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La nouvelle stratégie des Etats-Unis,

par François Géré, Directeur de l'Institut Diplomatie & Défense

 

L'équipe du Président G.W. Bush veut se libérer d'engagements internationaux jugés dépassés, redéfinir les relations avec les alliés, augmenter le budget de la Défense pour sécuriser le territoire national et mener la guerre contre le terrorisme. (Voir une carte de l'OTAN en 2004)

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Nous avons affaire à une administration républicaine arrivée au pouvoir fin 2000 avec de sérieuses difficultés pour faire reconnaître la victoire de G. W. Bush. En effet, le candidat démocrate A. Gore a failli l'emporter de très peu. La marge électorale de G. W. Bush était donc pour le moins étroite.

Selon les républicains, la défense des Etats-Unis a été affaiblie durant les huit années de l'administration du Président Bill Clinton (1992-2000). C'est pourquoi l'équipe du Président G. W. Bush se caractérise depuis le début par un projet très fort, censé donner un renouveau à la défense américaine.

L'équipe

Les proches du Président G. W. Bush peuvent être divisés en deux catégories : la vieille garde et les nouveaux. La vieille garde compte ceux qui ont appartenu à des administrations républicaines précédentes, notamment sous l'autorité de G. Bush (1989-1992), père du Président actuel. Cela peut même remonter plus loin dans le temps, puisque le Secrétaire d'Etat à la Défense, Donald Rumsfeld a été Ministre de la Défense du Président Gérald Ford (1974-1976). Ce qui nous ramène à près de trente ans en arrière…

Les nouveaux sont généralement plus jeunes, ce qui ne veut pas nécessairement dire plus modérés. Ainsi, l'assistant de Monsieur Rumsfeld, Paul Wolfowiz a des idées très arrêtées fondées sur un nationalisme très prononcé. On peut en dire autant de Madame Condoleeza Rice - conseiller du Président pour la sécurité nationale - et des personnes qui entourent le Président au Conseil National de Sécurité.

Pour les premiers comme pour les seconds, tout ce qui a été fait durant les deux mandats de Bill Clinton est à reprendre. C'est un discours assez classique pour des gens qui sont restés éloignés du pouvoir pendant huit ans. Une fois à la Maison Blanche, ils se sont rendu compte qu'il fallait modérer certaines positions, même si le discours public est demeuré très agressif.

Dans les cartons

Cependant, les lignes directrices persistent. L'équipe du Président G.W. Bush entend par exemple porter le budget de la Défense à un niveau très élevé. Contrairement à ce que l'on croit parfois, l'intention d'atteindre 400 milliards de dollars ne doit rien au 11 septembre 2001, elle était dans les cartons dès le début. Cette équipe entend doter le plus rapidement possible les Etats-Unis d'une défense anti-missile, quel que soit son degré d'efficacité.

Ce qui amène à mettre de côté les vieux traités de l'époque antérieure à la fin de l'Union soviétique (1991). En effet, la situation de Guerre froide (1947-1991) est aujourd'hui considérée comme totalement obsolète. On ne cesse de le marteler : " La Guerre froide est complètement terminée. Nos relations avec la Russie sont maintenant différentes, il faut en tirer les conséquences. Il n'y a plus lieu d'entrer dans des traités bilatéraux contraignants, pas davantage avec les Russes qu'avec qui que ce soit d'autre."

Une nouvelle page

Ceci introduit une autre composante, également importante de la politique de cette nouvelle administration. L'équipe de G.W. Bush ne considère pas que les engagements pris par ses prédécesseurs - notamment l'équipe Clinton - sont encore intéressants et valables. Pour eux, l'action des Etats-Unis doit s'exercer en fonction de leur seul intérêt national, stricto sensu.

Dans ce contexte, les Etats-Unis considèrent que les traités et engagements d'arms control - c'est à dire les traités sur les essais nucléaires et la limitation des armements stratégiques tels qu'ils étaient pratiqués depuis 1970 - sont devenus des vestiges d'un passé révolu. Il faut changer complètement de conception et de pratique diplomatiques.

Ne plus se lier

Ce qui les conduit à ne pas considérer l'Organisation des Nations Unies (O.N.U.) comme un instrument utile pour la préservation des intérêts de sécurité américains. Le rejet des Nations Unies a été un autre thème constant de la campagne électorale de G.W. Bush. Force est de constater qu'en 2002 les Etats-Unis refusent non seulement de ratifier les traités signés par la précédente administration mais n'entendent pas se lier par quelque nouveau traité que ce soit. Ils refusent de même toute espèce de coopération directe avec les Nations Unies. Comme le prouve l'exemple afghan en 2001. Le gouvernement américain a accepté une force des Nations Unies à Kaboul, mais il a refusé toute participation de troupes américaines dans cette force sous commandement de l'O.N.U.. Cela semble très symptomatique.

Redéfinir le rôle des alliés

Il faut donc prendre conscience que les attentats du 11 septembre 2001 n'ont fait que renforcer ces tendances mais ne les ont pas créées. Les Etats-Unis sont maintenant convaincus qu'il faut mettre en place une sorte de répartition des rôles et des tâches. Ils prennent la tête de toutes les actions qui concernent leur sécurité nationale. Les alliés ne peuvent servir qu'autant qu'ils sont, d'abord, inconditionnellement d'accord, ensuite, capables d'apporter une contribution significative. Une contribution qui ne peut arriver qu'en deuxième ou troisième niveau. Les Etats-Unis ont donc été renforcés dans leur conviction de hiérarchiser leurs alliés ou partenaires, en fonction de leurs besoins propres et de la situation.

"Non, merci"

La guerre en Afghanistan a montré la conception américaine, lorsqu'il a été question de faire jouer l'article 5 du Traité de Washington pour l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (O.T.A.N.). Cet article pose la solidarité entre les pays membres, selon le principe "Un pour tous, tous pour un". S'il y en a un qui est attaqué, les autres se portent à son secours. Lorsque les Etats-Unis ont été attaqués le 11 septembre 2001 sur leur territoire, les membres de l'OTAN ont dit : "La clause de l'article 5 va s'appliquer". Et les Etats-Unis ont répondu "non, merci". L'expérience du Kosovo les avait conduit à rejeter l'association avec l'Alliance dans son ensemble. Dès lors qu'ils agissaient au nom de leurs propres intérêts vitaux, ils ont voulu choisir leurs alliés, un par un.

En fait, les alliés et l'OTAN ne pourront jouer un rôle que pour autant qu'ils soient disposés à suivre la stratégie américaine. Une des raisons fondamentales pour lesquelles les Etats-Unis ont répondu "non, merci" à l'application de l'article 5, c'est qu'ils gardent le souvenir de la campagne de mai-juin 1999 au Kosovo.

Tirer une leçon de l'expérience

L'expérience de 1999 a été désastreuse sur le plan de l'efficacité militaire. En effet, au moment des bombardements aériens, tous les objectifs faisaient l'objet d'une discussion entre les alliés de l'OTAN. Les Français disaient: "il ne faut pas frapper les ponts sur le Danube"; les Grecs: "il ne faut pas frapper telle autre zone"… Tout le monde y allait de sa considération politique, certes légitime mais au bout du compte la stratégie américaine - fondée sur le plus grand nombre de cibles possibles - se retrouvait avec un nombre dérisoire de cibles. Compte tenu des blocages des alliés, l'aviation revenait frapper plusieurs fois les mêmes objectifs, faute d'autre chose.

Voici pourquoi, en 2001, les Etats-Unis n'ont vu qu'une entrave dans l'OTAN. D'autre part, les Américains ont beaucoup utilisé en Afghanistan des forces spéciales, reposant sur le renseignement par des moyens spatiaux largement secrets dont ils sont les seuls maîtres. Ils n'ont évident pas envie de les partager avec quiconque, même avec les alliés les plus proches. De même que les missions et objectifs du bombardier furtif B2 ont été exclusivement sous contrôle américain, lors de la précédente guerre du Kosovo. Il y a donc eu à cette époque une guerre américaine à l'intérieur de la guerre du Kosovo menée par l'OTAN. En Afghanistan, il y a eu une guerre totalement américaine, avec de petites participations britanniques et françaises. Une fois que l'essentiel a été considéré comme acquis, on a fait venir des Turcs, des Danois, des Canadiens…Le paradoxe étant qu'au premier trimestre 2002 la situation militaire sur le terrain s'est révélée plus difficile que prévue. Les troupes au sol ont alors rencontré des forces qui mettent en œuvre une stratégie traditionnelle de guérilla qui pose difficulté.

La guerre contre le terrorisme

Au delà, le 11 septembre 2001 amène les Etats-Unis à s'engager dans "la guerre contre le terrorisme", à trois niveaux. Premièrement, la guerre en Afghanistan. Deuxièmement, des activités de lutte anti-terroriste classiques. Troisièmement, l'intervention contre des Etats suspectés d'être des soutiens de réseaux terroristes ou bien parce qu'ils fabriquent des armes de destruction massive. On désigne ainsi les armes chimiques, biologiques et nucléaires, ainsi que les missiles balistiques qui pourraient en être les vecteurs pour frapper à plus ou moins longue distance. Il s'agit d'une tendance stratégique très forte pour les prochaines années. Ces pays ont été désignés : l'Irak, la Corée du Nord, l'Iran.

Ces pays sont considérés comme des complices potentiels du terrorisme international. D'où la posture stratégique des Etats-Unis contre un axe du mal. Cette présentation manichéenne a fait sourire en Europe, mais il y a là une volonté américaine de dire :"nous considérons qu'il existe dans le monde des Etats qui constituent une menace potentielle pour nos intérêts, voire pour nos alliés les plus proches. Il va falloir soit se débarrasser de leurs gouvernements, soit leur retirer leurs dents". Ce qui veut dire les mettre dans une situation où ils devront renoncer ou on éliminera les moyens dont ils disposent.

Une stratégie offensive

Contrairement à ce qu'on pense parfois en Europe, les Américains ne sont pas idiots. Ils savent parfaitement que l'Irak, la Corée du Nord et l'Iran ne sont pas unis. Il s'agit bien davantage d'adversaires que de complices. Il n'en demeure pas moins que pour Washington, à partir du moment où ils développent des capacités de nuisance élevée, ces trois Etats appartiennent à une même catégorie. Les Etats-Unis entendent brider ce monde hostile, voire le détruire.

Ce qui conduit les Etats-Unis à se placer délibérément dans une stratégie offensive. Contrairement à ce que faisait l'administration Clinton, on ne se contente plus de les montrer du doigt et de les sanctionner économiquement. L'idée est maintenant d'aller les chercher chez eux pour les mettre en demeure d'arrêter les activités incriminées. (Voir une carte : Les Etats-Unis et le monde en 2003)

Un calendrier militaire chargé...

D'où une posture militaire qui prend une dimension considérable. Si l'on envisage que l'agenda américain comporte en n°1 l'Irak, n°2 la Corée du Nord et peut-être en n°3 l'Iran, cela représente un calendrier militaire plutôt chargé… On ne sait pas où il nous conduirait.

Certes, il existe un aspect déclaratoire puissant dans tout cela, très inspiré de ce que l'administration républicaine de Ronald Reagan (1980-1989) avait voulu mettre en œuvre durant les années 1981-1983. Ce n'est pas un hasard si l'on retrouve parfois aujourd'hui les mêmes personnes dans l'entourage du Président G.W. Bush. On retrouve également la même conception, à la fois fondée sur une capacité militaire d'aller au devant de l'adversaire et le vieux thème de la protection du territoire des Etats-Unis, grâce à la fameuse défense anti-missile.

François Géré

Propos recueillis par Pierre Verluise

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  Date de la mise en ligne: mai 2002

 

 

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