Florian Manet, Colonel de la gendarmerie nationale, essayiste, expert en sûreté globale. Il publie un ouvrage intitulé « Thalassopolitique du narcotrafic international, la face cachée de la mondialisation ? » aux éditions EMS. Il s’exprime à titre personnel.
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il anime Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF depuis septembre 2024. Cette émission a été diffusée en direct le 29 octobre 2024.
Synthèse par Émilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle est en charge depuis septembre 2024 du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.
Le narcotrafic menace-t-il la mondialisation ? Pourquoi et comment la mondialisation, notamment dans sa dimension maritime, est-elle opportunité pour le narcotrafic ? Est-il possible de faire une cartographie des flux de drogues ? Et que nous apprend cette cartographie ? L’État se trouve-t-il disqualifié par l’essor du trafic de drogues ?
Podcast, vidéo et synthèse rédigée, validée par F. Manet.
Cette émission, « Le narcotrafic menace-t-il la mondialisation ? » Avec F. Manet, sur RND
Cette émission, « Le narcotrafic menace-t-il la mondialisation ? » Avec F. Manet, sur RCF
Lien direct vers cette émission sur RCF
Synthèse de cette émission, « Le narcotrafic menace-t-il la mondialisation ? » Avec F. Manet. Rédigée par Émilie Bourgoin pour Diploweb.com , validée par F. Manet
LA MONDIALISATION, en multipliant les échanges internationaux, a ouvert des opportunités pour les activités criminelles transnationales, dont le narcotrafic c’est à dire le commerce de substances psychotropes. Longtemps perçu comme un commerce de proximité ou terrestre, le trafic de drogue a changé d’échelle en investissant, aujourd’hui, largement les routes maritimes, grâce à la souplesse de ses vecteurs de plus en plus imposants et à ses faibles coûts. La question se pose alors de savoir si le narcotrafic constitue une véritable menace pour la mondialisation et les États.
Contrairement à l’idée reçue selon laquelle le narcotrafic se concentreraient aux seuls échanges terrestres où se trouvent les consommateurs, la réalité est tout autre. Près de 90 % des marchandises, licites comme illicites, empruntent les voies maritimes. Le transport maritime offre en effet de nombreux avantages aux organisations criminelles : une grande capacité de transport, des liaisons régulières et prévisibles, et surtout, des lacunes dans la sécurisation d’une chaîne logistique internationalisée, etc... Un très faible pourcentage de contrôle sont opérés sur les conteneurs . Sur les plus de 400 millions de conteneurs ou équivalent vingt pied (EVP) échangés chaque année dans le monde, seuls 2 %, en moyenne, seraient inspectés de manière efficace et systématique. Au vu des volumes et de la tension des chaines logistiques internationales, 98 % de ces flux de marchandises échappent ainsi en grande partie aux contrôles étatiques, rendant difficile la lutte contre le narcotrafic.
La haute-mer (c’est-à-dire les espaces océaniques hors les eaux territoriales) représente 64 % de la planète, mais constitue une réelle complexité juridique en matière de contrôle étatique des navires. Malgré les efforts déployés, notamment à travers des conventions internationales comme celle de Montego Bay ratifiée le 10 décembre 1982, les espaces maritimes demeurent un terrain propice aux activités criminelles. Le narcotrafic tire également profit de la main-d’œuvre maritime, notamment des pêcheurs qui, sous la pression ou attirés par de hauts revenus, participent à la logistique de ces trafics. En Équateur, par exemple, des pêcheurs sont impliqués dans l’acheminement de la cocaïne vers l’Amérique latine, une activité beaucoup plus lucrative que leur métier initial.
Confrontées à des nécessités logistiques pour satisfaire les marchés de consommation, les organisations criminelles exploitent les failles des systèmes portuaires, tant dans les pays de départ que de destination ou encore les escales. La corruption y joue de fait un rôle central : agents publics, commissionnaires de transport et autres acteurs de la chaîne logistique sont fortement sollicités pour faciliter le passage des drogues. Les ports deviennent ainsi des carrefours névralgiques dans cette économie illicite, où la pression sur les acteurs portuaires est constante et bien souvent irrésistible. La cartographie des flux de drogues permet de visualiser les routes maritimes empruntées selon les produits, avec des ports clés, véritables « hub » qui, ensuite, redistribuent les cargaisons vers des ports secondaires selon le principe du « hub and spoke ». Comprendre les dynamiques logistiques maritimes et portuaires est de fait un exercice fondamental pour appréhender cette réalité et y apporter des contremesures.
Bonus. Vidéo. Planisphère, « Le narcotrafic menace-t-il la mondialisation ? » Avec F. Manet
Le narcotrafic met à mal l’autorité des États sur plusieurs fronts.
Le premier concerne la souveraineté territoriale : sur la Zone Économique Exclusive (ZEE, entre 0 et 200 milles nautiques, soit 370,4 km), certains pays comme la France, deuxième puissance maritime mondiale, voient leur contrôle sur ces espaces remis en question par des stockages clandestins immergés de produits stupéfiants. Les organisations criminelles profitent également des avantages offerts par des pavillons de libre immatriculation pour opter pour un cadre juridique moins strict selon les lois nationales. Ce phénomène de « flag hopping » permet aux navires de changer de pavillon, parfois lors d’une expédition, en pleine mer, complexifiant davantage encore les enquêtes et les interventions à la mer conformément aux Conventions internationales à l’image de la Convention des Nations Unies relative à la lutte contre trafic illicite de stupéfiants ou substances psychotropes du 30 décembre 1988. Enfin, le recours croissant aux crypto-actifs réduit la capacité des États à contrôler la monnaie, autre élément clé de la puissance publique. Ces actifs numériques facilitent le blanchiment des revenus du narcotrafic, opacifiant les flux et échappant aux régulations étatiques.
Le narcotrafic n’entraîne pas seulement une concurrence économique avec l’État, mais il génère également une violence généralisée qui perturbe l’ordre public socio-économique. En Équateur, la ville de Guayaquil a vu ses homicides exploser, atteignant 47 morts pour 100 000 habitants en 2022 (6,9/ 100 000 habitants en 2006). Cette violence ne se limite pas aux zones de production mais se propage également aux pays consommateurs. En France, l’exemple récent de la « libération » de Mohamed Amra, trafiquant de drogue incarcéré, par un commando lourdement armé lors d’une translation judiciaire, en tuant deux agents pénitenciers, illustre gravement cette escalade de la violence liée au narcotrafic. La difficulté voire l’incapacité des États à assurer pleinement la sécurité des personnes et des biens ainsi qu’à prévenir ces crimes interroge sur leur autorité.
Pour approfondir ce sujet, plusieurs ressources sont recommandées.
L’ouvrage du Colonel Florian Manet, « Thalassopolitique du narcotrafic international - La face cachée de la mondialisation ? », publié aux éditions EMS, en septembre 2024, propose une analyse détaillée des liens entre narcotrafic et mondialisation.
Le laboratoire de prospective maritime et portuaire Sefacil offre également des ressources gratuites sur les dynamiques maritimes, avec des comparaisons à l’échelle internationale. L’ouvrage complet de Florian Manet, « Thalassopolitique du narcotrafic international, la face cachée de la mondialisation » peut d’ailleurs être téléchargé gratuitement sur le site de la Fondation SEFACIL
Enfin, des articles sur Diploweb, dont plusieurs signés par Florian Manet et un autre par Yan Giron, se concentrent sur les espaces maritimes, lieu d’une mondialisation criminelle et hybride.
Copyright pour la synthèse Octobre 2024-Bourgoin/Diploweb.com
Plus
Présentation du concept de l’émission Planisphère par Pierre Verluise
Planisphère est une émission de géopolitique proposée par Radio Notre Dame et RCF. Planisphère est animée par Hugo Billard jusqu’au 31 août 2024 ; par Pierre Verluise (Diploweb.com) depuis le 3 septembre 2024. Chaque semaine des historiens, des géographes, des géopoliticiens, des diplomates, des stratèges et des acteurs des relations internationales prennent le temps de mettre en perspective les soubresauts du monde. Planisphère cherche à comprendre l’actualité mondiale dans l’espace et dans le temps, en privilégiant la clarification des jeux des acteurs comme des résultats sur les territoires. Pierre Verluise cherche à mettre à jour l’interaction des échelles et les dynamiques de la puissance, définie comme une capacité de faire, de faire faire, de refuser de faire ou d’empêcher de faire.
Cette émission est disponible en podcast sur les sites et les applications de ces deux radios, comme sur le Diploweb.com qui offre en bonus une synthèse rédigée, validée dans la mesure du possible par l’intervenant.
SAS Expertise géopolitique - Diploweb, au capital de 3000 euros. Mentions légales.
Directeur des publications, P. Verluise - 1 avenue Lamartine, 94300 Vincennes, France - Présenter le site© Diploweb (sauf mentions contraires) | ISSN 2111-4307 | Déclaration CNIL N°854004 | Droits de reproduction et de diffusion réservés
| Dernière mise à jour le mercredi 20 novembre 2024 |