la scène comme à l’époque de la Guerre froide. Instrument de pacification efficace ou menace internationale insuffisamment encadrée, c’est ce que nous aborderons dans une première partie. Les cyber attaques quant à elles occupent les unes médiatiques. Une géopolitique générale de l’Internet comme vecteur de domination et donc comme champ de bataille international sera dressée dans la deuxième partie, pour une compréhension claire des enjeux politique de l’Internet.
Conférence organisée par l’association Sorbonne pour les Nations Unies à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, le 23 mars 2017.
« L’arme nucléaire est terrifiante, elle est faite pour ne pas être utilisée. »
Jean-Marie COLLIN est consultant indépendant dans les domaines de la dissuasion nucléaire et de la non-prolifération nucléaire. Il est également Directeur France du réseau international des Parlementaires pour la non-prolifération Nucléaire et le Désarmement (PNND) et chercheur associé auprès du Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité (GRIP).
Il existe un brainstorming mondial de réflexion sur la question de la dissuasion nucléaire. La Seconde Guerre mondiale n’a pas été gagnée grâce à la bombe nucléaire, c’est un mythe. Cela est très compliqué de dire qu’on a eu la paix relative au niveau mondial grâce à l’obtention de la bombe nucléaire : personne ne peut le prouver. Il existe un consortium de facteurs parmi lesquels les Nations-Unies, l’Union européenne et l’interdépendance économique et culturelle ont joué.
Le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) est un traité international conclu en 1968 et signé par un grand nombre de pays. Il a été reconnu mais pas forcément respecté, bien qu’il ait poussé à la réduction des arsenaux et à la mise en œuvre d’un monde sans arme en marche. Il avait pour but d’éviter que de trop nombreux Etats possèdent l’arme nucléaire. On peut dire que le TNP a bien marché : il n’y a que neuf Etats qui possèdent la bombe nucléaire. Les Etats qui y ont renoncé ou qui ont été obligés de le faire sont le Kazakhstan, la Biélorussie, l’Ukraine, l’Irak et la Lybie. Le Brésil et l’Argentine ont compris que cette course ne menait à rien en Amérique latine. L’Iran a fait l’objet de très fortes suspicions avant de signer l’accord de Vienne de juillet 2015 où l’Etat s’est engagé à ne jamais en posséder, ce qui l’engage à autoriser l’Agence internationale de l’énergie atomique à procéder à des contrôles précis. Ce traité institue un régime d’exception pour les cinq pays possesseurs d’armes nucléaires avant 1967 (États-Unis, URSS / Russie, France, Royaume-Uni et Chine) et interdit à tous les autres de s’en équiper.
Tous les cinq ans on prolonge le TNP de manière indéfinie. Il impose que les missiles soient détruits et les matières stockées dans l’arsenal militaire. Cela pose problème puisque si ce pilier-là n’est pas respecté les déclarations ne marchent pas et les Etats qui ne la possèdent pas peuvent avoir envie de l’acquérir. Les conférences sur les conséquences catastrophiques de l’arme nucléaire de 2013 et 2015 ont permis une certaine prise de conscience mondiale. Si une arme détonne quelque part, le monde entier en subira les conséquences. Pourtant le TNP n’est pas un traité complet prévoyant toutes les obligations contraignantes ou non en matière de désarmement et de non-prolifération nucléaires. Il y a un travail à faire sur le vide juridique du traité qui autorise les essais nucléaires dans le Pacifique.
La résolution L41 « sur l’avancement du désarmement nucléaire multilatéral » a enclenché la mise en place d’une conférence des Nations Unies chargée de négocier un instrument juridiquement contraignant d’interdiction des armes nucléaires, conduisant à leur élimination totale. La conférence se tiendra pour la deuxième fois du 15 juin au 7 juillet 2017, avec la participation d’organisations internationales et d’ONG. Cependant, la France s’oppose à toute négociation ou discussion sur un traité plus complet.
Amiral Alain COLDEFY, Président depuis 2011 du Comité d’Études de Défense Nationale et Directeur de la revue Défense Nationale.
Le principe de la dissuasion depuis la fin de la Guerre froide est celui d’une destruction mutuelle assurée en cas de guerre nucléaire. Pendant toute la période de la Guerre froide les stratèges américains et soviétiques ont envisagé cela comme une arme de bataille. On a eu besoin de construire une doctrine pour aller vers la dissuasion. Entre 1945 et 1991 cette doctrine a eu un certain succès et entre 1991 et 2010 les puissances nucléaires ont dit non au TNP (comme l’Inde, Israël, le Pakistan).
L’arme nucléaire est terrifiante, elle est faite pour ne pas être utilisée. Les tentatives de contournement de la défense nucléaire sont les menaces chimiques, cybernétiques, et biologiques. La menace chimique est contrôlable mais pas les autres, alors que la biologique est encore plus terrifiante que le nucléaire. L’ordre nucléaire mondial va bien : le traité Antarctique protège le continent. La France désarme unilatéralement depuis 1998 : les usines sont démantelées et le centre d’essai du Pacifique a été fermé en 1995. L’Allemagne est anti arme nucléaire. Cela fait 75 ans que l’arme nucléaire est disponible et il n’y a pas de guerre sur le territoire donc l’arme nucléaire est un instrument efficace de dissuasion.
Pour aller plus loin : Nicolas Maldera, « Quelles évolutions pour la dissuasion nucléaire française ? », article mis en ligne le 6 juillet 2016 sur le site de la Fondation IFRAP.
Conférence organisée par Grenoble Ecole de Management (GEM) et le Diploweb, sur le campus parisien de GEM, le 29 mars 2017.
« Quand on pense à une hégémonie sur Internet, on a tendance à considérer qu’elle se résume au web. Mais c’est un espace dont seules les infrastructures sont apparentes, avec des industries lourdes et des investissements colossaux. L’ensemble de l’économie mondiale est organisé autour de l’Internet. »
Laurent BLOCH, auteur de « L’internet, vecteur de puissance des Etats-Unis ? », éd. Diploweb, via Amazon.
Les Etats-Unis ont pour une grande partie inventé l’Internet. Ils sont dominants sur les organes de l’Internet au niveau industriel et intellectuel.
La densité des composants électroniques double tous les deux ans et celui du coût de l’outil de production des processeurs tous les quatre ans. Les fibres optiques transocéaniques permettent l’acheminement des communications. L’adresse IP est unique dans le monde, elle permet que la connaissance arrive à destination et à la réponse de revenir.
Le survol d’un pays est soumis à l’autorisation de celui-ci, alors que les fibres optiques de l’Internet appartiennent aussi à des personnes mais en principe la circulation est libre. Le cyberespace peut être caractérisé par un protocole qui permet d’accéder à ces données et par l’aristocratie de l’Internet ; ce sont seize opérateurs dont les deux premiers sont américains. Orange est le seul opérateur français dans cette liste et c’est un petit opérateur.
Outre cette domination des opérateurs, une équipe de chercheurs a estimé l’indice de centralité dans l’Internet dans l’ouvrage Nation State Routing : Censorship, Wiretapping and BGP. Une forte centralité permet l’espionnage et la déstabilisation. Si la Chine a une si faible centralité c’est qu’elle ne souhaite pas une communication de ses citoyens. Les Etats-Unis occupe la première place dans l’indice de centralité, la Hongrie la 10ème car elle a une position géographique très intéressante. Ainsi, les controverses liées à l’ingérence de la Russie dans les élections présidentielles américaines de 2016 ont pu laisser croire que celle-ci était en capacité de contester l’hégémon aux Etats-Unis, alors que les menaces sur le cyberespace viennent plutôt de l’Asie orientale.
Que faut-il pour être une grande puissance sans l’Internet ? L’ouvrage de référence d’Edward Luttack, Le paradoxe de la stratégie fait le parallèle avec l’inexistence d’une puissance maritime sans chantiers navals. Les fournisseurs d’Internet sont les plus puissants comme Intel, ARM ou Glob. Foundries. Huawei est le premier fournisseur mondial chinois. Il n’y a que huit usines de fournisseurs car cela coûte très cher (8 milliards de dollars minimum). Cependant, il serait question que d’ici cinq ans la Chine soit une cyber-puissance.
On peut dresser une typologie du cyberespace :
L’hégémon : les Etats-Unis, ils dominent l’Internet mais les points faibles de la société viennent de l’enseignement secondaire dont le niveau est très faible. L’hégémonie ne peut pas reposer de manière illimitée sur la capacité du pays à attirer les meilleurs élèves et enseignants du monde dans le domaine technologique. Ensuite vient la Chine qui est en train de construire sa cyber-puissance. La Corée du Sud, Taiwan, Singapour et Israël sont les quatre cyber-dragons, ils investissent beaucoup dans la formation de la population car ils ont peu d’autres ressources. Le Japon et l’Union européenne sont les déserteurs de cette course au cyberespace. L’Inde serait un acteur secondaire. La grande absente de la course est la Russie, qui est très en retard technologiquement.
Kevin LIMONIER, géographe spécialiste de l’URSS et de la Russie, maitre de conférences en études slaves et géopolitique à l’Université Paris VIII (Institut Français de Géopolitique).
On ne fait que parler du cyberespace russe et des cyber attaques de la Russie aux Etats-Unis, alors quand dans ce domaine la Russie est très loin derrière les Etats-Unis qui est l’hégémon en termes de puissance cybernétique et l’Europe. La Russie a une croissance économique en berne et les manifestations contre la corruption sont le signe que la société russe s’essouffle. Elle a pu se présenter comme héraut de la cause des Etats qui veulent se libérer de l’emprise des Etats-Unis avec le symbole de Snowden comme réfugié politique. L’Estonie est l’hôte du commandement cyber de l’OTAN et parfois surnommée la « Singapour de la baltique ». Le cyberespace est investi comme un lieu de puissance par les autorités russes, c’est un appareil médiatique très performant qui passe par les réseaux sociaux.
L’Internet en URSS était une science bourgeoise, puis l’informatique soviétique a décollé dans les années 1960 après la mort de Joseph Staline. Une période de repli sous Leonid Brejnev a conduit à un retard considérable de la Russie. La perestroïka a engagé le pays dans le développement et des informaticiens à partir de 1987-1988 ont eu l’idée de mettre en réseau un ordinateur. Cela a été le premier et unique fournisseur du monde soviétique qui passait par une ligne téléphonique, il comptait 800 clients. Cela a joué un grand rôle dans la mesure où les premiers serveurs ont été installés dans le bâtiment M9, un institut de recherche fermé et quasi secret : la première tentative d’ouvrir la Russie au reste du monde est partie d’un lieu fermé.
Entre 1991 et 2005 la Russie est isolée dans l’Internet mondial. Les investisseurs ne voulaient pas aller en Russie. La situation s’est embellie en 2005 avec le TEA, une route alternative de câbles sous-marins, qui a permis une stratégie d’autonomie et de désenclavement. L’Internet russe s’est développé dans une sorte d’entre soi subi.
En 2005 la Russie devient intéressante pour les investisseurs étrangers. Il y a déjà un écosystème avec des équivalents russes de Google et Facebook. C’est un écosystème spécifique de plateformes d’intermédiation où les réseaux sociaux et les navigateurs ont tous des actionnaires très proches du pouvoir poutinien. Cependant, la diplomatie russe s’est construite sur le fait de reconnaitre la souveraineté des Etats comme la norme ultime des relations internationales. Cette posture de défense est traduite sur le net, il existe un système informatif alternatif à l’ICANN, car cette instance est dominée par les Etats-Unis. L’affaire Snowden a apporté beaucoup d’eau au moulin russe et a montré la domination américaine sur l’Internet. Forte de son écosystème, la Russie demande aux fournisseurs d’héberger les données chez eux pour éviter les oreilles américaines. Les gouvernements européens ne peuvent pas faire la même chose. La Russie promeut une vision alternative de la gouvernance mondiale de l’Internet, le cyberespace est donc devenu un lieu de projection de la puissance russe comme vecteur d’influence.
En 2008, la Géorgie est envahie dans le cadre d’une opération militaire et une centrale électrique est piratée dans l’ouest de l’Ukraine pour priver la population d’électricité. Cela a été une première dans les opérations militaires. Les élections présidentielles américaines et françaises ne sont pas manipulées, c’est un chiffon rouge que l’on agite facilement. Cela permet à des industriels de vivre et aux dominants de renforcer leur position. Cela fait parler des Russes et ils adorent ça. C’est une stratégie héritée de l’URSS, le perception management, façon d’induire en erreur un ennemi par un biais cognitif. Les médias comme Russia Today et Sputnik ont développé du contenu répercuté qui crée une toile qui est dans l’intérêt de la Russie et de certains agendas politiques français. Cela empêche de voir la Russie telle qu’elle est, elle peut présenter des menaces mais pas là où on les attend.
Pour aller plus loin : Laurent Bloch, Internet, vecteur de puissance des Etats-Unis, éditions Diploweb 2017 et la vidéo « La bataille de l’Internet : Etats-Unis / Russie, un point partout ? » disponible en ligne sur le Diploweb.
Après le raz de marée qu’a été le Brexit, on peut se demander comment les responsables européens peuvent encore espérer une « Union sans cesse plus étroite » envisagée par le traité de Lisbonne. Aujourd’hui, il n’y a pas que la Grande-Bretagne qui menace l’Europe de fragmentation. Dans plusieurs pays européens, la montée d’un populisme lors des récentes élections a montré que les rapports des européens à l’Europe sont plus mitigés que jamais.
Conférence organisée par l’association La Strada à Sciences Po Paris, à l’occasion de la sortie du livre L’Europe contre vents et marées d’Enrico Letta, le 19 avril 2017.
« Je ne suis pas un défenseur de l’Europe en tant que telle, mais il faut avancer et ne pas reculer vers le nationalisme, il faut une intégration européenne, et je ne partage pas l’avis de ceux qui veulent retourner à l’État Nation. »
Enrico LETTA, Premier Ministre italien d’avril 2013 à février 2014 et doyen de la PSIA (Paris School of International Affairs) à Sciences Po Paris.
L’idée du livre est de mettre en corrélation le Brexit et l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Ce sont deux sujets totalement différents, puisque l’un est un référendum pour la participation d’un pays à une Union européenne et l’autre est une élection présidentielle d’un pays qui ne fait pas partie de cette même Union. Toutefois, la force des symboles et de la communication est tellement forte aujourd’hui que ces deux évènements sont devenus très liés l’un à l’autre. La liaison entre les deux relève en réalité de l’esprit et de valeurs mais non de politique. C’est la rhétorique du passé qui unit les deux évènements. En règle générale, les leaders des campagnes électorales pensent le futur et sont élus pour les promesses qu’ils tiennent, mais ce qui est inédit ici ce sont les slogans « take back control » tenus par les pro-Brexit et « make America great again » tenu par Donald Trump. Cette nostalgie du passé est présente même en France durant la campagne des élections présidentielles ainsi qu’en Italie. À l’époque du G7, qui liait les quatre grands pays européens au Canada, aux États-Unis et au Japon, les États européens en question se sont sentis extrêmement puissants, ce qui était vrai car le monde était petit. Puis soudainement, le contexte dans lesquels les pays du G7 ont évolué a changé, les pays se sont développés, ce qui a bousculé les sociétés habituées à ce que les richesses soient entre les mains de seulement un milliard d’individus. Ce phénomène a été un tremblement de terre et d’équilibre social qui se ressent aujourd’hui.
Dans les années 1980 et 1990, l’Europe communautaire était vue positivement par ses ressortissants. Elle répandait l’image positive des fonds structurels européens, de la démocratisation pour les pays qui sortaient du totalitarisme et du marché unique avec toutes les grandes possibilités qu’il offrait comme l’abaissement des frontières et la fin des taxes douanières. Ces trois mesures étaient très concrètes pour tous les européens. Aujourd’hui, le problème de l’Europe réside dans le fait qu’elle est devenue trop liée à une partie minoritaire du peuple européen.
Si le seul drapeau qu’on emploie pour défendre l’Europe est celui d’Erasmus, alors on entre dans le piège du système universitaire : les étudiants sont une minorité dans la société donc le côté positif de l’Europe ne doit pas être mis que sur cet aspect. Les étudiants sont déjà des privilégiés dans la société européenne du fait de l’accès aux études, mais de manière générale il ne faut pas oublier que les sociétés européennes sont organisées autour de gens qui ne sont pas cosmopolites et ne parlent pas plusieurs langues. Il faut comprendre que l’Europe peut tirer des grandes leçons positives si elle intègre de la meilleure façon tous les peuples européens.
Je ne suis pas un défenseur de l’Europe en tant que telle, mais il faut avancer et ne pas reculer vers le nationalisme, il faut une intégration européenne et je ne partage pas l’avis de ceux (pro-Brexit) qui veulent retourner à l’État Nation. Pareillement, les supporters de Donald Trump n’ont aucune Union européenne de laquelle sortir mais pourtant ils emploient les mêmes slogans que les pro-Brexit qui veulent revenir à l’État Nation. Finalement, la coupable n’est donc pas l’Union européenne mais c’est l’accélération de la mondialisation que l’on est en train de vivre.
Cécile DUCOURTIEUX, correspondante du Monde à Bruxelles.
Lors de l’anniversaire des 60 ans du Traité de Rome le 25 mars 2017, les pays de l’Union européenne, sauf le Royaume Uni, ont signé une déclaration très importante pour l’Europe mais qui pourtant est passée à l’arrière-plan. Les dirigeants européens s’engagent pour les dix prochaines années à travailler ensemble. Au Pays-Bas, les institutions de l’Union européenne ont vu comme une bonne nouvelle la défaite de l’extrême droite aux élections législatives de mars 2017. Les élections fédérales allemandes de septembre 2017 sont aussi très importantes même si l’enjeu est moindre car les deux candidats Angela Merkel et Martin Schulz sont pro-européens. Le Brexit a été une très mauvaise nouvelle pour Bruxelles car pour la première fois l’Union a été vue comme mortelle par un de ses membres les plus importants, et grand contributeur à l’attractivité tant économique que culturelle de l’Union.
Au début du mois de janvier 2017, soit une semaine avant sa prise de fonction, Donald Trump disait que le Brexit était une bonne chose, ce à quoi Angela Merkel a répondu qu’il était impératif que l’Europe prenne son destin en mains car l’Europe court un danger mortel. Ces dix dernières années, elle a dû se concentrer pour sauver les banques et trouver des consensus pour aider la Grèce, le Portugal et l’Irlande. Aujourd’hui, l’Union européenne est face à une impasse, et ne sait plus comment s’adresser aux peuples européens. Les gouvernements européens doivent se réunir et trouver une voie de réorientation. L’Allemagne, par exemple, donne l’impression qu’elle a les clefs de la crise financière, elle devrait donc mettre de côté son austérité et aider les partenaires afin d’atteindre une intégration de l’euro zone.
Conférence organisée par l’association du Master Affaires européennes de l’Université Paris IV Sorbonne à la Fondation de l’Allemagne à la Maison Heinrich Heine, le 24 avril 2017.
Pierre Moscovici, Commissaire européen aux Affaires économiques et financières.
Cette élection présidentielle française est un nouveau choc pour les Français et s’apparente presque à un 21 avril 2002 bis avec à nouveau la gauche exclue du second tour, et cette fois-ci la droite aussi. On peut donc voire plus loin que le territoire français et se demander ce que représente cette élection pour l’Union européenne.
Premièrement, cette élection présente des facteurs de satisfaction pour l’Europe mais aussi de préoccupations. Il convient d’admettre que nous ne sommes pas dans le scénario du pire : Marine Le Pen avait été annoncée en tête des sondages au premier tour mais finalement elle a été devancée par E. Macron, et nous aurions pu être confronté à un deuxième tour avec deux eurosceptiques (Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon) ce qui n’est pas le cas car Emmanuel Macron est un fervent défenseur de l’Europe. Les voisins européens ont peur de cette élection car ils rêvent d’une Europe forte et ouverte, avec une France qui influe sur le cours de la construction européenne. Or, Marine Le Pen souhaite une sortie nette de l’Europe. Si Marine Le Pen perd l’élection, il s’agira du troisième coup de règle consécutif à la montée du populisme en Europe.
Deuxièmement, cette élection est une chance unique pour la France de clarifier sa position sur l’Europe. Les Français savent les bienfaits que leur apporte l’Europe c’est-à-dire une qualité économique (inflation faible, taux d’intérêt bas), une capacité à avoir la même monnaie, un programme Erasmus de mobilité qui enrichit le capital humain, et une sécurité. Cependant, avec les attentats, les réformes inachevées, les déficits, la tentation du Brexit, la France s’est trouvée essoufflée et sa posture face à l’Europe était floue. Les élections présidentielles ont montré le désir de renouvellement la vie politique française et les partis, mais aussi l’Europe : les Français ne sont pas anti-européens mais sont loin de l’euro-satisfaction. Qu’il s’agisse de l’espace Schengen ou de la crise des réfugiés, l’Europe ne convient pas tout à fait à ses ressortissants français et il faut être capable de faire les changements nécessaires. Ces changements doivent être de trois natures. En terme de protection, il faut donner à l’Europe des capacités de défense européenne et se relever de la tentative ratée de la Communauté Européenne de Défense (CED), en terme de démocratie il faut davantage prendre compte des inégalités et améliorer la transparence et le contrôle parlementaire et sur les institutions pour reconstruire une Europe de confiance, enfin en terme de dynamisme économique il faut réformer la zone euro en réduisant les divergences entre les économies européennes notamment avec l’Allemagne qui a des excédent incomparables avec ceux de ses voisins. Le message d’exigence des Français à l’Europe aujourd’hui ne doit pas être ignoré : même si Emmanuel Macron est élu, les insatisfactions qui auront porté Marine Le Pen au second tour n’auront pas disparu. Les structures européennes sont à améliorer et la construction européenne ne peut avancer que si les dirigeants européens travaillent ensemble. L’année 2017 est une fenêtre d’opportunité pour l’Europe avec la coïncidence des élections présidentielles en France et fédérales en Allemagne car elles apporteront deux pouvoirs frais avec une nouvelle légitimité acquise par l’élection.
Pour aller plus loin : Pierre Moscovici, S’il est minuit en Europe, Editions Grasset, novembre 2016 et Antoine Vauchez, Démocratiser l’Europe, Edition La République des idées, 2014.
On dit souvent que la diplomatie est un art. Pour comprendre les ressorts de cet instrument politique d’abord étatique, nous aborderons en premier lieu les médias russes et leur sulfureuse réputation d’influenceur des élections étrangères puis nous reviendrons sur le pouvoir pacificateur des Nations-Unies dans les relations internationales, dans un contexte où son rôle en Syrie est questionné et où son budget connaît de sérieuses coupes. Enfin, nous analyserons la politique étrangère de la Chine vers son Ouest, c’est-à-dire vers l’Asie centrale, l’Afghanistan et le Pakistan, un thème relativement peu abordé dans les médias alors qu’il s’agit d’une région stratégique pour l’affirmations du leadership chinois.
Conférence organisée par le journal étudiant Sorb’on à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, le 7 mars 2017.
« La prétendue subversion de ces médias dépend bien de l’influence que veulent bien leur donner les principaux acteurs politiques. »
Françoise DAUCE, directrice d’études à l’EHESS est spécialiste des relations russes. Ses travaux portent sur les formes de domination politique que ce soit au sein de l’armée, de la société civile ou des médias.
L’élection de Donald Trump était imprévisible, ce qui a poussé le monde à s’interroger sur la possible influence de Moscou. Les articles de presse sur la cyber guerre froide et le cyber espionnage se sont multipliés. Cette inquiétude a même été reprise par François Hollande dans un discours. Cette question d’une possible propagande russe nous pousse à nous interroger sur le rapport entre les médias russes à l’heure d’Internet depuis le début du XXIème siècle.
Le développement d’Internet en Russie dans les années 2000 s’appuie sur des politiques actives de développement de la connexion Internet. Le nombre de citoyens connectés est en augmentation constante. En Russie il existe d’autres réseaux que nous ne connaissons pas. Le développement de médias était relativement libre en ligne dans les années 2000, alors que la presse et les radios étaient très contrôlées. Les médias russes qui font de l’actualité en continue ont été très innovants techniquement et animés par des diplômés de sciences sociales plus que de journalisme. Ces médias se sont insérés dans le marché médiatique et sont financés par le marché de la publicité. Leur audience a été croissante.
Les manifestations de 2011 et 2012 contre la corruption ont incarné un moment charnière dans l’espoir de démocratisation de la Russie. Le contexte des élections législative et présidentielle était celui d’une alternance politique à la russe : V. Poutine redevenait Président et D. Medvedev Premier ministre. Des documents qui diffusaient les fraudes électorales et des critiques du système politique ont été relayés par ces médias sur Internet. Le mouvement de protestation citoyen a été diffusé par ces mêmes médias, qui ont révélé leur potentiel critique. Cela a eu pour effet d’inquiéter les autorités russes et de les alerter sur l’importance politique d’Internet en Russie. Cet intérêt politique pour Internet est apparu brusquement, dans un contexte d’inquiétude face à l’opposition et aux manifestations. Des soupçons d’ingérence étrangère dans la politique intérieure russe se sont diffusés dans le milieu politique, ce qui a eu pour effet de justifier l’ingérence russe dans les affaires d’autres pays.
Au moment de l’annexion de la Crimée en mars 2014, la reprise en main de ces médias a été manifeste. Les autorités russes se sont appropriées les compétences de ceux-ci. C’est ce mimétisme qui explique le succès des médias russes à l’heure actuelle. La censure institutionnalisée a disparu. Ce contexte de privatisation du secteur médiatique a donné naissance à de nouvelles contraintes : des formes d’intervention ciblée et des réactions à des articles très précis. Une série de lois faisant peser des contraintes sur les contenus médiatiques ont été adoptées autour de la protection des enfants ou du terrorisme. Les opérateurs sont obligés de remettre les données collectées sur les utilisateurs russes aux autorités, ce qui donne lieu à des blocages de sites Internet. Ce phénomène de mimétisme et d’emprise sur les sites russes a mené au remplacement d’une équipe rédactionnelle par une autre. Par exemple, Lenta.ru était en pointe dans le traitement de l’actualité en 2011-2013 et a fait l’objet en 2014 d’un avertissement puis du licenciement de la rédactrice en chef. L’équipe a été remplacée par une équipe acquise au pouvoir.
Un phénomène de lancement de projets médiatiques par le pouvoir en reprenant les formes de ces médias est apparu dans les années 2000. Ce qui se joue à Moscou permet de comprendre ce qui se joue à l’international avec la chaîne de télévision Russia Today qui va bientôt diffuser en langue française. C’est un média très suivi avec des contenus pro-russes, « patriotiques » et conservateurs. Son contenu est entièrement gratuit et financé par l’Etat. En France, ces médias sont suivis par un auditoire déjà acquis aux idées conservatrices qui s’informent avec les contenus de la « fachosphère ».
Cyrille BRET est maître de conférences à Sciences-Po Paris et co-auteur du blog EurAsia Prospective.
S’agit-il d’une emprise d’influence ou est-ce un soft power normal qui répond à l’existence de la BBC par exemple ? Ce retour des médias russes depuis quelques années comme Russia Today ou Sputnik s’inscrivent dans la stratégie d’influence de la Russie sur la Crimée. Cette influence soviétique s’est développée tout au long du XXème siècle pour nourrir le débat public : Radio Moscou a été créée en 1929 pour diffuser un contenu russe dans différentes langues dans le monde et la fondation de l’agence Novosti date de 1941 au moment où la Wehrmacht occupait une partie de la Russie. Ces médias russes Internet sont issus des lignes de continuité entre l’URSS et la Russie. Ces nouveaux médias s’élaborent dans la reconquête de certains espaces et dans le projet général de reconstruction d’un soft power. C’est un phénomène de rattrapage par rapport à la période 1991-1999 où le rayonnement des médias russes à l’extérieur a été très faible.
En 2013 les médias russes à vocation internationale connaissent leur année 0 ; ils sont rassemblés dans une holding dirigé par un journaliste proche des mouvances poutiniennes. Une reprise très moderne sur le modèle de la BBC est mise en place pour Sputnik. En termes de stratégie médiatique le rattrapage technologique passe par l’utilisation de la radio web. Il ne s’agit pas d’une conquête du monde mais comme souvent dans l’histoire russe un phénomène issu de la comparaison avec l’Occident qui réveille un investissement médiatique russe. C’est la promotion de l’image et de la culture russe qui est développée par ces médias, que l’on pourrait comparer à France 24.
Les controverses actuelles sur les élections générales en Europe conduisent à une surévaluation du pouvoir de ces médias. Ce que font les médias c’est reconquérir des parts de marché dans leur visibilité. Ils sont aidés par la blogosphère radicale. Certains candidats sont tentés d’utiliser leur proximité supposée avec ces médias pour rendre leur candidature plus attrayante.
S’agit-il d’un instrument de soft power ? La coopération universitaire ainsi que l’apprentissage du russe baissent en Europe. La Russie n’a pas la capacité du réseau des alliances françaises par exemple. Ces nouveaux médias sont un soft power en construction, mais ils ne masquent pas la pauvreté de la stratégie d’influence telle qu’elle est actuellement. Les médias russes ne sont pas à la reconquête du monde mais de leur propre part de marché délaissée dans les années 1990 avec certaines franges de l’opinion.
Pour aller plus loin : Le blog EurAsia Prospective de Cyrille Bret https://eurasiaprospective.net/ et Françoise Daucé Etre opposant dans la Russie de Vladimir Poutine, Editions Le Bord de l’Eau, 2016.
Conférence organisée par l’association Sciences Po pour les Nations Unies à Sciences Po Paris, le 24 avril 2017.
Jean-Marc DE LA SABLIERE est un diplomate français, il a été conseiller diplomatique auprès du président de la République française Jacques Chirac et représentant permanent de la France au Conseil de sécurité et chef de la mission permanente auprès des Nations Unies de 2002 à 2007, puis Ambassadeur de France en Italie de 2007 à 2011.
Quel est l’apport de l’ONU, en tant qu’organisation mondiale qui doit assurer la paix et la sécurité internationales ?
La Charte qui met la paix et la sécurité au cœur de l’organisation a été conçue en 1945 et inspirée par F. D. Roosevelt pour éviter de nouvelles guerres. Elle énonce le principe de sécurité collective tel que les États renoncent à l’avenir à utiliser la force en échange de la garantie qu’en cas de menaces ou d’attaques, l’ONU viendra à leur secours. L’ONU n’a pas l’obligation d’agir mais a la capacité d’agir à travers le Conseil de Sécurité. Elle peut le faire agir quatre manières différentes :
. les règlements pacifiques par des médiations et des pacifications sous la charge du Secrétaire Général
. l’adoption de sanctions telle qu’énoncée dans le Chapitre VI de la Charte. Ces mesures contraignantes sont nécessaires dans le règlement des crises par exemple en Irak dans les années 1990, le programme de sanctions sur le pétrole avait permis de contenir le conflit. En Iran, le fait qu’il y ait eu des sanctions par l’ONU en amont a fait qu’il n’y a pas eu de contestations de la part de la Russie lors de l’imposition des sanctions complémentaires posées par les pays européens.
. par l’usage de la force : le système prévu par la Charte aux articles 43-45 prévoyait des forces armées à disposition mais cette mesure n’a jamais été mise en place. Or, les gouvernements du monde arabe ont eu conscience qu’en autorisant les États à coopérer militairement avec le Koweït et utiliser la force, cela permettrait de répondre à la situation extraordinaire et violente, qui ne pouvait pas être réglée autrement, d’autant plus que Saddam Hussein était militairement très puissant. Le Conseil va donc inviter à nouveau l’Irak à se résoudre et autorise les États membres qui coopèrent avec le Koweït d’user de tous les moyens nécessaires pour rétablir la paix et la sécurité dans la région.
. les opérations de maintien de la paix. Ces opérations ne sont pas prévues dans la Charte mais ont été déployées pour accompagner les accords de cessez-le-feu. Les casques bleus portent l’espoir d’un renouveau de l’organisation mais peuvent parfois être signe d’impuissance notamment au Rwanda, en Bosnie ou en Somalie. Actuellement, les OMP au Soudan et en République Démocratique du Congo font face à des difficultés majeures mais il ne faut pas oublier que les 100 000 individus présents sur le terrain rendent de très grands services. Au Mozambique, en Côte d’Ivoire ou au Salvador, les OMP ont permis de stabiliser des situations qui auraient sombré dans le désordre.
Ce qui est souvent mal compris par les citoyens c’est que l’ONU n’est pas un gendarme mais un organe politique qui reflète une réalité : la sécurité internationale est inégalitaire et les cinq membres permanents qui ont le droit de veto, tirent les ficelles. Le Conseil de Sécurité ne peut pas fonctionner sans l’accord des membres permanents et son activité à un moment donné reflète l’état de la relation entre les grandes puissances.
Autrement dit, l’efficacité ou la paralysie de l’Organisation dépendent toujours de l’état des relations entre les membres permanents et de leur degré d’entente sur le rôle à attribuer au Conseil de sécurité dans le règlement des crises et des conflits. La période de la Guerre froide a été une période de paralysie du Conseil à cause de la multiplication du droit de veto. En 1954, seules deux résolutions ont été adoptées et en 1959 un seul texte a été voté sur le Laos. Certaines des grandes crises qui opposaient les membres permanents (Berlin, Cuba) ont été à l’ordre du jour mais souvent sans conséquences : le Conseil s’apparentait à une scène de théâtre. Avec en 1985 l’arrivée de M. Gorbatchev au pouvoir en URSS, Moscou change de position à l’égard du Conseil et marque sa volonté de participer au règlement des conflits internationaux. Ce tournant a permis au Conseil d’avoir une grande activité en Angola, au Salvador, au Cambodge, au Koweït envahi par l’Irak. À cette époque, le Conseil est saisi de l’ambitieux « Agenda pour la paix » proposé par Boutros-Ghali qui offre la perspective d’un nouvel ordre mondial. Ce moment d’entente extraordinaire entre les cinq puissances s’explique par plusieurs facteurs et notamment la situation nouvelle de la Russie affaiblie et la passivité de la Chine engagée dans un développement économique. Mais cette entente est de courte durée : la réputation des Nations Unies est endommagée en 2003 avec l’Irak, et dans les années 1990 avec des échecs en Somalie, au Rwanda et en Bosnie. Mais les cinq puissances se sont ensuite réconciliées rapidement puisqu’en 2004 à l’initiative des Etats-Unis ils ont travaillé ensemble sur la non-prolifération nucléaire et se sont concertés également en 2011 pour agir ensemble sur le Liban et en Syrie et prévenir des massacres à Benghazi.
Quel est le rôle de l’ONU aujourd’hui ?
La contribution du Conseil de sécurité n’est pas aussi significative qu’il y a une dizaine d’années mais il n’est pas dans un état de paralysie pour autant. Environ soixante résolutions sont adoptées chaque année.
Concernant le conflit israélo-palestinien, les États-Unis ont imposé depuis 1973 l’idée qu’il ne peut pas y avoir de pression autre que politique sur Israël et que la sortie de la crise ne peut résulter que d’une négociation entre les parties. L’ONU fait essentiellement graver dans le marbre des principes agréés comme la résolution 242 sur la vision des deux Etats qui sert de référence et est présente dans les négociations actuelles sur l’avenir des territoires palestiniens.
En Syrie, l’ONU joue un rôle secondaire mais qui reste tout de même important. Les membres permanents ont travaillé dur pour essayer de favoriser l’accès des secours, le contrôle aux frontières, mais les Russes ont toujours refusé que des pressions réelles soient exercées sur le régime de Damas, donc les résolutions n’ont pas l’efficacité qu’elles devraient avoir si elles étaient accompagnées de véritables pressions. Le Conseil accompagne aussi les négociations entre les partis, hors groupe terroriste, sous l’égide des représentants du Secrétaire Général mais ce rôle est parfois flou. La chute d’Alep a été un tournant mais ne veut pas dire la fin des souffrances pour les populations car le conflit continue. On peut idéalement penser qu’un accord de paix sera trouvé et que le Conseil en assurera le suivi.
Une charge très lourde est posée sur les épaules du Secrétaire Général Antonio Guterres, qui est grandement attendu par le secteur de l’humanitaire en tant qu’ancien directeur du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Les crises aujourd’hui durent beaucoup plus longtemps donc la situation des réfugiés et des déplacés s’aggravent, la durée d’habitation moyenne dans les camps est actuellement de dix-sept ans. L’ONU doit passer de l’urgence au développement et aider les États qui accueillent les réfugiés.
Qui pourrait remplacer l’ONU ?
Il ne faut pas compter sur l’Union européenne pour remplacer l’ONU. La France, après avoir empêché le pire au Mali, n’a cessé de demander à l’ONU de prendre le relais ; mais la mission MINUSMA ne pourrait pas remplir sa mission si l’opération BARKHANE n’existait pas. L’Union Africaine pourrait jouer un rôle de remplacement si et seulement si les organisations régionales sont capables de déployer plus vite que les Nations Unies, avec l’aide des grandes puissances, des forces sur le terrain. Les Africains n’ont pas les moyens humains ni financiers de résoudre eux-mêmes les crises et d’être présents dans la durée. La coopération de l’Union Africaine et de l’ONU est primordiale et sans elle, l’Afrique serait tombée dans le chaos depuis bien longtemps. Ce qui est vrai aujourd’hui pour l’Afrique l’a d’ailleurs été dans le passé pour l’Asie.
Pour aller plus loin : Jean-Marc de la Sablière, Dans les coulisses du monde, Editions Robert Laffont, 2013 et Le Conseil de sécurité des Nations Unies : ambitions et limites, Éditions Larmier, 2015.
Conférence organisée par l’association France-Turkménistan à la Maison des Associations, le 16 mai 2017.
« Pour atteindre le grand renouveau tant désiré de la Chine, les dirigeants chinois ont besoin d’un environnement national, régional et international pacifique. La tâche de la diplomatie chinoise est immense et le travail récent des diplomates chinois s’est montré positif et prometteur. »
Didier CHAUDET est consultant spécialiste de l’Asie Centrale et de l’Asie du Sud-Ouest (Iran, Afghanistan, Pakistan), attaché académique à l’Institut Français d’Études sur l’Asie Centrale et directeur de publication du Centre d’Analyse de la Politique Étrangère.
La politique étrangère de la Chine vers son Ouest - c’est-à-dire vers l’Asie centrale, l’Afghanistan et le Pakistan - est fondée sur la défense de l’intérêt national chinois. La Chine veut défendre ses intérêts économiques, sécuritaires, et sa stabilité après un siècle d’humiliation. Pour retrouver son honneur et défendre l’image du pays, elle a besoin de se sentir accueillie dans le Conseil des Nations comme une grande puissance du moins dans la région.
La puissance chinoise doit regarder vers l’Ouest pour plusieurs raisons. Premièrement, Donald Trump a beaucoup critiqué la Chine comme compétiteur ; les penseurs néo-conservateurs et les réalistes se retrouvent totalement dans une vision de la Chine avec qui le clash semble inévitable. Beijing est très conscient de cet état de tension avec les États-Unis et dirige sa diplomatie de manière à éviter une confrontation frontale. Elle n’a pas pour ambition de devenir une puissance mondiale mais une puissance régionale, là où les États-Unis n’interviennent pas ou peu. Deuxièmement, la Russie est un allié incontestable pour la Chine car tous deux ont des intérêts communs face aux États-Unis. Les penseurs occidentaux ont du mal à imaginer que cette relation sino-russe puisse tenir dans un futur proche. Or, il semblerait qu’ils se trompent dans la temporalité, cette relation tiendra pour l’instant. La diplomatie chinoise a su tisser des liens, avant même la chute de l’URSS, avec des élites de l’Asie centrale ex-soviétique pour créer un lien direct avec la Russie. La Russie conservait son image de grande puissance, et la Chine assurait sa place à venir grâce au travail financier et aux aides au développement qu’elle apportait dans la région. La diplomatie chinoise continue aujourd’hui de travailler avec la Russie afin d’éviter les confrontations sur la question de l’Asie centrale où la Russie perçoit de plus en plus la Chine comme un “OTAN centrasiatique” et comme une menace à l’influence russe dans la région.
Dans la région eurasiatique, la Chine sait aussi que des forces nationales peuvent se développer et rendre la région encore plus chaotique. L’ethnie chinoise des Ouïghours du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine actuelle, ne se sent pas intégrée mais ne se rebelle pas pour autant car elle a peur du pouvoir chinois. Les Tibétains sont les seuls à avoir essayé de s’opposer au pouvoir chinois par une pratique de non-violence, mais sans succès. Ces populations intermédiaires pourraient se tourner vers un nationalisme assez dur car ils sont en désaccord avec le reste de la population chinoise. Il reste difficile pour le moment d’imaginer la Chine devenir une grande puissance régionale sans utiliser la force.
De plus, la Chine entretient une relation historique de peur et de méfiance avec ses voisins. La Chine voit l’Inde comme un pays porteur de la mentalité de l’empire britannique et accuse les dirigeants indiens d’être naturellement agressifs face à la Chine impériale. Or, selon un proverbe chinois, « il est impossible d’avoir deux tigres dans la même montagne ». La Chine essaye alors d’apaiser les tensions et d’intégrer l’Inde dans le corridor sino-pakistanais. La Chine mise beaucoup sur cette alliance sino-pakistanaise. Le Pakistan est l’allié de toujours des Chinois ; leur armement nucléaire est dû à la Chine et la Chine défend seule le Pakistan à l’ONU quand il est accusé de soutien au terrorisme en Inde. La stratégie de la Chine consiste à investir au Pakistan au moment où le pays est renié et délaissé afin de tisser un lien économique fort et d’avoir un allié solide face à l’Inde.
La Chine connaît aussi quelques tensions avec le Kazakhstan et la Mongolie sur la question de la nouvelle route de la soie. La Chine a pour ambition de rendre ces zones de transit plus prospères pour les maintenir sous son aile. En 2020, près de 50% du pétrole et du gaz de la Chine devrait provenir d’Asie centrale ce qui explique son action de développement industriel. L’idée de la Chine est d’harmoniser le secteur du rail en Asie centrale mais les pays voisins ont du mal à coopérer et à accepter la stratégie chinoise qui consiste à faire venir des travailleurs chinois sur le terrain. Depuis 2016, la Chine s’est ouverte au dialogue et ces champs de construction en vase clos sont obsolètes ; désormais le Kazakhstan et la Mongolie embauchent des diplômés locaux pour les projets de construction de rails.
Aussi, l’Afghanistan, situé entre le corridor sino-pakistanais au Sud et la route de la soie au Nord, occupe une place centrale dans la diplomatie chinoise. La Chine aide à stabiliser l’Afghanistan en faisant du pays un nœud de connexions diverses pour la paix plutôt qu’un champ de bataille. Pendant l’invasion soviétique en 1989, la Chine était absente d’Afghanistan. Depuis que les Taliban ont été reconnu comme une force politique, les diplomates chinois s’activent. En 1999, cinq diplomates chinois se sont rendus à Kaboul pour discuter avec les forces modérées Taliban. L’ambassadeur chinois a été le premier et le seul non-musulman à avoir pu rencontrer le chef Mullah Omar. En 2003, la Chine a gardé contact avec les Taliban mais n’a pas participé directement aux négociations car la diplomatie chinoise suit la logique russe de non-ingérence dans les affaires d’un état étranger à partir du moment où le business est possible. En 2004, lorsque l’OTAN intervient en Afghanistan, l’Asie centrale risque d’être déstabilisée ce qui déplait aux intérêts chinois. La Chine va prendre en main la situation et pousser à un processus de paix inter-afghan avec l’aide des Pakistanais. En 2015, la Chine se place au centre du processus de paix en Afghanistan en rencontrant les Taliban. Il est important de garder en tête que la Chine n’agit pas pour le bien de l’humanité mais sa politique diplomatique vers l’Ouest, loin d’être parfaite, va dans le bon sens pour la stabilité de la région.
Pour aller plus loin : L’émission Culture Monde sur France Culture du 16 mai 2017 « Frontières sous haute tension (2/4) : Inde-Pakistan : 70 ans d’affrontements au Cachemire » avec Charlotte Thomas, Didier Chaudet, Raphaël Godechot et Malik Sadaj.
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La conférence complète de Gérard Chaliand le 3 mai 2017 (45’)
L’interview de G. Chaliand le 3 mai 2017 (8’)
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Romane Jourdas, étudiante en master Sécurité Internationale – spécialité Moyen-Orient et Diplomatie – à Sciences Po Paris. Manon Perreaut est étudiante en 2eme année de master de Science Politique à Paris 1 Panthéon Sorbonne.
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,Date de publication / Date of publication : 6 juillet 2017
Titre de l'article / Article title : Conférences géopolitiques #03 : la synthèse du Diploweb
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Cette troisième édition présente sept conférences autour de trois axes : Sécurité internationale (I), l’Europe face à elle-même (II), l’art de la diplomatie (III).
Voici une synthèse des conférences diplomatiques, géopolitiques, stratégiques et relations internationales tenues entre mars et mai 2017. A partir des notes prises lors de ces événements, nous vous proposons des éléments pour vous informer de ce que nous en avons retenu. Cela peut vous être utile pour « connaître l’air du temps », identifier des thèmes nouveaux, des experts talentueux. L’objectif est d’offrir un prolongement dans le temps et dans l’espace d’évènements qui contribuent à nourrir la réflexion publique française et internationale. Que vous soyez à Lyon ou Brest, à Los Angeles, Québec ou Pékin, vous pouvez avoir connaissance des réflexions partagées lors de ces événements. Pour l’instant, nous couvrons les conférences organisées en région parisienne, mais nous vous invitons à faire de même dans votre région ou dans votre pays. Vous saurez trouver le bon support pour développer ce concept initié par Diploweb pour que vivent les idées à l’international !
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