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"L'Europe et la globalisation", par Matthieu
Périchaud CHAPITRE 4 : La communication sur l'Europe Partie C : Les médiateurs pro-européens |
Introduction - 1. Politique, médias et société - 2. Continuité et rupture de la pensée sur l'Europe - 3. Europe et globalisme - Conclusion et bibliographie |
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Comme la mis en évidence Paul Lazarsfeld (14), la persuasion seffectue "naturellement" par lintermédiaire dun processus quil a appelé le two-step flow process (processus en deux étapes). Dans nos sociétés médiatiques, le two-step flow process sexplique ainsi : dans un premier temps, les idées sont diffusées dans le corps social par lintermédiaire de personnes médiatiquement influentes, à savoir les intellectuels, les journalistes (15), les artistes, etc. Ces idées vont ensuite être reprises, à son propre compte, par une autre catégorie de leaders dopinion : les personnes influentes dans leurs milieux respectifs, que ce soient les milieux professionnel, familial, etc. Ces leaders dopinion "locaux" influencent alors leur entourage et le persuadent du bien-fondé des idées quils défendent. (Notons quon parle même de multi-step flow, dans la mesure où les niveaux dinfluence se sont multipliés.) Les deux niveaux dinfluence sont nécessaires à la "bonne communication", même sil est évident que ce sont en premier lieu les personnalités médiatiques qui insufflent le mouvement. Ceci nous intéresse tout particulièrement et nous renvoie à la troisième catégorie dagents de communication pro-européens que sont bon nombre dintellectuels, dartistes, de journalistes et autres figures politico-médiatiques. Les exemples illustrant le rôle joué par les médiateurs dans la diffusion de lidée européenne sont légion. Nous nous en tiendrons donc à ceux qui nous paraissent particulièrement révélateurs, à maints égards, du contexte idéologique et culturel qui préside à la dynamique intégratrice en Europe. Ils sont au nombre de trois. Le premier est dordre politique, mais concerne spécialement le domaine de la défense et de la sécurité de lEurope. Le deuxième relève du domaine économique, tandis que le dernier exemple est plus globalement politique. 1/ Lélargissement de lUnion et la convergence Est/Ouest Avant den arriver à lexemple lui-même, nous jugeons utile dexpliquer notre choix des Balkans, comme illustration de la communication pro-européenne, choix que nous retenons dans dautres sections de cet essai. Limportance du conflit kosovar, et linstabilité générale qui sévit dans les Balkans (en Macédoine en 2001) nous rappelle, sil en était besoin, à quel point cette région charnière du vieux continent reste un enjeu géostratégique pour lavenir de lEurope, et pour la convergence Est/Ouest. On peut ainsi arguer que le vaste mouvement de déstructuration des régimes et des sociétés de lEurope centrale sexplique dautant mieux quil savère indispensable au projet dintégration européenne à léchelle du continent tout entier, Russie incluse. Souhaitée ou non, soutenue ou pas, cette déstructuration est dactualité. Ceci nous invite à rappeler lidée de Hegel, reprise par Marx, selon laquelle la guerre est un facteur de progrès de lhumanité, parce quelle accélère le processus de lévolution sociale vers le bien-être de tous. Or ce que lon peut observer dans les Balkans représente une indéniable accélération de lévolution des sociétés dEurope centrale ... vers le bien-être de tous ? Nul ne peut laffirmer. Vers lintégration européenne ? On peut largement le penser. Car lélargissement de lUnion européenne ne peut maintenant se faire quà lEst. Rappelons-nous, à ce sujet, que M. Gorbatchev, alors maître du Kremlin, promut le concept dune Europe " Maison commune ", dans le cadre de la Perestroïka. Pourtant, si les Occidentaux ont, avec raison, perçu la Perestroïka comme une politique douverture, celle-ci fut dabord une volonté de réadaptation du socialisme soviétique, permettant une réhabilitation de la Russie (avec notamment une aide économique de plus en plus impressionnante), et une forme bien plus raffinée d" entrisme " idéologique et pragmatique ... La précipitation des événements en URSS et son auto-implosion le 8 décembre 1991 ne doivent pas faire oublier que M. Gorbatchev souhaitait avant tout réformer un système soviétique moribond, nullement rompre avec lidéologie socialiste-marxiste. Après ce détour loin dêtre inutile, venons-en maintenant à notre exemple. LEurope géographique et idéologique Dans une tribune parue dans lhebdomadaire Marianne, le journaliste Bernard Guetta, ancien correspondant du Monde à Moscou, estime que " le seul mérite de cette guerre [le conflit kosovar] est quelle fait prendre conscience à lEurope de la nécessité dune défense commune. Pour se libérer de la tutelle des Etats-Unis. Et sassocier à la Russie et à lEurope centrale. " (16) Ce point de vue témoigne assurément en faveur dune extension de lunification européenne, idéologique, et non seulement géographique. Pourtant, la Russie est encore proche de son passé communiste et de ses vieilles méthodes, comme on a pu le voir en Tchétchénie, dans laffaire du sous-marin Koursk, et encore plus récemment, dans la reprise en main de la chaîne de télévision indépendante NTV par un proche de Vladimir Poutine. Si lapparence et le ton ont changé, les méthodes restent fondamentalement les mêmes On ne perd pas aisément des aptitudes certaines à la manipulation et à la propagande, acquises et perfectionnées durant près dun siècle ! Le regard que ce journaliste porte sur le problème des Balkans, et ses répercussions sur lEurope en général, révèle sil en était besoin le caractère inachevé et politiquement flou de la construction européenne. Non seulement lauteur de cet article en prend acte, mais encore appelle-t-il de ses vux une extension de lintégration continentale, à plusieurs niveaux. Bernard Guetta pense bien sûr à la défense européenne, mais surtout, insiste sur la nécessité de convier Europe centrale et Russie à nous rejoindre dans lUnion. Cette volonté qua lauteur dassocier la Russie nous permet judicieusement de rappeler combien la promotion de lunification européenne peut se présenter sous divers aspects, en loccurrence ici sous une forme relativement anti-américaine. En effet, même si lauteur affirme que " les Américains sont nos alliés naturels ", il considère cependant que les Etats-Unis " veulent pouvoir décider seuls, bénéficier dune suprématie politique à la hauteur de leur prépondérance économique et veulent mettre lEurope au service de ce projet ". Ce propos nest pas tout à fait erroné, mais il souligne à quel point la réticence envers les Américains est particulièrement aiguë en France, notamment chez les prétendants et prétendus pourfendeurs de la pensée unique. Un tel constat nous paraît nécessiter une mise au point sur les motivations profondes de nombreux intellectuels et autres médiateurs. Les Etats-Unis, ennemis de lEurope ? Premièrement, cest un contresens destimer que la pensée unique et le politiquement correct, comme les instabilités sur la scène internationale, sexpliquent seulement par la logique néolibérale, dont les Etats-Unis seraient la figure emblématique (nous lavons montré précédemment, il sagit de bien plus que cela). Pourtant, on retrouve fréquemment cette idée dans les milieux dirigeants, mais aussi dans la population. Cela est fort dommageable car on (se) masque ainsi les réels enjeux de la globalisation. Pour exemple, nous citerons brièvement lintervention de Marie-Noëlle Lienemann, députée européenne socialiste, qui arguait, à propos du conflit kosovar (printemps 1999), que " Partout dans le monde, montée des nationalismes, revendications identitaires et pulsions communautaristes sont chez les laissés-pour-compte le corollaire politique de la mondialisation économique et financière. " (17) Cette analyse est peut-être un peu hâtive et partiale, a fortiori lorsque lon retrouve également dans ses propos, le rejet de lAmérique, évoqué précédemment (la première erreur des Européens serait, selon elle, serait davoir laissé " sinviter les Américains à Rambouillet ", au lieu de régler cela entre nous, et avec lONU...). LEurope écartelée Deuxièmement, constat consécutif au premier, il nous paraît plus que hasardeux de vouloir contrebalancer une incontestable influence américaine sur la construction de lEurope, en se "jetant" à corps perdu dans leuropéocentrisme, surtout lorsquon y inclut la Russie. Il nest pas dans notre intention de dénier à la Russie une certaine appartenance géographique et culturelle à lEurope. Mais il est regrettable dobserver quune part importante de la Nomenklatura française continue à voir dans la Russie un géant qui, par nature, serait lexact opposé des Etats-Unis, et dès lors, serait le meilleur moyen de protéger le vieux continent de la "volonté de puissance" américaine. 2/Une convergence idéologique de longue date On ne peut effectivement pas ignorer la volonté constante de rapprocher les systèmes occidental-libéral et socialiste-soviétique, convergence tant géographique quidéologique, afin dassurer lunion du globe entier, pour la paix et le bonheur de lhumanité. Ce projet, comme nous lavons montré auparavant, est en filiation directe avec la philosophie des Lumières, et lutopie du progrès perpétuel. Ce désir dunir lEst et lOuest du globe ne sest pas arrêté avec la disparition de lURSS. Les deux faces dun même projet Dans ce contexte, opposer Russie et Etats-Unis, Est et Ouest, nest quun mirage, volontaire ou non Cest aussi ignorer la " connivence " russo-américaine avec, pour lépoque soviétique, de nombreux lobbies et think-tanks, tels lAmerican Committee on East-West Accord ; de nombreux et puissants défenseurs de la convergence Est/Ouest, tels Robert Mc Namara (homme politique, ancien directeur de la Banque Mondiale) ou, dès la Révolution russe, Armand Hammer (longtemps PDG de lOccidental Petroleum, ami de Lénine, puis de Khrouchtchev et de Brejnev). Rappelons que les Occidentaux "capitalistes" nont pas été les derniers à soutenir la Révolution russe, puis le régime soviétique, notamment par de nombreux prêts et accords financiers ou industriels. Ainsi des Etats-Unis, jeune " patrie du business ", pour qui la destruction du féodalisme russe ce " colosse aux pieds dargile " si riche en pétrole, en matières premières, et où tout est à construire représentait un débouché inestimable pour lindustrie et le commerce américains. Soutien idéologique ou non, nombreux furent ceux pour qui la Révolution russe fut au moins loccasion de pouvoir faire des affaires de là à soutenir Lénine, il ny eut quun pas. Mais "jouer" la Russie contre lAmérique, cest aussi oublier la " connivence " russo-anglaise, notamment à travers la Fabian Society, dont un membre aussi éminent que lécrivain H. G. Wells pouvait écrire (18): "Il [Lénine] voulait que je lui parle encore de mes impressions de la Russie. Je lui ai dit quà mon avis, dans de nombreux domaines, et surtout à la Commune de Pétersbourg, le communisme voulait agir trop vite et trop brutalement, et quil détruisait avant dêtre prêt à rebâtir [ ] Ce dernier point nous a amené à notre divergence essentielle, celle qui sépare un collectiviste réformiste dun marxiste, à la question de savoir si une révolution sociale, dans sa rigueur extrême, est nécessaire ou non : faut-il renverser complètement un système économique avant que le nouveau puisse commencer à fonctionner ? Je crois pour ma part quune campagne éducative très vaste et très soutenue peut " civiliser " le système capitaliste actuel, et le transformer en un collectivisme mondial." (entretiens avec Lénine, à lautomne 1920) H. G. Wells pouvait également affirmer, après un entretien avec, cette fois-ci, Staline : "Je voulais lui dire que javais parlé à Franklin Roosevelt des nouvelles perspectives de coopération mondiale qui souvraient à lhumanité. Je voulais insister sur le fait que javais déjà souligné à la Maison Blanche, à savoir que, les peuples de langue anglaise et de langue russe, et ceux qui leur sont associés géographiquement dans la zone tempérée, constituent une masse prépondérante dêtres humains mûrs pour une compréhension mutuelle et une coopération commune dans la préparation dun état mondial organisé." (visite à Staline, en 1934) Ces réflexions de Wells révèlent à la fois la continuité de lhistoire et limportance des idées, idées qui inspirent ensuite les actes. Il faut, comme on le dit, " laisser le temps au temps ", mais peu à peu, les idées imprègnent les consciences, dès lors quelles trouvent à se répandre, particulièrement chez les "élites dirigeantes". Propagande juste et propagande injuste Comme Guy Durandin la clairement exposé (voir notre premier chapitre), de nombreuses voies sont possibles pour diffuser des idées : dune manière générale, léducation, comme Wells le préconise, ou la communication, sont les plus fréquentes. Ce sont deux formes de propagande classique, et pas nécessairement critiquables, lorsquelles ne cherchent pas à tromper, mais plus simplement à convaincre (propagande juste). Mais la propagande peut malheureusement aussi être trompeuse (propagande injuste), par la désinformation, la surinformation sélective, la manipulation, linfiltration et le " noyautage " des pouvoirs, quils soient politiques, médiatiques, etc. Cette technique reste un des procédés classiques des organisations extrémistes et/ou totalitaires : nazisme, stalinisme, etc., et encore aujourdhui, trotskisme, anarcho-syndicalisme, groupements néonazis, mouvements sectaires. La propagande injuste peut également user de laccusation mensongère, accusation qui décrédibilise ladversaire Par exemple, comme le rappelle Thierry Wolton, "Si jai bonne mémoire, cest Manouilski, lune des grandes figures du Komintern, qui disait " Accusez vos adversaires de fascisme, le temps quils se justifient, vous avez tout le loisir de leur porter de nouvelles attaques. "" (19) La France et limpérialisme russe Mais compter sur la Russie pour contrebalancer la suprématie américaine, cest également oublier la permanente volonté de la Russie de dominer la France, qualifiée de "Petite Russie". Lattirance et lintérêt de la Russie pour la France a toujours été plus ou moins réciproque. Tant à Paris quà Moscou, la Révolution russe est considérée, en quelque sorte, comme "fille" de la Révolution française, doù en France, une russophilie constante. Les dirigeants soviétiques ont toujours misé sur la russophilie française pour gagner lEurope à leurs idées et ils nont pour cela pas épargné leur peine (20). Cette russophilie a grandement favorisé la sympathie et lindulgence envers un régime occupé, au nom de la détente et de la paix (21), à étendre son influence, à corrompre ou à compromettre les dirigeants hauts placés par la ruse, la désinformation, lorgueil, largent ou lidéalisme. Aussi, à trop se focaliser sur les Etats-Unis et sur lidéologie libérale qui est définitivement le fondement de la nation américaine (22) , soit on néglige les autres idéologies (toujours vivantes et actives), soit on les cautionne... Or, peu semblent assumer ce lien de cause à effet. Luniversalisme à la française Cette tradition danti-américanisme, visible en France plus que partout ailleurs, tient certainement au fait que les Etats-Unis proposent un modèle de société qui entre en concurrence directe avec luniversalisme dont se veut porteuse la France au moins depuis la Révolution , a fortiori linfluence française sur lEurope. Une telle hypothèse semble corroborée par un article paru dans Le Siècle (supplément du Monde) : "Une deuxième conception de lEurope, rarement avouée, nest jamais totalement absente des esprits. Cest celle dont Napoléon fut lartisan temporaire : une Europe sous influence française. Les hommes de la Révolution libérateurs devenus oppresseurs avaient tenté dimposer leur modèle à lEurope entière. Cette ambition appartient aussi à la tradition gaulliste. Elle nest pas absente de la tradition " républicaine ", avec laquelle elle en vient à se confondre au nom de l" exception française " et du message universel dont la France serait porteuse." (23) Larticle de Bernard Guetta ne semble toutefois pas ouvertement être en faveur dune telle conception de lEurope. En revanche, la méfiance à légard des intentions américaines sur notre continent explique davantage lintérêt porté par lauteur à la Russie. La vision de lEurope présentée par Bernard Guetta et dautres médiateurs rappelle effectivement la tension, constamment entretenue en France comme ailleurs, entre libéralisme et socialisme. 3/ LEurope, terre des idéologies Historiquement, il est important de remarquer que ces deux idéologies, nées en Europe, se sont au départ imposées sur la planète partagée, à lOuest, pour le libéralisme, et à lEst, pour le socialisme. Cette observation nous permet de préciser, sil le faut encore, que la fin du système soviétique ne signifie absolument pas la mort et léchec du socialisme idéologique. Raymond Boudon corrobore ce constat, à laide dune comparaison pour le moins originale : "Il va sans dire que je ne crois en aucune façon à la thèse de la fin des idéologies ; car les idéologies sont leffet de mécanismes sociaux simples, banals, et comme aurait dit Durkheim, " normaux ". Comme les champignons, dans les sous-bois, les idéologies qui paraissent le plus définitivement enterrées sont toujours prêtes à réapparaître à la moindre averse (...). La principale différence entre les idéologies et les champignons est que les premières réapparaissent toujours sous des formes inédites. Pareto lavait clairement vu : une idée ancienne et discréditée doit, pour simposer à nouveau, subir dabord une métamorphose. Car il faut quelle puisse facilement être perçue comme une idée nouvelle." (24) Toujours cohérent avec lui-même, le socialisme sest simplement transformé (praxis dialectique oblige), ou plutôt, il est revenu à ses sources, après les errements, catastrophiques pour lhumanité, du stalinisme et plus généralement du communisme. Ce qui permet à Françoise Thom daffirmer, " On peut constater que lidée socialiste a été sauvée du naufrage du communisme. Bien mieux, leffondrement de lUnion soviétique et du Bloc de lEst a aidé les socialo-communistes parce quelle a fait disparaître un repoussoir qui les gênait. A gauche, on peut désormais revenir à lutopie au grand galop " et, à propos de la France et de lattitude plutôt clémente envers le communisme : " Une condamnation du communisme remonterait à une critique de ses fondements philosophiques, et notamment à une critique du socialisme. Cela entraînerait à un retour à des réalités qui seraient salutaires pour la France, mais pas pour tous (...) A droite, la non-condamnation du communisme sexpliquait surtout par la russophilie, qui a gagné les milieux gaullistes à la faveur de la Seconde Guerre mondiale. " (25) Cette sempiternelle russophilie du gaullisme, et plus largement des "élites" françaises, sexplique en partie par le rejet de limpérialisme américain, parce que, nous lavons souligné, il concurrence la dimension universelle des valeurs françaises (26). Ceci nous renvoie logiquement à la communication pro-européenne véhiculée par larticle de Bernard Guetta. Lanti-américanisme, quil soit primaire ou raffiné, nentre pas du tout en contradiction avec la promotion de lintégration européenne. Pas plus que lattitude magnanime ou illusoire envers la Russie. Ce qui conditionne surtout lengagement dune partie des intellectuels envers lunification européenne est la crainte de voir lEurope perdre son prestige ancestral. LEurope, la Russie et le Nouveau monde Cette crainte est fort ancienne : elle fait partie intégrante, au moins à partir des Lumières, de la pensée sur lEurope. Denis de Rougemont lillustre parfaitement, dans son anthologie de la " conscience européenne à travers les textes ", particulièrement lorsquil relate le contenu des relations épistolaires entre le gazetier littéraire Melchior Grimm et limpératrice Catherine II de Russie, à la fin du XVIII e siècle : "[...] Melchior Grimm peut écrire cette prophétie sensationnelle, que tant desprits plus grands que lui ne feront que répéter jusqu'à nos jours : " Deux Empires se partageront (...) tous les avantages de la civilisation, de la puissance, du génie, des lettres, des arts, des armes et de lindustrie : la Russie du côté de lorient, et lAmérique, devenue libre de nos jours, du côté de loccident, et nous autres, peuples du noyau, nous serons trop dégradés, trop avilis, pour savoir autrement que par une vague et stupide tradition, ce que nous avons été ". Dès ce moment [en conclut Denis de Rougemont], lAmérique et la Russie vont obséder limagination historique des " peuples du noyau ". LAmérique et la Russie sont les " pays davenir " destinés à succéder à lEurope lorsque ses divisions spirituelles et ses guerres auront achevé de lépuiser." (27) Cette hantise de la décadence du continent na jamais cessé dinspirer les "élites" européennes. Ainsi lavenir de lEurope doit se préparer autour dun objectif : maintenir le prestige du continent, et assurer sa mission civilisatrice. Mais cette vision sest concrétisée de multiples manières : pour certains, inclure la Russie dans lunification du continent est le meilleur moyen de leuropéaniser, et dempêcher toute velléité impérialiste de sa part. Pour dautres, il faut au contraire sarrimer à lOuest, et sunir toujours plus avec les Etats-Unis (cest le cas par exemple de la Grande-Bretagne, avec sa constante politique atlantiste). On peut finalement dire que la position des médiateurs, à légard de lavenir de lEurope, sorganisera toujours autour de deux pôles, soit le refus, soit lacceptation. Le refus de laffaiblissement européen, le refus de lhégémonie américaine, ou encore, le rejet de la Russie, etc. ; lacceptation, résignée ou enthousiaste, des liens euro-américains, de lorientalisation de lUnion européenne, etc. Cependant, tous ces courants sentendent largement sur la nécessité dintensifier lunification du continent. Cest pourquoi un tel consensus transforme inéluctablement la plupart des médiateurs en porte-parole de lEurope communautaire. 4/ Des politiques sans logique ? Notre second exemple porte sur la dimension économique de la construction européenne. Dans un article consacré aux conséquences du retour à la croissance, et dun climat économique relativement favorable en Europe (28), Jean-Paul Fitoussi intervenait sur les ambiguïtés du déséquilibre entre " une autorité monétaire supranationale et une pluralité dautorités budgétaires nationales " (dans le cadre des résultats des élections européennes de juin 1999). Tout naturellement, le raisonnement de cet économiste aboutit à la conclusion que, finalement, " le cinquième élément, peut-être le plus circonstanciel (...) ressortit à la volonté politique ". Jean-Paul Fitoussi fait donc le constat de la faiblesse politique de lUnion européenne, comparée à son dynamisme économique. Et selon lui, cette "apathie" résulte du fait que lintégration financière européenne implique une intégration plus généralement politique, qui fait actuellement défaut. Pour cela, lauteur regrette que " lexercice des souverainetés nationales est empêché, non pas par des contraintes économiques, mais par des règles politiques décidées de concert ; mais cest au nom de la souveraineté nationale que lon empêche une souveraineté fédérale démerger. Ce vide de la souveraineté traduit une amnésie partielle qui aurait fait oublier aux gouvernements les raisons pour lesquelles ils voulaient obstinément se doter dune monnaie unique ". Ce que critique Jean-Paul Fitoussi, cest en réalité lincohérence des dirigeants européens, comme si ces derniers ne prenaient pas toute la mesure de la spirale intégratrice qui définit la construction européenne (ce que les théoriciens fonctionnalistes appellent le spill over). Fonctionnalisme et responsabilité politique Cela paraît peu probable. Comment en effet imaginer que les gouvernements européens oublient que la création de lEuro, de la Banque Centrale européenne ou de lInstitut monétaire européen, implique une homogénéisation des politiques de lemploi, des politiques sociales, en fait de tous les domaines de la politique ? Précisément, dans un article paru dans la revue Etudes, Jérôme Vignon affirme: "LUnion économique et monétaire est donc en passe de relancer ce que les spécialistes appellent un cycle dintégration fonctionnelle : la gestion du pôle économique européen entérinera une intensification du rapprochement des politiques essentielles et contraindra, partout, à accentuer la légitimité et lefficacité des mécanismes de décision, donc à accentuer le caractère fédéral de lUnion elle-même." (29) Ainsi, la critique émise par Jean-Paul Fitoussi, quil le souhaite ou non, ne fait quaccroître la légitimité dune extension des prérogatives de la Communauté. Pour cette raison, son article illustre une fois de plus que les médiateurs jouent un rôle certain dans la communication pro-européenne. 5/ La démagogie médiatique au service de lEurope Le dernier exemple est plus généralement politique. On y retrouve bon nombre des "ìngrédients" (précédemment cités) qui participent de la communication sur lEurope. Dans une tribune intitulée "LEurope imite lAmérique ? Inventons le contraire !" (30), Daniel Cohn-Bendit illustre parfaitement la logique de pensée qui préside à la construction européenne. Celui qui saffirme " libéral-libertaire " défend lUnion et lintégration communautaire, et ne cache pas sa volonté de réellement voir lEurope devenir une fédération : " Le moment est crucial, selon la formule de Vaclav Havel, pour " parlementariser et fédéraliser " les institutions mais aussi pour la nature de notre modèle économique. " La convergence libérale-libertaire Peut-être plus quaucun autre, Daniel Cohn-Bendit incarne le mouvement de convergence idéologique, qui trouve sa plénitude dans la construction européenne. Ce leader du mouvement écologiste affirme ainsi : " pourquoi ne pas imaginer un équilibre nouveau entre le marché et les systèmes de régulation ? Inventons une façon dintervenir sur la machine industrielle et financière, qui ne soit pas la manière étatiste, qui respecte la liberté dentreprendre, mais qui fasse aussi toute sa place au souci de la solidarité sociale et de lêtre humain. ". Autrement dit, allions libéralisme économique et éducation "humaniste-progressiste", esprit dentreprise et gestion collective, etc. A propos du rôle et de la place de lEurope, on retrouve chez Daniel Cohn-Bendit cette assurance dune mission civilisatrice et exemplaire du continent, défendue par les "élites" depuis toujours, et aujourdhui par les masses populaires et leurs tribuns : " Enfin, lEurope est une chance pour inventer une autre façon de faire de la politique. Pour être à la hauteur de son destin, je crois que les politiques européens doivent être ancrés personnellement dans la vie de leur quartier (...) Je suis convaincu dailleurs quà lavenir, ce sont les Américains qui nous imiteront. Ce jour-là, nous aurons vraiment réussi à faire émerger la société européenne. " Une Europe anti-libérale ? Lidéalisme et lenthousiasme contagieux de Daniel Cohn-Bendit névitent toutefois pas quelques arrangements avec la réalité de la construction européenne, et celle de la globalisation. Ainsi, parce que la majorité des gouvernements européens sont dirigés par des sociaux-démocrates, ou du moins par des partis centristes et consensuels, il en tire la conclusion que " la majorité des pays européens ont rejeté le libéralisme " ! Partant, il est lheure, selon lui, de sunir pour réorienter, non seulement la globalisation, mais surtout lUnion européenne qui, " jusqu'à maintenant (...) a évolué vers un modèle importé des Etats-Unis : la société de marché, le libéralisme mondialisé ". La critique émise par Daniel Cohn-Bendit à lencontre du modèle américain, est certes moins vindicative que ce que lon a pu montrer auparavant, mais elle nen demeure pas moins réelle. Or utiliser le ressentiment traditionnel envers les Américains, de même que la globalisation, pour justifier la construction européenne ne veut absolument pas dire que cette dernière soit, par essence, incompatible avec le libéralisme personnifié par les Etats-Unis. Car ce serait tout de même oublier que lEurope, plus particulièrement lAngleterre, est le berceau de cette idéologie (31). Cet article de Daniel Cohn-Bendit, tout caricatural quil soit, reste toutefois révélateur de limportance de la communication officieuse pro-européenne, véhiculée par les professionnels de larène politico-médiatique. Partie suivante> Matthieu Périchaud Copyright 20 décembre 2001-Matthieu Périchaud/www.diploweb.com L'adresse URL de cette page est www.diploweb.com/globalisation/43.htm Notes du chapitre 4 :
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