Charlotte Bezamat-Mantes est Doctorante à l’IFG, Rédactrice-Cartographe pour Diploweb.com. Matthieu Seynaeve, diplômé d’un Master de l’IFG, est cartographe. Pierre Verluise, Docteur en géopolitique, est Directeur du Diploweb.com
A travers trois cartes, tentons de répondre à cette question : la corruption peut-elle être un facteur de mal-développement ? La conception des cartes et légendes est le fruit d’un travail de C. Bezamat-Mantes, M. Seynaeve et P. Verluise. La réalisation des cartes est signée M. Seynaeve. Le commentaire est rédigé par P. Verluise.
Il s’agit ici de disposer d’éléments pour savoir si la corruption peut être un facteur de mal-développement. L’espace considéré est celui de l’Europe et de ses marges orientales.
La réponse s’organise en trois temps : IDH, IPC et mise en corrélation IDH et IPC.
1. Considérons d’abord l’Indice de développement humain (IDH) en 2014.
L’IDH est un indice statistique composite, créé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en 1990 pour évaluer le niveau de développement humain des pays de la planète. L’IDH se fonde sur quatre critères majeurs : le PIB par habitant, l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’éducation et le niveau de vie. Par sa complexité il est mieux à même de rendre compte du processus de développement que le seul PIB par habitant.
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L’oeil distingue sur la carte présentée un centre marqué par un IDH élevé, de la péninsule scandinave à la Suisse incluse, avec des périphéries différenciées mais généralement marquées par un IDH significativement plus faible à l’Est et au Sud-Est. Au regard de son contexte régional, la Grèce semble bien sortir son épingle du jeu, probablement grâce à son adhésion dès 1981 à la Communauté économique européenne, devenue l’Union européenne en 1993. Rappelons que pour la période 2000-2006, la Grèce est le pays qui a - de très loin - reçu le plus de fonds communautaires par la politique régionale et de cohésion, avec 2 260 millions d’euros par million d’habitants [1]. Reste à savoir ce que ces fonds sont devenus...
2. Observons maintenant l’Indice de perception de la corruption (IPC) en 2014.
Depuis 1995, l’ONG Transparency International publie chaque année un indice de perception de la corruption (IPC) classant les pays selon le degré de corruption perçu. Initialement construit sur 10, il est depuis quelques années présenté sur 100. L’indice est élaboré à l’aide d’enquêtes réalisées auprès d’hommes d’affaires, d’analystes de risques et d’universitaires résidant dans le pays ou à l’étranger. Il est pris en compte par la Commission européenne pour l’évaluation des candidats à l’Union européenne.
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La corruption en Europe et sur ses marges orientales se distribue - depuis de nombreuses années [2] - selon deux gradients :
. Généralement, les pays du Nord sont moins corrompus que ceux du Sud.
. Dans l’ensemble, les pays de l’Ouest sont moins corrompus que ceux de l’Est.
. Les pays qui se situent à la fois au Sud et à l’Est, soit au Sud-Est - notamment dans les Balkans - cumulent les difficultés. Déjà membres ou candidats à l’Union européenne, ils forment une poche de corruption, particulièrement la Bosnie-Herzégonine, le Kosovo et l’Albanie.
Membre fondateur de la Communauté économique européenne en 1957, l’Italie démontre à qui en douterait que l’adhésion n’est pas suffisante pour garantir une lutte efficace contre la corruption. Ce qui devrait - dans un espace rationnel - calmer les ardeurs des tenants d’une adhésion rapide des Balkans occidentaux [3].
Bien évidemment, il existe des exceptions, la péninsule ibérique paraît à la traîne des pays de l’Ouest, et l’Estonie semble un exemple pour les pays de l’Est. Chacun aura noté que l’Estonie est le plus au Nord des pays de l’Est... ce qui vient confirmer le premier gradient.
Les trois pays Baltes, ex-Républiques soviétiques des lendemains de la Seconde Guerre mondiale au début des années 1990, sont dans une bien meilleure posture que les autres ex-Républiques soviétiques représentées : Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Azerbaïdjan, Arménie et Russie. Seule la Géorgie semble engagée dans la lutte contre la corruption, héritage de la Révolution des Roses (2003). Voilà qui tend à démontrer que les trois pays Baltes - Estonie, Lettonie, Lituanie - ont tiré bénéfice de leur candidature puis de leur adhésion à l’OTAN et à l’UE pour se rapprocher des exigences de l’Etat de droit. Ce qui témoigne, en creux, du poids de l’héritage du soviétisme dans la plupart des autres ex-Républiques soviétiques représentées.
Il y aurait des recherches exigeantes à mener sur les éventuelles relations entre corruption et culture.
3. Enfin, croisons l’IDH et l’IPC sur une carte de synthèse.
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Au vu de ces trois cartes, l’Europe géographique et ses marges orientales apparaissent donc comme des espaces différenciés, aussi bien pour l’Indicateur de développement humain que pour l’Indice de perception de la corruption. Si le centre apparaît peu corrompu, on ne peut pas en dire autant des périphéries. L’Est et le Sud-Est, globalement marqués par des niveaux de corruption inquiétants sont aussi les espaces marqués par les IDH les plus faibles de la zone.
La corruption peut-elle être un facteur de mal-développement ?
Au vu de la mise en corrélation de l’IPC et de l’IDH, il semble envisageable que la corruption soit un facteur de mal développement. Il serait aussi possible de retourner la démonstration et d’envisager que le mal-développement soit un facteur de corruption. Dans tous les cas, les procédures d’enrichissement des élites des pays marqués par un IDH faible doivent être considérées avec soin. Le risque pour une organisation régionale comme l’Union européenne dispensant beaucoup de fonds est de consolider des réseaux corrompus qui fragilisent son environnement, voire des pays devenus membres. Le cas de la Grèce, devenue depuis quelques années une épée de Damoclès au-dessus de la zone euro, le démontre amplement.
IDH faible et corruption sont aussi des terrains favorables pour les trafics en tous genres, notamment d’êtres humains et d’armes [4]. Dans un contexte marqué par le terrorisme, cela attire l’attention. Cette recherche pourrait être utilement étendue à d’autres zones géographiques.
Copyright pour le texte Juin 2015-Verluise/Diploweb.com
[1] Source : Pierre Verluise, Géopolitique de l’Europe. L’Union européenne élargie a-t-elle les moyens de la puissance ? Paris, Ellipses, 2005, p. 41.
[2] Cf. des études précédentes de P. Verluise
[3] Une autre expérience historique devrait inciter à la réflexion : le cas de la Hongrie. Depuis 2010, la Hongrie de V. Orban sort régulièrement des clous de la démocratie et l’UE s’avère incapable de la ramener dans l’esprit et la lettre des traités. Ce qui démontre qu’une fois devenu membre, un pays dispose d’une large marge de manoeuvre.
[4] Cf. Les travaux de recherche de Jean-Charles Antoine (IFG)
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