Les Balkans occidentaux ne forment pas un bloc contrairement à ce que pourrait faire croire cette appellation récente. Christian Lequesne aide à comprendre ce qui différencie Croatie, Macédoine, Monténégro, Albanie, Bosnie-Herzégovine, Serbie et Kosovo. Si les conflits bilatéraux s’arrangent, l’économie reste marquée par des difficultés et la démocratie demeure fragile. En outre, les Balkans occidentaux comptent deux Etats qui n’en sont pas vraiment. L’auteur aborde enfin la question de leur adhésion à l’Union européenne.
SE remémorant le Prix Nobel de littérature yougoslave Ivo Andric, mort en 1975, l’écrivain italien d’origine croate Predrag Matvejevitch se demande quels auraient été ses sentiments s’il avait été témoin de la dernière guerre en Yougoslavie. « Par bonheur, écrit Matvejevitch, il n’a pas vu les tchetniks de Milosevic et de Karadzic bombarder Sarajevo et Vukovar, fusiller des milliers d’habitants de Srebrenica, purifier ethniquement la Bosnie au nom de la Grande Serbie ; ni les oustachis détruire Mostar et le vieux pont sur la Neretva, réalisant ainsi la vision croate d’un Tudjman, jetant impitoyablement dans des camps les infidèles musulmans d’Herzégovine et chassant de leurs foyers les ancêtres serbes de la Krajina... » [1]. Qui eut cru en effet avant 1989 que la Yougoslavie post-Tito connaitrait une telle violence dans la décennie suivante alors que l’Europe centrale, celle du Pacte de Varsovie et de la doctrine de la souveraineté limitée, verrait au contraire aboutir rapidement son retour pacifique dans l’Europe démocratique ? Clairement, la force du nationalisme avait été sous-estimée en Yougoslavie tout comme l’avaient été l’état de l’économie (à bien des égards aussi sinistrée par le socialisme que dans l’Europe sous influence soviétique) et l’état de la démocratie.
Vingt deux ans après la chute du Mur de Berlin, l’Europe centrale et les pays baltes ont rejoint l’Union européenne. Pour reprendre le vocabulaire des Pères de l’Europe, ces pays sont aujourd’hui intégrés à la construction européenne. Au contraire, les pays de l’ex-Yougoslavie et l’Albanie, que l’on appelle pudiquement les pays des Balkans occidentaux, sont encore sur le chemin de leur intégration. L’exception est évidemment la « nordique » Slovénie, pays de 2 millions d’habitants qui a rejoint l’Union avec les pays d’Europe centrale en 2004 puis la zone euro en 2007, disposant aujourd’hui d’un revenu national brut par habitant supérieur à celui de la République tchèque mais aussi du Portugal. La perspective d’intégration des six autres pays dans l’Union européenne a été reconnue officiellement par les pays de l’Union européenne dès juin 2003, au Conseil européen de Thessalonique. Dans leur déclaration finale, les Quinze de l’époque précisaient qu’ils étaient résolus à soutenir « pleinement et efficacement la perspective européenne des Balkans occidentaux, qui feront partie intégrante de l’UE dès qu’ils répondront aux critères établis ». Comparé aux réserves suscités par la candidature de la Turquie et alors qu’était finalisé l’élargissement aux pays d’Europe centrale et aux pays baltes, l’engagement en faveur d’une perspective européenne pour les Balkans occidentaux fut donc ferme et sans ambigüité. Qu’en est-il huit ans plus tard ?
Tout d’abord, force est de remarquer que les six pays qui composent les Balkans occidentaux sont marqués par une grande diversité de leur situation interne qui, à son tour, traduit des relations différentes avec l’Union européenne. Il convient ainsi de distinguer la Croatie, pays qui dispose en 2011 d’un revenu national par habitant supérieur à celui de la Bulgarie et de la Roumanie, mais aussi de la Pologne, et qui a terminé en juin 2011 ses négociations d’adhésion avec l’Union européenne. Au regard de l’élargissement, la Croatie est donc une sorte de « question réglée ». Ce pays de 4 millions d’habitants devrait devenir le 28ème Etat de l’UE en juillet 2013 si toutefois les ratifications se passent bien dans tous les Etats membres. Il n’existe pas cependant d’opposition particulière à l’entrée de la Croatie dans les 27 Etats membres, car ce pays dans lequel se retrouvent réunis chaque été de nombreux touristes de l’Europe de l’ouest et l’Europe de l’est (comme à l’époque de la Yougoslavie [2]) bénéficie d’une image positive.
Un deuxième groupe de pays est composé de la Macédoine et du Monténégro, pays respectivement de 2 millions et 620 000 habitants. Dans les deux cas, ces pays ont déposé leur candidature à l’Union qui en a pris acte officiellement. La Commission a du reste déposé un avis sur la candidature de la Macédoine dès 2005 et devrait faire de même prochainement pour le Monténégro. L’ouverture de négociations d’adhésion devra cependant attendre. Dans le cas du Monténégro, elles sont sans nul doute conditionnées à l’avancée de la candidature de la Serbie, qui formait un même Etat avec le Monténégro jusqu’en 2006. Dans le cas de la Macédoine, l’absence d’accord sur le nom du pays, contesté par la Grèce à l’ONU, demeure un obstacle à l’ouverture de négociations d’adhésion (cf. infra).
Le troisième groupe de pays est composé des candidats « potentiels » à l’adhésion que sont l’Albanie, la Bosnie - Herzégovine, la Serbie et le Kosovo. Dans les quatre cas, l’Union européenne considère que son rôle à leur égard relève encore de la stabilisation et que la priorité de court terme est la mise en œuvre pleine et entière des accords de partenariat et d’association qui l’unit à chacun de ces pays. Si l’Albanie et la Serbie ont officiellement déposé leur demande d’adhésion à l’Union européenne, en avril et décembre 2009, leur prise en compte officielle par les 27 prendra un peu de temps. Le sort de la candidature serbe est bien entendu entièrement lié à l’avenir du Kosovo. Avec ses 7 millions d’habitants, La Serbie est en même temps le pays de la région qui présente le plus fort potentiel d’avenir, en particulier dans le domaine économique. Cette diversité montre bien que l’Union européenne ne peut pas traiter les Balkans occidentaux comme un bloc au regard de l’élargissement. Elle est face à sept pays qui doivent être abordés au cas par cas et qui la rejoindront selon un échéancier vraisemblablement différencié.
La question des relations entre pays candidats et entre les pays candidats et les actuels membres de l’Union européenne est un facteur qui influe sur le processus élargissement. En règle générale, il existe une encourageante normalisation des relations entre des pays qui se sont fait la guerre il y a peine quinze ans. Cette normalisation est marquée par des gestes de réconciliation sous l’effet d’une nouvelle génération de politiciens moins marqués par le nationalisme que leurs prédécesseurs. L’élection de Boris Tadic à la présidence de la République de Serbie en 2008 ou d’Ivo Josipovic à la présidence de la République de Croatie en février 2010 ont ainsi contribué à une amélioration des relations bilatérales. Lors d’une visite historique en novembre 2010, le président serbe Boris Tadic s’est ainsi excusé pour le massacre commis par l’armée serbe lors du siège de Vukovar, ville de l’est de la Croatie, qui fut le théâtre d’atrocités en 1991. De même, lors d’un discours prononcé le 14 avril 2010 devant le Parlement de Bosnie-Herzégovine, le président croate Josipovic a regretté que la Croatie ait contribué à « la politique des années 1990 qui voulait que la division de la Bosnie-Herzégovine soit la seule solution pour le pays », qui « a semé les graines du malheur ». Il s’agit du premier discours d’un responsable politique croate reconnaissant l’implication de la Croatie dans la division de la Bosnie-Herzégovine. De même, les principaux conflits territoriaux issus du démantèlement de la Yougoslavie ont été réglés ou sont en passe de l’être. Le litige frontalier slovéno-croate à propos de la délimitation de la baie de Piran, au sud du golfe de Trieste, a ainsi été définitivement résolu en 2010 après la ratification d’un accord international par référendum le 5 juin 2010 en Slovénie, qui a recueilli 51 pour cent de oui. Ce vote des citoyens slovènes est intervenu après que le Parlement croate ait lui-même autorisé la ratification de l’accord. Dans le même sens, la Croatie et le Monténégro ont accepté de porter devant la Cour internationale de justice leur différend frontalier à propos de la péninsule de Prevlaka permettant l’accès aux Bouches de Kotor, un port naturel exceptionnel du Monténégro. Le principal contentieux bilatéral qui demeure est entre la Macédoine et la Grèce, non pas à propos d’un territoire mais de la dénomination « République de Macédoine » utilisée par l’ancienne république yougoslave depuis son indépendance en 1991. Athènes continue en effet de craindre que l’usage du nom « République de Macédoine » ne débouche sur des prétentions territoriales à l’égard de la province grecque de Macédoine. Elle s’en tient donc pour sa part à évoquer la « République de Skopje » (du nom de la capitale) et à désigner les habitants de ce pays avec le vocable « Skopjiens ». Depuis 1999, des pourparlers se poursuivent sous l’égide de l’ONU afin de trouver une issue à ce contentieux un peu ridicule. La Macédoine a été admise à l’ONU sous la dénomination provisoire d’ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM, ou FYROM selon l’acronyme anglais). Malgré l’absence d’accord entre Athènes et Skopje, 120 Etats de l’ONU sur 194 reconnaissent officiellement l’appellation « Macédoine ». Mais cela ne suffit pas à lever la menace d’un veto grec qui pourrait bloquer l’ouverture de négociations d’adhésion. Selon les traités européens, cet acte requiert en effet l’accord unanime des Etats membres. L’opposition symbolique d’Athènes parait d’autant plus anachronique que les entreprises grecques représentent en 2011 les principaux investisseurs de l’Union européenne en Macédoine.
La crise économique de 2008 n’a pas épargné les pays des Balkans occidentaux. La Bosnie – Herzégovine et la Serbie ont même du faire appel à l’aide financière du FMI et de l’Union européenne. Dans l’ensemble, les progrès de l’économie de marché sont pourtant présents partout, malgré des poches de pauvreté endémiques qui demeurent dans la plupart des pays (à l’exception de la Croatie). Cette situation se traduit toujours par des flux importants d’émigration, rendus plus faciles par l’abolition des restrictions aux visas dans la zone Schengen. Depuis 2010, tous les citoyens des pays des Balkans occidentaux à l’exception des Kosovars, peuvent en effet voyager sans visa dans l’Union européenne. Il s’agit d’une disposition qui a grandement permis de désenclaver les Balkans en confortant les citoyens de ces pays dans l’idée que l’Union européenne voulait bien d’eux, contrairement à la rhétorique de certains partis politiques nationalistes, en particulier en Serbie. L’émigration reste particulièrement présente dans les pays où les taux de chômage peuvent atteindre des proportions dramatiques : en 2010, 43 pour cent au Kosovo et en Bosnie – Herzégovine. L’émigration, en particulier vers l’Allemagne et la Suisse, n’est donc plus le résultat d’un exil politique permettant de fuir les discriminations ethniques comme dans les années 1990 mais un moyen d’échapper à une pauvreté structurelle. L’émigration des jeunes gens bien formés entrave énormément le développement économique de certains pays comme la Bosnie – Herzégovine. En règle générale, les flux commerciaux des pays des Balkans occidentaux sont aujourd’hui majoritairement orientés vers l’Union européenne, bien qu’une bonne part du commerce continue de se faire régionalement, grâce à l’Accord de libre échange centre européen, mais aussi avec d’autres partenaires comme la Russie et la Turquie. En 2010, la Russie est ainsi le premier fournisseur en importations de la Serbie. La Serbie est du reste le seul pays d’Europe avec lequel la Russie a signé un accord de libre – échange dans le but d’exporter les biens produits par des investisseurs russes mais aussi de concurrencer la stratégie commerciale de l’Union européenne : toutes les marchandises produites en Serbie, en accord avec les principes de l’OMC et consignées dans l’accord de libre-échange, peuvent ainsi être vendues sur le marché russe sans aucune taxe. Pour une Union européenne en manque cruel de croissance, les Balkans occidentaux représentent une zone où les perspectives sont élevées, tout comme le fut l’Europe centrale dans les années 1990 - 2000. La prévision de croissance de la Serbie en 2013 est ainsi de 5,5 % et de 6,3 % pour l’Albanie. Il est légitime dès lors que ces taux attirent les investisseurs. Les pays des Balkans occidentaux sont également attractifs dans la mesure où il dispose d’une main d’œuvre bien formée mais aussi de politiques fiscales incitatives. En 2010, la Serbie dispose du taux d’imposition le plus faible d’Europe (10% en moyenne). L’une des difficultés pour les investisseurs européens demeure toutefois une corruption endémique qui peut encore se traduire par des menaces de violence physique lorsque la concurrence touche des intérêts économiques locaux qui ne rechignent pas devant les méthodes criminelles. Cette situation est sans conteste un élément d’hésitation fort pour les investisseurs.
La démocratie formelle – au sens du fonctionnement d’institutions démocratiques et d’élections libres- a fait des progrès dans tous les pays des Balkans occidentaux, comme le souligne le dernier rapport de la Commission européenne sur la stratégie d’élargissement 2009 – 2010 [3]. Les problèmes de corruption des institutions d’Etat et des entreprises, l’absence d’indépendance de la justice et de lutte insuffisante contre le crime organisé demeurent cependant des problèmes récurrents dans tous les pays. Ces carences sont plus inquiétantes dans certains pays que dans d’autres, par exemple au Kosovo. Des procès pour corruption ont parfois été retentissants ces dernières années, afin de montrer que les Etats ne restaient pas inactifs. En Croatie, l’ancien Premier ministre Ivo Sanader est ainsi placé en état d’arrestation en 2010 pour plusieurs affaires de corruption et de détournement de fonds publics, équivalant à 6 millions d’euros environ. En fuite à Salzburg, il a été extradé le 18 juillet 2011 par la justice autrichienne à Zagreb où il est détenu dans l’attente d’un procès. Phénomène classique dans les pays post - communistes qui ont retrouvé l’économie de marché, la corruption est l’un des grands obstacles à l’application des normes européennes. Beaucoup plus que la pression extérieure de Bruxelles, la diminution de cette corruption dépend de la force des contre-pouvoirs (presse, ONG, etc.) au sein des sociétés civiles des pays concernés. Or, si ceux-ci s’organisent, ils demeurent encore trop faibles par rapport à l’influence qu’exercent les partis politiques, les administrations publiques et les milieux d’affaires.
L’un des signes d’amélioration de la démocratie dans les pays des Balkans occidentaux est aussi l’implication plus importante des Etats dans l’arrestation des criminels de guerre et leur transfert vers le Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie. Cette amélioration a été marquante en 2010, dans la mesure où elle est une condition importante pour l’avancée des négociations d’élargissement avec l’Union européenne. En 2011, le gouvernement serbe a ainsi arrêté et livré à la justice internationale les deux derniers fugitifs recherchés par le Tribunal de La Haye : Ratko Mladic, qui fut entre autres le responsable militaire du massacre de la population bosniaque de Srebrenica en juillet 1995, et Goran Hadzic, ancien président de la République serbe de Krajina qui ordonna le massacre de nombreux Croates et non Serbes à l’hôpital de Vukovar en novembre 1991. Le souhait des autorités serbes de voir leur demande d’adhésion à l’Union européenne accélérée n’est bien entendu pas étranger à ces arrestations. Il ne faut pas cependant se faire d’illusion sur le soutien réel qu’apportent les sociétés de ces pays à la justice internationale. Les condamnations restent souvent perçues comme injustes et permettent d’alimenter la rhétorique nationaliste. La condamnation en avril 2011 par le Tribunal de La Haye du Général croate Ante Gotovina à 24 ans d’emprisonnement pour les crimes et violations des lois de la guerre perpétrés au cours de l’Opération « Tempête » contre les Serbes de la Krajina, entre août et novembre 1995, apparaît ainsi légitime à peu de gens en Croatie. Dans les villes et villages de Croatie, de nombreux posters représentant le général en uniforme de chef de l’armée croate, clament leur soutien à un « héros de la cause croate » injustement condamné. Le travail sur le passé que mettent en place les gouvernements pour satisfaire aux normes de l’Union européenne apparaît ainsi lointain encore à une majorité des sociétés.
Certains pays des Balkans occidentaux ne sont pas encore des Etats au plein sens du terme ; ils connaissent des formes juridiques particulières, soit parce qu’ils demeurent des sortes de protectorat, soit parce qu’ils ne bénéficient pas de la pleine reconnaissance internationale. En Bosnie - Herzégovine, la paix de Dayton n’a été possible en 1995 que parce que les deux entités (Fédération de Bosnie et Herzégovine et République Serbe de Bosnie Herzégovine) sont restées supervisées par un Haut Représentant des Nations Unies. Ce dernier, actuellement la diplomate autrichien Valentin Inzko, demeure toujours la plus haute autorité du pays : il a le pouvoir d’annuler des décisions de l’exécutif ainsi que du parlement de Bosnie-Herzégovine. Ce protectorat onusien est le seul moyen pour que Bosniaques et Croates d’une part, Serbes de l’autre, continuent à vivre dans un même territoire qui, s’il est formalisé par un Etat, n’en demeure pas moins artificiel et fragile. On peut voir dans l’adhésion à l’Union européenne une manière de le stabiliser et de mettre fin à sa situation de protectorat. En même temps, il n’est jamais très simple pour l’Union européenne de traiter avec un Etat qui ne dispose pas d’une structure décisionnelle capable de fonctionner. L’exemple de la Belgique, qui pourrait venir à l’esprit comme comparaison, est à cet égard peu pertinent. En effet, si la Belgique s’apprête à franchir le cap d’une année sans gouvernement, elle dispose néanmoins de ministres et d’une administration parfaitement capables d’assurer les obligations de l’Etat. La Bosnie – Herzégovine n’est pas du tout dans cette configuration.
Le cas du Kosovo est en fait devenu assez différent. La déclaration unilatérale d’indépendance, en février 2008, s’est traduite par une reconfiguration de la présence internationale. A travers sa mission « Etat de droit » (EULEX), c’est l’Union européenne qui assure une mission de stabilisation de l’ensemble du territoire en apportant son soutien à la réforme de la justice, de la police ou encore des douanes. L’existence d’un Etat kosovar reste toutefois contestée par la Serbie où toutes les forces politiques, à l’exception du petit parti libéral démocrate de Cedomir Jovanovic, refusent le principe de la reconnaissance. La politique de l’Union européenne à l’égard du Kosovo est marquée dès lors par la plus grande ambigüité. D’une part, le Conseil des ministres de l’Union déclare en décembre 2010 « soutenir les progrès du Kosovo sur la voie de l’Union européenne ». D’autre part, cinq de ses Etats sur vingt sept (Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie) refusent de reconnaitre l’indépendance du Kosovo, soit parce qu’ils entretiennent de bonnes relations avec Belgrade, soit parce qu’ils ont peur que leurs minorités nationales y puisent un modèle pour s’émanciper. Les pays de l’Union devront à un moment trancher la question de la reconnaissance pleine et entière du Kosovo, s’ils souhaitent que ce pays engage des négociations d’adhésion. Si tel est le cas, la Serbie devra également s’orienter dans ce sens.
On a souvent parlé ces dernières années d’une fatigue de l’élargissement dans les Etats membres de l’Union européenne. En novembre 2010, seulement 21 % des Allemands et des Autrichiens, 26 % des Français, étaient favorables à un nouvel élargissement de l’Union européenne. Paradoxalement, l’élargissement est pourtant la politique de l’Union européenne qui a connu le plus grand succès depuis vingt ans. Grâce à l’adhésion, les pays d’Europe centrale et les pays baltes ont pu ainsi confirmer une transition réussie vers l’économie de marché et la démocratie. En 2011, ils ne posent pas de problème particulier à l’Union européenne. L’application des normes européennes en Bulgarie et en Roumanie, devenues membres en 2007, est plus laborieuse. Si l’on y ajoute les problèmes économiques de la Grèce, doit - on en conclure que les Balkans constituent une région où l’adhésion réussie à l’Union européenne s’avère plus difficile ? Il est évident que certains vont le penser en réactivant des clichés culturalistes sur le fait que le monde balkanique orthodoxe et islamisé a un héritage historique qui ne la prédispose pas à appliquer les règles européennes. Certains Croates utilisent d’ailleurs ce cliché pour affirmer que leur pays, parce qu’il est marqué par l’héritage du catholicisme romain, ne pourra être qu’un bon élève de l’Union. On pourrait discuter longuement du statut culturel des Balkans qui ont toujours été un carrefour entre l’Europe et l’Orient, symbolisé chez le romancier bosnien Ivo Andric par le « Pont sur la Drina ». Il n’en demeure pas moins que l’Union européenne a vocation à intégrer ce qui est encore pour elle une périphérie, car elle est la seule entité à pouvoir confirmer sa stabilité. Ceux qui refusent cette perspective en pensant ainsi sauver une Union européenne déjà trop élargie ne veulent pas voir que cette dernière a en 2011 pour mission première d’apporter la stabilité démocratique au continent. Ils oublient aussi cette belle phrase de Robert Schuman, prononcée peu de temps avant sa mort : « Nous considérons comme partie intégrante de l’Europe tous ceux qui ont le désir de nous rejoindre dans une Communauté reconstituée ».
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Plus
. Voir un article de Georges-Marie Chenu, "Balkans occidentaux : espace géopolitique convoité" publié sur le Diploweb.com le 9 décembre 2012 Voir
[1] Ivo Andric, Contes de la solitude, Paris, Le Livre de Poche, 2010, pp. 15 – 16.
[2] La seule différence par rapport à l’avant 1989 est toutefois que les voitures des touristes de l’Est et de l’Ouest sont maintenant les mêmes. On peut même se demander dans quelle mesure les voitures des touristes des ex pays communistes d’Europe centrale qui visitent la cote dalmate (Hongrie, République tchèque, Slovaquie) ne sont pas plus puissantes aujourd’hui que celles des touristes de l’Europe occidentale, le Centre européen cossu se devant d’avoir un gros véhicule, si possible de type quatre quatre.
[3] ec.europa.eu/enlargement/pdf/key_documents/2009/strategy_paper_2009_fr.pdf
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