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"L'Europe et la globalisation", par Matthieu
Périchaud CHAPITRE 2 : Continuité et rupture de la pensée sur l'Europe Partie B : Le rôle clé des idéologies dans la pensée sur l'Europe |
Introduction - 1. Politique, médias et société - 3. Europe et globalisme - 4. La communication sur l'Europe - Conclusion et bibliographie |
Les
notes de cette page sont à la fin du chapitre 2. Mots clés - keywords : matthieu périchaud, europe, globalisation, mondialisation, idéologie, histoire, théorie, politique, fascisme, communisme, socialisme, marxisme, libéralisme, nationalisme, individu, collectivité, capitalisme, rationalisme, anthropocentrisme, lumières, paix, science, progrès, progressisme, matérialisme, révolution, religion, totalitarisme, extrémisme, convergence, nation, état, état-nation, souveraineté. |
<Partie précédente Lévolution de la pensée sur lEurope, de même que sa concrétisation par un début dunification du continent, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, résultent selon nous des divergences, mais également des convergences entre libéralisme, socialisme et nationalisme. Cest pourquoi un aperçu comparatif de ces idéologies semble tout indiqué, avant de nous intéresser à la construction européenne proprement dite (8). 1/ Postulats et vocabulaire des idéologies On peut supposer que, dune manière générale, libéralisme et socialisme, par leur caractère transnational et internationaliste, mettront en exergue les points communs (consentis ou obligés) entre les peuples européens, tandis que le nationalisme affirmera davantage les particularismes, ou bien se servira plus des contradictions, voire des divergences des relations européennes, pour bâtir un sentiment dappartenance à un peuple précis, ce sentiment se faisant parfois en opposition et au détriment des autres populations du continent. Pourtant, chacune de ces idéologies influera sur les autres, tantôt en les rapprochant, parfois en les divisant encore plus. Idéologies, passion et raison Le nationalisme sassocie souvent aux deux autres courants de pensée, car il fonde beaucoup moins ses arguments sur une démarche rationnelle et scientifique. Tout comme le marxisme, il cherche parfois à se donner une assise scientifique qui peut lamener au crime (9). Le nationalisme est davantage dordre affectif et passionné que ne le sont en général les deux premiers (quoique le communisme, français autant que soviétique, nous a démontré quil pouvait amener ses adeptes à des débordements passionnels insoupçonnables, à lépoque des cultes de la personnalité de ses chefs ou de la "haine de classe"). Ainsi, nationalisme, socialisme et libéralisme se rejoignent parfois sur des bases théoriques où senracinent leurs raisons dêtre. Toutefois, si les deux premières idéologies (libéralisme et socialisme) résultent du développement de la pensée cartésienne, et affirment toutes deux luniversalisme, la liberté et la paix comme principes essentiels, elles nen diffèrent pas moins sur la place de lhomme dans la société. Lindividu, la collectivité et lidéologie Le libéralisme considère lindividu comme le destinataire et le principe même de lharmonie sociale, alors que le socialisme affirme que seule la collectivité permet la réalisation de lindividu, dont les aspirations et les intérêts doivent se fondre au profit de la totalité, quil sagisse dune classe sociale ou de la population toute entière. Par contre, la primauté de la collectivité sur lindividu est un précepte que le socialisme partage avec le nationalisme. Ils ont donc en commun de croire et de faire appel au " peuple " plutôt quà lindividu. Nationalisme et socialisme désirent aussi tous deux révolutionner le monde, changer la société, tandis que le libéralisme postule (en théorie) que le " laisser-faire " est le meilleur moyen dassurer un monde harmonieux, une société humaine épanouie. Dans ce contexte, on peut considérer que le nationalisme comme le socialisme ont souvent tendance à être beaucoup plus impérialistes que le libéralisme, du moins le vrai libéralisme Cependant, toute idéologie est impérialiste, dès lors quelle atteint le sommet du dogmatisme et de lintégrisme intellectuel, le nationalisme nen a donc pas lexclusivité. Aussi, affirmer que ses idées sont les meilleures, ou simplement le penser, peut conduire tout idéologue à vouloir non seulement les propager, mais encore plus, à les imposer. Idéologies, révolution et réaction Il est de coutume, en politique, dassocier le libéralisme à la droite, et le socialisme à la gauche, même si le modèle social-libéral qui prédomine en Occident depuis quelques décennies, nous montre chaque jour quon peut être très libéral à gauche, ou très social à droite On qualifie également de " conservateurs ", voire de " réactionnaires ", les individus affiliés à la droite (libéraux), alors que les individus classés à gauche (socialistes) sont qualifiés de " progressistes " ou de " révolutionnaires ". Quant au nationalisme, il pose un sérieux problème, notamment parce quil est trop souvent (volontairement ?) confondu avec le fascisme. Si lon considère que lidéologie nationaliste prône une rupture radicale avec lorganisation qui prévaut dans nos sociétés occidentales (libéralisme économique, individualisme, etc.), il nous paraît alors quelque peu déplacé de la considérer à " droite ". Elle est évidemment bien plus révolutionnaire que conservatrice. Le rejet de lorganisation "classique", "libérale", des Etats occidentaux nest-il pas également présent dans lidéologie socialiste ? Pour autant, il serait tout aussi déplacé de considérer le nationalisme comme une idéologie de " gauche ". Assurément, le nationalisme nous semble plutôt être une idéologie " hybride ", empruntant aux deux autres, se nourrissant du libéralisme et du socialisme. Notons encore que lon parle souvent, à propos du nationalisme, didéologie réactionnaire, et non pas révolutionnaire. Vocabulaire et réalité Dune manière générale, nous sommes en désaccord avec lusage qui est fait de tous ces termes. Ou plutôt, on pourrait affirmer quon " joue " un peu trop sur les mots. Leur appropriation par certains nous semble malhabile, malhonnête, et souvent, très " politiquement correcte ". Lutilisation inadaptée de ces vocables induit effectivement, au fur et à mesure, une modification de leur signification. Ne nous méprenons pas, il est assurément logique quune langue, parce quelle est vivante, évolue et senrichisse constamment. Toutefois, un tel processus ne devrait pas pour autant amener à ce que le nouveau sens attribué à un mot éclipse complètement sa définition originelle. Auquel cas, on peut aller très loin dans la manipulation et lédulcoration de la réalité Ainsi, au niveau politique, pourquoi donc le terme " progressiste " serait-il lapanage du socialisme, ou de la gauche ? Pourquoi les libéraux seraient-ils surtout conservateurs, le nationalisme forcément réactionnaire ? Pourquoi le progrès serait-il automatiquement synonyme damélioration, et le nationalisme synonyme de fascisme ? Il suffit douvrir un dictionnaire pour voir que la différence nest pas forcément de cet ordre. A chacun sa réalité ? En effet, la façon dont on définit un mot nest jamais innocente, ou plutôt, elle est toujours subjective. En fait, elle dépend surtout du contexte historique et politique. Ainsi, le terme " révolution " est désormais systématiquement associé à un mouvement vers lavant, tandis que le terme " réaction " représente le retour en arrière. Ils semblent donc diamétralement opposés. Pourtant, dans le Larousse, le terme " révolution " est ainsi défini (dans son acception politique) : " renversement dun régime politique qui amène de profondes transformations dans les institutions dune nation ". Nous voyons bien quil nest nulle part question dun changement qui se produirait nécessairement vers lavant, qui serait obligatoirement une " avancée ". De même, rien dans cette définition ne semble péjoratif ou mélioratif. A linverse, pour le mot " réaction ", la définition proposée induit cette fois un net a priori (essentiellement dû à la connotation actuelle du terme " progrès "). Ainsi, le Larousse associe ce terme à un " parti qui soppose au progrès et veut faire revivre le passé. " Cela nest nullement faux, mais est-ce totalement vrai ? Car cela sous-entend immédiatement que le progrès et le passé sont deux notions irrémédiablement inconciliables. Autrement dit, toute personne qui attache de limportance au passé, ou même qui regrette certaines évolutions par rapport au passé, serait par essence réfractaire au progrès. Cest là une interprétation qui nous paraît sans fondement valable. Et à la rigueur, la définition du mot " révolution ", telle quelle apparaît dans le Larousse, pourrait également concerner le vocable " réaction " ou " réactionnaire ", puisque rien ne nous renseigne, dans cette définition, sur la nature des transformations institutionnelles. Sont-elles orientées vers lavant, vers le passé ? Rien ne nous lindique. Réaction révolutionnaire ou révolution réactionnaire ? A titre dexemple, fort instructif au demeurant, rappelons que le programme de gouvernement de Pétain, lorsquil a pris le pouvoir et instauré le régime de Vichy, sappelait Révolution nationale. Car pour ces gens, il sagissait bien dune révolution, aucunement dun retour en arrière. Comme le souligne Yves Chalas, dans Vichy et limaginaire totalitaire :"Un deuxième paradoxe dans la composition gouvernementale permet de mieux lappréhender : lavènement de Vichy, qui passe pour un triomphe de la réaction, nexcluait pas la gauche de la direction du pays. [ ] La participation de la gauche au gouvernement de Vichy explique la présence curieuse de relents marxistes dans certains discours de Pétain, tel cet Appel aux travailleurs rédigé par Berl et Bergery où il est question de prolétariat et des causes de la lutte des classes [ ]. Lapparence saugrenue des faits totalitaires cache le fil logique dune volonté politique. Quest-ce quil y avait de si important et essentiel à promouvoir pour que vieux et jeunes, réactionnaires et progressistes sobligent à sentendre ? [ ] Les aspirations de lépoque dans son ensemble étaient celles dun dépassement généralisé des modèles sociaux issus de la prédominance du capitalisme libéral. Vichy a su dans un premier temps les cristalliser. En témoignent les leitmotive de son idéologie qui utilisent comme une incantation les termes " au-delà ", " aller au-delà " : " au-delà du marxisme ", repris à Henri de Man pourtant initialement inspiré par Marx, " au-delà du nationalisme ", qui revenait à Thierry Maulnier, " au-delà du capitalisme et du socialisme ", à Antonio Labriola, " au-delà de la démocratie " à Hubert Lagardelle. Selon Zeev Sternhell, de telles formules permettent de définir le fascisme comme une rupture avec lopposition droite-gauche traditionnelle en politique française. [ ] On pouvait devenir fasciste pour rester révolutionnaire. [ ] Doriot, le chef fasciste des Français qui venait du communisme, demeure une grande figure de la synthèse des contraires politiques qui contribue à fonder les totalitarismes et qui les rend si difficiles à comprendre de prime abord." (10) Ce que la réflexion de Yves Chalas confirme, cest quen réalité, lusage des mots étant souvent inapproprié mais proche de la réalité, ces derniers changent alors peu à peu de signification, comme nous lavancions précédemment. A chacun sa définition ? Ainsi, " révolution " est à ce point associé au " progrès ", et le " progrès " à la gauche, que les termes " révolution ", " révolutionnaire ", " progressiste ", etc., ne sont désormais utilisés que pour qualifier des mouvements de gauche, des mouvements " socialisants " ou " marxisants ". Il ny a pourtant aucun véritable rapport entre désir de progrès et préférence politique ou idéologique, car enfin, quel individu pourrait être contre le progrès ? Lorsque progresser signifie améliorer, bien sûr ? Ce raisonnement fallacieux tient essentiellement au fait que le progrès est connoté, depuis bien longtemps, de manière extrêmement positive (11). Pourtant, en nous référant à nouveau au Larousse, ce mot est défini comme tel : " mouvement en avant, augmentation, développement en bien ou en mal. " Il nest donc pas a priori positif, il est bien neutre. Un progrès peut ainsi être bénéfique comme maléfique. En réalité, cest donc lutilisation du terme " progrès " qui pose ici problème. La différence entre gauche et droite, entre socialisme et libéralisme, porte seulement sur ce que lon définit comme étant le progrès. Partant, il ny aucune raison valable pour attribuer lexclusivité du " progrès " à un parti plutôt quà un autre, à une idéologie plus quà une autre. De même, concernant fascisme et nationalisme : daprès le Larousse, le fascisme désigne le régime autoritaire établi en Italie de 1922 à 1945, fondé par Mussolini et, par extension, il désigne une dictature. Le fascisme peut ainsi être de droite comme de gauche Aussi, lhonnêteté historique et intellectuelle voudrait donc, soit que lon utilise le terme " fascisme " aussi bien pour le national-socialisme hitlérien que pour le régime socialiste stalinien par exemple, soit quon ne le garde que pour lItalie mussolinienne, comme à son origine. Pourtant, le qualificatif " fasciste " est constamment employé maladroitement pour désigner le nationalisme, et ce dernier est automatiquement attribué à la droite Ainsi, nous insistons sur le fait que nationalisme et socialisme sont tous deux fondamentalement insatisfaits de létat de la société, et quen théorie, ils désirent une rupture radicale, dans la manière dont celle-ci est organisée. Bien sûr, pour les nationalistes, il sagit de retrouver une mythique communauté nationale "parfaite" (doù une forte propension à la nostalgie), alors que les socialistes, eux, veulent créer une non moins mythique communauté idéale, mais cette fois-ci, universelle, internationale, cosmopolite, etc. (doù une foi et un espoir sans limite en lavenir). 2/ Idéologie et extrémisme politique Si nous mettons autant laccent sur linsatisfaction profonde de ces deux idéologies quant à létat de la société, cest parce que ce point commun explique grandement la similitude des discours nationaliste et socialiste, lorsquils sont exacerbés, extrêmes et extrémistes. Dans ce cas, ils sont effectivement tous les deux on ne peut plus " révolutionnaires " et impérialistes. Bien évidemment, nous ne parlons donc pas ici du socialisme de gouvernement, qui na assurément pas (plus) de rapport avec le nationalisme, en ce sens quil semble avoir abandonné lidée de révolution, du moins dune révolution violente et radicale. Nous pensons plutôt aux idéalistes qui souhaitent ardemment la destruction de la société capitaliste et de la " démocratie bourgeoise ", ceux que lon a lhabitude de rassembler sous le terme d" extrême-gauche ". Lextrême-gauche, lextrême-droite et le peuple Les sympathisants dextrême-gauche sont profondément choqués et révoltés par le caractère inégalitaire, injuste, et souvent cynique dun monde qui nhésite pas à sacrifier les uns pour le bonheur des autres, dun monde où les faibles, les "petits", ont un poids souvent inversement proportionnel à leur nombre. Cette souffrance, ce profond sentiment dinjustice qui, dune certaine manière sapparente à lempathie, est assurément tout à leur honneur. Mais, et ce nest ni déshonorant ni humiliant de le constater, ce profond sentiment dabandon du peuple, cette extrême révolte de voir que la gloire et la réussite des uns nourrissent léchec et la déchéance des autres, ces sentiments, les extrémistes de gauche les partagent avec les extrémistes de droite. Nous parlons ici surtout des sympathisants des deux extrêmes, pas des dirigeants des mouvements, car ces derniers ont le plus souvent des objectifs antagonistes. Ainsi, les extrémistes des deux "bords" se rejoignent-ils dans lidée que le système classique ne prend pas soin de lensemble de la collectivité, de la communauté humaine, et que, pour cette raison, il doit être renversé. La finalité est certes différente, la définition de ce quest une communauté humaine également, et ceux considérés comme les ennemis ou les "boucs émissaires" aussi. A lextrême-droite, on en voudra aux immigrés ou aux citoyens dorigine immigrée, mais comme à lextrême-gauche, on sen prendra également aux patrons, aux multinationales qui délocalisent et créent du chômage dans le pays, à largent qui passe les frontières sans contrôle, etc. Aussi, le sentiment général est fondamentalement le même, la réaction de rejet viscéral de la société existante est semblable. Notre affirmation ne cherche nullement à prétendre quextrême-gauche et extrême-droite sont interchangeables, ce serait une vision bien trop simpliste de la réalité. Nous pensons plutôt que les deux extrêmes de la sphère politique sont des témoins de léquilibre socio-économique de tout système : plus ils se développent, plus ils deviennent populaires, plus se révèle linadaptation du système aux attentes des citoyens. Extrêmes de la société ou société de lextrême ? Et cest là tout le problème et tout le danger du mode actuel de développement " à loccidentale ". Les citoyens y partagent de moins en moins de valeurs communes et universelles mais pourtant personnelles (respect de lautre, générosité, recherche du beau et du bien ), alors que leur sont de plus en plus proposées ou imposées des valeurs collectivistes (il faut réfléchir en groupe à lécole, travailler en équipe au bureau, samuser en " bande ", sortir avec sa " tribu ", etc.), mais aussi des valeurs individualistes (chacun pour soi, narcissisme, infantilisme, règne du paraître ). Les individus les plus sensibles à cette perte de sens et de valeurs, ceux qui ressentent le plus linhumanité profonde de la société moderne, mais qui nen perçoivent pas les multiples causes, et surtout, qui pensent ne rien pouvoir faire individuellement pour la changer, ces individus seront alors les plus attirés par les idées extrêmes et par ceux qui les promeuvent. Ces idées reposent, à lextrême-gauche comme à lextrême-droite, sur le refus et le rejet: les extrêmes sont effectivement très fortes pour critiquer et être contre, beaucoup moins pour proposer des alternatives réalistes et sensées Le refus de se contenter de la société telle quelle est, de même que le refus de ne pas agir pour la changer, sont des qualités fort louables, dont, heureusement, les extrêmes nont pas lexclusivité. Mais il sagit chez elles dun refus primaire, presque instinctif, dont on ne peut que tristement constater linstrumentalisation, à des fins de propagande et de manipulation. Ce qui sert grandement les mouvements et leurs leaders, mais pas forcément ceux quils prétendent représenter Responsabilité collective, irresponsabilité individuelle ? Etrange paradoxe que ces individus qui souffrent dune société collectiviste-individualiste (le " chacun pour soi mais tous pareil ") mais qui ne pensent pas pour autant que cest personnellement, à chaque instant de leur vie, quils peuvent faire évoluer la société, en refusant de céder aux diktats publicitaires par exemple, ou en faisant preuve de tolérance, de respect des autres et de leurs opinions, même si ces opinions sont à lopposé des leurs Non, ils attendent à nouveau que le groupe et la société leur apportent un bonheur bien encadré. Un bonheur sous tutelle, auquel ils sont de plus en plus en plus accoutumés, et rendus dépendants Pourquoi ? La réponse est sûrement à chercher dans la psychologie et la sociologie (lindividu aurait peur dêtre réellement libre, dêtre unique, parce quil serait dautant plus confronté à sa condition mortelle) ; dans lorganisation socio-politique et idéologique de nos sociétés, où lindividu est conditionné dès lenfance à ne pas se considérer dabord comme un être un et distinct, ou du moins, à ne pas assumer cet état de fait. Bien évidemment, laction en commun et la solidarité sont bénéfiques et nécessaires, et ce pour de multiples raisons, à commencer par la cohésion sociale. Mais à partir du moment où laction "collective" sert dexutoire aux problèmes ou enjeux personnels, aux intérêts catégoriels, et nencourage pas les individus à prendre personnellement la défense de leurs intérêts, elle est alors plus que contestable. Car ce que la "collectivité" peut et doit apporter à chacun, cest la possibilité de se réaliser pleinement, de prendre son destin en main, certainement pas conformer et déresponsabiliser lindividu. Aussi, on parle sans cesse de responsabilité collective, alors que, parallèlement, les citoyens sont de moins en moins invités à faire preuve de responsabilité individuelle Assurément, la déresponsabilisation de lindividu découle largement dune vision et dune organisation collectives de la société. Et cette vision conditionne surtout les discours nationaliste et socialiste, dans leur version exacerbée et impérialiste. Concernant la France, il est intéressant de constater que si lextrême-droite sest affaiblie ces derniers temps, cest au réveil de lextrême-gauche que lon assiste en contrepartie. La convergence des extrêmes Cest donc à partir de ce sentiment commun dinsatisfaction, de frustration et de rejet du système quil nous semble valable dappréhender lextrémisme, de gauche comme de droite. Même si on loublie trop souvent en politique, comparer ne se limite pas à recenser les différences. Comparer, cest également souligner les similitudes. Concernant lextrême-droite et lextrême-gauche, il est de coutume de les opposer systématiquement. Alors que de nombreux indices nous confirment constamment que leurs divergences nempêchent absolument pas lexistence de nombreux points communs. Par exemple, le désir de révolution pour changer le monde, la négation de lindividu au profit de la collectivité, le culte de la personnalité et du chef, lappel à linstinct et à la passion plutôt quà lintelligence et à la réflexion de fond, une organisation très pyramidale, presque militaire des mouvements, etc. Si lon constate quextrême-gauche comme extrême-droite évoluent sur le même "terrain" de la contestation, quelles sadressent essentiellement à la même partie de la population, il nest alors pas surprenant de les voir se vouer tant de haine Ces multiples convergences expliquent certainement pourquoi tant dintellectuels, duniversitaires, de politiques, dénient à lextrême-droite le qualificatif de révolutionnaire, et refusent régulièrement toute comparaison entre extrême droite et extrême-gauche. Pour la France, lanalyse du totalitarisme effectuée par Yves Chalas, dont nous avons cité un extrait précédemment, montre effectivement à quel point, la passerelle entre les extrêmes a pu être franchie par le passé, et ce dune façon parfois compréhensible mais pourtant inacceptable. Franchie, non seulement par les militants, mais également par certains dirigeants, tel Doriot. Le contexte sy prêtait fortement, ce qui nest pas vraiment le cas de nos jours. Toutefois, rien ne nous garantit contre de tels dangers à lavenir, a fortiori si les "déçus" et les exclus de ce que Jean-François Kahn appelle vertement le " le bolchevisme néolibéral " venaient à être de plus en plus nombreux Les leçons de lhistoire Mais ces passerelles extrémistes sont visibles dans tous les pays, sous des formes différentes. Encore actuellement, il suffit de constater quen Allemagne, certains dirigeants du parti néo-nazi NPD sont des transfuges dextrême-gauche. Ainsi de Horst Mahler, un des anciens activistes du mouvement terroriste Fraction armée rouge (organisation célèbre dans les années 70 pour une série dattentats), et de Michael Nier, ancien cadre du Parti du socialisme démocratique (PDS, ex-communiste). Un article du Monde diplomatique, consacré à lextrême-droite allemande, relève ainsi : "A la conférence de presse du NPD contre le projet dinterdiction du parti ( ) les affiches clament : " Le travail aux Allemands dabord " ; " Pour léconomie du peuple, contre la globalisation " ; " Du travail, au lieu des profits ". ( ) Dans sa nouvelle fonction de conseiller du NPD, il [Michael Nier] fournira les bases théoriques de la critique du capitalisme avec les slogans dantan. " Udo Voigt, le secrétaire général du parti, est un ancien général, et je suis un ancien communiste, affirme-t-il. Mais nous sommes daccord sur un point : les sociaux-démocrates tout comme les chrétiens-démocrates ont abandonné les petites gens. Le NPD est le seul parti qui les défende. ". Au NPD, lex-communiste a retrouvé lex-terroriste et théoricien de la Fraction armée rouge Horst Mahler, avocat, qui vient dadhérer pour protester contre le projet dinterdiction du parti. Citant Marx, Lénine et Gramsci, M. Mahler tonne contre la dictature de largent, la mondialisation et " les cartels dintérêts particuliers qui ont accaparé lEtat et trahi le peuple. Désormais, il ny a plus ni gauche ni droite. Ce qui compte cest le milieu, et le NPD est le parti du milieu ". En fait, les extrêmes se touchent." (12) Bien évidemment, certains penseront quil sagit là de lAllemagne, et que tout peut y arriver, mais quailleurs, cest impossible. Il serait, selon nous, bien présomptueux dadopter une telle attitude. Car rien ne peut prémunir une société contre lalliance des " petites gens ". Alliance contre ceux quils estiment (à tort ou à raison) être les responsables de leur malheur. Dans un tel cas, interdire un parti naura comme principal effet que de conforter les citoyens dans lidée que la démocratie est " pourrie ", ou quils ne sont pas dans une véritable démocratie. Lorsque lon en arrive à ce raisonnement, on na peut-être plus grand chose à attendre, ou plus grand chose à perdre Mais comme souvent, au lieu de sattaquer aux causes, aux racines du mal, on ne sintéresse quà ses conséquences. Il ne faut dès lors pas sétonner de voir resurgir les mêmes comportements, les mêmes discours, et parallèlement, répéter à lenvi que " décidément, les gens ne tiennent pas compte des leçons de lhistoire " ! Autre illustration de réponse des citoyens, lorsque les fondements dune société sont à ce point affaiblis : lItalie, avec la victoire, en mai 2001, de M. Berlusconi, désormais chef du gouvernement. Sans nul doute, cette élection représente la négation même dune démocratie en bonne santé. Nous ne croyons pas que les Italiens aient pu si facilement succomber à la propagande médiatique du " Cavaliere " sils ne considéraient pas, en leur for intérieur, que depuis longtemps déjà, leur classe politique nétait plus vraiment à leur service, et quils nont peut-être pas grand chose à en attendre. Qui est véritablement Silvio Berlusconi ? Un homme daffaires peu scrupuleux, un mégalomane de premier ordre, un manipulateur brillant. Mais qua-t-il symbolisé pour la population ? Le self made man, lhomme fort, lhomme rassembleur qui apparaît chaque fois que la société est déstabilisée, vide de sens et de valeurs, lhomme que les citoyens sont prêts à élire, parce quils veulent encore y croire ou quils ny croient plus du tout, cest selon. La comparaison entre Mussolini et le nouveau président du Conseil italien fait réfléchir. Mais la comparaison entre les affinités politiques de lun et de lautre nest pas non plus à négliger. Ainsi, comme le souligne Marianne, " Entre Mussolini et Berlusconi, les différences relèvent avant tout de la forme et de lépoque. Ils ont tant de points communs que leur énumération tourne à la caricature et semble procéder dune rhétorique antifasciste vieillotte et usée, trop souvent utilisée à mauvais escient. ( ) Ils ont commencé leur carrière politique à gauche, le premier par conviction, le second par opportunisme ( ). Tous deux se sont détournés de leur famille dorigine en utilisant les ressorts dune profonde crise politique et morale. ( ) Au fascisme, il [Berlusconi] a également emprunté la nostalgie du parti unique et le mépris de la démocratie, ce fastidieux fardeau de lhomme européen. Forza Italia a, à laube du XXI e siècle, réalisé le rêve de nombreux dictateurs : dépourvue de toute idéologie, lorganisation berlusconienne est totalement vouée à ladulation de son fondateur, les principes de léconomie de marché servant de seuls régulateurs. " (13) Les élections italiennes témoignent ainsi de la croissante dépolitisation des sociétés occidentales. Mais certainement pas dune disparition des idéologies. Ces dernières seraient plutôt en profonde mutation, libéralisme et socialisme convergeant comme jamais auparavant, pour peut-être à terme, donner naissance à une nouvelle idéologie, comme nous le postulerons en guise de conclusion. Partie suivante> Matthieu Périchaud Copyright 20 décembre 2001-Matthieu Périchaud/www.diploweb.com L'adresse URL de cette page est http://www.diploweb.com/globalisation/22.htm |
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