Manuel de géopolitique

21 – Les contentieux historiques

Par Patrice GOURDIN, le 21 juin 2023  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique, l’association à laquelle le Diploweb.com est adossé.

Quel rôle joue(nt) le(s) différend(s) hérité(s) dans la crise ou le conflit ? Quid des litiges territoriaux, rivalités dans la recherche d’hégémonie, contentieux mémoriels, souvenirs de guerres civiles, sentiments de frustration ? Avec de nombreux exemples localisés et datés, P. Gourdin nous offre des cas concrets pour mieux comprendre cette clé géopolitique. Démonstration magistrale à partir d’un extrait du livre de P. Gourdin : "Manuel de géopolitique". Une référence.

L’histoire et l’actualité fourmillent de conflits provoqués par des différends hérités du passé. Ce dernier crée même, parfois, de véritables “traditions d’affrontement“. D’une longue liste, quelques motifs ressortent comme les plus fréquents : les litiges territoriaux, qui peuvent aller de pair avec les frontières non reconnues ; l’antériorité (réelle ou non) de la présence sur le sol contesté ; l’hégémonie et ses conséquences ; les “conflits mémoriels“ ; les aspirations frustrées, en particulier dans le cas de promesses non tenues ou de limitations jugées iniques.

Parfois liés à l’affirmation des nations, les antagonismes les plus nombreux sont liés à des litiges territoriaux. Ainsi, les espaces conquis et reconquis moult fois, les frontières indéfiniment redessinées, remplissent nos atlas historiques et géopolitiques. Certes, le droit international consacre l’intégrité territoriale des États et, donc, l’intangibilité des frontières. Mais on relève dans l’actualité de nombreuses exceptions. La liste en serait trop longue, aussi bornons-nous à en citer quelques-uns : réclamation aux Russes des îles Kouriles par le Japon, frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée, dispute du Chatt Al-Arab entre l’Irak et l’Iran, possession des îles du détroit d’Ormuz, colonies israéliennes sur les territoires occupés en 1967, accès à la mer pour la Bolivie, canal de Beagle entre le Chili et l’Argentine.

La Chine, par exemple, jouxte quatorze États, avec lesquels elle avait (ou a encore) des contentieux. Elle instrumentalisa ceux-ci et en éteignit un grand nombre par la négociation [1]. Aujourd’hui, en dépit d’une nette amélioration depuis 2005, le plus important demeure celui qui l’oppose à l’Inde. Les deux États formulent des revendications croisées : New Delhi réclame 43 180 km2 du Jammu-et-Cachemire (sur le plateau de l’Aksai Chin), occupés par Pékin après sa victoire militaire de 1962, et qui en a même rétrocédé 5 180 km2 au Pakistan en 1963. Pékin, pour sa part accuse son voisin de détenir illégalement 90 000 km2 de territoire chinois (dont la totalité de l’Arunachal Pradesh) par suite du découpage unilatéral opéré en 1914 par la Grande-Bretagne (ligne Mac Mahon) [2].

21 – Les contentieux historiques
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Certaines frontières ne sont toujours pas entérinées par l’ensemble des pays composant la communauté internationale.

Par exemple, celles de l’État d’Israël : la Cisjordanie, la bande de Gaza et le Golan, conquis en 1967, n’ont toujours pas fait l’objet d’un règlement ; d’où une extrême sensibilité aux cartes [3]. En 1948, après la première guerre israélo-arabe, l’armistice de Rhodes avait fixé une ligne de cessez-le-feu – la Ligne verte – entre Israël et la Cisjordanie. La conquête de cette dernière, en juin 1967, amena le gouvernement israélien à effacer la Ligne verte de toutes les cartes officielles, notamment celles qui figurent dans les manuels et atlas scolaires. Cela revenait à vouloir la supprimer dans la réalité, ce qui fut loin d’être le cas : la Ligne verte subsista comme limite administrative et judiciaire entre l’État hébreu et les territoires occupés ; les Intifada en firent également une barrière sécuritaire, de moins en moins franchissable. Sa réapparition dans les ouvrages scolaires, en 2007, équivaut semble-t-il, à la reconnaissance implicite de la Ligne verte comme “frontière par défaut“ entre une future entité palestinienne et Israël [4]. Yuli Tamir, alors ministre israélienne de l’Éducation, justifia sa décision en ces termes :
« l’État d’Israël a des frontières compliquées, et il est impossible de demander aux enfants de comprendre la situation politique sans expliquer le contexte historique. L’Histoire fait partie de la réalité géopolitique dans laquelle nous vivons [5] ».

Des plus complexes s’avèrent les conflits identitaires d’antériorité : ceux dans lesquels un seul et même territoire fait l’objet d’une querelle entre deux groupes qui y voient leur berceau originel et justifient leur revendication par une présence plus ancienne que celle de l’autre [6]. Ces conflits figurent parmi les plus difficiles à résoudre, tant la dimension émotionnelle et la falsification dominent lorsqu’il s’agit d’affirmer ses “droits“ sur un territoire qui entre dans la définition de l’identité nationale.

Les Albanais du Kosovo se présentent comme les descendants des Illyriens de l’Antiquité ; tandis que les Serbes invoquent l’empire médiéval de Dusan et prétendent que l’installation albanaise suivit la conquête turque. En outre, Prizren fut le berceau, en 1878, de la “Ligue“ éponyme, fer de lance du nationalisme albanais ; tandis que Pec vit naître le patriarcat orthodoxe serbe. Les Arméniens revendiquent l’enracinement le plus précoce au Nagorny Karabakh, tandis que les Azéris affirment être arrivés sur un territoire vide d’Arméniens, ces derniers ayant été réinstallés, au XIXe siècle seulement, par les tsars en lutte contre l’empire Ottoman. Roumains et Hongrois se disputent la Transylvanie avec le même type d’argumentaire. Pour les premiers, il s’agit du lieu de résidence des Daces, population colonisée et romanisée, dont ils sont les descendants directs. Pour les seconds, ce fut une région constitutive du royaume de Hongrie, au Xe siècle, et elle se trouvait alors vide de populations roumanophones [7].

Nombreux sont également les conflits visant à imposer ou contrer une hégémonie.

La rivalité entre la maison de France et les Habsbourg, puis celle entre la France et l’Allemagne, avaient pour enjeu la primauté sur le continent européen. Entre le XVIIe et le début du XXe siècles, les Anglais veillèrent toujours soigneusement à écarter toute puissance navale rivale, afin de conserver l’hégémonie maritime, base de leur puissance. Leur opposition à la Weltpolitik de Guillaume II en découla, par exemple. Le souvenir de ces rivalités sanglantes demeure dans la mémoire collective des peuples, ne serait-ce qu’au travers des préjugés tenaces que chacun entretient envers les autres : anglophobie et germanophobie des Français à qui les Allemands et les Anglais le rendent bien.

Sous la dynastie des Jagellons (1386-1592), la Pologne imposa sa puissance aux États d’Europe centrale, suscitant bien des ressentiments. Son affaiblissement, à partir du XVIIe siècle, excita les appétits territoriaux et l’hostilité de ses voisins autrichien, prussien, suédois, russe et turc. Au XIXe siècle, on retrouva les Polonais, par exemple, dans tous les conflits du Caucase, aux côtés des peuples qui s’opposaient à la conquête, puis à la domination russes. Durant les années 1930, encore, les services de renseignement de Varsovie demeuraient extrêmement actifs dans cette région. Entre les deux guerres mondiales, Varsovie se défia des Allemands. Le pacte germano-soviétique, le 23 août 1939, scella le “quatrième partage“ du pays entre les deux prétendants à l’hégémonie. Durant toute la Seconde Guerre mondiale, parallèlement à l’extermination de sa composante juive, la population non-juive de Pologne fit l’objet d’atrocités de la part tant des Allemands que des Russes. Par exemple, le massacre des officiers prisonniers, ordonné par le Politburo, le 5 mars 1940, visait à décapiter les élites polonaises, afin de rendre impossible la renaissance d’un État polonais hostile à l’URSS. Dans une lettre à Staline, Beria écrivait :
« un grand nombre d’anciens officiers de l’armée polonaise, d’anciens fonctionnaires de la police et des services de renseignement polonais, de membres des partis nationalistes contre-révolutionnaires, de membres d’organisations d’opposition contre-révolutionnaires dûment démasqués, de transfuges et autres, tous ennemis jurés du pouvoir soviétique, pleins de haine contre le système soviétique, sont actuellement détenus […] Les officiers de l’armée et de la police prisonniers dans les camps tentent de poursuivre leurs activités contre-révolutionnaires et entretiennent une agitation anti-soviétique. Chacun d’entre eux n’attend que sa libération pour entrer activement en lutte contre le pouvoir soviétique [8] ».

Une question hante le Proche-Orient depuis la liquidation de l’Empire ottoman : qui détiendra la position dominante laissée vacante dans la région ? Ni l’Irak, ni la Syrie, ni l’Égypte n’y parvinrent et il semble peu probable que l’Arabie saoudite ou l’Iran réussissent. Cependant, depuis les années 1920, une partie de l’instabilité chronique de cette région tient à ces velléités hégémoniques.

Sans présenter, a priori, le risque de déboucher sur des conflits armés, les “contentieux mémoriels [9] se multiplient en Europe.

Les combats meurtriers des deux conflits mondiaux, les crimes commis durant la Seconde Guerre mondiale puis la Guerre froide, ou lors des épisodes totalitaires constituent un premier sujet de dispute.

Examinons le cas de l’Ukraine. Déterminé à ancrer son pays à l’Europe de l’ouest et aux États-Unis, le président, Victor Iouchtchenko se démarqua de la Russie dans tous les domaines. Déjà, en 2007, l’inauguration, à Kiev, d’un “musée de l’occupation soviétique“ avait suscité la colère des activistes pro-russes [10]. Mais c’est une autre dispute historique qui suscita des tensions d’une gravité équivalente à celles nées de la question de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN [11]. Le Parlement de Kiev adopta, fin 2006, une loi qualifiant la grande famine de 1932-1933 de “génocide contre le peuple ukrainien“ [12]. La polémique au sujet de cette qualification, tout comme celle concernant le bilan des victimes, font toujours rage [13]. En 2008, le président ukrainien donna un relief particulier à la commémoration du 75e anniversaire de cet Holodomor (littéralement : « extermination par la faim ») [14], qui tua un quart de la population ukrainienne. Cela provoqua l’une des dernières diatribes ultranationalistes d’Alexandre Soljenitsyne. La Douma adopta une déclaration dénonçant des « spéculations politiques » et rappelant que « les peuples de l’URSS ont payé un prix considérable pour […] le progrès économique atteint à cette époque [15] ». Cette riposte n’avait rien pour surprendre. Elle exprimait deux réactions complémentaires : d’une part, Moscou fait valoir, notamment dans la lettre par laquelle le président Dimitri Medvedev déclina l’invitation de son homologue ukrainien à ces commémorations, que la famine de 1932-1933 ne ravagea pas seulement l’Ukraine [16] et ne relevait pas de la volonté déterminée d’exterminer une population en particulier. D’ailleurs, le Parlement européen l’admit lorsque, à l’initiative de l’un de ses membres, le Polonais et historien Bronislaw Geremek, il adopta une résolution parlant de “crime contre l’humanité“ [17]. D’aucuns rétorquèrent que Staline se rendit coupable d’un génocide contre le peuple de l’Union soviétique tout entier [18]. Ce que les autorités russes ne veulent pas entendre car, d’autre part, elles banalisent désormais la période stalinienne :
« Dans le nouveau manuel d’histoire à l’usage des professeurs et des élèves des lycées, qui a reçu l’aval du Kremlin, les purges de 1937, les déportations et le goulag sont décrits comme une étape douloureuse mais nécessaire sur la voie du progrès. Selon les auteurs du manuel, les “réformes“ accomplies par Staline “par le haut“ sont comparables à celles du tsar Pierre le Grand [19] ».

Également révélatrice, la saisie, le 4 décembre 2008, par le FSB (successeur du KGB), de l’ensemble des archives de l’association russe Memorial. Depuis 1988, elle avait collecté témoignages et documents relatifs à l’histoire du stalinisme [20]. Combinée avec la fermeture des archives publiques, cette action du gouvernement traduit la volonté d’occulter la vérité historique. Gleb Pavlovski, politologue proche du Kremlin, accusait Memorial d’avoir « détruit le système immunitaire du pays, confronté à une grave crise d’identité [21] ». Afin de restaurer la grandeur russe, le projet des actuels dirigeants russes est d’exalter le nationalisme russe en intégrant les triomphes de l’époque soviétique tout en occultant ses échecs et ses crimes [22]. Cette révision du passé communiste ne laisse pas d’inquiéter les anciennes victimes de la domination soviétique, et cela tend les relations de la Russie avec plusieurs de ses voisins [23].

Les États sont, également, interpellés de l’intérieur au sujet de la colonisation (France, par exemple) ou des guerres civiles (notamment en ex-Yougoslavie ou en Espagne). En proie à un mouvement de “récupération de la mémoire historique“ depuis 2000 [24], l’Espagne connut, en 2007-2008, de très vives polémiques ravivant les souvenirs de la guerre civile et du franquisme [25]. En premier lieu, la béatification, en octobre, de 498 prêtres et religieuses (massacrés entre 1936 et 1939), alors que l’Église espagnole s’opposait, nous l’avons vu, à diverses décisions du gouvernement de gauche, dont elle dénonçait le “fondamentalisme laïc“ [26] (assouplissement des règles du divorce et de l’avortement, mariage homosexuel, diminution des subventions aux écoles catholiques, notamment), apparut comme une ingérence du Saint-Siège. Ensuite, le soutien de l’Église catholique à la dictature franquiste revint sur le devant de la scène tandis que la gauche dénonçait l’oubli des victimes de la répression franquiste. Enfin, la loi mémorielle du 31 octobre 2007 condamnait le franquisme, ordonnait le retrait des statues, plaques commémoratives et autres symboles en l’honneur de Franco (sauf lorsqu’elles entretenaient le souvenir de prêtres ou de nonnes victimes des Républicains). Par surcroît, elle ouvrait droit à réhabilitation et/ou à réparation aux victimes de la dictature (de 1936 à 1975) [27]. Rien d’étonnant, donc, à ce que la hiérarchie catholique, avant les élections législatives du 9 mars 2008 appelât à voter contre le parti socialiste [28]. Néanmoins, le gouvernement Zapatero fut, réélu. Le 16 octobre 2008, le juge Baltazar Garzon ouvrit une instruction contre le général Franco et 34 de ses généraux [29]. Suspendue le 7 novembre et certainement vouée à l’échec (notamment du fait de la loi d’amnistie de 1977), cette décision revêtait une signification symbolique et politique :
« un observateur français nourri au lait machiavélique de François Mitterrand, ne peut s’empêcher de songer aux grandes batailles de la mémoire orchestrées par notre défunt président autour de l’antiracisme, du lepénisme et du procès Papon, pour occulter le grand virage économique libéral des socialistes. De même, José Luis Zapatero, en digne héritier de Tony Blair, est-il un des meilleurs élèves de la mondialisation libérale ; mais il soigne un impeccable profil d’homme de gauche dès qu’il s’agit des questions de société (féminisme, antiracisme, etc.) ou des affaires historiques. Les guerres de mémoire, en France comme en Espagne, ce sont aussi, et d’abord, de la politique [30] ».

Et même de la politique extérieure puisque le pape Benoît XVI fonde sur l’Espagne les plus vives espérances pour la préservation de l’influence du catholicisme sur le continent européen, ce qui le conduit à soutenir l’épiscopat contre le gouvernement. Mais la plus grande prudence s’impose à lui, car Madrid doit accueillir et... financer la Journée Mondiale de la Jeunesse en 2011. En outre, l’Espagne influe sur l’évolution de l’Amérique latine, où se trouve la plus nombreuse communauté catholique au monde [31].

Parfois, la pomme de discorde remonte à fort loin. Ainsi des querelles entre l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine-ARYM et la Grèce : tout se joue autour d’un épisode historique remontant au… IVe siècle avant Jésus-Christ, le règne d’Alexandre III le Grand (356-323). Athènes, qui voit dans le règne de la dynastie macédonienne l’acte de naissance de la nation grecque, revendique (et défend) le droit exclusif d’utiliser la dénomination “Macédoine”, le symbole de la monarchie macédonienne (le soleil de Verginia) et le patronyme de l’un de ses plus grands hommes [32]. Depuis 1992, affirmant que l’adoption du nom (qui est aujourd’hui reconnu par 120 États – dont les États-Unis, la Russie, l’Inde et la Chine – sur les 160 qui entretiennent des relations diplomatiques avec Skopje) impliquerait automatiquement la revendication du territoire de sa propre province de Macédoine, la Grèce bloque les processus d’adhésion de son voisin à l’Union européenne et à l’Alliance atlantique. Début janvier 2007, la tension entre les deux pays atteignit un nouveau paroxysme car le gouvernement macédonien avait décidé de rebaptiser l’aéroport de Skopje du nom du conquérant [33]. En riposte, les Macédoniens réclamèrent, durant l’été 2008, que l’aéroport de Thessalonique ne s’appelle plus “Aéroport de Macédoine [34]“. Comme le résumait, en décembre 2008, au nom de la présidence de l’Union européenne, le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, « le problème de la Macédoine, c’est le nom [35] ». Notons que cet exclusivisme ne touche que l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine, car aucune protestation n’a jamais été émise au sujet de la douzaine de lieux qui portent, de par le monde, le nom de Macédoine (pas moins de six aux États-Unis) [36]. La communauté internationale ne peut que constater que l’« une des caractéristiques des Balkans est qu’ils connaissent les crises les plus ésotériques qui soient [37] ». En fait, il semble que le problème, aujourd’hui, réside en partie dans l’incapacité de changer de posture dans laquelle se trouvent des responsables politiques des deux pays. Ils ont défendu des positions tellement intransigeantes et ce durant tellement longtemps, qu’ils estiment, à tort ou à raison, que leurs électeurs, ne leur pardonneraient pas une attitude modérée et conciliatrice [38]. Observons que cette polarisation sur Alexandre le Grand semble avant tout le fait de la droite nationaliste, alors que la gauche mettrait davantage l’accent sur la part slave de l’identité macédonienne [39].

Autre exemple : le passé marque particulièrement la diplomatie et la politique de défense des pays européens de l’ancien bloc soviétique, ceux-ci craignant, notamment, la résurgence de l’expansionnisme russe. Leur détermination et leur impatience pour adhérer à l’Union européenne et à l’Alliance atlantique en découlèrent largement. Une partie des Baltes éprouvent les plus grandes difficultés à voir dans l’action de l’URSS entre 1939 et 1945 une “libération”. « Pour nous, il n’y a pas eu de victoire, juste un long cauchemar [40] » déclarait récemment Toomas Hendrik Ilves, le président de la République d’Estonie – et, à ce sujet, les frictions avec la Russie sont nombreuses. Comme la crise du printemps 2007 avec l’Estonie, après le déplacement du Soldat de bronze de Tallinn, monument soviétique à la gloire de l’Armée Rouge, érigé en 1947. Ce déplacement résultait d’une loi adoptée en novembre 2006 par le Parlement estonien, prohibant les signes « glorifiant les armées et les États ayant occupé l’Estonie » [41]. Déjà, le 9 mai 2005, le Président de la République d’Estonie d’alors, Arnold Rüütel, avait refusé de participer aux cérémonies organisées par Moscou pour commémorer le soixantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le cinéma, puissant moyen de communication, traite parfois des contentieux hérités. Par exemple, à Varsovie, le 17 septembre 2007, la première du film d’Andrezj Wajda consacré au massacre des officiers polonais par les Soviétiques, à Katyn, en avril 1940, revêtait une dimension politique incontestable [42]. La date choisie coïncidait avec celle de l’invasion de l’est de la Pologne par les troupes soviétiques en 1939. L’événement constitue l’une des tragédies les plus présentes dans la mémoire collective d’un peuple que, pourtant, l’histoire n’épargna guère. Il revêt une dimension particulière du fait que le mensonge entretenu pendant près de cinquante ans par l’URSS – l’attribution du massacre aux nazis – symbolise la soumission de la Pologne à Moscou. La Russie refuse de qualifier cet acte de “crime de guerre“ et, encore moins, de “crime contre l’humanité“, ce qui ne contribue pas à décrisper les relations russo-polonaises [43]. Également révélateurs, les films rattachés au genre “épopée nationale“, ceux qui mettent en scène une invasion par le(s) voisin(s) et l’héroïque résistance nationale. Le film du Russe Vladimir Khotinenko, 1612, qui raconte comment, cette année-là, les Russes chassèrent l’occupant polonais, s’inscrit parfaitement dans cette veine [44]. Les supports se diversifient : les jeux vidéos, habituellement cantonnés à la seule Seconde Guerre mondiale deviennent un enjeu inattendu. Ainsi fin 2007, sortit « Les ombres de la guerre », mettant en scène la Guerre d’Espagne [45]. Il offrait, entre autres possibilités, celle de prendre le commandement de la Légion Condor, cette unité aérienne nazie qui bombarda Guernica. Cela souleva une polémique, entre ceux qui pensaient que cela permettrait l’information des jeunes générations et ceux qui redoutaient une banalisation de ces crimes. Il est néanmoins permis de douter de la valeur éducative d’un jeu qui offre la possibilité de changer le cours des choses : l’histoire repose sur des faits, pas sur des virtualités et les actes commis sont irréversibles.

Tout cela n’est guère encourageant dans la perspective d’une construction politique commune : ces dissensions internes et ces désaccords interétatiques entravent le processus.

Le phénomène des “contentieux mémoriels“ ne se cantonne d’ailleurs pas à l’Europe.

Prenons l’exemple du génocide perpétré par les Turcs à l’encontre des Arméniens entre 1915 et 1918. Bien qu’il a été reconnu dès les années 1920 par Mustafa Kemal comme un “acte honteux“, il fait, depuis la naissance de la république, en 1923, l’objet d’une farouche négation de la part des autorités turques. Mais des initiatives récentes remirent en cause de l’intérieur cette conspiration du silence qui pose une question éthique et obère partiellement la politique extérieure d’Ankara, qu’il s’agisse de son éventuelle adhésion à l’Union européenne ou de ses relations avec l’Arménie, notamment. Le livre de l’historien Taner Akçam, dont la première édition en langue turque parut en 1999 [46], constitua un événement parce qu’il dénonçait la thèse officielle, mais il n’eut guère d’écho. En 2005, une conférence universitaire réunie à Istanbul évoqua pour la première fois publiquement la réalité des massacres. La même année, l’écrivain Orhan Pamuk fut mis en examen pour avoir dénoncé, dans un entretien avec un journal suisse, le génocide arménien et le massacre de 300 000 Kurdes. Le tollé international provoqué par cette démarche imposa le classement de l’affaire sans suites. En 2006, Orhan Pamuk reçut le prix Nobel de littérature. Cette consécration n’était pas sans relation avec ses engagements : il critique aussi l’islamisme radical depuis de nombreuses années [47]. L’assassinat du journaliste turc d’origine arménienne Hrant Dink, en janvier 2007, choqua une partie de l’opinion publique. En septembre 2008, le président turc, Abdullah Gül se rendit à Erevan. Quatre intellectuels turcs “de premier plan [48]“ prirent l’initiative, le 15 décembre 2008, de lancer sur Internet une pétition intitulée : Arméniens, pardonnez-nous. Ce geste provoqua de nombreux remous et suscita une contre-pétition titrée : Nous ne nous excusons pas [49]. Mais en quatre jours, plus de 13 000 personnes avaient déjà signé le premier texte, qui commençait par ces mots :
« Ma conscience ne peut pas accepter que l’on reste indifférent et que l’on nie la “grande catastrophe“ [le mot “génocide“ appliqué au sort des Arméniens est interdit par le code pénal turc] subie par les Arméniens ottomans en 1915. Je rejette cette injustice et, pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes frères et sœurs arméniens. Je leur demande pardon [50] ».

Les relations sino-japonaises demeurent largement influencées par les exactions que commit l’armée nippone durant la Seconde Guerre mondiale  ; en premier lieu, les atrocités qui accompagnèrent la prise de Nankin, en décembre 1937. Un courant révisionniste existe au Japon, alimenté, entre autres choses, par l’ambiguïté des autorités au sujet du pèlerinage au sanctuaire Yasukuni (Tokyo), où sont vénérés, parmi tous les Japonais morts dans des guerres extérieures depuis 1869, 14 criminels de guerre, dont le général Tojo. L’ancien premier ministre Junichiro Koizumi (2001-2006) s’y rendait chaque année, au grand dam de ses voisins, notamment des Chinois [51]. En effet, le sanctuaire est considéré, en Asie, comme le symbole du militarisme japonais. Dernier épisode en date, le limogeage, en octobre 2008, du chef d’état-major de l’armée de l’Air, le général Toshio Tamogami : il venait de mettre en ligne sur Internet un ouvrage révisionniste intitulé Le Japon est-il un pays agresseur ? Il accusait les États-Unis, manipulés par l’URSS, d’avoir tendu un piège à Tokyo ; il niait que le Japon eût mené une guerre d’agression en Asie, prétendant que des traités et la lutte contre les menées du Komintern se seraient trouvés à l’origine de ces actions militaires ; et il justifiait la mise en place d’une sphère de domination, dont la Chine et la Corée se seraient trouvées bénéficiaires. Si le renvoi fut immédiat, il semble que ce fut pour couper court à toute critique de la part de la Chine, de la Corée du Sud et d’autres pays victimes du Japon entre 1937 et 1945 [52].

La colonisation et la guerre sanglante qui l’accompagna obèrent les relations entre l’Italie et la Libye. Depuis l’arrivée au pouvoir du colonel Kadhafi, le 1er septembre 1969, les deux pays se disputaient au sujet de la reconnaissance des exactions et des destructions occasionnées par la période coloniale. En représailles, le 7 octobre 1970, les derniers Italiens furent chassés du pays. En 2008, un accord spectaculaire intervint : Rome, admettant sans restriction sa responsabilité morale et matérielle, s’engageait à verser en 25 ans cinq milliards de dollars à Tripoli, “au titre de dédommagements pour la période coloniale“. Le règlement s’opérerait sous forme d’investissements dans des travaux d’infrastructure [53]. Le maître de la Libye exposa le sens qu’il donnait à cet accord : « Il s’agit d’un moment historique durant lequel des hommes courageux attestent de la défaite du colonialisme [54] ». Ces propos furent soulignés par la signature du texte dans un ancien palais du gouverneur italien de Benghazi. En échange, la Libye s’engageait à lutter plus efficacement contre l’immigration clandestine à destination de l’Italie et acceptait d’augmenter ses fournitures en gaz et en pétrole.

Le 13 février 2008, le Premier ministre (travailliste) australien déclarait :
« aujourd’hui, nous rendons hommage aux peuples aborigènes de ce pays, porteurs des cultures les plus anciennes de l’humanité. Nous méditons sur les mauvais traitements qu’ils ont subis par le passé… Nous présentons nos excuses pour les lois et politiques des parlements successifs qui ont infligé de profonds malheurs, souffrances et pertes à nos compatriotes australiens [55] ».

Ces propos faisaient suite à une enquête sur l’“assimilation forcée“ (pratiquée entre 1910 et 1969), ouverte en… 1995, conclue en 1997, mais bloquée pendant onze ans par les gouvernements (conservateurs) successifs. En fait, la réévaluation officielle de l’histoire de l’Australie s’imposa, à partir de 1992, lorsqu’un juge de la Cour suprême rejeta l’application aux indigènes des îles Murray du concept juridique de terra nullius, de “territoire sans maître“, c’est-à-dire éventuellement habité, mais non incorporé dans un État. Cette définition participa de l’arsenal juridique qui accompagna la colonisation européenne, à partir du XVIe siècle. En l’occurrence, elle appuya la décision du roi d’Angleterre, en 1787, d’ériger en colonie le territoire découvert par James Cook en 1770. L’un de ces Aborigènes, exprimait ainsi la portée de la déclaration du Premier ministre : « Pour nous, c’est comme la chute du mur de Berlin [56] ».

L’accélération et l’amplification de la mondialisation jouent un rôle essentiel : l’intensification des relations internationales et de leur médiatisation ressuscite ou amplifie, volontairement ou non, les contentieux du passé [57]. Comme le montrent les quelques exemples qui précèdent, cela peut tout aussi bien contribuer à renforcer les relations autour du thème de la reconnaissance des torts, du pardon et de la réconciliation, que fournir prétexte à une (ré)activation des tensions entre les États. Le phénomène se révèle donc ambivalent et son utilisation peut mener à tout.

Certains conflits contemporains ont connu des précédents, parfois depuis des temps reculés et leurs mécanismes rappellent ceux des vendettas : même si leurs causes premières ont disparu, ils persistent.

Ainsi les conflits dans l’ex-Yougoslavie (1991-1995) virent-ils rejouer de multiples fractures : l’opposition entre chrétiens catholiques et orthodoxes, héritée du Schisme d’Orient (1054-1965) ; l’opposition entre chrétiens et musulmans, liée à la domination ottomane (XIVe-XIXe siècle) ; le désaccord entre nationalistes slaves centralisateurs (Serbes) et fédéralistes (ceux de la Double Monarchie austro-hongroise instituée en 1867) ; l’affrontement entre Serbes (bénéficiaires de la Constitution centralisatrice de 1921) et Croates (“victimes” de cette même Constitution et, pour certains, radicalisés autour d’Ante Pavelic et de son parti fasciste, créé en 1929) ; les exactions commises contre les Serbes par les oustachis croates ainsi que les représailles durant la Seconde Guerre mondiale et après ; la lutte fratricide entre les maquisards monarchistes (tchetniks) du général Mihajlovic et les partisans communistes de Tito ; la création par ce dernier d’une république multinationale et fédérale limitant le pouvoir de l’élément serbe (dont une partie s’estima injustement dépossédée). Toutes ces sources de division resurgirent dans les argumentaires des antagonistes durant les années 1990. Dans le dessein de mettre fin à cette mécanique infernale, Christina Koulouri [58], professeur d’histoire à l’université du Péloponnèse, prit l’initiative de rédiger – en une dizaine de langues pratiquées dans les Balkans – de nouveaux manuels, abordant de front les questions litigieuses et les présentant de différents points de vue. Ils proposent une histoire des Balkans partagée, supranationale, qui ne se substitue pas aux histoires nationales, donc qui n’occulte pas les différences et les conflits. Animé par le Centre pour la démocratie et la réconciliation dans l’Europe du Sud-Est, le projet “Histoire commune” la soutient. Non content d’avoir traduit les ouvrages en grec, en serbe et en albanais, il se charge de former des enseignants pour les utiliser. Le succès est tout sauf garanti : après avoir participé au lancement du projet, le gouvernement de Belgrade, accusé par une partie de l’opinion publique de cautionner une entreprise “antiserbe”, a fait machine arrière [59].

La guerre entre l’Irak et l’Iran, la Première Guerre du Golfe (1980-1988), apparut tout à la fois comme un épisode de l’affrontement permanent entre sunnites et shiites et entre Arabes et Iraniens. Spécialiste de cette région, Paul Balta, expliqua qu’il s’agissait d’une « guerre de cinq mille ans [60] » , rappelant que les affrontements entre les occupants du plateau iranien et ceux de la Mésopotamie commencèrent avec la guerre entre Suse et Sumer, au IIIe millénaire avant notre ère et qu’ils ne cessèrent plus jusqu’à nos jours. Quant à la conversion de l’Iran au chiisme, en 1501, sous la dynastie des Safavides, elle découlait en priorité de considérations politiques : la Perse cherchait à se démarquer pour mieux résister à l’expansion ottomane. Dans ce cas, encore, les racines de l’affrontement ne revêtent pas de caractère religieux.

Dans l’histoire d’un pays, il peut se trouver un (ou des) épisode(s) qui restent gravés dans sa mémoire collective comme des occasions perdues… par la faute des autres.

Mussolini et le parti fasciste exploitèrent largement le thème de la “victoire mutilée” pour entraîner les Italiens derrière eux. Ils opposèrent les sacrifices consentis par l’Italie durant la Première Guerre mondiale et les promesses territoriales non tenues par la France et la Grande-Bretagne. En particulier, ils exigèrent Trente et Trieste, véritable Alsace-Lorraine aux yeux des patriotes italiens.

Hitler et le parti nazi ne manquèrent pas de dénoncer, entre autres turpitudes, l’injustice faite à la nation allemande par le traité de Versailles à travers leur exclusion du bénéfice du principe des nationalités (interdiction de l’Anschluss, attribution des Sudètes à la Tchécoslovaquie, en particulier).

Dès le retrait britannique, en 1961, l’Irak contesta la constitution d’un État indépendant au Koweït. Tout comme à partir de 1943, la Syrie n’admit de longtemps la création d’un Liban indépendant [61] et s’ingénia à en reprendre le contrôle par tous les moyens, même les plus sanglants. Les deux États n’échangèrent pas d’ambassadeurs avant 2008 [62].

La contribution permanente des services secrets pakistanais à l’instabilité de l’Afghanistan découle largement de la crainte nourrie par Islamabad envers l’irrédentisme des Pashtouns, peuple séparé par le découpage colonial britannique (ligne Durand, 1893), et privé de sa réunification par l’attribution du Pachtounistan au Pakistan, lors de la partition de l’Empire des Indes, en 1947. À la question de savoir quelle était son identité, Khan Abdoul Gaffar Khan, père du nationalisme pashtoun au Pakistan, répondait : « Oh, c’est très simple, voyez-vous, je suis pashtoun depuis cinq mille ans, musulman depuis mille quatre cents ans et pakistanais depuis quarante-deux ans  ». Dès les années 1950, le gouvernement de Kaboul avait affirmé sa volonté de regrouper tous les Pashtouns, aussi nombreux en Afghanistan qu’au nord-ouest du Pakistan. Ce dernier, poursuivant la politique britannique en la matière, dut laisser aux tribus pashtouns une très large autonomie et redoute toute remise en cause de cette situation, fût-ce pour lutter contre l’islamisme radical, conformément aux engagements d’Islamabad envers la communauté internationale.

Par rapport à l’événement qui le déclenche, le sentiment de frustration se manifeste généralement de manière presque instantanée.

La Russie en offre un exemple saisissant. Si Mikhaïl Gorbatchev garda un minimum de contrôle sur la liquidation de la Guerre froide, le processus de démantèlement du système totalitaire soviétique, en revanche, lui échappa largement. La tentative de putsch d’août 1991 en témoigne. Si les Russes semblent plutôt satisfaits d’en avoir fini, grâce à Boris Eltsine, avec la dictature communiste, ils critiquent la manière dont la transition vers la démocratie, l’économie de marché et la coopération avec la communauté internationale s’est déroulée. Par conséquent, ils soutiennent le durcissement mis en œuvre, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, par Vladimir Poutine depuis 1999, La cruauté de la répression en Tchétchénie, les pressions sur les pays voisins issus de l’ex-Union soviétique (le “proche étranger”), le soutien à la Serbie sur la question du Kosovo, les gesticulations militaires multipliées depuis 2006, la guerre contre la Géorgie en août 2008 : autant de pratiques qu’explique, au moins en partie, la frustration des Russes face au recul incontestable de la puissance de leur pays. Ce sentiment éclaire également le virage amorcé en matière d’enseignement de l’histoire, fin juin 2007 : Vladimir Poutine demanda que soient rédigés de nouveaux manuels qui écartent la culpabilisation venue de l’étranger et qui rendent les citoyens russes, en particulier les jeunes, “fiers de leur pays”. Le souci de vérité et la dénonciation de la période totalitaire qui avaient marqué les années 1990 étaient directement remis en cause [63]. La priorité revient désormais à la reconstruction de l’“estime de soi“ [64].

Depuis la création de l’État d’Israël, en 1948, la majeure partie des Arabes ressentent une profonde frustration : les défaites militaires et la perte de territoires (Jérusalem-Est, bande de Gaza, Cisjordanie, Sinaï et Golan) après la Guerre des Six jours (1967) furent et sont encore vécues comme une humiliation. Successivement ou simultanément, ils apportèrent leur soutien à Nasser, à l’OLP de Yasser Arafat, à l’URSS, à la Syrie. Mais tous échouèrent, et les Arabes éprouvèrent toujours de la déception. Depuis les attentats anti-américains du 11 septembre 2001, une partie d’entre eux place ses espérances dans la mouvance islamiste radicale. De ce fait, l’action terroriste revient en force dans le conflit, notamment chez les Palestiniens des territoires occupés. Comble du paradoxe, certains Arabes, bien que sunnites, se mettent à espérer en l’Iran shiite. Ils jubilent aux promesses de destruction d’Israël proférées par son président, Mahmoud Ahmadinejad, et soutiennent le combat mené au Liban par le Hezbollah, shiite lui aussi. Ils estiment que « le Hezbollah est le seul qui ait rendu de la dignité aux Arabes [65] », tandis que « les régimes modérés alliés de Washington n’ont aucun résultat à mettre sur la table après des années de médiation [66] ». Cette opinion illustre l’importance de la dimension psychologique dans tout conflit.

Il demeure illusoire de considérer l’histoire seulement comme une science humaine. Elle reste également, pour le meilleur et pour le pire, un instrument politique fortement mobilisateur. Si elle peut rapprocher les hommes, les souder, elle peut tout aussi bien les éloigner, les diviser, les affronter. Elle peut en effet nourrir de terribles ressentiments et contribuer à jeter le genre humain dans les plus sanglantes mêlées. L’analyse géopolitique lui porte donc la plus grande attention, car un/des différend(s) hérité(s) apporte(nt) souvent une des explications aux crises ou aux conflits.

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PROBLÉMATIQUE LIÉE AUX CONTENTIEUX HISTORIQUES

Quel rôle joue(nt) le(s) différend(s) hérité(s) dans la crise ou le conflit ?

CHAMPS DE RECHERCHE

Outils pour étudier le(s) différend(s) dont ont hérité les habitants du territoire sur lequel se déroule la crise ou le conflit :

. les ouvrages consacrés à l’histoire, à l’anthropologie, à la sociologie, au droit et à la science politique.

Les informations recueillies servent à mesurer l’influence des différend(s) hérité(s) sur les différentes factions de la population impliquées dans les événements. Le plus souvent un ou plusieurs des éléments suivants :

. les litiges territoriaux,

. les frontières non reconnues,

. l’antériorité de la présence,

. l’hégémonie,

. les conflits mémoriels,

. la répétition,

. les aspirations frustrées.

La liste n’est pas exhaustive, mais elle recense les facteurs qui apparaissent le plus fréquemment.

Une information est pertinente lorsqu’elle contribue à éclairer la crise ou le conflit que l’on étudie.

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[1. Joyaux François, « Pourquoi la Chine admet-elle si difficilement ses frontières ? » dans Géopolitique de l’Extrême-Orient. Tome II - Frontières et traités, Bruxelles, 1993, Complexe, pp. 11-37.

[2. Ibidem et Mathou Thierry, « L’Himalaya, “nouvelle frontière“ de la Chine », Hérodote, n° 125, 2007, pp. 28-50.

[3. Saint Paul Patrick, « Israël se déchire sur le tracé de sa frontière dans les livres scolaires », Le Figaro, 8 décembre 2006.

[4. Newman David, « A Green Line in the Sand », The New York Times, January 9, 2007.

[5. Bôle-Richard Michel, « La “Ligne verte“ fait un retour houleux dans les manuels israéliens », Le Monde, 9 décembre 2006.

[6. Thual François, Les conflits identitaires, Paris, 1995, Ellipses-IRIS, pp. 21-28.

[7. Ibidem, pp. 23-25.

[8. Courtois Stéphane (s.d.), Le Livre noir du communisme. Crimes, terreur, répression, Paris, 1997, R. Laffont, pp. 234-235.

[9. Expression de Georges Mink citée par Véronique Soulé, « Mémoires européennes », Libération, 30 juillet 2007.

[10. Smolar Piotr, « L’“Homo ukrainus“,... », op. cit.

[11. Solovyov Vladimir, « Bipolar Holodomor », Kommersant, November 17, 2008.

[12. Hopquin Benoît, « Le tabou de l’“Holodomor“ ukrainien », Le Monde, 25 novembre 2006.

[13. Despic-Popovic Hélène, « L’Ukraine hantée par les fantômes du passé », Libération, 29 septembre 2007 ; Smolar Piotr, « L’Ukraine donne une dimension politique à la commémoration de la famine des années 1930 », Le Monde, 20 novembre 2008.

[14. Smolar Piotr, « L’Ukraine … », op. cit.

[15. Jégo Marie, « Quand Kiev scrute la période stalinienne », Le Monde, 10 septembre 2008

[16. Solovyov Vladimir, « Bipolar … », op. cit.

[17. « Le Parlement européen reconnaît l’“holodomor“ », Libération, 25 octobre 2008.

[18. Bovt Georgy, « Equating Holodomor With Genocide », The Moscow Times, April 24, 2008.

[19. Jégo Marie, « Quand Kiev… », op. cit.

[20. Jégo Marie, « La police russe saisit des archives de l’ONG Memorial », Le Monde, 9 décembre 2008.

[21. Jégo Marie, « La justice russe reste sourde aux demandes de Memorial de lui restituer ses archives », Le Monde, 21 décembre 2008.

[22. Levy Clifford J., « Purging History of Stalin’s Terror », The International Herald Tribune, November 26, 2008 ; Roginsky Arseny, « The Embrace of Stalinism », Open Democracy, December 13, 2008.

[23. Bovt Georgy, « The Haunting Ghost of the Soviet Past », Russia Profile, June 4, 2008.

[24. Rozenberg Danielle, « Mémoire, justice et… raison d’État dans la construction de l’Espagne démocratique », Histoire@Politique. Politique, culture et société, n° 2, septembre-octobre 2007 (mis en ligne le 18 octobre 2007 sur www.histoire-politique.fr).

[25. Bourderon Roger (s.d.), La Guerre d’Espagne. L’histoire, les lendemains, la mémoire, Paris, 2007, Tallandier.

[26. Musseau François, « L’Église dénonce le “fondamentalisme laïc“ de José Luis Zapatero », Libération, 12 janvier 2008.

[27. Cambon Diane, « L’Espagne se divise sur la mémoire de la guerre civile », Le Figaro, 31 octobre 2007 ; Wilkinson Tracy, « Bill Aiding Franco’s Victims Advances », Los Angeles Times, November 1, 2007.

[28. Pelletier Stéphane, « Le retour du religieux, la laïcité en péril ? », Libération, 19 février 2008.

[29. Musseau François, « Faut-il juger virtuellement Franco ? », Le Temps, 18 octobre 2008.

[30. Zemmour Éric, « Franco si, Franco no », Le Figaro, 1er février 2008.

[31. Donadio Rachel, « Spain Is a Battleground For Church’s Future », The New York Times, January 6, 2009.

[32. Vernet Daniel, « Qui a peur d’Alexandre le Grand ? », Le Monde, 3 janvier 2007.

[33. Mirceski Vladimir, « Macedonian Airport Lifts Name Dispute to New Heights », Balkan Insight, January 18, 2007.

[34. Melligonis Yorgos, « Querelle gréco-macédonienne : Athènes s’indigne des revendications de Skopje », Eleftheros Typos, 13 août 2008, traduit par Laurelou Piguet et mis en ligne par Le Courrier des Balkans, 27 août 2008.

[35. Conférence de presse du 8 décembre 2008, Bruxelles.

[36. Alic Anes, « Greece-Macedonia : Sticks and Stones », ISN-Security Watch, July 19, 2007.

[37. Editorial, « The Republic Formerly Known As… », The New York Times, March 30, 2008.

[38. « Balkans : Pedantic Paradise », ISN-Security Watch, December 8, 2008.

[39. Karajkov Risto, « Macédoniens, qui sommes-nous ? », Osservatorio sui Balcani, 13 août 2008, traduit par Mandi Gueguen et mis en ligne par Le Courrier des Balkans, 16 février 2009.

[40. Truc Olivier, « Une statue soviétique sème la discorde entre nationalistes estoniens et russophones », Le Monde, 16 janvier 2007.

[41. Ibidem, et Delcour Laure, « Identité, … », op. cit.

[42. Zoltowska Maja, « La Pologne revit le drame de Katyn », Libération, 18 septembre 2007.

[43. Viatteau Alexandra, Staline assassine la Pologne, 1939-1947, Paris, 1999, Le Seuil, 344 p.

[44. Birchenough Tom, « Very Bloody Troubles », The Moscow Times, November 2, 2007.

[45. Burnett Victoria, « Spanish Civil War, This Time Fought in Pixels », The New York Times, November 23, 2007 ; Suply Laurent, « Faut-il rejouer la guerre civile espagnole ? », Le Figaro, 23 novembre 2007.

[46. Akçam Taner, Un acte honteux. Le génocide arménien et la question de la responsabilité turque, Paris, Denoël, 2008 [1e édition, en anglais : 2006], 490 p. Semo Marc, « Un historien turc retrace le processus génocidaire », Libération, 4 décembre 2008.

[47. Zanganeh Lila Azam, « Orhan Pamuk, Prix Nobel de littérature », Le Monde, 14 octobre 2006.

[48. « Réveil des consciences », Éditorial, Le Monde, 20 décembre 2008.

[49. Engoian Alda, « “Arméniens, pardonnez-nous !“ : la pétition qui fait scandale », Courrier international, 22 décembre 2008.

[50. Perrier Guillaume, « Des milliers de Turcs demandent “pardon“ aux Arméniens », Le Monde, 20 décembre 2008.

[51. Mesmer Philippe, « Le réchauffement des relations sino-japonaises se confirme », Le Monde, 9 mai 2008.

[52. Onishi Norimitsu, « Japan General Fired for War Views », The International Herald Tribune, October 31, 2008 ; Mesmer Philippe, « Les écrits d’un général ravivent les débats sur le passé militariste japonais », Le Monde, 13 novembre 2008 ; Crowell Todd, « The Tamogami Affair », The Asia Sentinel, November 16, 2008.

[53. « Berlusconi promet 5 milliards de dollars à la Libye », Libération, 30 août 2008.

[54. Ridet Philippe, « Les excuses de l’Italie à la Libye, son ancienne colonie », Le Monde, 2 septembre 2008.

[55. Kuntz Joëlle, « Les Aborigènes, sur la Terre de personne », Le Temps, 16 février 2008.

[56. « Pour les Aborigènes, c’est... », op. cit.

[57. Kuntz Joëlle, « L’histoire nationale comme sujet de politique internationale », Le Temps, 7 avril 2007.

[58. Koulouri Christina, « Clio chez elle, l’histoire des Balkans revisitée », version française et remaniée (traduction et notes de Patrick Clastres) de l’introduction d’un ouvrage collectif, Clio in the Balkans, Thessaloniki, Center for Democracy and Reconciliation in Southeast Europe, 2002, pp. 15-48. Publié dans la revue électronique du Centre d’histoire de l’Institut d’Études Politiques de Paris Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 2, septembre-octobre 2007 (http://www.histoire -politique.fr/index.php ?numero=02&rub=dossier&item=20).

[59. Itano Nicole, « To Avoid ‘Us vs. Them‘ in Balkans, Rewrite History », The Christian Science Monitor, March 14, 2007.

[60. Balta Paul, Iran-Irak, une guerre de 5 000 ans, Paris, 1987, Anthropos.

[61. Corm Georges, Le Liban contemporain. Histoire et société, Paris, 2005 [1e édition : 2003], La Découverte.

[62. Naïm Mouna, « Damas et Beyrouth prennent la décision historique d’établir des relations diplomatiques », Le Monde, 17 octobre 2008.

[63. Felgenhauer Pavel, « Kremlin Rejects “Foreign“ Approach to Russian History », The Eurasian Daily Monitor, 27 juin 2007 ; Osadchuk Svetlana, « New Stalin for New Scool Year », The Moscow Times, September 1, 2008.

[64. Kuntz Joëlle, « Staline, érigé en héros dans une société sans estime de soi », Le Temps, 6 septembre 2008.

[65. Guibal Claude, « La rue arabe au son du Hezbollah », Libération, 13 mai 2008.

[66. Ibidem.

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