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"L'Europe et la globalisation", par Matthieu
Périchaud CHAPITRE 4 : La communication sur l'Europe Partie B : Les organismes pro-européens |
Introduction - 1. Politique, médias et société - 2. Continuité et rupture de la pensée sur l'Europe - 3. Europe et globalisme - Conclusion et bibliographie |
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Une propagande tous azimuts Premièrement, les organismes pro-européens ne sont pas forcément nés une fois le projet de la Communauté européenne mis en place. Bien au contraire, ils lont pour beaucoup précédé, quand ils nont pas activement pris part à son élaboration. Deuxièmement, ces groupements sont en rapport étroit avec les différentes instances européennes, soit parce quils en sont dépendants (au niveau financier, logistique, etc.) soit parce quau contraire, ils exercent une pression et une influence sur les décisions de la Communauté (lobbies), ou encore, parce que leurs membres font également partie des institutions européennes, etc. De plus, ces organisations peuvent également agir en faveur de lintégration européenne à lintérieur même des Etats, en influençant les milieux politiques et la société civile en général. Enfin, il est indéniable que ces organisations adhèrent à lidée dunification de lEurope concrétisée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (ce qui nempêche pas des désaccords quant aux moyens à mettre en place pour y parvenir). Elles utilisent pour cela les idées cest le cas des think-tanks, dont leffet principal est de créer un climat intellectuel et politique favorable aux thèses quils promeuvent sans négliger laction, que les groupes de pression savent bien organiser. Exemple très concret, prenons ce que lon appelle le génie génétique. Comme le rapportent Philippe Cohen et Emmanuel Lévy, " Dans le domaine si délicat du brevetage du vivant, cest EuropaBio, en liaison avec le cabinet de relations publiques Burson-Marsteller, qui devient le bras armé de lERT [European Round Table, voir supra. M. P]. Après un premier échec, le cabinet va faire débouler au Parlement une kyrielle de handicapés sur leurs petites voitures sur le thème : " nous voulons être soignés. " pour emporter la décision ! Quelle que soit la validité de ces projets pour stimuler la croissance, force est de constater que lEurope prend des décisions stratégiques et, en fin de compte, politiques, sous linfluence de groupes qui représentent des intérêts particuliers. " (6) Les groupes de pression et de nombreuses associations peuvent ainsi, volontairement ou non, être grandement manipulés par des think-tanks, ou plus généralement par des représentants dintérêts privés De même, ces organisations participent toutes à la propagation des thèses appliquées par lUnion Européenne, soit ouvertement et largement, soit dune façon plus discrète, dans leurs zones dinfluence respectives. Pour tous ces motifs, il nous semble logique de considérer ces organismes comme des agents de communication au service de lUnion européenne (du moins des valeurs quelle revendique). Les quelques exemples qui vont suivre illustrent à quel point la promotion de lunification européenne est véhiculée dans tous les milieux, et dans tous les domaines, quils soient idéologique, politique, économique ou culturel. 1/ LEurope et la culture Concernant le domaine de la culture, notre premier exemple sera celui du Centre Européen de la Culture (fondé par lhistorien et fervent partisan du fédéralisme européen, Denis de Rougemont), plus particulièrement une série de fascicules publiés par ce dernier (7). Prosélytisme, histoire et réalité Dans le premier livret, intitulé lUnion Européenne, on retrouve clairement les arguments qui ont nourri la pensée contemporaine sur lEurope. Lintroduction et le quatrième de couverture sont particulièrement représentatifs de létat desprit de ses auteurs, et du prosélytisme en faveur de la construction européenne auquel ils prennent part. En voici quelques extraits : " La volonté de ne pas rester enfermés dans les cadres nationaux, de penser européen, de collaborer avec les autres et denvisager une organisation et des pouvoirs de décision au-dessus des Etats, reste lidée maîtresse de cette union progressive des Européens. Il faut cependant surmonter bien des craintes, modifier des habitudes, abandonner certaines prérogatives " (introduction, page 7). De plus, en quatrième de couverture, se trouve réaffirmée lidée fondamentale des " pères de lEurope " de laprès-guerre, à savoir quune reconstruction de lEurope se faisant sur une base de souverainetés nationales ne pourra mener quà un nouveau conflit : " LEurope voulut un jour échapper à un destin qui semblait la vouer à des guerres récurrentes ". La tournure stylistique de cette dernière phrase (personnification du continent européen, laspect fataliste, voire doloriste du destin de lEurope...) dénote une certaine mystification concernant lhistoire européenne, et parallèlement, une idéalisation de lhistoire de la construction européenne. Soulignons également que lensemble de louvrage est écrit de telle sorte que les Européens apparaissent tous comme des victimes dun danger, dune malédiction qui leur serait, soit étrangère, soit a contrario "inscrite dans leurs gènes". A un tel déterminisme physiologique, à cette passion presque darwinienne dont souffrirait le vieux continent, un groupe dhommes aurait enfin, en 1945, opposé la raison et le bon sens, en changeant la nature "humaine" de lEurope et des Européens. Réalité historique et réalité virtuelle Il est bien sûr totalement conséquent, pour les prosélytes de lunification européenne actuelle, de présenter les origines du projet sous leur meilleur jour. Mais cet acharnement à vouloir extérioriser les origines des conflits européens (et mondiaux), que lon sous-entend dans louvrage, nest peut-être pas le moyen le plus honnête de présenter la réalité. Certes, rien de ce qui est écrit dans louvrage nest tout à fait faux, mais en revanche, les procédés utilisés pour expliquer lhistoire et justifier la construction européenne sont loin dêtre impartiaux. Or, vouloir propager une vision de lEurope communautaire fondée sur une relativisation et une édulcoration de certains éléments de lhistoire revient fatalement à créer une nouvelle réalité, que lon pourrait qualifier de virtuelle. Cette idéalisation par amnésie pourrait malheureusement desservir le projet européen, à plus ou moins longue échéance (8). 2/Communication européenne et intérêts économiques Concernant léconomie, nous illustrerons limportance de la communication sur lEurope dune manière particulière : lexemple du rôle dun lobby montrera comment des hauts responsables financiers et industriels prennent part dune double manière à la communication de lUnion européenne. En premier lieu, ces dirigeants participent à la propagation de la logique communautaire en appliquant, avec plus ou moins de zèle cependant, les normes et règles quils ont largement contribué à faire apparaître. Cest incontestablement une forme de communication, une forme certes indirecte, mais néanmoins diffuse et profonde, car elle affecte forcément les employés et les clients de ces sociétés. Elle donne en quelque sorte une consistance à la construction européenne parce que lon en voit concrètement des effets. En deuxième lieu, ils élaborent eux-mêmes des stratégies de communication pro-européenne, non seulement envers les populations (implication des banques dans la promotion de lEuro, création de panels européens de consommateurs qui élisent, par exemple, la voiture européenne de lannée, etc.), mais aussi à lattention des instances européennes. Comme nous avons pu le constater auparavant, du fait des contraintes internes et externes qui pèsent sur leur profession, les décideurs politiques sont logiquement en faveur dune aide et dune coopération des milieux industriels et financiers, ce que lon appelle souvent la concertation. Enfin, rappelons évidemment que lattitude pro-européenne des milieux économiques nest pas forcément motivée par les mêmes intérêts que les milieux culturels et artistiques. Cest en effet sur le plan économique que lon perçoit le plus à quel point la construction européenne se fond dans le processus, plus général, de la globalisation. Toutefois, sil est logique daffirmer que lintérêt commercial et financier est prédominant pour eux, il peut toujours se combiner avec des motivations de nature culturelle, idéologique, philosophique (humanisme, universalisme..., et bien sûr, socialo-libéralisme). Un lobby puissant et discret On trouve une parfaite illustration toujours dans le cadre de la globalisation des échanges de la fonction dagent de communication pro-européenne des entreprises, dans la création, en 1983, dun puissant lobby européen dénommé European Round Table (ERT). Il est essentiel de souligner le constat principal à lorigine de lERT : à lépoque, dimportants dirigeants dentreprises européennes (une vingtaine, dont Fiat, Renault, Shell, Philips, Siemens, Nestlé (9), BSN-Danone, etc.) estiment que les politiques des pays européens sont inadaptées à lévolution de léconomie mondiale, caractérisée par linnovation, la haute technologie et la communication. Cest donc à la fois en direction des instances européennes et des dirigeants nationaux quest destinée la communication des acteurs économiques. Mais elle va toujours dans le sens dun accroissement des liens entre les pays dEurope. Comme le mentionne Frédérique Sachwald, "LERT ne sest pas contentée dêtre une force de proposition. Ses membres ont été très actifs pour essayer dinfluencer les décisions des gouvernements en faveur dune relance européenne. Leur action a été particulièrement soutenue et efficace auprès du président de la République française. (...) Cette initiative de la présidence française [relance de la dynamique européenne] a notamment été influencée par les arguments des membres français de lERT tels que Roger Fauroux (Saint-Gobain), Olivier Lecerf (Lafarge Coppée) ou Antoine Riboud (BSN). (...) A partir de 1985, linfluence de lERT se renforce du fait des liens que le groupe établit avec la nouvelle Commission, présidée par Jacques Delors. (...) Les grandes entreprises européennes ont donc à la fois contribué à faire aboutir linitiative de relance de la construction européenne par le projet dachèvement du marché intérieur et influencé son contenu." (10) Notons encore, à propos de lERT, que le président Jacques Delors a lui-même reconnu que ce lobby avait exercé une pression constante sur la Commission, durant son mandat. Il ny a pas de raison pour que la situation ait changé depuis Il est donc on ne peut plus légitime daffirmer que les milieux financiers et industriels sont à la fois des instigateurs et des relais (y compris médiatiques par le biais de la publicité de masse) de la vision communautaire de lEurope Même si leurs motivations vont bien au-delà du simple contexte européen Ainsi, Erik Wesselius nous conforte dans lidée que, pour la grande majorité des acteurs économiques de lEurope communautaire, la construction européenne nest quune étape vers lunification de lensemble de la planète, en priorité dans le domaine du commerce : " LERT avait effectivement ce choix [promouvoir la protection du marché européen plutôt que louverture des frontières de lUnion]. Il est, dailleurs, remarquable dobserver son retournement. Ses premières actions étaient centrées sur lintégration européenne. Depuis une dizaine dannées, une fois ses premiers objectifs atteints, et après avoir accueilli une nouvelle vague dadhérents plus impliqués à linternational, lERT sest très rapidement tournée vers une politique douverture des frontières sans restrictions. " (11) 3/Des think-tanks politiques pour lEurope Enfin, notre dernier exemple concerne cette fois les organisations plus politiques qui uvrent à lintégration européenne. Cet exemple sinscrit dans le contexte de la rencontre, fin 1999, entre de nombreux dirigeants progressistes du monde entier, qui sest déroulée en Italie. Ce sommet de Florence nous intéresse parce quil témoigne des rapports entre les différents courants de la social-démocratie européenne, plus particulièrement le socialisme français et le socialisme britannique. Cest dans le cadre déchanges et de réflexions entre ces deux courants que se révèle une fois de plus le rôle important joué par les think-tanks dans la promotion de lunification européenne. Bien évidemment, il sagit là dune vision particulière de lEurope et de la politique, puisque notre exemple est celui du socialisme européen. Cependant, les sociaux-démocrates dominant la construction communautaire et gouvernant la majorité des pays européens, on peut affirmer que les cercles de réflexion que nous allons évoquer sont, à leur manière, de parfaits vecteurs de la communication européenne (tout comme les partis politiques nationaux "consensuels"). Qui plus est, notre choix sest porté sur cet exemple car il montre comment, dune manière indirecte, la promotion de lintégration continentale "irrigue" constamment les têtes pensantes et dirigeantes de lensemble des pays européens. LEurope sociale-démocrate Lors de ce rassemblement international "progressiste", de nombreux instituts et réseaux dinfluence uvraient activement à léchange de points de vue entre visions française et britannique de la social-démocratie européenne. Ainsi, nous citerons pour la Grande-Bretagne, la Fabian Society (directement affiliée au Labour Party), le Foreign Policy Center, et lInstitute for Public Policy Research (think-tank londonien dirigé par un proche de M. Blair) ; pour la France, le Centre détudes et de recherches internationales (CERI), la Fondation nationale des sciences politiques, et la Fondation Jean Jaurès. Côté britannique, ces organismes diffusaient la conception française de lavenir européen, et de la politique en général. Par exemple, la Fabian Society (12) publiait un article signé par le premier ministre français, Lionel Jospin, où ce dernier réaffirmait son acceptation de léconomie de marché, mais son refus dune société de marché. La même Société de penseurs tenait des réunions permettant la rencontre entre Français et Britanniques, ainsi que la publication dune brochure collective consacrée à la Nouvelle gauche européenne. Côté français, la Fondation Jean Jaurès avait diffusé, dès 1995, le point de vue dAnthony Blair, tandis que la Fondation nationale des sciences politiques organisait, en octobre 1999, un colloque consacré aux idées blairistes, idées regroupées sous lappellation " troisième voie ". La troisième voie : la convergence idéologique Il nest pas inintéressant détablir un parallèle entre la " troisième voie " revendiquée par Tony Blair et celle dont parlait Jean Monnet à propos de la construction européenne : on retrouve dans les deux cas une volonté dallier libéralisme et socialisme, afin dassurer la paix et lharmonie de la société humaine. Ainsi, Keith Dixon analyse parfaitement les fondements idéologiques du blairisme, où lon retrouve cette convergence idéologique tout à fait pragmatique, convergence qui caractérise la construction européenne et la globalisation. Il sintéresse tout particulièrement au théoricien principal du " néo-travaillisme " britannique, Anthony Giddens : " la nouvelle vision anti-étatiste des néotravaillistes fut dailleurs présentée comme un retour au passé " libertaire " du travaillisme et (une fois encore) théorisée de cette manière par Anthony Giddens. ( ) La " gauche " (dont la variante marxiste est présentée par Anthony Giddens comme moribonde, et la variante sociale-démocrate ancien style en passe de le devenir) naurait pas pris la mesure des effets bénéfiques de cette mondialisation ni de la nécessité politique daccueillir le " nouvel individualisme ". ( ) Car la mondialisation est présentée à la fois comme une véritable force de la nature, avec laquelle on ne peut que composer, et une nécessité historique qui simpose avec toute la rigueur déterministe que les marxistes attribuaient autrefois à la marche en avant vers le socialisme. " (13) Ce quanalyse Keith Dixon, cest la volonté manifeste de développer une nouvelle pensée et une nouvelle " praxis " politiques permettant au socialisme britannique dassumer pleinement lhéritage des années Thatcher. Autrement dit, après la déstructuration, principalement économique, mise en place par la " Dame de fer ", il sagit maintenant dassurer la restructuration sociale et politique du pays, afin de modeler une nouvelle société britannique préparée et formatée pour la " modernité " du XXI e siècle, cest-à-dire la société ouverte et globale. Au niveau européen, tous ces échanges entre courants de pensée visent à assurer toujours plus de coordination, et surtout, à susciter une adhésion générale aux idées blairistes. Ces idées sont sans nul doute celles qui, en Europe, matérialisent le plus la convergence entre socialisme et libéralisme, convergence qui, nous lavons démontré, détermine amplement la construction européenne, et la globalisation dans son ensemble. Le blairisme semble pourtant sessouffler actuellement hors de ses terres, particulièrement en France, où il nest plus vraiment en vogue. Serait-ce parce quil est tout de même trop transparent ? Les think-tanks et autres clubs de pensée assurent donc une forme de communication correspondant généralement aux objectifs des instances européennes. Même sil existe certains désaccords, ou différents points de vue sur la concrétisation de lintégration européenne, ces organismes participent dune coordination entre les instances européennes et les élites politiques, au sein de chaque pays. Cette communication se fait damont en aval, cest-à-dire quelle atteint dabord les milieux dirigeants nationaux, pour ensuite essaimer dans toutes les sociétés civiles du continent. Partie suivante> Matthieu Périchaud Copyright 20 décembre 2001-Matthieu Périchaud/www.diploweb.com L'adresse URL de cette page est www.diploweb.com/globalisation/42.htm |
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