Diplomate, Ministre plénipotentiaire hors cadre, G.-M. Chenu a été notamment ambassadeur de France à Zagreb (1992-1994), coordinateur de la présidence française pour Mostar (1995), observateur pour l’OSCE pour les élections générales en Bosnie-Herzégovine (1998). Il se rend régulièrement dans les Balkans. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique auquel est adossé le Diploweb.
Géopolitique des Balkans. Voici un décryptage limpide des jeux géopolitiques dans les Balkans occidentaux. L’UE, la Russie, la Turquie, la Chine... et d’autres encore poussent leurs pions.
C’EST en 2003, au Conseil européen de Thessalonique, que les 15 États membres de l’UE déclarèrent qu’ils soutiendraient « pleinement et résolument les perspectives européennes des Balkans occidentaux [1] ».
Dix après, le bilan est mitigé. Un seul Etat, la Slovénie a rejoint l’ensemble européen, en 2004, un deuxième, la Croatie, le fera en juillet 2013. La Macédoine, le Monténégro et la Serbie ont le statut officiel de candidat. L’Albanie a déposé sa candidature ; la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo demeurent sur le seuil.
Cette lenteur est due aux difficultés systémiques de la transition, à l’économie criminelle et à une corruption généralisée. Un obstacle extérieur, le veto grec, bloque la Macédoine. En Serbie, les élections ont porté au pouvoir, en mai 2012, un nouveau président, Tomislav Nikolic, et des hommes politiques aux antécédents nationalistes préoccupants. Ceux-ci s’interrogent sur la manière de poursuivre la politique proeuropéenne de leurs prédécesseurs [2].
À toutes ces causes de retard, s’ajoute que les Balkans sont redevenus un lieu de compétition entre Puissances, comme au XIXe siècle. Avec la différence que si certaines d’entre elles, Russie et Turquie, sont des habituées, d’autres, Chine et Pays du Golfe, sont nouvelles.
Alors que la participation des Balkans occidentaux à l’Europe en construction paraissait assurée, la présence d’acteurs étrangers entreprenants pourrait sinon remettre en cause une intégration jugée naturelle, du moins retarder sa réalisation en la rendant plus laborieuse. Sur la route de Bruxelles, des Sirènes se font entendre.
Les liens entre la Russie et les Balkans sont très nombreux. Or, pendant la décennie 1990, Moscou a été humiliée par l’Occident. Elle n’a pas pu soutenir ses alliés de Belgrade, ni s’opposer à des frappes illégales de l’OTAN ainsi qu’à la mise sous contrôle international d’une province de la Serbie. « Last but not least », la quasi-totalité des pays de l’Europe centrale et des Balkans ont adhéré à l’OTAN ou collaborent avec elle. La découverte, en 1997, d’immenses gisements d’hydrocarbures au Kazakhstan a fourni à V. Poutine les moyens d’une relance économique et d’une revanche sur Gorbatchev et… l’Occident.
Depuis le 1er Sommet de l’Énergie russo-balkanique, le 25 juin 2007, à Zagreb, l’objectif de Moscou est d’être le fournisseur incontournable de gaz à toute l’Europe et d’utiliser les Balkans occidentaux comme zone de transit.
La Serbie est au centre de ce projet stratégique russe. Elle sera le "hub" du dispositif. Sur son territoire passera la plus grande partie du gazoduc South Stream [3] et sera édifiée le réservoir chargé d’assurer la continuité des livraisons.
V. Poutine et D. Medvedev ont facilement convaincu leurs homologues serbes d’entrer avec eux dans une sorte de partenariat énergétique. L’unique engagement politique qu’ils leur ont demandé est de ne pas adhérer à l’OTAN. En revanche, l’entrée de la Serbie dans l’Union européenne est encouragée par Moscou.
Avant de négocier, Moscou avait réactivé un accord de libre-échange qui ouvre aux produits serbes le vaste marché russe.
En 2008, Gazprom, société gestionnaire de South Stream, a pris une position dominante dans l’industrie pétrolière serbe en achetant la société NIS et la raffinerie de Pancevo. À présent, Moscou aurait des vues sur Elektropriveda, second producteur d’électricité en voie de privatisation.
Des contreparties financières accompagnent le partenariat : en 2009, un prêt russe de 1 milliard de dollars pour réhabiliter des chemins de fer, moderniser des centrales hydrauliques et équilibrer le budget. Après la formation, en juin 2012, d’un gouvernement bien disposé à l’égard de Moscou, l’ambassadeur de Russie a laissé entendre qu’un deuxième prêt pourrait être accordé, si la situation économique et financière de la Serbie s’aggrave [4].L’usine sidérurgique de Zelezara pourrait être rachetée et construite une usine de batteries (80 millions d’euros).
Entre les deux pays les échanges se multiplient : échanges culturels et artistiques, nombreuses rencontres officielles : le premier déplacement du président Nikolic fut pour Moscou. Serait en préparation un "Partenariat Stratégique ». Les visites entre les deux Eglises orthodoxes sont fréquentes et appréciées ; les deux Patriarcats et le gouvernement serbe réparent et réhabilitent les églises et les monastères du Kosovo.
À partir de son gazoduc, qui passera par la Bulgarie, la Serbie et la Hongrie, Gazprom veut approvisionner les autres Etats membres de l’UE. Le marché bulgare est déjà acquis : gaz, fioul, essence et combustible nucléaire viennent de Russie et l’unique raffinerie appartient à une société russe, Lukoil.
En Bosnie-Herzégovine, des membres de la Présidence tripartite veulent, au préalable, se raccorder au réseau européen par l’intermédiaire de la Croatie.
La Republika Srpska est beaucoup plus réceptive. Gazprom a racheté la raffinerie de Banja Luka, qui sera alimentée par une bretelle, et signée avec l’Entité un accord de coopération industrielle (centrales hydroélectriques).
En 2009, la Slovénie a conclu un contrat de rattachement. Les discussions avec la Croatie portent sur des projets industriels à caractère énergétique. [5]
Au Monténégro des négociations concernent la construction d’usines hydroélectriques.
En matière d’énergie, la Russie acquiert une position de plus en plus importante dans les Balkans occidentaux, en grande partie grâce au bon vouloir de la Serbie. [6] Toutefois, son empressement risque de lui causer des difficultés. Gazprom, qui n’est guère transparente, concentre les activités de producteur et de fournisseur, ce qui est contraire aux règles européennes en matière de concurrence. Un refus de l’entreprise russe de se conformer aux demandes de la Commission compliquerait les négociations d’adhésion. Et si un bras de fer survenait, Belgrade devrait faire un choix.
Le retour de la Turquie dans les Balkans occidentaux est une des conséquences du désastre yougoslave. À cette occasion, on a redécouvert des aspects positifs de l’Empire ottoman qui, pendant plusieurs siècles, a fait coexister des groupes humains différents grâce à une association de l’ordre à la tolérance. Des intellectuels turcs, historiens, sociologues, hommes politiques dont Ahmet Davutoglu, ministre des Affaires étrangères ont réalisé que le moment était venu de sortir de la passivité du kémalisme vis-à-vis des Balkans actuels et de valoriser cet héritage historique. Recourant à son dynamisme humain et économique [7], la Turquie revient avec un visage nouveau, celui d’un voisin pacifique et sage, désireux d’aider au règlement des conflits et disposé à mettre son expérience et ses ressources à la disposition des gouvernements qui veulent se moderniser.
La Turquie, qui a des relations avec tous les Etats de la région, pratique une diplomatie active et médiatrice [8]. Présente dans toutes les Institutions régionales, elle sensibilise les membres de la Conférence islamique aux problèmes des Balkans. Membre de l’OTAN, elle entretient un contingent au Kosovo (KFOR). Elle a servi de médiatrice dans le conflit onomastique entre la Grèce et la Macédoine et, en Serbie ; elle a arbitré des querelles politico-religieuses ( Mufti de Serbie et Sandjak de Novi Pazar). Au cours de rencontres ( avril 2011 et début 2012) initiées par Ankara, le président serbe et des leaders bosniaques ont reconnu que l’avenir de la Bosnie reposait sur l’intégrité territoriale, la réconciliation et l’intégration européenne [9].
La Turquie possède de nombreux atouts. Elle connaît la région, valorise les relations personnelles ( R.T. Erdogan avec Boris Tadic, Dovotoglu avec Vuk Jeremic avant les dernières élections serbes), ose des initiatives spectaculaires comme la reconstruction rapide du vieux pont de Mostar (Stari Most) en 1994. Enfin, la Turquie est toujours disponible en période de crise.
La Turquie est réaliste et concrète. En Serbie : des entreprises et des capitaux turcs pour l’aéroport de Kraljevo ainsi que pour les routes du Sandjak ; au Monténégro, reprise d’une usine sidérurgique (15 millions d’euros). Depuis un an, Erdogan pousse les dirigeants bosniaques à signer un grand accord de coopération.
Le dynamisme turc est aussi culturel et religieux : constructions d’écoles primaires et de « madrasa », ouvertures d’Instituts culturels en Albanie, au Kosovo et en Bosnie. Le Diyanet, la direction des affaires culturelles et religieuses, distribue des bourses de théologie musulmane, restaure des mausolées et des mosquées anciennes.
Les diplomates, les hommes d’affaires, les ingénieurs, les experts turcs sont bien accueillis partout [10]. La qualité de ces démarcheurs est telle que, dans les années à venir, la Turquie, sauf accident, deviendra le « pays partenaire » des pays des Balkans occidentaux. Si sa candidature européenne n’aboutissait pas - Erdogan vient de donner 2025 comme une date limite – Ankara aura trouvé dans la partie continentale de son ancien Empire, un vaste espace ouvert à son besoin d’action. Et la Turquie sera une grande puissance régionale entre l’Europe occidentale, la Russie et le Moyen-Orient.
Pour le moment, les pays musulmans sont modérément actifs...
Dès la signature des Accords de Dayton (décembre 1995), des missionnaires musulmans, venant d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et de la Péninsule arabique, soutenus par leur gouvernement, se précipitèrent en Bosnie pour prêcher le vrai Islam. Une magnifique Université fut ouverte à Sarajevo, des bourses furent distribuées et édifiées de nombreuses Mosquées blanches aux minarets en forme de baïonnette. Après 50 ans de prêches, les Imams étrangers et l’argent des pétro producteurs n’ont pas réussi à effacer le caractère européen de l’Islam bosniaque, tant est solidement enraciné un particularisme religieux élaboré au cours des siècles. La « purification » recherchée s’est aussi heurtée à des mouvements "néo soufis" venus de Turquie, au consumérisme et au désir de modernisation laïque chez des jeunes. La « Charia » n’ayant pas triomphé, rien de religieux ne peut faire obstacle à l’intégration européenne.
La coopération économique des pays musulmans avec les Balkans occidentaux est modeste. Une compagnie aérienne des Emirats envisage de s’associer à la compagnie serbe - la JAT qui est en quasi-faillite - pour créer une nouvelle compagnie. Les Autorités des Émirats cherchent aussi à investir dans l’agriculture et recherchent des terres en Voïvodine.
Le Fonds Economique Arabe du Koweït - pays qui a reconnu le Kosovo – a consenti un prêt de 25 millions dollars aux Chemins de fer de Serbie pour la construction d’une gare moderne à Belgrade. Le Fonds est disposé à financer d’autres projets.
... les plus inattendus parmi les « nouveaux venus » dans les Balkans occidentaux, sont les Chinois
Grâce à la Grèce, les transporteurs chinois se sont assurés un accès direct au marché européen. Ils ont la maitrise de la moitié du port du Pirée et renforcent leur position sur celui de Thessalonique.
Leur présence dans les Balkans occidentaux répond à des mobiles parfaitement cohérents.
Un premier objectif est de multiplier et fiabiliser des débouchés pour les exportations chinoises en implantant des entreprises, commerciales ou industrielles, qui deviendront des clientes. Choisir des partenaires commerciaux dans les Balkans occidentaux, c’est, à terme, accéder à l’UE.
Leur seconde mission est de rechercher des sources de produits alimentaires et de les maîtriser. La Chine doit compter sur des terroirs situés hors de ses frontières pour nourrir sa population.
Il se trouve aussi que la conjoncture internationale donne un relief particulier à la présence de la Chine dans cette partie d’Europe. Avec le Kosovo, qui a proclamé son indépendance, un « conflit ouvert » existe dans les Balkans occidentaux. Avec énergie, la Serbie défend sa souveraineté et son intégrité territoriale Les pays occidentaux - Etats-Unis, Grande Bretagne, France - sont favorables à cette indépendance alors que la Russie et la Chine [11] y sont opposées pour des raisons de principe ( limiter le droit à des peuples à disposer d’eux-mêmes dans les Etats composites), de positionnement international (contrepoids aux Occidentaux) et de circonstances (soutien à un pays ami). Le Conseil de Sécurité, qui exerce une tutelle sur la province en litige, est paralysé. La Chine, qui met son veto au service de la Serbie, montre qu’elle est une des grandes puissances. Elle acquiert ainsi la sympathie de la population et des décideurs serbes.
La coopération chinoise en Serbie est l’objet de nombreuses visites et réunions. Elle se manifeste dans plusieurs domaines : construction sur le Danube du pont de l’Amitié et de ses voies d’accès (à Zemun-Borca) ; accroissement des capacités d’une centrale électrique ( Kostolac) ; participation au Corridor 11, autoroute qui traversera la Serbie. Ces chantiers sont financés par un prêt de 1 milliard de dollars et réalisés en association avec des entreprises chinoises. Mladan Dinkic, chargé de l’économie et des finances, vient de faire publiquement un éloge dithyrambique de leurs prestations et demandé un prêt plus important ( 1,8 milliard dollars ?) pour de nouveaux projets (énergie et infrastructures de transport).
Au Monténégro, les entrepreneurs chinois, privés et publics, sont en concurrence avec des sociétés russes qui déçoivent. Podgorica se tourne vers les crédits et la technique de la Chine pour plusieurs projets : une voie rapide pour relier la cote au nord du pays et des centrales électriques sur deux rivières.
À son tour, mais dans le domaine culturel et artistique, la Croatie s’ouvre à la Chine. Pour le 20e anniversaire de l’ouverture des relations diplomatiques, l’Université de Zagreb s’est dotée d’un Institut Confucius et la province de Guangdong s’intéresse à l’expérience croate en matière de protection des œuvres d’art et de conservation des monuments historiques.
La montée d’acteurs non-occidentaux dans les Balkans occidentaux intervient alors que l’UE est aux prises avec une crise d’une ampleur exceptionnelle, laquelle touche aussi les Balkans. Les laborieuses concertations que les dirigeants des 27 renouvellent pour mettre au point des mesures de protection - pas encore de relance - nourrissent des doutes sur leurs capacités à s’entendre et à l’emporter. Le projet européen a beaucoup perdu de son magnétisme. En Serbie, les partisans de l’intégration sont minoritaires – 48% - et les jeunes candidats au départ songent plus à l’Amérique du Nord et à l’Australie qu’à l’Europe [12]. L’UE entrant dans une quasi-récession - à l’exception d’une poignée de ses membres - on en déduit qu’elle n’a plus les moyens ni la volonté de poursuivre l’ouverture.
Les faits sont loin de justifier ces appréhensions. La Commission européenne dont les crédits n’ont pas été amputés, poursuit ses opérations en vue des futures intégrations, secteur par secteur. Les pays investisseurs – Allemagne, Autriche, Italie et des pays nordiques – continuent leurs opérations [13]. La Banque de Reconstruction et de Développement a mis à la disposition de Belgrade une facilité de 400 millions d’euros et envisage une somme du même ordre pour 2013.
Les offres de coopération technique et financière des nouveaux venus se multiplieront et certaines seront avantageuses. Ceux des pays des Balkans occidentaux qui les accepteront le feront pour gagner du temps, accroître leur marge de manœuvre et peser sur les conditions d’intégration des 27. Cela est perceptible parmi la nouvelle équipe dirigeante à Belgrade qui est tentée par une sorte d’équidistance entre l’Occident, la Russie et les Emergeants asiatiques et autres. C’est ce qu’expérimente Chypre sauvé d’une quasi-faillite par une aide financière de Moscou. Lors d’une récente réunion économique à Belgrade, le premier ministre, Ivica Dacic, a expliqué qu’il comptait financer sa politique « grâce aux bonnes relations de son pays avec la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil et l’UE ». Et, le 9 octobre 2012, au cours d’un déplacement en Italie, le président serbe Nikolic a averti qu’il renoncerait à l’UE si la condition d’entrée était la reconnaissance du Kosovo. « La Serbie vivrait alors comme avant, elle essayera de coopérer avec tout le monde et sera satisfaite de n’avoir pas de protecteur. » Déclaration nationaliste et populiste, non exempte de provocation, mais qui ne repose sur aucune certitude.
La Russie ou la Chine ou les deux ensemble sont-elles disposées à sortir l’économie serbe d’une situation proche de la catastrophe et, en plus, à moderniser le pays ? Le ‘management russe’ est-il efficace et sûr ? Les méthodes chinoises sont-elles transposables en Serbie ? Quel pays ami de la Serbie serait prêt à prendre le relai de l’UE qui, en dix ans, a dépensé environ 2 milliards d’euros pour l’aider et préparer des réformes ? [14]
D’ailleurs, la Serbie est-elle vraiment en situation de pratiquer une équidistance géopolitique ?
En décembre 2012, commencent les travaux du gazoduc South Stream. Le gigantesque chantier sera réalisé par une société d’Etat qui entend assurer la protection du gazoduc et de ses installations avec son propre service de sécurité. Elle agira en Etat à l’intérieur d’un autre Etat. Les Serbes supporteront-ils des atteintes importantes et visibles à leur souveraineté ? Les règles de sécurité de l’exécutant russe seront- elles compatibles avec les normes européennes ?
La Serbie a accepté qu’une base, située près de la ville de Nis, serve à des opérations de sauvetage mixtes serbes et russes en cas de catastrophes naturelles. Cette base, inaugurée au printemps 2012, accueille une unité de déminage. Elle est située en face du Kosovo, non loin de la grande base que l’armée américaine a édifiée … au Kosovo. ! Belgrade ne s’est-elle pas liée les mains ?
Les activités de la Turquie risquent d’alimenter une autre illusion, de nature communautaire, parmi les populations musulmanes, particulièrement en Bosnie. On a tout lieu de craindre que la Bosnie-Herzégovine ne satisfera pas aux critères de la Commission. Le leader de la Republika Serpska, Milorad Dodic, qui poursuit un projet sécessionniste, bloque toutes les réformes qui rendraient fonctionnelles les institutions de l’Etat. Placés devant une marginalisation de la Bosnie voire une menace d’éclatement, les responsables musulmans se tourneraient vers Ankara sollicitée de devenir pour eux une sorte « Puissance Tutrice ». La même perspective s’ouvrirait aux Albanais du Kosovo si Belgrade s’obstinait dans son déni.
« Le pire n’est pas sûr ». Il n’en demeure pas moins que les initiatives de la Turquie contribueront à la longue à accentuer les différences entre Chrétiens et Musulmans et à ébranler la cohabitation pacifique recherchée par l’ONU, l’UE et les Etats-Unis. Dodic et ceux qui le soutiennent à Belgrade dénoncent déjà le retour de "l’impérialisme ottoman". En face, Bakir Izetbegovic, qui représente les Musulmans à la présidence tripartite de la Bosnie-Herzégovine, parle d’Erdogan comme d’un « leader bosniaque » car, explique t-il, cet homme d’Etat à l’envergure internationale, connaît les intérêts des Musulmans et partage leurs sentiments. Cette présentation quasi fusionnelle du Premier ministre turc est très éloignée de l’esprit de la construction européenne telle que l’envisagent les 27.
La mondialisation apporte de la vitalité internationale dans les Balkans occidentaux. Elle introduit de la concurrence et réduit les avantages de la proximité continentale. Toutefois, elle ne bouleverse pas les perspectives économiques et géopolitiques des Etats concernés. Leur croissance sera heureusement stimulée par l’énergie dispensée par la Russie dont la position de fournisseur dominant nécessitera des contrepoids [15]. Pour être reconnue comme une grande puissance, la Chine n’aura pas toujours besoin de soutenir la Serbie à propos du Kosovo. Le dynamisme que la Turquie déploie actuellement dans la région est à la merci de bouleversements survenant dans le Moyen-Orient. L’UE est en crise, mais elle n’en constitue pas moins un grand pôle économique et politique.
L’UE n’est plus seule et doit s’adapter à une concurrence devenue multiple. Les 27 doivent rappeler, haut et fort, leur disponibilité à accueillir tous les pays nés de la défunte Yougoslavie. L’élaboration du prochain budget de l’UE serait une excellente occasion. Le rappel solennel de l’offre de Thessalonique devrait être accompagné d’une présentation, pédagogique et concrète, de ce qui fait l’originalité de l’intégration européenne, laquelle n’est pas une association de circonstance pour décourager des concurrents, mais un compagnonnage inscrit dans la durée.
Manuscrit clos le 12 novembre 2012.
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Plus sur le Diploweb.com
. Voir la présentation du livre de Pierre Verluise, Géopolitique des frontières européennes. Elargir, jusqu’où ?", 20 cartes en couleur, éd. Argos 2013, diff. Puf
. Voir l’article d’Odile Perrot, "UE-OTAN Balkans occidentaux : la ressource euro-atlantique"
. Voir l’article de Christian Lequesne, "Balkans occidentaux : perspective européenne"
[1] Les 6 Etats nés de l’ex-Yougoslavie, plus le Kosovo et l’Albanie.
[2] Amorcée en 2001 par le premier ministre Zoran Djincic – assassiné par ses opposants – suspendue en 2003 par le président Vojislav Kostunica et reprise en 2008 par Boris Tadic, le président sortant.
[3] Le projet South Stream est mené par une entreprise dont 50% des parts sont détenus par Gazprom et l’autre moitié par un consortium réunissant ENI, (Italie) EDF (France) et BASF(Allemagne).
[4] Courant 2012, le FMI a suspendu son aide pour non-respect de ses recommandations budgétaires.
[5] Moscou pousse Zagreb à signer dès à présent un accord de fourniture de gaz. Toutefois, les Croates ne veulent pas s’engager avant d’entrer dans l’UE, sachant que Bruxelles a des réserves sur Gazprom.
[6] La réalisation de South Stream met en veilleuse le projet Nabucco qui devait acheminer du gaz d’Iran et de Transcaucasie en Europe occidentale pour éviter de dépendre du gaz russe
[7] Avec la Pologne, la Turquie est un des rares pays qui, en Europe, a une forte croissance : 8% en 2011.
[8] Le premier pays à reconnaître la Macédoine en …fut la Turquie, qui a approuvé rapidement la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo (février 2008).
[9] R.T. Erdogan a rapporté à la presse locale que lors de sa dernière rencontre avec Alja Izetbegovic, courant 2004, ce dernier lui aurait demandé de veiller à l’avenir de la Bosnie.
[10] Excepté en Republika Serpska.
[11] La Chine, dont le Tibet aspire à prendre des distances à l’égard de Pékin, partage la position de Belgrade et refuse d’admettre l’indépendance auto-proclamée de la province de Kosovo-Metohija.
[12] Plaçés par référendum devant le choix « Le Kosovo ou L’Europe ? », 59 % des Serbes se prononceraient pour le Kosovo et seulement 27% pour l’Europe (novembre 2012).
[13] Berlin vient de consentir à Belgrade un prêt à taux faible de 120 millions d’euros pour moderniser des infrastructures.
[14] Ce montant a été cité par Ivica Dacic lui-même. Selon la Commission, les dépenses de pré adhésion atteindront pour la Serbie 1,4 milliards d’euros pour la période 2007 –2013.
[15] Le gazoduc terminé, le Trésor serbe récoltera chaque année environ 500 millions de droits de transit.
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