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www.diploweb.com Géopolitique de l'Union européenne et des pays d'Europe centrale et orientale

"L'Europe des migrations",

par Catherine Withol de Wenden

 

Entre abandons de souveraineté et européanisation des politiques migratoires, les pays de l'Union européenne restent suspendu dans un entre-deux incohérent. Celui-ci fait le délice des mafias qui se jouent de la porosité des frontières … et des entreprises qui se procurent ainsi une main d'œuvre bon marché.

En bas de page, un tableau intitulé : Le nombre d'étrangers dans les pays d'Europe, à l'aube du XXI e siècle

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Agence pour le développement des relations interculturelles, éd. Documentation française, 2002, 88 pages

Voici un ouvrage à la fois clair et documenté. Politologue, Catherine Wihtol de Wenden est directrice de recherche au Centre d'études et de recherches internationales (CERI). Elle a déjà publié plusieurs études, notamment "Faut-il ouvrir les frontières ?", aux Presses de Science Po (1999) et "L'Europe des sans-papiers" dans les "Cahiers de l'IFRI" (été 2001). Elle fait ici la preuve d'un véritable talent pédagogique pour aborder en peu de pages un sujet complexe.

Après avoir été longtemps une terre d'émigration, notamment vers les Etats-Unis, l'Europe est devenue un continent d'immigration. Depuis les années 1990, les flux se dirigeant vers le sol européen sont supérieurs à ceux allant vers les Etats-Unis.

15 millions

Sur 370 millions de personnes vivant en Europe, près de 15 millions de ressortissants d'Etats tiers résident sur le territoire européen. Leur nombre a connu une croissance sensible au cours des années 1990, sans que le discours public sur les questions européennes n'aborde véritablement le sujet. Résultat, les opinions publiques nationales sont devenues sensibles à des propos simplistes. Ce qui par un effet boomerang s'est concrétisé au deuxième tour des présidentielles françaises de 2002 par un discours… anti-européen d'un candidat par ailleurs connu pour son opposition à l'immigration, Jean-Marie Le Pen.

Répartition, diversification

Les étrangers sont inégalement répartis dans les pays européens. L'Allemagne est, de loin, le premier pays d'immigration en Europe, avec 7,3 millions d'étrangers résidents au 31.12.1998, soit 8,9 % de sa population totale. Elle est suivie par la France (3,3 millions d'étrangers, soit 5,6 % des habitants), puis par le Royaume-Uni (2,2 millions d'étrangers, soit 3,8% de sa population totale.

Les deux dernières décennies laissent apparaître de nouvelles tendances, sous l'effet de la mondialisation. "On assiste à une diversification des nationalités et des types de migrations : émergence de pays de départ qui n'ont aucun lien antérieur avec les pays de destination, fin de la bilatéralité des flux inspirée du modèle colonial, variété des migrants aux origines sociales et aux projets très divers, regroupements familiaux (la majorité des entrées), migrations matrimoniales, demande d'asile, exode des cerveaux et des classes moyennes instruites, de femmes ou d'enfants isolés, de travailleurs qualifiés, de saisonniers, d'étudiants, de touristes, de clandestins, avec une multiplication des canaux empruntés." (p. 13) Il existe généralement un point commun : l'existence de réseaux, légaux ou clandestins.

Incohérences

Face à cette complexité croissante, les pays de l'Union européenne se complaisent dans une contradiction. "Alors que la cohérence du système repose désormais sur la nouvelle frontière statutaire entre Européens et non-Européens, chaque pays définit qui est européen et comment on le devient en fonction de son passé (colonial ou non), de sa tradition (droit du sol et droit du sang), et de ses relations de voisinage."(p. 19)

Entre abandons de souveraineté et européanisation des politiques migratoires, les pays européens restent suspendu dans un entre-deux incohérent. Celui-ci fait le délice des mafias qui se jouent de la porosité des frontières … et des entreprises qui se procurent ainsi une main d'œuvre souvent bon marché. En effet, il existe  une Europe "à la carte". "Le Royaume-Uni, l'Irlande du Nord et la République d'Irlande ne participent pas à la politique commune d'immigration et d'asile, bien qu'ils aient signé la Convention de Dublin sur l'examen des demandes d'asile. Quant au Danemark, membre de Schengen, il n'a pas souhaité être partie prenante des délibérations du Titre IV du traité d'Amsterdam sur l'immigration et l'asile, bien qu'il participe à la politique commune des visas. L'Islande et la Norvège, qui appartiennent à l'Union douanière nordique, et les pays candidats à l'Union européenne sont en revanche tenus d'adopter l'intégralité de "l'acquis Schengen" et de la coopération en matière de justice et d'affaire intérieures." (p. 30)

Vers une européanisation de la politique migratoire ?

Il est possible qu'on se dirige, néanmoins, vers une européanisation de la politique migratoire. L'auteur voit "un atout essentiel à cette évolution : celui de dépassionner un débat encombré par l'excessive politisation du problème quand la décision se fera tout entière à Bruxelles." (p. 32) Ce qui reviendrait à poursuivre une tradition de la construction communautaire : repasser à Bruxelles la "patate chaude", pour éviter de perdre son siège ou son portefeuille ministériel en abordant une question qui mérite pourtant un vrai débat. Et feindre ensuite de s'étonner que des pans entiers des opinions publiques développent une réaction allergique à l'Union européenne...

Pour l'heure, il existe encore une grande diversité des situations nationales en matière d'entrée et de séjour des ressortissants non-communautaires. Leurs politiques oscillent entre admissions sélectives, répression des entrées illégales et régularisation a posteriori.  (cf. pages 33 à 41)

Catherine Wihtol de Wenden présente également une intéressante étude de la diversité du droit de la nationalité. Elle étudie les cas allemand (p. 59) et britannique (p. 61). Ce qui pourra être utile aux enseignants qui abordent cette question en lycée dans le cadre de l'ECJS.

Et les pays candidats ?

Dans une dernière partie prospective, l'auteur note : "L'une des incertitudes des pays d'Europe de l'Ouest concerne la capacité de leurs voisins d'Europe centrale et orientale à maîtriser les flux migratoires le long de leurs nouvelles frontières extérieures. Car le développement des migrations de transit favorise celui de l'immigration irrégulière et du travail clandestin, en Russie et dans les Balkans notamment […]". (p. 69)

Par ailleurs, il est à noter que les dix pays d'Europe centrale et orientale candidats à l'Union européenne n'ont plus besoin de visa pour entrer dans l'espace Schengen.

Catherine Wihtol de Wenden fait la conclusion suivante : "Pour l'Europe, l'enjeu consiste à trouver un compromis entre la satisfaction des besoins de main d'œuvre, les perspectives démographiques et le respect des engagements internationaux. […] En attendant, des réseaux mafieux fleurissent, qui empruntent toutes les voies possibles, de la demande d'asile à la mise sous tutelle pas des immigrés plus anciens […]". (p. 77)

Comme nous l'a récemment confié le démographe Jean-Claude Chesnais "Il faut être franc : beaucoup de gens sont contents de l'arrivée de main d'œuvre bon marché destinée au textile ou à la domesticité. Cela rend service, donc on ferme les yeux sur la dimension criminelle de ce trafic. D'une certaine manière, les criminels rendent service au marché".  

Dans un document mis en ligne en janvier 2001 sur ce site, Jean-Claude Chesnais faisait déjà l'analyse suivante suivante :  " Jusqu’ici, la politique française de l’immigration reste à courte vue, minimaliste et passive. Les chiffres montrent, cependant, que nous serons probablement de plus en plus dépendants de l’immigration pour notre renouvellement. Alors, autant ouvrir les yeux. Ne pas engager le débat reviendrait à continuer de faire le lit des mouvements racistes.

Tous les pays qui vivent depuis longtemps avec l’immigration se donnent les moyens de maîtriser les flux. Il en va ainsi aux Etats-Unis, au Canada, en Australie... L’Union européenne n’ayant pas la moindre politique d’immigration, le Parlement français pourrait fixer par l’étude et le débat des règles et des contingents. Avec tous les acteurs concernés par l’immigration, il faut inventer une politique d’anticipation ".

Le débat est ouvert.

Pierre Verluise

NDLR: "Le Monde" a publié le 9.06.2002 un dossier: "L'immigration en Europe", pages 13 à 20. Au sujet des contradictions d'une UE "à la carte" en matière d'immigration, lire également l'article de Philippe Bernard, "Sangatte ou l'Europe désunie", in "Le Monde", 9.12.2002. A des fins comparatives, il peut être intéressant de consulter le n°114 de la "Chronique sociale et syndicale" (décembre 2002, 25 rue Poteau, 75018, Paris). Ce numéro présente le système de Taiwan en matière d'immigration.

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  Date de la mise en ligne: juin 2003

 

   

Le nombre d'étrangers dans les pays d'Europe, à l'aube du XXI e siècle

   

 

 

Classement des pays par nombre d'étrangers

Pays

Nbre d'étrangers

% de la population

Allemagne

7,3 millions

8,9 %

France

3,3 millions

5,6 %

Royaume-Uni

2,2 millions

3,8 %

Suisse

1,3 millions

19 %

Italie

1 million

2,1 %

Grèce

1 million

10 %

Belgique

892 000

8,7 %

Autriche

737 000

10 %

Pays-Bas

662 000

9,6 %

Suède

500 000

5,7 %

Danemark

256 000

4,9 %

Rép. tchèque

230 000

2,3 %

Portugal

178 000

1,7 %

Norvège

165 000

3,7 %

Luxembourg

160 000

30 %

Irlande

110 000

3 %

Finlande

85 000

1,6 %

Hongrie

77 400

-

Roumanie

55 000

-

Pologne

44 000

0,1%

Bulgarie

40 000

0,5 %

Source : "L'Europe des migrations", par Catherine Wihtol de Wenden, Agence pour le développement des relations interculturelles, éd. Documentation française, 2002. 

Ce tableau se trouve page 7, l'année de référence des statistiques n'est pas indiquée précisément. Le classement retenu est celui par nombre d'étrangers, comme ci-dessus.

   

 

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