Olivier Buirette, est docteur en Histoire contemporaine, chargé de cours et Responsable du Service des Doctorats de l’Université de la Sorbonne Nouvelle. Spécialiste d’Histoire des Relations Internationales au XXe siècle, et plus particulièrement de l’Europe centrale et des Balkans.
A l’approche de la présidence française de l’Union européenne (1er sem. 2022), le Diploweb.com a demandé à O. Buirette une mise en perspective de la candidature de la République de Macédoine du Nord à l’Union européenne. Parce que les candidatures à l’UE (Albanie, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie, Turquie) et les candidats potentiels (Bosnie-Herzégovine et le Kosovo) passent un peu trop « sous les radars ». Ce texte a donc été rédigé durant l’été 2021, en l’attente du début de la PFUE. Celle-ci a débuté le 1er janvier 2022… et la guerre russe en Ukraine le 24 février 2022. Ce qui a renforcé la demande de l’Ukraine d’ouverture d’une amorce de candidature à l’Union européenne. Le 8 avril 2022, Ursula von der Leyen a remis à Volodymyr Zelensky les documents pour faire une demande d’adhésion de l’Ukraine à l’UE. Autrement dit, la guerre russe en Ukraine vient réactiver la thématique des élargissements à venir de l’Union européenne. Après sept élargissements successifs et une sortie pacifique – le Brexit, 2020 – l’UE reste attractive.
Cet éclairage de la question macédonienne rédigé par O. Buirette vient donc doublement à propos pour rappeler l’épaisseur historique d’un territoire candidat officiel à l’UE. Cette même mise en perspective des autres pays candidats officiels, potentiels ou officieux serait nécessaire.
LA MACEDOINE, sous domination Ottomane depuis le XIVe siècle, a toujours été un enjeu régional dans les Balkans [1] et ce depuis que le glacis de l’Empire Ottoman a fondu à la fin XIXe siècle. Ce petit pays de 25 713 km2 sans débouchés maritimes est bordé au sud par la Grèce, à l’Est par l’Albanie, au Nord par la Serbie-Monténégro et à l’Est par la Bulgarie.
En fait jusqu’à aujourd’hui ce qui pose problème est essentiellement l’utilisation par cette République du nom de « Macédoine » car du côté grec on considère qu’une seule et unique Macédoine existe, à savoir la province située au nord de la Grèce et c’est tout. Si on se penche sur l’histoire de cette région le problème est qu’il existe en fait plusieurs Macédoines et qu’après la chute de l’éphémère et gigantesque Empire alexandrin au IVe siècle avant notre ère, Rome réorganisa la région en une grande province de Macédoine comportant au nord une partie de l’ex-République yougoslave de Macédoine (« Former Yugoslav Republic Of Macedonia, Fyrom ») et à l’Ouest l’Albanie, ceci se poursuivant avec le découpage régional de l’Empire romain d’Orient à savoir Byzance.
On le voit, la réalité territoriale de la Macédoine est donc antiquement complexe et dépasse largement le territoire de Philippe II et de ses successeurs. D’autant plus que le début du XXe siècle n’est pas en reste puisque la région se retrouve au cœur des guerres balkaniques de 1912 et 1913.
On peut dire qu’il y a en fait quatre Macédoines différentes. La première est celle revendiquée avec véhémence par les Grecs à savoir la Macédoine antique, mais comme nous l’avons vu celle-ci voit son territoire agrandi en tant que province dès l’Empire Romain et au moins jusque Byzance ce qui nous mène au XVe siècle de notre ère. La deuxième est celle que les Bulgares revendiquent, à savoir la région située autour de la ville et du lac d’Ohrid qui est considérée par eux comme ni plus ni moins le « berceau de leur culture ». La troisième Macédoine est celle revendiquée par la Serbie et qui est notamment un des enjeux des deux guerres balkaniques. Enfin, la quatrième apparait récemment dans les problèmes liés à la minorité albanaise de Macédoine qui régulièrement s’agite et pèse sur la vie politique de la jeune République.
Nous sommes donc en présence d’une situation complexe et qui au nom de ces quatre identités évoquées ici s’enflamme régulièrement pour telle ou telle autre raison, au nom d’une des identités décrite ici voire ce qui est encore plus inquiétant parfois, au nom des quatre revendications évoquées.
Il faut savoir en premier lieu que nous sommes avant tout dans une région qui lors de la recomposition des États régionaux après le reflux de la présence ottomane dans les Balkans au XIXe siècle s’est vu léser d’une partie de son territoire et que la Macédoine en tant que telle n’a réellement pu exister qu’à compter de la création du royaume de Yougoslavie pendant l’entre deux guerres puis de la fédération yougoslave communiste durant la Guerre froide (1947-1989-1990).
Certes, comme nous l’avons dit, une Macédoine historique celle d’Alexandre le Grand existait dans l’Antiquité et elle correspond aujourd’hui à la Macédoine dite grecque que l’on appelle Macédoine de l’Egée autour notamment de la ville antique de Vergina, berceau de la dynastie de Philippe de Macédoine. Ensuite elle devient province de l’Empire Romain puis de l’Empire Byzantin et enfin de l’Empire Ottoman.
Aussi ce n’est donc qu’au XIXe siècle que les « autres Macédoines » apparaissent et s’ajoutent à la Macédoine de l’Egée à savoir la Macédoine bulgare située à l’Est (Macédoine du Pirin) autour de la ville d’Ohrid et considérée comme le berceau de la culture, de l’écriture et de la civilisation bulgare. A cela s’en ajoute donc deux autres à savoir la Macédoine du Vardar au nord et en territoire serbe, et enfin celle de l’Ouest la plus petite : la Macédoine albanaise.
Il faut, enfin, ajouter à cela une ultime raison qui remonte à la création de la Yougoslavie socialiste de Tito après 1945 et le projet que celui-ci avait formé de créer une Grande Yougoslavie qui devait réunir autour du territoire de la fédération yougoslave l’Albanie, la Bulgarie et à la Grèce permettant ainsi de reconstituer cette grande province de Macédoine dont nous avons parlé au début de cet article et synthétisant ainsi les quatre Macédoines évoquées.
On le sait cela ne fut pas permis par J. Staline et ce rêve fut une des raisons qui coûta en 1948 à la Yougoslavie son exclusion du camp socialiste.
Ainsi, l’ensemble des raisons que nous avons évoqué ici explique largement le comportement des nationalistes grecs qui jusqu’à il y a peu, manifestaient à chaque fois que ressortait la question de l’ex-République yougoslave de Macédoine ( « Fyrom »), ceci faisant de cette région un point instable des Balkans qui motive d’autant plus le souhait de la République macédonienne d’affirmer sa candidature à l’entrée dans l’Union européenne. Nous avons ainsi vu à quel point la tension pouvait être importante, voire sensible notamment avec l’utilisation du nom d’ « Alexandre le Grand » pour nommer l’aéroport de la capitale de la République, Skopje.
Il faut dire que la situation géopolitique de ce petit état enclavé entre la Grèce, la Serbie, la Bulgarie et l’Albanie fait que celui-ci a été dans son histoire, revendiqué par tous ses voisins ou presque. Les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913 sont là pour témoigner de ces enjeux. [2]
En effet après un entre-deux guerres troublé, la Macédoine se retrouve au cœur des plans du nouveau leader yougoslave communiste, le Maréchal Tito dont le rêve, jusqu’au schisme avec l’URSS en 1948 était de former un grand État des slaves du sud qui devait regrouper en plus de l’ancienne Yougoslavie royale, l’Albanie, la Bulgarie et la Grèce. En effet, comme nous l’avons dit pour tout un tas de raisons géopolitiques, Staline refusa le projet et tout fut emporté lors de la rupture entre Tito et Staline en 1948. Cependant l’état Macédonien qui faisait déjà partie de la Yougoslavie royale, devait être renforcé dans le but à ce moment-là de former une grande Macédoine dans le cadre de ce projet de grande fédération d’États des slaves du sud communiste. Pour cela il fallait que la guerre civile grecque soit gagnée par les communistes, que la Bulgarie du Stalinien Dimitrov accepte de contrer Moscou ce qui était impensable et enfin que l’Albanie, si indépendante choisisse entre l’aide de l’URSS ou une voie aux côtés de Tito qui de toute manière semblait hasardeuse aux yeux d’Enver Hoxha, le leader communiste albanais stalinien puis maoïste qui reste au pouvoir à Tirana pendant 41 ans de 1944 à sa mort en 1985. Tout cela devait avoir une « cohérence » puisque la « grande » Macédoine, si toutefois elle existait un jour, devait regrouper les éléments Serbes, Bulgares, Albanais et Grecs. La Guerre froide et le non-alignement du régime à économie mixte de Tito de 1948 à la mort de celui-ci en 1980 devaient donc tracer l’histoire récente de cette Macédoine yougoslave.
Il faut donc attendre finalement la désintégration de la Yougoslavie (1991) et les débuts du XXIe siècle pour que cela change de nouveau.
Nous pouvons ici nous interroger sur le pourquoi de cette désignation de Macédoine « du Nord » qui se définie bien sûr par rapport à ce que l’on désigne souvent comme la Macédoine historique à savoir, cette province située au nord de la Grèce actuelle et encore appelée la Macédoine maritime puisque présentant un important débouché sur la mer Egée. Cette Macédoine de l’Egée, située en Grèce est en effet celle de Philippe et Alexandre de Macédoine célèbres souverains de l’Antiquité grecque. C’est donc afin de bien identifier les deux régions et de manière définitive que cette appellation a été choisie et avec cette fois ci-une issue heureuse renvoyant bien loin la querelle entre les deux États au sujet de l’utilisation du nom même de Macédoine. Le « problème » semble donc réglé concernant la Macédoine du Nord (celle que l’on appelait la Macédoine du Vardar depuis la fin du XIXe siècle) et la Macédoine historique dirions-nous, et donc du Sud : la Macédoine grecque.
L’Histoire, on l’a vu, a tout son poids dans cette question macédonienne [3], et si la période titiste avait en quelque sorte « gelé » les problèmes, ceux-ci devaient ressurgir avec la guerre de dissolution de la Yougoslavie. En juin 1991, la Croatie et la Slovénie déclarent officiellement leur indépendance. En Macédoine, un référendum sur l’indépendance a lieu le 8 septembre 1991, 95% des votants y sont favorables, mais le boycott par les Serbes et les Albanais de Macédoine conduit à une grande tension entre la République et le gouvernement fédéral, sous présidence serbe. Le conflit armé est évité de justesse et le 17 septembre 1991, la Macédoine proclame alors son indépendance.
De 1991 à 1995 se développe la première des crises attenante à la proclamation de son indépendance, et sa reconnaissance par la Grèce qui se finalise par un accord le 15 septembre 1995.
En avril 1996, la République fédérale de Yougoslavie et la Macédoine signent un accord de reconnaissance mutuelle. Les anciennes relations commerciales sont rétablies après que la suspension en octobre 1996 des sanctions économiques imposées à la Serbie et au Monténégro a permis la réouverture de la frontière nord, et un projet de coopération économique est signé. Si le différend avec la Grèce n’est pas encore totalement réglé, si une force de l’ONU stationne toujours de façon préventive sur son sol, la Macédoine, désenclavée et reconnue par la communauté internationale, espère pouvoir désormais se consacrer au redressement de son économie et à la stabilisation des relations avec les minorités ethniques, malgré l’attentat qui blesse le président macédonien le 3 octobre 1995.
Malgré la rigueur monétaire et un programme de privatisations important, l’économie de la Macédoine connaît une stagnation inquiétante. Surtout, le regain des affrontements entre Serbes et Albanais au Kosovo en mars 1998 s’accompagne de nouvelles tensions interethniques entre les Macédoniens et la forte communauté albanaise, tandis que des bandes armées en provenance d’Albanie se livrent à des incursions et à des attentats en Macédoine. En novembre 1998, le Parti social-démocrate (SDSM, ex-communiste), parti du Premier ministre Branko Crvenkovski, perd les élections législatives. L’union d’opposition formée par le parti VRMO-DPMNE (droite modérée) de Ljupco Georgievski et l’Alternative démocratique (DA, centre) de Vasil Tupurkovski obtient 58 sièges sur 120. Elle forme un gouvernement de coalition avec un parti représentant la communauté albanaise, forte de 500 000 personnes en Macédoine. Lors de la crise du Kosovo, la Macédoine devait absorber, souvent avec réticence, un afflux massif de réfugiés albanais du Kosovo (plus de 300 000 entre fin mars et début juin 1999) chassés par la politique de purification ethnique conduite par les forces serbes. La majorité de la population macédonienne (d’origine slave) manifeste son soutien aux Serbes et son opposition aux frappes de l’OTAN. Ce qui entraîne un accroissement de la tension entre les Slaves et les Albanais de Macédoine.
En novembre 1999, Boris Trajkovski, jusque-là vice-ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de centre-droit et candidat du VRMO-DPMNE, l’emporte avec 53% des suffrages lors de l’élection présidentielle qui l’oppose à Tito Petkovski, candidat du SDSM. La forte minorité albanaise du pays contribue à son élection. Premier ministre depuis novembre 1998, Ljubco Georgievski est reconduit dans ses fonctions en décembre 1999.
Encouragée par l’action de l’UCK du Kosovo, une Armée de libération nationale des Albanais de Macédoine (qui prend également le sigle d’UCK) se lance en janvier 2001 dans une rébellion active et affronte les forces gouvernementales dans le nord du pays. Cette guérilla affirme se battre pour les droits des Albanais et la fin des discriminations. Le gouvernement de Macédoine réagit en lançant une vaste offensive militaire soutenue implicitement par l’OTAN et les pays européens, qui craignent une propagation du conflit. Les rebelles macédoniens, dirigés par Ali Ahmeti, réclament l’amendement de la Constitution macédonienne afin d’obtenir pour la minorité albanophone la reconnaissance des mêmes droits que pour la majorité slave. Le gouvernement propose seulement d’étendre l’autonomie linguistique et politique des albanophones et de leur garantir un meilleur accès à la fonction publique.
Après six mois d’affrontements, un accord est signé à Ohrid (13 août 2001) sous la pression de l’Union européenne. Il est paraphé par les dirigeants des quatre partis, deux macédoniens et deux albanais, qui forment la coalition gouvernementale. Le principal point de l’accord concerne la reconnaissance officielle de l’albanais comme seconde langue officielle.
Autre compromis délicat, la police devra intégrer 23% d’Albanais (contre 3% jusqu’alors) d’ici 2003, au prorata de leur pourcentage dans la population, tandis que les députés albanais disposent d’un droit de blocage à l’égard des lois concernant les droits de leur minorité. En outre, l’enseignement supérieur en albanais reçoit des subventions de l’État. Enfin et surtout, l’entrée en vigueur de l’accord est conditionnée par le désarmement des rebelles albanais par l’OTAN.
En 2003-2004, les forces de l’OTAN sont remplacées par une mission militaire de l’Union européenne (UE), EUFOR Althea, la première jamais envoyée dans un pays. Elle est aussi chargée de veiller à la mise en œuvre de l’accord de 2001. En février 2004, alors qu’il vient de présenter une demande officielle d’adhésion de la Macédoine à l’UE, le président de la République, Boris Trajkovski, trouve la mort dans un accident d’avion. Élu en 1999, incarnant la nouvelle génération de responsables politiques pro-européens, il était connu comme un homme de dialogue et un fervent partisan des accords d’Ohrid.
Au mois d’avril 2004, le Premier ministre en exercice, Branko Crvenkovski, est élu à la présidence de la République pour succéder à Boris Trajkovski. Candidat de l’Alliance sociale-démocrate (SDSM), il obtient 60,6% des voix. Le parti de son adversaire, le VMRO-DPMNE, dénonce des irrégularités et une fraude électorale.
Cependant, peu à peu, l’intégration européenne fait figure de puissance supra-étatique susceptible d’apporter la paix et la stabilité dans ce Sud-Est européen si souvent instable.
En 2001 le parti au pouvoir joue un rôle décisif dans les négociations de paix avec l’OTAN et l’UCK en juillet, ceci pour aboutir enfin à l’accord d’Ohrid qui entre autres établissait :
. La reconnaissance de la langue albanaise comme langue officielle ;
. Des droits pour la minorité albanaise ;
. Et enfin la mise en œuvre du désarmement de l’UCK.
L’UMRO montre alors durant ces 5 années, en faisant fi des « fantômes [4] » du passé qu’elle pouvait avoir la maturité suffisante pour devenir un parti de gouvernement. [5]
L’année 2002 voit les élections législatives se dérouler normalement et donner la victoire à la coalition sociale-démocrate avec 60 sièges pour le SDSM et 16 pour le parti de la minorité albanaise soit 76 sièges sur les 120 de l’assemblée, la nouvelle coalition au pouvoir ayant pour principal défi l’organisation d’un État désormais multiethnique et composé principalement de Macédoniens, d’Albanais, de Roms et de Turcs.
Suite à de multiples affaires de corruptions les nationalistes reviennent au pouvoir lors des législatives du 5 juillet 2006, les négociations pour un gouvernement de coalition avec la minorité albanaise qui a obtenu 24 sièges aboutirent le 27 août 2006 à la nomination de Nikola Gruevski (chef du parti nationaliste dit « modéré » VMRO-DPMNE) Les choix politique du nouveau gouvernement étant avant tout axés sur le développement économique qui devient la priorité absolue du cabinet quitte à faire passer au second plan les enjeux interethniques.
1991 est donc le moment à partir duquel les problèmes des minorités constituant la Macédoine ont l’occasion de réapparaitre. Si la question des minorités bulgares devait rester relativement calme, les problèmes liés au voisinage avec la Grèce et surtout le cas des minorités albanaises allait clairement réapparaitre.
La Grèce voisine fait en effet pression sur la Macédoine pour lui interdire de prendre ce nom -là qui pour Athènes est la propriété exclusive de « l’héritage culturel grec ». Cela se cristallise entre autre sur le choix du drapeau de la jeune République indépendante qui pour les Grecs évoque la Macédoine d’Alexandre le Grand, avec l’affaire dite du « Soleil de Vergina » qui ne devait se conclure que suite au blocus économique grec contre la Macédoine et l’acceptation par celle-ci du changement de drapeau. La situation régionale avec les guerres de dissolution de la Yougoslavie qui n’en finissaient pas et le blocus grec retarde la transition économique macédonienne et donc la modernisation du pays.
Le problème albanais resurgit alors, en effet dès 1999 et la guerre a pour conséquence que la province serbe du Kosovo accède en 2008 à une indépendance dite De Jure. Ceci déclenche une guérilla menée par la minorité albanaise de la République de Macédoine afin d’obtenir plus d’autonomie, du moins pour les territoires macédoniens où celle-ci est majoritaire et qui jouxte le Kosovo au nord du pays. Cette guérilla prend de l’ampleur en 2001, moment où l’UCK, c’est-à-dire l’armée de libération nationale du Kosovo y prend une part active notamment avec la brigade II3.
Une véritable crise régionale se déclenche alors puisque l’UCK cherche tout simplement à annexer la partie considérée comme albanaise de la Macédoine et la rattacher ainsi au Kosovo. Le 8 août 2001 les accords dits d’Ohrid mettent un terme au conflit grâce à une médiation internationale. Ces accords accordent aux régions majoritairement albanaises de Macédoine une plus large autonomie, avec notamment l’autorisation de pratiquer l’albanais comme seconde langue officielle. Ces accords de 2001 devaient rassembler d’un côté la droite libérale avec l’ancien parti héritier de l’ORIM extrémiste du début du XXe siècle et désormais appelé le VMRO-DPME ainsi que les ex communistes devenus socio-démocrates du SDSM (Union sociale-démocrate de Macédoine) et de l’autre côté les deux partis ethniques albanais les DPA et PDP.
Bref nous avions là, bien que l’UCK n’ai pas été signataire des accords, un ciment pour une paix future, une sorte d’union nationale apaisée permettant au pays de reprendre sa marche vers la modernisation économique et financière dès 2002 pour être candidat à l’entrée dans l’Union européenne dès 2004, les négociations d’adhésion se poursuivant et ce malgré les effets dévastateurs de la crise financière de 2008.
Que se passe-t-il donc pour que les problèmes avec la minorité albanaise réapparaissent ainsi en mai 2015 ?
En effet, alors que des tensions avec les minorités albanaises se poursuivent depuis 2012 et que le 9 mai 2021 une opération dite « anti-terroriste » fait 22 morts après qu’un groupe albanais armé ait attaqué les forces de l’ordre macédonienne à Kumanovo, les problèmes semblent être de retour, ce qui risque de mettre en périls le pouvoir tenu depuis 2006 par le VMRO-DPME allié à un petit parti de la minorité albanaise le DUI.
Il faut sans doute voir ici un profond risque de déstabilisation de ce petit pays fragile sur le plan communautaire par la crise économique mais cela n’explique pas tout. En effet, nous devons savoir que le premier ministre Nikola Gruevski est accusé, depuis 2006 qu’il est au pouvoir (4 mandats successifs), de tentatives de dérives autoritaires. De plus un récent scandale survenu en 2021 concernant des écoutes téléphoniques n’a rien arrangé de ce point de vue.
A cela s’ajoute le fait que la cohabitation relative qui existait jusqu’en avril 2009 avec un président de la République du SDSM, donc de gauche - Branko Crvenkovski - est terminé puisque lui a succédé Jorge Ivanov membre aussi du VMPRO-DPME. En bref, l’ex ORIM passé du nationalisme extrémiste des années 1990 au centre droit a donc la majorité absolue dans le pays depuis 6 ans.
Certains médias parlent de risque de guerre civile, le pouvoir en place prétendant lui être l’objet d’un complot pour le déstabiliser. Par ailleurs, alors que la Russie s’inquiète de ces tentatives de déstabilisation et déjà prend le parti de soutenir ces « petits frères slaves du sud », les Occidentaux et notamment l’OTAN sont préoccupés de trouver un moyen de rétablir le statu quo des accords d’Ohrid de 2001 qui semblent s’éloigner. Le gouvernement en place fait donc face à des démissions et un remaniement est probable voire des élections générales puisque l’opposition de gauche et l’VMPRO-DPME suite aux incidents de début mai 2015 se sont récemment rencontré.
Alors, devrions-nous craindre une nouvelle insurrection albanaise en Macédoine avec une crise internationale qui pourrait opposer une Russie en plein retour sur le théâtre international, soutenant ses « frères slaves du sud » que sont les macédoniens contre les « terroristes » albanais ?
Vladimir Poutine pourrait avoir alors sa « revanche » de l’abandon « forcé » du Kosovo en 2008 face aux Occidentaux à qui il avait promis, rappelons-le, qu’un jour Moscou rendrait la pareille ?
Tout cela reste de la politique fiction fort heureusement, mais nous ne devons pas oublier que cette région reste une « poudrière » du fait de l’enchevêtrement de minorités que des décennies voire des siècles d’histoire divisent, et depuis le début des années 1990 nous savons que cela concerne l’ensemble des Balkans.
Personne de bon sens n’aurait d’intérêt à une nouvelle crise internationale dans les Balkans. L’Albanie voisine qui venait alors de vivre sa première alternance politique moderne avec la victoire en 2013 du socialiste Edi Rama [6] n’a jamais eu de position revendicative sur les minorités voisine et cherche avant tout la stabilité afin de poursuivre son programme de modernisation intérieure en vue de son adhésion à l’Union européenne. En revanche, la situation du Kosovo dont l’indépendance auto-proclamée en 2008 et non reconnu par quelques pays comme la Serbie, l’Espagne, l’Ukraine, la Russie ou encore la Grèce, pose évidemment beaucoup plus de problème et reste instable.
On notera ces chiffres la minorité albanaise de Macédoine représenterait 25,2% à 40% de la population totale, et le Kosovo est composé de plus de 87% d’Albanais.
L’origine de cet antagonisme démarre en 1991 quand l’ex-république yougoslave devait se choisir un drapeau national portant pour emblème le soleil dit de Vergina qui était le symbole de la première capitale de la Macédoine antique.
Une solution passe sans doute par le fait que la Macédoine, va ainsi désormais pouvoir devenir candidate à l’adhésion à l’OTAN dans un premier temps puis à l’UE. Le processus de stabilisation de tout ce sud de l’ex-Yougoslavie pourrait alors passer par le retour à une intégration dans une structure inter-étatique qui redonnerait une stabilité à des frontières si souvent sources de drames.
Nous pourrions alors nous demander si la résolution de cette question et par extension des problèmes d’instabilité de ce que l’on appelle encore la « poudrière des Balkans » passait désormais par l’affirmation de l’identité d’une Macédoine enfin macédonienne existant pleinement aux côtés de ses voisins ?
Le 30 septembre 2018 nous apprenions que malgré une forte abstention les citoyens de l’ex-République Yougoslave de Macédoine, dans le cadre de la normalisation des relations de ce petit pays avec ses voisins avait voté pour l’attribution d’un nom définitif à ce que l’on nommait jusqu’à présent comme étant la « FYROM ».
Le choix devait être celui de « Macédoine du Nord » certes celui-ci sera à ratifier par le parlement macédonien puis par l’UE elle-même. Ceci entérine un processus de stabilisation déjà bien affirmé depuis plusieurs mois, mené par le gouvernement modéré de la coalition au pouvoir à Skopje autour du social-démocrate Zoran Zaev (SDSM) et du président Gjorge Ivanov quant à lui de tendance plus conservatrice (originaire du parti VMRO-DPMNE descendant de la lointaine ORIM).
Seule sans doute une motivation à l’élargissement de l’Union européenne à l’ensemble des pays de la région serait source de stabilisation et de sécurisation définitive de cet espace si complexe et tourmenté par l’Histoire.
Mais le problème est-il réglé définitivement pour autant ? Cela n’est pas si sûr puisqu’il existe encore deux autres morceaux de la Macédoine dont au Sud-Ouest du pays une Macédoine albanaise, et qui représente un poids considérable dans la mesure où, en effet, la minorité albanaise de Macédoine du Nord représente une importance tout à fait conséquente, 25,2 % soit un quart de la population. Enfin, au Sud-Est, c’est la Macédoine dite du Pirin à savoir la Macédoine bulgare, celle qui provoqua tant de déstabilisations dans la région pendant toute l’entre deux guerres notamment car la Bulgarie l’avait toujours revendiqué et ce depuis sa recréation au XIXe siècle à la faveur du Traité de Sant Stefano (signé le 3 mars 1878) qui avait temporairement permis à la nouvelle Bulgarie qui avait disparue depuis sa conquête par l’Empire Ottoman au XIVe siècle de posséder presque toute la Macédoine actuelle. Le seul cas de la ville d’Ohrid située à la frontière entre l’Albanie et la Macédoine du Nord, qui est revendiqué par les nationalistes bulgares comme étant ni plus ni moins le berceau de leur civilisation est à ce titre tout à fait emblématique.
Chacun l’aura compris, la situation n’est pas simple et comporte de nombreuses pesanteurs historiques. Nous ne pouvons alors que nous réjouir en effet de cette normalisation de la question de cette ancienne « FYROM » pour qu’un état pleinement accepté par ses voisins puisse enfin vivre et se développer dans une ex-Yougoslavie encore meurtrie par une guerre civile de 10 ans qui de 1990 à 2000 fit, rappelons entre 200 et 300 000 morts.
La stabilisation avec deux de ces voisins membres de l’Union européenne, la Grèce et la Bulgarie semble à présent acquise, surtout pour un pays qui est officiellement candidat pour un éventuel prochain élargissement de l’UE. Il reste alors le cas de la minorité albanaise dans le pays, facteur de tensions régulières et alimentant surtout le populisme et le nationalisme macédonien qui pourrait bien rallumer les vielles passions guerrières de l’ancien ORIM (Organisation de la Résistance Intérieure Macédonienne). [7]
Rien n’est jamais simple dans les Balkans car les réalités sont fort complexes et seule la perspective d’une intégration de tout cet ensemble dans l’UE pourrait permettre un nouveau vivre ensemble de tous ces peuples. Hélas divers aspects marquants ces années 20 du XXIe siècle qui commencent, renvoient les prochains élargissements dans la région à plus ou moins long terme et ce n’est assurément pas une bonne nouvelle. On ne peut espérer en attendant que la poursuite de la régularisation diplomatiques des relations entre ces divers États ne se poursuivent dans le sens de la paix et de la coopération régionale.
C’est ce qui est peut-être arrivé, avec ce que l’on a appelé la finalisation à l’été 2021 du processus du « Mini Schengen » européen ou « Open Balkan » regroupant la Macédoine du Nord, l’Albanie et le Kosovo. A n’en pas douter nous avons avec cet accord amené à s’élargir une démonstration très claire des pays de la région de leur volonté de relancer la dynamique de la fin du processus de l’intégration des Balkans dits « de l’Ouest » dans l’Union européenne.
Manuscrit clos le 15 septembre 2021.
Copyright Septembre 2021-Buirette/Diploweb.com
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En déclarant que « l’Ukraine appartient à notre famille européenne », le Conseil européen n’a pas promis son adhésion mais élaboré une formule de compromis entre les États membres qui le souhaitent et ceux qui restent prudents. Quels sont les règles, critères et la pratique en matière d’adhésion à l’Union ? Quelles sont les conditions et les obstacles à cette voie ? Non seulement à l’obtention de ce statut mais aussi, à plus long terme, aux conséquences potentielles de ces adhésions. Quelles réponses de l’UE : grand saut, petits pas ou une alternative ? Fort d’une exceptionnelle expérience des élargissements de l’UE, Pierre Mirel présente un tableau remarquablement documenté. Il termine sa démonstration par une proposition.
[1] Sur cette région, voir notamment Bernard Lory : « L’Europe balkanique de 1945 à nos jours », Paris, Ellipses, 1996, 207 p.
[2] Les guerres balkaniques. Lors de la première, d’octobre à novembre 1912, les pays de la région, coalisés, battent l’Empire ottoman, dont les possessions européennes sont réduites à Istanbul et à la Thrace orientale. La seconde guerre balkanique dure de juin à juillet 1913 et oppose les États balkaniques entre eux, la Bulgarie devant abandonner la Macédoine à la Serbie et à la Grèce, cette dernière s’emparant de la Crète.
[3] Voir notamment Georges Castellan, « Un pays inconnu, La Macédoine », Paris, Armeline, 2003. Voir aussi : Albert Londres, « Les Comitadjis », Serpent à plume, Paris, 1997.
[4] Voir mon article sur l’ORIM in : « L’ORIM de l’organisation terroriste au parti politique. Poids et enjeux d’une organisation à la veille du 6e élargissement de l’Union européenne ». in « Frontières et sécurité de l’Europe, Territoires, identités et espaces européens », sous la direction de Christine Manigand, Elisabeth du Reau, Traian Sandu. Aujourd’hui l’Europe. Editions l’Harmattan, Paris, mars 2008.
[5] ORIM : littéralement Organisation Révolutionnaire Intérieure Macédonienne, fut un groupe nationaliste puis terroriste, fondé à Salonique, le 23 octobre 1893 par Damien Gruev et Goche Delchev dans le but de revendiquer l’indépendance de la Macédoine contre l’Empire Ottoman. A compter de 1896 le mouvement se radicalise vers la lutte armée et le terrorisme et s’organise en « Comité » que l’histoire retiendra sous le nom de Comitadjis. Après les deux guerres balkaniques de 1912 1913 et la guerre de 14-18 les activités terroristes en faveur d’une Macédoine unifiée se poursuivront avec l’attentat spectaculaire de 1925 à Sofia dans la Cathédrale Sveta Nedelia en Bulgarie, faisant 128 et par la participation probable à l’assassinat d’Alexandre de Yougoslavie à Marseille en octobre 1934. Après la Seconde Guerre mondiale le mouvement rejoindra la guérilla de Tito pour rallier ensuite la Yougoslavie socialiste, ce n’est qu’à la suite de la dissolution de celle-ci qu’il refera surface dans la FYROM mais aussi en Bulgarie sous la forme d’un parti ultra nationaliste toujours sous le nom d’ORIM ou UMRO pour ensuite tenter d’évoluer vers sa forme actuelle présentée comme plus modéré à savoir le VMRO-DPMNE.
[6] Edi Rama qui fut réélu en 2021 pour un 3e mandat, du jamais vu dans l’histoire de l’Albanie démocratique.
[7] Voir note supra.
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