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de l'Asie et de l'Afghanistan Les aléas de la production d'opium et des pouvoirs en place en Afghanistan, des taliban au gouvernement intérimaire... par Pierre-Arnaud Chouvy, géographe, CNRS - PRODIG |
Les récoltes à venir permettront de juger, dans une certaine mesure, du contrôle politico-territorial de Hamid Karzaï sur son pays, et du succès de lintervention et des aides occidentales. Consulter une carte de l'Afghanistan |
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un pays au relief tourmenté et aux rudes conditions
climatiques, aggravées depuis quelques années par une
longue sécheresse, la production commerciale de pavot à
opium est, pour de nombreux paysans de toute une frange
est de lAfghanistan, un des
seuls moyens de subsistance disponibles. Les superficies
irriguées ont en effet diminué de moitié depuis 1978,
lorsque le pays était en passe datteindre à une
autosuffisance alimentaire. Les surfaces arables, elles,
ont décliné de 37 % entre le début et la fin des
années 1990. Les fabuleux vergers dAfghanistan par
exemple, dont les vignes de la plaine de Shomali, ont
beaucoup souffert dun manque deau prolongé,
imputable tant aux actions de guerre récurrentes qui ont
détruit les canaux dirrigation et déplacé
certaines populations, quaux sécheresses
répétées qui ont frappé le pays. Entre 2001 et 2002, une forte croissance de la production d'opium Certes, parmi les cultures vivrières, celle du blé est lune des moins exigeantes en eau. Mais, depuis la chute des taliban en décembre 2001, la Food and Agricultural Organization (FAO) estime que, dans un pays où la disette est persistante et où la famine menace en permanence, les superficies cultivées en blé ont diminué de 10 % au profit de celles sur lesquelles fleurissent les pavots à opium. En 2002, lAfghanistan a vraisemblablement produit quelque 3,6 millions de tonnes de blé, soit 82 % de plus quen 2001 mais 4 % de moins quen 2000. La récolte dopium, quant à elle, a encore une fois littéralement explosé, augmentant de 1 400 % entre 2001 et 2002. Evolutions récentes des prix de lopium afghan Lédit du 27 juillet 2000 du mollah Omar (chef suprême des taliban et commandeur des croyant) décrétant que la culture du pavot à opium était désormais proscrite en Afghanistan, avait permis que la récolte de 2001 (185 tonnes) soit très faible au regard de celle de 1999 (4 600 tonnes) lorsque, certes, un record mondial avait été battu mais aussi comparativement à celle de 2000 (3 300 tonnes). Le prix à la ferme de lopium afghan avant la proclamation de lédit était en moyenne de 30 USD (dollar U.S.) par kilogramme dopium frais. En mars 2001, donc pendant la saison dachat de lopium tout juste récolté en Afghanistan, les prix moyens à la ferme étaient soudainement montés jusquà 700 USD, reflétant bien la pénurie que connaissait alors le marché. Puis, les attaques terroristes perpétrées aux Etats-Unis le 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone, faisant redouter, à juste titre, des représailles états-uniennes contre lorganisation Al-Qaeda dOsama bin Laden et le régime taliban en Afghanistan, ont quant à elles provoqué une vente accélérée des quelque 2 900 tonnes de stock que les Nations unies estimaient alors être entreposées dans le nord du pays. Jusquà 500 USD par kilogramme Le kilogramme dopium afghan se négociait en effet entre 95 et 120 USD juste après le 11 septembre 2001, soit bien en deçà de la hausse des prix provoquée par la prohibition imposée par les taliban. Toutefois, avant que lintervention militaire états-unienne ne se matérialise en Afghanistan, le 7 octobre 2001, les prix de lopium étaient remontés rapidement, jusquà 500 USD par kilogramme. Dans le contexte de lopération Liberté immuable et des frappes aériennes, les cours de lopium, particulièrement sensibles aux contingences, avaient ensuite perdu quelque 40 % au prix à la ferme. En 2002, et malgré une hausse renouvelée de la production dopium en Afghanistan qui a permis une récolte estimée à 3 400 tonnes, les prix sont remontés jusquà 600 USD par kilogramme, ce que les Nations unies, qui estiment les productions et relèvent leurs prix de vente, ne semblent pas pouvoir expliquer. La production dopium en Afghanistan, au gré des évolutions politico-territoriales Sur la scène géopolitique des drogues illicites en Afghanistan, outre le rôle que les taliban ont joué dans la production dopium, cest-à-dire le fait quils taxaient, conformément aux principes islamiques de la zakat et de lusher, les récoltes et le commerce de lopium, et quils ne faisaient que profiter, dans le contexte dune économie de guerre, dun système économique de production antérieur à leur arrivée sur la scène afghane, il faut aussi mentionner la place quy a tenue le Front uni (ou Alliance du Nord) du défunt commandant Ahmed Shah Massoud (mortellement blessé lors de lattentat qui la visé le 7 septembre 2001 dans son fief de la vallée du Panjsher). En effet, selon le Programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues (Pnucid), ce sont quelque 150 tonnes dopium qui ont pu être récoltées en 2001 dans les régions contrôlées par le Front uni, dont les terrains quil contrôlait, étant proches du Tadjikistan, permettaient notamment dassurer lexportation des opiacés vers lAsie centrale et la Russie. Dans les régions tenues par le Front uni, dans le Badakhshan notamment, les surfaces semées en pavot auraient été multipliées par 2,5 entre 2000 et 2001, donnant la récolte que l'on sait en 2001. Cette même année, ce ne sont que 35 tonnes d'opium que l'on estime avoir été récoltées dans les zones tenues par les taliban, et ce malgré la proclamation et la mise en oeuvre de l'édit du mollah Omar qui a provoqué une réduction spectaculaire d'une production qui, en 2000, s'établissait à 3 300 tonnes. A la multiplication par 2,5 des superficies cultivées en pavot dans le Badakhshan correspondait une diminution par 10 de celles qui étaient sous contrôle des taliban. Avant et après le 11 septembre 2001 Mais cette volonté de réduire drastiquement la production dopium dont les taliban avaient pu faire preuve en 2000 ne semblait plus être de mise en 2001, puisque dès début septembre 2001 et avant les attentats commis aux Etats-Unis le 11 du même mois, les taliban auraient de nouveau autorisé les paysans afghans à semer le pavot à opium, ou du moins ne le leur aurait pas interdit, en leur laissant un mois pour se procurer les semences nécessaires, avant que les champs puissent être plantés début octobre. Le 13 novembre 2001, Kaboul se réveillait sous le contrôle des troupes du Front uni, les taliban ayant fui la capitale. Ceux-ci tiendront encore la ville de Kandahar, dans le sud du pays, jusquà ce que leur reddition soit négociée avec les Etats-Unis, le 6 décembre 2001, cest-à-dire au lendemain de la signature des accords de Bonn (Allemagne) décidant de la création dun gouvernement afghan intérimaire dirigé par le royaliste Hamid Karzaï, un Pachtoun popalzaï. Le gouvernement intérimaire Le 17 janvier 2002, le gouvernement intérimaire de ce dernier déclarait que la culture du pavot, la vente et la consommation de lopium étaient interdits sur le sol afghan, alors que les pavots semés lors de la fin de lautomne 2001 étaient justement en passe de fleurir et étaient alors estimés par le Pnucid pouvoir donner une récolte comprise entre 1 900 et 2 700 tonnes dopium. Le 3 avril 2002, face au fort mécontentement des paysans afghans qui empruntent dimportantes sommes ou bénéficient davances sur récoltes afin de pouvoir se nourrir en attendant la récolte et le produit de sa vente, mais aussi obtenir les semailles nécessaires à la culture du pavot à opium, le gouvernement intérimaire a décrété un programme déradication du pavot à opium prévoyant lallocation dune aide de 250 USD par jirib de pavot planté et éradiqué, cest-à-dire 1 250 USD par hectare. Les cultivateurs de pavot, quant à eux, déclaraient pouvoir obtenir entre 1 700 USD et 3 500 USD par jirib sils récoltaient lopium que leurs champs avaient produit et quils le vendaient au prix du marché. Le contentieux entre le gouvernement et les paysans provoqua quelques troubles, et même des affrontements armés, comme celui qui fit au moins 8 morts et 35 blessés dans le district de Kajaki de la province du Helmand, en avril 2002. Réduction de la superficie plantée Toutefois, malgré ces incidents et dautres imprévus, comme la destruction par des mines de quelques tracteurs employés à léradication dans les champs de la province du Helmand, le Pnucid estima alors quenviron 16 500 hectares de pavots, soit un tiers de la surface totale plantée en 2001-2002, avaient été détruits dans le cadre du programme déradication engagé par le gouvernement intérimaire (principalement dans les provinces de Helmand, dOrouzgan, du Nangrahar, et de Kunar). Le gouvernement afghan, quant à lui, estimait que léradication avait touché plus dun tiers des surfaces cultivées, même si de nombreux observateurs avançaient que, pour plusieurs raisons, seuls 10 % de la superficie plantée en pavot avaient réellement été éradiqués. En effet, dans de nombreux cas, les compensations financières nont pas été versées aux paysans par les commandants et gouverneurs locaux. Dans dautres, lorsque les sommes ont été perçues, les paysans ont pu les toucher après avoir seulement partiellement éradiqué leurs productions dopium. Les résultats " officiels " ont également pu être falsifiés afin de bénéficier des compensations et des revenus de la vente de lopium. Toujours selon les estimations et les prévisions du Pnucid, cest environ 1,2 milliard de USD que les paysans afghans engagés dans léconomie du pavot à opium auraient été censés pouvoir percevoir lors de la vente de la récolte 2002 au prix à la ferme. Une production toujours importante Enfin, en octobre 2002 le Pnucid rendait officiellement publiques ses estimations définitives quand à la production afghane dopium pour cette même année. Loin des 2 500 tonnes attendues par la plupart des observateurs, dont le Pnucid, ce sont en fait 3 400 tonnes qui auraient été produites en Afghanistan, selon les déclarations de Antonio-Maria Costa, directeur général du Bureau des Nations unies des drogues et du crime (ODC, dont dépend le Pnucid). Certes, ainsi que le souligne A.M. Costa, la récolte de 2002 est inférieure à celle de 1999, effectuée sous le régime taliban, et le gouvernement intérimaire de Hamid Karzaï ne saurait en être tenu pour responsable dès lors que les semailles ont été conduites avant la prise de fonction de ce dernier mais dans le contexte de la chute des taliban. Toutefois, et même si, certes, les rendements à lhectare sont subitement passés de 24 kg/ha à 46 kg/ha (en partie en raison dun recours accru aux terres irriguées du pays par les cultivateurs de pavot) ces 3 400 tonnes sont de loin supérieures aux 185 tonnes de 2001 lorsque la dernière récolte a été faite sous le régime taliban. En 2003, lAfghanistan restera à nen pas douter le premier producteur mondial Les 3 400 tonnes de 2002 équivalent aux 3 300 tonnes de 2000, lorsque les taliban avaient dirigé une première fois une diminution de la production par rapport aux 4 600 tonnes de 1999. Il va donc désormais sagir de voir si, dans lAfghanistan du gouvernement intérimaire de Hamid Karzaï, les récoltes à venir pourront être aussi faibles que celle que les taliban avaient pu obtenir en 2001, avec 185 tonnes, dont seulement 35 produites dans les zones effectivement sous leur contrôle Les estimations préliminaires réalisées par les Nations unies pour la récolte 2003 montrent que si des efforts certains ont été entrepris pour éradiquer une partie des cultures dans les grandes régions de production (Helmand, Kandahar, Orouzgan, Nangrahar, mais pas dans le Badakhshan ), le pavot à opium a aussi été planté pour la première fois dans certains districts. En 2003, lAfghanistan restera à nen pas douter le premier producteur mondial dopium (devant la Birmanie, dont la production, avec 800 tonnes en 2002, a baissé). Cest, dans une certaine mesure, du contrôle politico-territorial de Hamid Karzaï sur son pays, et du succès de lintervention et des aides occidentales, que les récoltes à venir permettront de juger. Il convient toutefois de garder à lesprit que, dans le contexte actuel dinsécurité et de déficit de moyens déployés pour la reconstruction et le développement du pays, une diminution trop rapide de la production dopium nest pas souhaitable pour les paysans afghans qui sont investis dans cette activité économique et en dépendent largement pour leur survie. Cest un programme de développement alternatif et intégré qui doit être mis en place dans les zones de production dopium comme dans le reste du pays, de façon progressive et dans le contexte politico-territorial stable dune paix durable, si lon veut y réduire durablement le recours à léconomie des drogues illicites. Pierre-Arnaud Chouvy, CNRS PRODIG, éditeur du site www.geopium.org Ecrire à l'auteur pachouvy@geopium.org Copyright 15 avril 2003-chouvy/www.diploweb.com L'adresse url de cette page est http://www.diploweb.com/asie/chouvy.htm |
Date de la mise en ligne: mai 2003 | ||
Biographie de Pierre-Arnaud Chouvy, géographe, chargé de recherches au CNRS | ||||
Pierre-Arnaud
Chouvy (pachouvy@geopium.org) est
géographe, chargé de recherches au CNRS (UMR 8586 PRODIG). Il est membre de lObservatoire géopolitique de la criminalité internationale (OGCI), de lAssociation détude géopolitique des drogues (AEGD) et contribue à la revue Janes Intelligence Review. Ses recherches portent sur les territoires en crise d'Asie et les activités illicites qui y ont cours, notamment celles relatives aux trafics de drogues illicites (Afghanistan, Iran, Pakistan, Asie centrale, Inde, Birmanie, Laos, Thaïlande, Chine) sur lesquels sa thèse de doctorat de géographie a porté. Deux ouvrages et un site Pierre-Arnaud Chouvy est lauteur de deux ouvrages : . Les territoires de lopium. Conflits et trafics du Triangle d'Or et du Croissant dOr, aux éditions Olizane (Genève, 2002) ; . Yaa Baa Production, trafic et consommation de méthamphétamine en Asie du Sud-Est continentale, en collaboration avec Joël Meissonnier, aux éditions LHarmattan - IRASEC (Paris - Bangkok, 2002). Il produit le site Geopium, Géographie et Opium : http://www.geopium.org, où certaines de ses publications peuvent être consultées. |
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