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www.diploweb.com Géopolitique "L'Europe et la globalisation", par Matthieu Périchaud

CONCLUSION et SOURCES DOCUMENTAIRES

Introduction - 1. Politique, médias et société - 2. Continuité et rupture de la pensée sur l'Europe - 3. Europe et globalisme - 4. La communication sur l'Europe
Notes en bas de page   <Partie précédente

Comme nous avons pu le constater au cours de notre étude, communication et politique sont deux éléments clés de la vie en société. Pendant longtemps, ils sont toutefois restés distincts et complémentaires. Mais aujourd’hui, leur pratique se confond à tel point qu’on peut véritablement parler de fusion, une fusion sûrement plus à l’avantage des médias qu’à celui des responsables politiques.

Toutefois, le politique est loin d’être absent dans la promotion des idées, et pour ce qui nous concerne, dans la promotion de l’unification européenne et de la globalisation. Les politiciens participent définitivement à la mise en place de projets socio-politiques qui trouvent leur source dans le terreau fertile des idéologies.

Mais finalement, n’est-ce pas ce que l’on attend a priori de la part des hommes politiques ? Pour les citoyens qui les ont élus, ces dirigeants se doivent en effet de leur fournir des visions et des projets pour l’avenir. Et comme nous espérons l’avoir démontré dans cet essai, ce sont d’abord les idées qui engendrent les actes, même dans nos sociétés dites " matérialistes ".

Quel pluralisme ?

Encore faut-il que les " projets de société " soient variés, pour permettre le débat, pour étayer la réflexion, et surtout, pour intéresser les citoyens à la chose publique. Ceci nous amène à souligner la confusion manifeste qui existe entre les notions de république et de démocratie. Si ces deux dernières sont souvent complémentaires, elles ne sont pourtant pas synonymes. La république n’implique pas forcément la démocratie, et inversement. L’amalgame entretenu entre ces deux termes tient essentiellement au fait que l’on confond leur valeur conceptuelle et leur expression pragmatique.

La république définit un Etat ou gouvernement légitime, où le pouvoir exécutif est le " ministre du souverain ", où le pouvoir et la puissance ne sont pas détenus par un seul, et dans lequel le chef de l’Etat n’est pas héréditaire. D’une manière plus conceptuelle, la république, si l’on s’en tient son origine étymologique (res publica, " chose publique " en latin) signifie surtout que le pouvoir légitime trouve son expression concrète dans la gestion des affaires publiques.

La démocratie, en tant que concept, doit être bien distinguée de sa concrétisation matérielle. Comme doctrine, la démocratie considère que la souveraineté appartient à l’ensemble des citoyens. C’est la définition même de ce que représente le terme dêmokratia en grec (dêmos " peuple " et kratia " puissance "). Mais en tant que forme d’organisation politique, la démocratie peut avoir de nombreux visages. Les démocraties populaires, comme la Chine, ont peu en commun avec les démocraties occidentales. Et pourtant toutes prétendent agir au nom, et dans l’intérêt du peuple.

Ainsi, une république n’est pas forcément démocratique, même si elle se nomme telle. Il nous suffit d’évoquer les anciennes "républiques démocratiques" des pays de l’Est de l’Europe pour en être convaincu. Dans ces régimes de "démocratie sans le peuple", comme l’écrivait Maurice Duverger, le peuple n’était pas réellement souverain puisqu’en son nom, le pouvoir était l’exclusivité de partis (uniques et inféodés) censés représenter l’ensemble des citoyens. Ceci prouve bien qu’il existe une grande différence entre les concepts et leur traduction concrète.

Quelle démocratie ?

Même dans nos sociétés occidentales, on peut s’interroger sur ce que signifie véritablement la démocratie. Si l’on s’en tient en effet à sa définition première, le peuple est le Souverain (d’une manière directe ou non). Or, on peut supposer que les citoyens relativisent quelque peu le rôle et la capacité de la politique à appréhender l’avenir et le devenir de nos sociétés. Le peu d’intérêt témoigné aux divers scrutins électoraux en est certainement la manifestation caricaturale.

L’on assiste effectivement à l’effacement progressif, non pas du politique (en tant que concept d’organisation de la société), qui existe toujours, mais de la politique : de plus en plus, les citoyens occidentaux se désintéressent de la politique, blasés autant par la nouvelle " langue de bois " et les querelles politiciennes que par l’inertie, pour ne pas dire la paralysie des élus. Comment s’en étonner, dès lors qu’en France, un représentant du pouvoir aussi éminent que le secrétaire de l’Elysée peut affirmer : " ils ont un organe plus développé que les autres [les députés], c’est le trouillomètre... Heureusement qu’ils n’ont aucun pouvoir. " (1) ?

Si la pratique classique de la démocratie tend à s’affaiblir, force est de constater que cela n’empêche nullement le pouvoir d’être exercé de façon républicaine, puisque les gouvernements assurent pareillement la gestion des affaires publiques. République et démocratie sont souvent complémentaires, elles ne sont nullement interchangeables.

Prendre acte

Pour cette raison, il nous faut considérer que la démocratie que nous connaissons encore actuellement, démocratie qui s’est élaborée autour de l’Etat et de la nation, est entrée dans une phase de désintégration progressive. Qu’on le déplore ou non, la forme actuelle de démocratie a vécu. Il s’agit maintenant d’en prendre acte, et non de croire qu’on peut la maintenir en la travestissant chaque jour un peu plus. Comme le souligne Jean-Marie Guéhenno, dans son ouvrage intitulé La fin de la démocratie : " la société des hommes est devenue trop vaste pour former un corps politique. Les citoyens y forment de moins en moins un ensemble capable d’exprimer une souveraineté collective ; ils sont seulement des sujets juridiques, titulaires de droits et soumis à des obligations, dans un espace abstrait aux frontières territoriales de plus en plus indécises. " (2)

C’est en fonction de ce constat que nous devons percevoir le conformisme politico-médiatique, et l’un de ses vecteurs principaux, le politiquement correct, comme la manifestation d’un phénomène bien plus général, la dépolitisation de l’espace public.

En conséquence, il nous semble que les hommes et les femmes politiques sont moins les bénéficiaires que les objets, parfois même les victimes de cette dépolitisation. Ces victimes sont toutefois relativement consentantes. Telles les samouraïs, on pourrait même avancer qu’elles sont peut-être, résolues à faire seppuku. Mais la comparaison entre ces guerriers japonais et les politiciens est certainement excessive… Responsables de leur situation ou pas, nombreux sont les exemples montrant à quel point les dirigeants politiques peuvent devenir les outils d’une mécanique qui leur échappe.

Tout aussi nombreux sont les exemples montrant combien la politique traditionnelle n’est assurément plus le canal privilégié d’expression des attentes des citoyens. La montée en puissance de la société civile, célébrée encore en 2001, lors du forum social mondial de Porto Alegre, en témoigne.

Gardons cependant à l’esprit que ce vaste mouvement, actuellement encore désorganisé à l’échelle mondiale, est peu à peu (re)pris en main par des leaders tout autant universalistes et globalistes que ne peuvent l’être les partisans du néolibéralisme, qu’ils accusent parallèlement de tous les maux. Ainsi, la convergence perdure quant au fond, la divergence s’observe surtout quant à la forme !

En effet, là encore, on peut arguer que face à un " globalisme libéral ", capitaliste, libre-échangiste, anti-étatiste…, s’organise maintenant un " globalisme social ", libéral-libertaire, collectiviste… Au moins peut-on espérer que ce contrepoids aura pour effet d’assouplir et d’humaniser un processus, dans tous les cas, probablement incontournable.

Quoi qu’il en soit, cette émergence de la société civile confirme, en quelque sorte, le rejet et l’expulsion de la politique traditionnelle.

Comme nous pouvons le vérifier après ce tour d’horizon succinct, la construction européenne, et plus généralement la globalisation, illustrent parfaitement l’emprise déterminante de la pensée d’un projet de société sur sa réalisation.

La réduction de l'intelligence du monde

Aussi, quand il n’y a plus qu’un seul projet défendu par les milieux dirigeants et les leaders d’opinion, c’est l’intelligence et la liberté de l’ensemble des citoyens qui en subissent la réduction.

C’est dans ce contexte que l’on entend parfois parler de dictature médiatique, de dictature de la pensée unique. Cette pensée est-elle réellement unique ? Peut-être vaudrait-il mieux parler de pensée correcte ou conforme, comme nous l’avons mentionné, car l’autre pensée existe, non conforme, entravée, censurée, mais présente quand même.

Mais dès lors qu’une pensée unique, conforme, s’arroge quasiment l’exclusivité de la communication mass-médiatique, c’est le pluralisme et la liberté d’expression que l’on remet en cause.

A cet égard, nous considérons que la pensée correcte, conforme, unique, quel que soit son nom, est une forme indéniable d’autoritarisme médiatique, une forme insidieuse et fallacieuse. Insidieuse, parce qu’elle progresse constamment, " dans un incessant bavardage qui crée l’illusion d’un grand nombre d’intervenants " (A. Viatteau), et que nous en subissons les effets à contretemps. Fallacieuse, parce qu’elle avance masquée derrière "l’écoute, le dialogue, etc." qui en offrent une version soft dans les médias.

La pensée unique n’a en effet jamais autant été en vogue : elle sert à tout définir, à tout qualifier collectivement, pour finalement ne plus représenter guère qu’une expression vide. L’expression usée et abusée d’un seul projet global, idéologique, socio-politique et économique.

Finalement, le problème n’est pas tant que la pensée soit unique, car on ne peut jamais enlever tout à fait à l’Homme sa liberté de pensée et de conscience. Mais l’on se trouve bien face à la possibilité que la réalité ne devienne elle-même unique. Cette réalité unique pourrait effectivement s’incarner dans la révolution actuelle que connaissent les techniques et moyens de communication.

Connexion ou/et réflexion ?

En effet, jamais la communication n’a autant été à ce point imbriquée dans les projets politiques. On pourrait presque arguer que la communication est devenue le moteur principal, non seulement de la politique, mais également du politique : la communication semble effectivement devenir l’élément organisateur de nos sociétés post-démocratiques. Ce constat nous intéresse particulièrement, dans la mesure où la maîtrise de l’information et de la désinformation seraient alors, plus que jamais auparavant, les clés du pouvoir. C’est dans ce contexte qu’il nous faut certainement interpréter la convoitise dont Internet et les autoroutes de l’ "information" sont l’objet.

Nous avons pu souligner la dépolitisation des sociétés occidentales, alors même que s’opère de plus en plus une convergence entre deux des principales idéologies politiques, le libéralisme et le socialisme. Si l’on mène ce processus à son terme, il est alors possible d’imaginer un futur où l’idéologie politique ne serait plus le fondement de la vie humaine en société, laissant la place à une nouvelle idéologie : la communication comme idéologie technicienne. L’instant de la connexion remplaçant le temps de la réflexion, l’interaction collective condamnant l’introspection individuelle. Idéologie de l’abolition du temps et de l’espace, d’une humanité sans passé, sans avenir, vivant dans un présent éternel, et dans un espace sans limite, sans frontière, réelle ou virtuelle.

Cette hypothèse, plus que vraisemblable, peut susciter de nombreuses interrogations quant à la place réservée à la personne humaine dans ce nouvel âge, que beaucoup appellent l’ère des réseaux, c’est-à-dire l’interconnexion permanente des individus, et l’intrusion de tous dans la vie de chacun…

La fin de l'histoire ?

Malgré toutes ces incertitudes sur l’avenir de la liberté, Dominique Wolton nous invite à garder un recul, une lucidité et un optimisme plus nécessaires que jamais :" Il faut se méfier de l’extraordinaire séduction de la technique. La vitesse des techniques ne peut pas grand chose contre la violence et la complexité de l’histoire. " (3).

L’histoire, revenons-y, n’est assurément pas proche de sa fin… Quant aux idéologies politiques, avant peut-être de céder leur place, elles restent actuellement bien vivantes et actives. Comme nous l’avons envisagé précédemment, il se pourrait même que leur dernière œuvre soit celle de leur propre mise à mort.

La convergence " socialo-libérale " qui s’opère au sein de la globalisation illustre parfaitement la volonté, sans cesse contrariée, d’assurer la paix et le bonheur de la collectivité humaine.

La place de l'homme-individu

Pourtant, le projet sur lequel s’entendent largement ces deux idéologies ne nous semble pas vraiment prometteur du " paradis sur Terre ". Car avant de s’intéresser au bonheur et à la paix de l’homme-humanité (la collectivité), il faudrait, selon nous, déjà assurer à l’homme-individu (la personne), épanouissement personnel et paix intérieure…

Ce qui nous semble toujours être l’unique enjeu — tant de la globalisation et de la construction européenne, que de toute vie en société plus simplement —, c’est effectivement la place de l’individu, le respect de la liberté et de la dignité de chacun.

Ainsi, dans ce projet global, n’est absolument pas remise en question la religion de la toute puissance du genre humain, mais paradoxalement, de l’insignifiance de la vie en général.

Cette religion est célébrée constamment par la Science, par l’illusion de la Croissance éternelle, et par le mythe du Progrès. Nous avons défini ce phénomène global par le néologisme " croiscience ".

Rappelons que le progrès est tout à la fois l’ami et l’ennemi de l’homme. Ami parce qu’il nous a ouvert des horizons bénéfiques, inimaginables il y a encore un siècle, peut-être moins. Ennemi parce qu’il nous a tout autant ouvert des voies dont nous pouvons actuellement affirmer que la sagesse, le bon sens et l’entendement sont absents. Chaque jour ou presque nous montre que les comités d’éthique ne sont malheureusement que d’une faible efficacité, comparés à la force d’attraction que représente l’idée d’un progrès illimité.

Dès lors, la convergence entre le socialisme et le libéralisme porte seulement sur le sens et la forme d’une Europe et d’une globalisation restant conditionnées, jusqu’à maintenant, par le matérialisme, le productivisme, et plus généralement, par la destruction.

Par destruction, nous entendons l’instrumentalisation, presque nécrophile, non seulement de l’homme, mais de toute forme de vie sur la planète, qu’elle soit animale ou végétale. Par destruction, nous entendons également la manipulation perverse et vénale de tous les domaines de la vie, du mental jusqu’au physique, de l’être jusqu’au paraître…

Pour conclure, nous devons logiquement reconnaître que notre analyse et nos propres critiques à l’égard de la construction européenne participent aussi de la communication pro-européenne et universaliste. En effet, prendre part au débat sur l’Europe, par l’enthousiasme ou par la critique, c’est assurément œuvrer au renforcement de l’idée d’Europe, et à sa concrétisation.

L'Europe, oui, mais pour quoi faire ?

Nous assumons totalement cet engagement pro-européen et cosmopolite. Car, répétons-le, on peut être contre la construction européenne actuelle, et contre le projet globaliste qui la conditionne, mais être pour une union de l’Europe et des Européens, pour une fraternité universelle.

Une Europe et un monde où l’éloge et le respect de la différence (culturelle, linguistique, architecturale, gastronomique, etc.) seraient une vraie philosophie, non de simples paroles masquant — imparfaitement — la disparition des identités et des cultures.

Une Europe et un monde où le rejet du collectivisme et l’affirmation de l’individu, de sa dignité et de sa liberté, seraient un programme. Une Europe où la tolérance l’emporterait sur le conformisme, où tout homme serait pleinement acteur de sa vie, et non un outil manipulé au nom de tous par quelques uns…

La question centrale n’est pas vraiment de savoir si les Européens doivent s’unir, encore moins de lutter contre la globalisation — dont l’Union européenne est la figure emblématique. La réelle question est bien plutôt, comme Bernanos l’affirmait à propos de la liberté (4), l’union, la globalisation, pour quoi faire ?

Matthieu Périchaud

Copyright 20 décembre 2001-Matthieu Périchaud/www.diploweb.com

Notes:

  1. Propos tenus par Dominique de Villepin, et rapportés dans l’enquête intitulée "Scènes de haine ordinaire à droite.", Le Monde, 25-26 avril 1999.
  2. GUEHENNO Jean-Marie. – La fin de la démocratie. –, Paris, Flammarion, 1993, p. 13
  3. Le Net ne crée pas de raccourci intellectuel, social ou culturel ", Libération, 9 avril 1999. Interview de Dominique Wolton, publiée à l’occasion de la parution de son ouvrage, - Internet et après ? –, Paris, Flammarion, 1999.
  4. BERNANOS Georges. - La Liberté pour quoi faire ? -, Paris, Gallimard, 1953.

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SOURCES DOCUMENTAIRES

Sources audiovisuelles

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Envoyé spécial, France 2, 19 avril 2001.

Sources électroniques

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  • - Brochures et dépliants Direction Générale de la Communication de l’Union européenne (DG X),

http ://europa.eu.int/comm/dg10/publications/brochures/_fr.html

  • - Formation et soutien des médias, http ://europa.eu.int/comm/dg10/mediaserv/training/_fr.html
  • - Action Jean Monnet, http ://europa.eu.int/comm/dg10/university/_fr.html
  • - Rude combat pour la préfète d’Eberswalde, Brigitte Pätzold, octobre 2000, http://www.monde-diplomatique.fr

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