Pierre Berthelet, docteur en droit, spécialisé en droit de l’UE et chercheur en sécurité à l’Université Laval (Québec). Ancien conseiller ministériel, il est membre de l’Association française du droit de la sécurité et de la défense (AFSD), membre du Conseil d’administration de l’Institut national des hautes études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), et chercheur associé au CREOGN. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et il est fondateur du site securiteinterieure.fr
Quelles ont été les conséquences des crises migratoires de 2011 et 2015 sur la libre circulation dans l’espace Schengen ? De façon documentée et avec une grande clarté, Pierre Berthelet explique leurs conséquences. Un document de référence, illustré de trois cartes et un graphique. Bonus vidéo en pied de page : le Recteur Gérard-François Dumont répond aux questions du Diploweb à propos des relations entre migrations et géopolitique.
« L’ESPACE SCHENGEN est l’une des réussites les plus appréciées de l’intégration européenne, et le prix de sa désintégration serait considérable. Nous […] devons mettre fin à l’actuelle mosaïque de décisions unilatérales, pour la remplacer par une approche européenne coordonnée en matière de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières, encadrée par les règles de Schengen ». Ces propos [1] tenus le 4 mars 2016 par le premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, soulignent l’importance des deux réformes successives de la gouvernance de Schengen, l’une entreprise en 2011 et l’autre en 2017, destinées à mettre un terme au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à l’espace européen de libre circulation.
La première crise migratoire, celle de début 2011, a débouché sur une première réforme dite de la « gouvernance de Schengen », menée sous l’égide de la procéduralisation (I). L’objectif était, en cas d’afflux massif de migrants, de permettre le rétablissement par un Etat membre, des contrôles aux frontières (intérieures à l’espace Schengen), tout en encadrant ce rétablissement par une procédure complexe. La méfiance entre les Etats membres est dès lors régulée par cette procédure complexe, à l’image de mariés qui, ne se faisant pas confiance, optent en faveur d’un contrat destiné à régir scrupuleusement chaque cas de figure.
Les conséquences de la crise de 2015 s’inscrivent dans la même perspective. La Commission européenne, désireuse d’obtenir la levée de tous les contrôles aux frontières, entend « revenir à l’esprit de Schengen » [2]. Force est de constater, si l’on en juge la situation actuelle, que, dans les faits, cet esprit a changé, car les circonstances politiques au sein de l’Union, et géopolitique ont évolué. La crise de 2011 et surtout celle de 2015 ont laissé des traces profondes dans la relation entre les Etats membres, marquées par davantage de méfiance entre eux (II). L’idée d’un espace européen totalement décloisonné, tel qu’il existait il y a une décennie, s’éloigne. L’enjeu actuel consiste avant tout à réguler cette méfiance. Deux axes sont privilégiés : une sécurisation accrue des frontières extérieures au moyen de projets actuellement en cours de déploiement, dont le Corps européen de garde-frontières et le système « entrée-sortie » qui vise à comptabiliser le nombre de voyageurs entrant et sortant des frontières, aux fins de lutte contre l’immigration clandestine notamment (phénomène des « overstayers »). Le deuxième axe a trait à une nouvelle réforme gouvernance de Schengen initiée en 2017 (III). La crise migratoire a aggravé la crise conjugale, mais le couple préférant demeurer soudé, le contrat de mariage est revu. Comme la méfiance s’est accrue, la version révisée du contrat est encore plus complexe, de manière à prendre en compte, dans ses stipulations, les moindres détails et faire ainsi qu’une éventuelle crise migratoire ne dégénère pas en nouvelle crise conjugale.
Pour comprendre les termes du débat relatif aux deux crises successives de l’espace Schengen, il faut se souvenir que cet espace tire son origine de deux traités fondateurs : un traité signé en 1985 prévoyant la suppression des contrôles aux frontières, et une convention complémentaire, dite d’application de l’accord de Schengen adoptée quant à elle en 1990. Cette convention prévoit aussi une limite à l’espace de libre circulation en envisageant une clause dérogatoire en parallèle : un État peut rétablir, en cas de trouble à l’ordre public, les contrôles aux frontières avec les autres pays membres de cet espace. Avec l’intégration programmée du dispositif Schengen au sein de l’Union par le traité d’Amsterdam de 1997, une partie de l’acquis de Schengen a été codifié au sein du « code frontières Schengen ». Ce code de 2006 [3] affirme le principe de la libre circulation sous réserve de l’usage de la clause de sauvegarde (ci-après « procédure temporaire »).
Toutefois, l’emploi de cette clause de sauvegarde générale est étroitement contrôlé par la Commission européenne qui, au regard des dispositions du code, s’assure que les conditions sont remplies, en l’occurrence que la gravité de la menace à l’ordre public est de nature à justifier le rétablissement des frontières intérieures à l’espace Schengen, la proportionnalité des contrôles effectués et leur durée (bien que renouvelable, le recours à cette clause est limitée dans le temps). La crise migratoire de 2011 conduit à une révision du dispositif existant.
À la suite du Printemps arabe, 23 000 migrants ont débarqué venant de Tunisie sur l’île de Lampedusa, presque à mi-chemin de la route maritime vers la Sicile (Italie du Sud). Face à l’afflux et de migrants, l’Italie, débordée par le nombre, a trouvé comme solution la délivrance de titres de séjour permettant à leurs détenteurs de quitter la péninsule pour se rendre dans le pays de l’espace Schengen de leur choix « dans l’espoir, assez mal caché, que les citoyens tunisiens décident d’exploiter la libre-circulation de l’espace Schengen pour rejoindre d’autres pays, notamment la France » [4].
Confrontée à la hausse subite de migrants clandestins à Menton, le ministre de l’Intérieur français de l’époque, Claude Guéant, a menacé, en mars 2011, de recourir à la clause de sauvegarde, comme le prévoit le code frontières Schengen. Le contentieux bilatéral franco-italien d’avril 2011 sur la responsabilité de l’Italie dans l’entrée illégale de migrants tunisiens sur le territoire français via la frontière de Vintimille s’est soldé par la décision, en juin 2011, des chefs d’État et de gouvernement réunis en Conseil européen, de procéder à une réforme de la gouvernance de Schengen sur deux axes : 1. le renforcement des frontières extérieures de l’espace Schengen ; 2. la révision des modalités de la clause de sauvegarde.
Répondant à leur invitation, la Commission européenne a présenté en septembre 2011 une « réforme de la gouvernance de Schengen » comprenant, pour ce qui est du premier un volet, une révision du mécanisme d’évaluation mutuelle et, pour ce qui est du deuxième, une révision du code frontières Schengen pour permettre l’usage de la clause de sauvegarde en cas d’afflux massif de migrants.
Concernant le premier volet, le mécanisme d’évaluation mutuelle a fait l’objet d’un important toilettage. Ce mécanisme, figurant parmi les mesures insérées dans la convention d’application Schengen, n’avait pas été révisé au moment de l’intégration effective de Schengen dans l’Union en 1999. Il reposait dès lors toujours sur un mode intergouvernemental. La réforme de 2011 vise à remédier à cette situation notamment en intégrant dans l’équipe des experts évaluateurs de la Commission européenne.
La montée générale de l’euroscepticisme au sein de la plupart des pays du continent conduit à un poids plus grand des États au sein de la construction européenne.
Concernant le deuxième volet, le code frontières Schengen a effectivement été révisé pour envisager, à côté de la procédure générale (c’est-à-dire la « procédure temporaire »), une procédure spécifique (ci-après « procédure exceptionnelle ») permettant la « réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures ». Concrètement, lorsque la pression migratoire est telle que la surveillance des frontières extérieure de l’UE se révèle défaillante, générant un afflux massif, un autre État membre peut rétablir des contrôles aux frontières intérieures à l’espace Schengen. Pour autant, il existe une obligation de concertation. À l’origine, la Commission européenne souhaitait s’arroger le droit d’autoriser cet État à réinstaurer ses contrôles. Préférant une « gouvernance politique » à une gouvernance bureaucratique, le Conseil de l’UE (Conseil des ministres) a choisi d’être l’enceinte où se déroule une telle concertation. Le rétablissement des contrôles aux frontières reste très encadré au sein de cette « procédure exceptionnelle », puisque d’abord, il a lieu en cas « de manquements graves persistants liés au contrôle aux frontières extérieures » de la part d’un État. Ensuite, il s’agit d’une mesure prise en dernier recours. Enfin, l’État concerné doit rendre compte régulièrement des conséquences de cette réintroduction.
Une telle réforme est significative des transformations que rencontre l’Union européenne. La montée générale de l’euroscepticisme au sein de la plupart des pays du continent conduit à un poids plus grand des États au sein de la construction européenne. En parallèle, cet accroissement s’accompagne d’une perte d’influence de la Commission européenne. L’espace vacant est occupé par le Conseil de l’UE (ainsi que le Conseil européen et le Parlement européen au demeurant). La crise de 2015 est l’occasion pour la Commission de retourner à la situation antérieure à la crise de 2011. Force est de constater que ce souhait de « revenir à l’esprit de Schengen » se révèle pieux au regard du bilan de la réforme de 2017.
La crise migratoire se caractérise par son intensité (figures 1 & 2, ci-après). D’après le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR ou HCR dans l’espace francophone) [5], prèsd’un million de personnes ont voulu rejoindre l’Europe au cours de l’année 2015. Les franchissements ont été enregistrés essentiellement à la frontière gréco-turque, déjà sous pression les années précédentes. La remontée des migrants le long de la route dite « des Balkans », s’est réalisée sans coordination, voire dans le plus grand désordre. Le dispositif décentralisé de la gouvernance politique, mis en place par la réforme approuvée finalement en 2013, n’a pas fonctionné. Schengen s’est trouvé sous le feu croisé de visions politiques nationales divergentes [6]. La gestion de la crise migratoire s’est caractérisée par des divergences de vues entre les pays de l’Ouest (Allemagne, Autriche) désireux d’accueillir une partie des migrants, du moins dans un premier temps, générant un facteur « pull » (c’est-à-dire d’attraction de ces migrants vers le continent européen) supplémentaire, et les pays de l’Est (hostile à l’accueil des migrants). La crise migratoire était perçue traditionnellement sous l’angle d’un contentieux Nord-Sud (les pays du Nord accusant ceux du Sud de ne pas surveiller leurs frontières et, à l’inverse, ceux du Sud fustigeant l’égoïsme de ceux du Nord et réclamant davantage de solidarité). Si ce clivage n’a pas complément disparu, il a été mis en second plan au regard du contentieux entre les pays de l’Ouest et ceux de l’Est (groupe de Visegrád), notamment sur le sort des migrants « relocalisés », c’est-à-dire les demandeurs d’asile destinés à être répartis sur le territoire de l’Union selon des quotas définis par le Conseil de l’UE.
Figure 1
Figure 2
La gestion de crise, ou plutôt cette méta-crise [7], en ce qu’elle affecte non seulement les frontières de l’Union, mais aussi le système européen des réfugiés et qu’elle a lieu peu de temps après la crise politique générée à la suite du vote sur le Brexit, se caractérise par la volonté, pour les pays situés sur la route des Balkans, d’empêcher la venue des migrants sur leur territoire. Elle se traduit par une série de décisions nationales unilatérales de rétablissement des contrôles aux frontières prises dans la plus grande pagaille, le Conseil de l’UE ayant mal joué son rôle d’enceinte de concertation.
Les pays de transit, confronté à des problématiques sanitaires et de maintien d’ordre public, ont vu leurs capacités d’accueil rapidement dépassées. Le gouvernement hongrois, soucieux de fermer cette route, a lancé dans l’urgence au cours de l’été 2015, la construction d’une clôture de 4 mètres de haut sur plus de 175 kilomètres. Après avoir mené une politique d’accueil, l’Autriche et l’Allemagne ont décidé en septembre 2015, de réinstaurer les contrôles à leurs frontières respectives, à l’instar des autres pays de cette route qui se sont efforcés progressivement d’endiguer le flux de migrants. Finalement, la route a été déclarée officiellement fermée en mars 2016 par les différents États membres et pays tiers se situant sur cette « route des Balkans », ceci même si les effets se sont fait ressentir surtout l’année suivante (figure 3).
Figure 3
Un rapport de l’Assemblée nationale [8] datant du mois de mai 2016 dresse un constat sévère de la gestion de la crise par l’Union. D’abord, cette crise a été mal anticipée. Ensuite, la réponse européenne a été basée essentiellement sur la mise en place de hotspots, c’est-à-dire sur la création de centres de crise au sein des pays dont les frontières extérieures sont soumis à une pression considérable (la Grèce et l’Italie), et sur l’instauration d’un plan de relocalisation intra-européenne [9] des migrants susceptibles, selon toute vraisemblance, de recevoir le statut de réfugié.
Or, les États membres ont tardé à mettre en place ces deux mesures. Dans un rapport de suivi, la Commission européenne a souligné les lenteurs, si bien que ces mesures destinées à soulager les États membres de première ligne n’ont pas permis de gérer efficacement la crise de 2015. Enfin, comme le signale le rapport, la Commission aurait dû se montrer plus stricte dans le respect du droit en ouvrant des procédures d’infraction, conformément aux traités européens, à l’égard des États qui ne respectent pas les règles prévues dans le code frontières Schengen : « cette absence de réaction de la Commission européenne a d’ailleurs contribué à rendre de plus en plus fragile la confiance mutuelle des États membres dans la solidité de la zone Schengen » écrit-il.
La crise de 2015 a entrainé un rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à l’espace Schengen, effectué simultanément par plusieurs États.
De surcroît, les mesures prises par ces pays se trouvant sur la route migratoire ont généré des tensions avec leurs voisins. Ainsi, la fermeture par la Hongrie de sa frontière sud a conduit à une charge supplémentaire pour la Serbie dont les capacités d’accueil étaient saturées. Comme l’indique le même rapport, « la crise migratoire constitue néanmoins la principale explication des réactions unilatérales en chaîne qui donnent corps aux menaces pesant sur la survie de l’espace Schengen ». Quant à la Commission européenne, elle a jugé justifiée la réintroduction des contrôles aux frontières, car conforme à cette nouvelle « procédure exceptionnelle » figurant dans le code et permettant le rétablissement de ces contrôles en cas d’afflux massif. Constatant cet afflux et la défaillance persistante dans le contrôles aux frontières extérieures, elle a donc présenté au Conseil de l’UE une décision destinée à avaliser ceux-ci. La multiplication de ces contrôles a néanmoins posé la question de la pérennité de l’espace Schengen comme un espace sans frontières intérieures. Un défi se pose dès lors, en l’occurrence mettre un terme au cloisonnement de cet espace.
La crise de 2015 a entrainé un rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à l’espace Schengen, effectué simultanément par plusieurs États. Un rapport de la Commission européenne [10] fait observer que depuis septembre 2015, les contrôles aux frontières intérieures ont été réintroduits et prolongés près de 50 fois (entre 2006 et 2015, leur chiffre s’élevait à 36). La généralisation comme l’extension de ces procédures de réintroduction « temporaire » (procédure générale) et « exceptionnelle » (procédure spécifique créée en 2013), dans le temps pose question quant à la pérennité de l’espace Schengen.
À en croire ce rapport, la situation générale s’est malgré tout considérablement améliorée depuis le début de la crise migratoire. La prolongation des contrôles est donc résiduelle. Surtout, les contrôles sont légaux puisqu’ils suivent les procédures « temporaire » et « exceptionnelle » prévues par le code frontières Schengen mis à jour [11]. Le Conseil de l’UE accepte cette prolongation au profit des États qui le désirent (il s’agit en l’occurrence de l’Autriche, de l’Allemagne, du Danemark, de la Suède et la de Norvège), au motif qu’un risque de migration secondaire demeure : les migrants présents en Grèce, ou dans certains États membres, peuvent vouloir se déplacer en nombre dans un autre pays de l’Union.
Cette crainte justifie donc les prolongations successives accordées tout au long de 2016 et de 2017 à ces États de faire usage de leur clause de sauvegarde au titre de ces procédures « temporaire » et « exceptionnelle ». En outre, de telles mesures sont circonscrites dans l’espace : elles ne concernent pas la totalité des frontières, mais seulement certains tronçons vulnérables à la pression migratoire. La réforme de la gouvernance de Schengen engagée en septembre 2017 [12] (et actuellement en cours de négociation) ne serait dès lors qu’un ajustement : il s’agirait de permettre de nouvelles prolongations, le temps de la résorption du phénomène de migration secondaire. Le code frontières Schengen ne permettant qu’un nombre limité de renouvellement, une nouvelle réforme est donc nécessaire pour procéder à de ultimes prolongations dans le respect du droit.
Cette lecture de la situation de la Commission européenne pour qui Schengen est, selon elle, un « cadre solide et résilient » est optimiste. Un parallèle avec la situation française sur l’état d’urgence s’impose : l’impossibilité de prolonger en France, cet état qui, par définition, est temporaire, a conduit le parlement à approuver une loi destinée à fondre dans le droit commun des mesures prises dans le cadre de cette procédure de l’état d’urgence. Le risque de normalisation de l’exceptionnel [13] se retrouve dans cette réforme de la « gouvernance de Schengen ». La « procédure temporaire » est revue de manière à allonger les délais relatifs au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à l’espace européen de libre circulation. Ces contrôles peuvent s’étaler sur plusieurs années en combinant les deux procédures, temporaire et exceptionnelle, et en ajoutant la toute nouvelle procédure instituée par la réforme initiée en septembre 2017.
Concrètement, la durée maximale des contrôles menés conformément à la « procédure temporaire » est portée de 6 mois à 1 an, la durée de renouvellement de 30 jours à 6 mois, et la durée totale de la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures, de 6 mois à un an (c’est-à-dire en comprenant toutes les périodes renouvelables). Mais la réforme va plus loin, en créant cette nouvelle procédure, une procédure dite « en cas de menace grave supérieure à un an ». Une telle procédure prend la suite de la « procédure temporaire » dans l’hypothèse, comme c’est le cas en France, où la durée des contrôles aux frontières menés au nom de la lutte antiterroriste tend à dépasser les délais maximaux prévus par cette « procédure temporaire ». Pour respecter la légalité, le code frontière Schengen est modifié pour établir cette nouvelle procédure permettant une durée des contrôles de six mois, avec trois prolongations possibles.
La première pierre d’achoppement a trait à l’obligation, dans le cadre de la « procédure temporaire », pour l’Etat désireux de rétablir les contrôles, de présenter une analyse de risque. La deuxième pierre d’achoppement concerne les modalités de « procédure en cas de menace grave supérieure à un an ».
Néanmoins, la réforme fait débat. La première pierre d’achoppement a trait à l’obligation, dans le cadre de la « procédure temporaire », pour l’Etat désireux de rétablir les contrôles, de présenter une analyse de risque. Cette analyse fait partie des éléments discutés par la Commission européenne et les autres Etats membres, ceux-ci pouvant, au demeurant, bénéficier des vues de Frontex et d’Europol. Pour l’heure cette expertise des agences est contestée par certains Etats membres (les ressources de Frontex étant limitées, la priorité est, à leurs yeux, la surveillance des frontières extérieures et non la régulation des mouvements migratoires secondaires). En toile de fond, le risque est pour eux, en cas de divergence entre leur propre analyse et celles agences, de se retrouver en porte-à-faux avec la Commission et les autres Etats membres. Ce qui relève en principe d’une prérogative souveraine (le rétablissement des contrôles en cas « procédure temporaire ») menace de se transformer en négociation politique entre Etats membres, fondée sur des arbitrages menés à partir d’expertises contradictoires.
La deuxième pierre d’achoppement concerne les modalités de « procédure en cas de menace grave supérieure à un an ». Désireuse de ne pas réitérer les mêmes erreurs commises dans le cadre de sa proposition de 2011 concernant la « procédure exceptionnelle », la Commission européenne a suggéré d’emblée la mise en place d’une gouvernance politique. Autrement dit, cette « procédure en cas de menace grave supérieure à un an » est pilotée par le Conseil de l’UE. Juridiquement, le Conseil émet une recommandation, c’est-à-dire un texte non contraignant, mais cette appellation est quelque peu trompeuse : s’il n’est pas question d’obliger l’Etat membre concerné à prolonger ses contrôles, cette recommandation serait une condition nécessaire pour qu’il puisse les maintenir s’il le souhaite : c’est donc de facto un pouvoir d’autorisation qui serait donné au Conseil. Cette autorisation qui ne dit pas son nom est par conséquent, un point de crispation pour certains Etats membres qui l’appréhendent comme une atteinte à leur souveraineté.
Figure 4
La multiplication des procédures institutionnelles établies au gré de ces deux crises migratoires (« procédure temporaire », « procédure exceptionnelle », « procédure en cas de menace grave supérieure à un an », sans oublier la procédure de vulnérabilité des frontières et la procédure d’intervention d’office du Corps européen de garde-frontières prévues par le règlement éponyme de 2016 etc.) est destinée à faire en sorte que la situation de mésentente politique et de paralysie institutionnelle connues lors de la crise de 2015 ne soit pas revécue. L’un des facteurs de la mauvaise gestion de cette crise avait trait à une bureaucratie lourde issue de la réforme de 2011. L’avenir dira si, au moment où la pression migratoire se maintient aux frontières extérieures de l’UE (figure 4), ce mouvement correspondant à des procédures plus nombreuses et plus perfectionnées sera facteur d’une gestion plus efficace de la crise ou, à l’inverse, de nouvelle paralysie de la réaction de l’Union, ceci alors même que, lors de la crise migratoire aiguë de 2015, la volonté politique commune avait fait défaut au sein du Conseil de l’UE et que la Commission européenne avait répugné à faire usage des prérogatives dont elle dispose en matière d’infraction.
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Un entretien réalisé dans le cadre des conférences géopolitiques Diploweb.com / GEM, le 13 avril 2016.
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[4] http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/18/l-italie-les-immigres-et-l-union-europeenne_1509192_3232.html#miD0H1DrvYugq7gZ.99
[5] http://www.unhcr.org/fr/news/stories/2015/12/567a746ec/million-refugies-migrants-rejoint-leurope-2015.html
[6] http://www.institutdelors.eu/011-22436-Schengen-a-l-epreuve-enjeux-et-perspectives-politiques.html
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