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www.diploweb.com présente " Quelle France dans le monde au XXI e siècle ? ", par Pierre Verluise

5. QUELLE MONDIALISATION CONSTRUIRE ?

Partie 5.5. Au lieu d'être subie comme une calamité, la mondialisation peut-elle être comprise comme l'opportunité de faire sauter quelques blocages comportementaux, en particulier en ce qui concerne la relation entre information et pouvoir ?

 

Introduction - 1. Comment les Français voient-ils le monde ? - 2. Quelles sont les images de la France à l'étranger ? - 3. Quels sont les outils disponibles ? - 4. Quelle politique étrangère ? - 5. Quelle mondialisation construire ? - Conclusion - Postface de Gérard Chaliand : Stratégie d'influence
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Pour mieux travailler en équipe et écouter autrui, les Français ont à engager une véritable révolution culturelle. En effet, l'Etat français s'est construit sur un système étatico-militaire qui reste encore assez présent dans l'ensemble de la société. D'une façon générale, il existe aujourd’hui encore dans la haute fonction publique et dans les directions des grandes entreprises françaises une tradition du secret. Toute information est d'abord jugée à l'aune de sa diffusion et de ce qu'elle représente en terme de pouvoir pour qui la contrôle.

Si les entreprises françaises éprouvent tant de difficultés à se positionner par rapport à l'environnement, c'est parce qu'elles restent généralement dans le fonctionnement stérile du " tous pareils " mais, bien sûr, " chacun à sa place ". " Surtout, ne nous mélangeons pas ! " Les Français ne savent pas suffisamment fonctionner " tous ensemble ". Résultat, il existe peu, voire pas, d'intelligence collective dans les organisations.

. Les inconvénients d’une culture du secret

Or, s'il faut maîtriser l'information il ne faut surtout pas en avoir une vision paranoïaque. Entretenir une culture du secret de l'information amène à peu la diffuser, à maintenir à un niveau médiocre la culture économique des Français et à cloisonner de manière verticale les structures des ministères comme des entreprises. Cette culture du secret freine la mobilisation des acteurs autour de projets communs, alors que la façon dont les personnels perçoivent leur organisation est un des grands facteurs d’innovation et de compétitivité.

La collecte, l'interprétation et la diffusion de l'information par les dirigeants dans l'entreprise ou dans la fonction publique sont, en effet, capitales pour mobiliser aujourd'hui des équipes autour de projets communs. Si la France innove moins que l'Italie ou les Etats-Unis, cela tient en partie à cette culture du secret et à une conception du monarchique du pouvoir.

Cette culture du secret n’empêche d’ailleurs pas les journalistes d’investigation de réussir parfois à obtenir d’entreprises ou de ministères des informations qui devraient véritablement rester secrètes et dont la diffusion les met en difficulté. Le paradoxe n’est qu’apparent. Cette perméabilité relative vient de ce que les Français ne considèrent pas suffisamment l'information comme un bien économique qui a un coût. In fine, les Français n’intègrent pas de façon collective que l'information se trouve aujourd'hui au cœur de la performance des entreprises, des territoires et des Etats nations.

Afin de faire évoluer positivement ces pesanteurs culturelles, il faut donc développer en France une démarche d'intelligence économique.

. Que peut apporter l’intelligence économique ?

Qu'est ce que l'intelligence économique ? Il ne s'agit pas de renseignement qui est une collecte d'information spécifique pour une décision qui ne doit être connue que d'une minorité. Au contraire, l'intelligence économique est un processus qui permet par l'identification, la collecte, l'analyse et la diffusion de l'information de constituer des réseaux d'acteurs en vue de réaliser des projets communs, tout en prenant soin de protéger l’information considérée comme sensible.

Cela implique de considérer l'information non plus comme une fin en soi mais comme un moyen pour tout un chacun. Puisque l'information est un moyen pour prendre une décision, elle ne doit pas être limitée à la compétence individuelle mais circuler dans une organisation intelligente et collective. Plus l'information est partagée, plus elle devient "assurée". L'intelligence économique permet de définir une logique, voire une stratégie par rapport à l'information. L'information signifie. Pour porter cette signifiance vers une action, il vaut mieux y aller ensemble.

Autrement dit, ce qui est fondamental dans l’Intelligence économique - l'utilisation de l'information à des fins stratégiques et de mobilisation des acteurs - c'est la coordination des acteurs et des activités. Pour interpréter et utiliser la bonne information, la mettre au service de l'innovation et mobiliser les personnes, il faut en permanence développer la coordination entre les fonctions d'une entreprise, d'un secteur ou les structures d'un territoire. Or, cette approche de la coordination manque en France.

Exemples

Il existe, pourtant, des exemples d'intelligence économique réussis... à l'étranger. En Allemagne, le système de formation, les banques et les entreprises ont appris à travailler ensemble. Ces acteurs se coordonnent pour aller dans le même sens. En Italie du Nord, la performance économique se fonde finalement sur la capacité à sécréter des réseaux de Petites et Moyennes Entreprises - Petites et Moyennes Industries à la fois ancrées dans le territoire et organisées pour exporter ensemble. Alors qu'en France les entreprises sont souvent isolées et se retrouvent à devoir affronter sur des marchés étrangers des réseaux d'entreprises ou des entreprises-réseaux. Au Japon et en Corée du Sud, il existe une culture de la collecte de l'information qui part du marché pour être ensuite traitée par les groupes puis revenir sur les marchés. Enfin, le grand retour des Etats-Unis - mis en difficulté par les Japonais au début des années 1980 - s'est fait par l'information stratégique, la veille technologique et l'investissement dans les technologies de l'information. C'est un système qui - en dépit ou grâce à une très grande diversité - possède sa propre cohérence.

Par rapport à ces différents Etats nations, la France n'a pas une approche continue d'intelligence économique.

Pistes

Dans la perspective d’un projet national de développement visant à inscrire la France dans une dynamique porteuse au regard de la mondialisation, quels comportements encourager ? Si l'on restitue l'information dans une démarche d'intelligence économique, c'est à dire dans ses enjeux stratégiques, voici quatre approches à décliner au niveau de l'entreprise, d'un territoire, d'un Etat nation ou même d'une zone économique comme l'Europe : la maîtrise des savoirs faire, la saisie des opportunités, la coordination et les actions d’influence.

. La maîtrise des savoir-faire

Par maîtrise des savoir-faire, il faut entendre leur enrichissement par l'innovation et la protection de l’innovation par les politiques de brevets. Il est vrai que d’importants efforts ont été faits pour multiplier les dépôts de brevets et développer la veille technologique.

Pour autant nous avons encore tendance à sous-estimer les nouvelles menaces qu'entraînent le processus de mondialisation en matière de protection des savoir-faire. Il importe de prendre conscience que l'importation frauduleuse de produits de contrefaçon détruit chaque année 100 000 emplois en Europe dont 30 000 en France. Ce qui représente, en dix ans, 300 000 emplois perdus dans l’Hexagone.

Par ailleurs, l'enrichissement de nos savoir-faire pose encore des difficultés. L’améliorer suppose de développer davantage d'innovations et de relations avec le système de formation et de recherche et plus de coopération entre les entreprises. Nos Petites et Moyennes Industries (P.M.I.) coopèrent peu et ne sont guère introduites dans la formation et la recherche. Il importe donc de multiplier ces relations.

. La saisie des opportunités commerciales, technologiques, capitalistiques... et la compréhension des risques.

Notre système public d'information ne permet pas toujours aux P.M.E.-P.M.I. une bonne compréhension des opportunités des marchés extérieurs. Souvent, ces entreprises passent à côté d'opportunités parce qu'elles ne disposent pas, en dépit d’efforts récents, d'un système d'information concentré sur les marchés émergents.

C’est pourquoi l’Etat doit aujourd’hui, à travers tous les organismes décentralisés dont il a la tutelle, se rapprocher du tissu des P.M.E. - P.M.I. pour les aider à formuler leurs besoins en matière d'information. Sinon, nous aurons toujours d'un côté des informations de qualité venant de l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, du Centre Français du Commerce Extérieur... et de l'autre des entreprises qui peinent à exprimer leurs besoins et passent donc à côté des informations clés. Bref, une absence d'adéquation entre l'offre et la demande. Aider les P.M.E. - P.M.I. à formuler leurs besoins d’information signifie aussi les aider dans la formulation de leur vision stratégique et de leurs objectifs. Il s'agit donc d’un processus d'accompagnement tout au long de la vie de l'entreprise que, pour l’instant, les Allemands et les Italiens mettent mieux que nous en œuvre.

Par ailleurs, la prise de conscience et la compréhension des risques encourus par les P.M.E.-P.M.I. sont, depuis quelques années, l'objet d'un département de la Direction de la Surveillance du Territoire. Celui-ci vise à les informer à propos des menaces qui pèsent sur leurs produits. Pour autant, il reste encore des progrès à faire sur ce terrain.

. La coordination

Entre entreprises, voire au sein d’une entreprise, les Français fonctionnent principalement sur le paradigme de la concurrence. S'y ajoute une culture individualiste qui ne pousse pas naturellement les Français à coopérer avec le voisin. Ces caractéristiques culturelles les gênent pour comprendre que dans le processus de la mondialisation concurrence et coopération doivent maintenant être pensées ensemble, comme en Allemagne, en Italie ou aux Etats Unis. En effet, le chef de projet d'une nouvelle voiture doit être capable de véritablement travailler avec la Recherche-Développement et le commercial, voire avec d’autres entreprises. Aussi convient t-il de développer la coordination dans et entre les entreprises.

. Les actions d'influence

Pour des raisons culturelles, les Français assimilent trop souvent l'influence à des actions secrètes, voire honteuses. Alors que la notion d’influence désigne aujourd’hui la capacité à structurer son propre environnement en fonction de son propre intérêt. Par exemple, l’Allemagne a fait preuve d’influence en imposant ses conceptions de la monnaie unique et de la banque centrale européenne.

En revanche, la France peine à influencer l'Europe et a fortiori le monde. Alors que les actions d’influence mises en place par un pays comme les Etats-Unis sont connues, les Français mésestiment souvent l'importance des actions d'influence. Quand une entreprise française se trouve en concurrence avec l'Allemagne aux Etats-Unis, elle doit prendre en compte que les grands groupes développent des stratégies d'influence, c'est à dire de connaissance des acteurs publics. La postface de Gérard Chaliand, intitulée "Stratégie d'influence", apporte d'utiles propositions.

. Passer d’une pratique de l’adaptation sous contrainte à une pratique collective de l’anticipation

Compte tenu de ce que nous apprend la mondialisation, quelles sont nos marges de manœuvre ?

Il importe d’apprendre à travailler ensemble et de comprendre où se situe réellement le pouvoir. En effet, les territoires et les entreprises qui gagnent dans le processus de la mondialisation sont des structures qui ont compris que la compétitivité se fonde sur la capacité à agir ensemble. Davantage que la dotation des facteurs c’est la capacité d'œuvrer ensemble autour d'objectifs communs qui fonde la différence.

Aussi, la première leçon que les Français doivent retenir de la mondialisation est la nécessité d’apprendre à travailler ensemble. Ce qui signifie valoriser dans toute organisation, publique ou privée, le décloisonnement et la réduction des niveaux hiérarchiques. La compréhension et la diffusion de l'information peuvent alors devenir un outil au service d’un travail en équipe. En effet, coopérer pousse tout naturellement à échanger de l'information et à comprendre quel type d'information peut s’échanger et quel type d'information ne doit pas circuler.

Au niveau d'un Etat, une politique de la recherche à l’échelle de la France et a fortiori à l'échelle européenne doit avoir pour objectif de rapprocher davantage le monde de la recherche et de l'entreprise.

Par ailleurs, il existe en France une dangereuse tendance à croire que la constitution de réseaux instaure comme par magie un monde parfait, dans lequel tout le monde va s'en sortir.

Dans la constitution des réseaux d'entreprises qui s'élaborent à l'échelle mondiale, le réseau ne dilue pourtant pas la notion de puissance et de centre de décision. En effet, ce n'est pas parce que nous sommes dans un réseau que allons devenir plus intelligent puisque nous pouvons n'y avoir aucun moyen d'innovation et de défense. Ce qui nous met dans une logique de dépendance, voire de soumission totale. La constitution des réseaux va donc de pair avec la notion de rapport de force puisque la notion de rapport de force ne se dilue pas dans les réseaux.

Qu'est-ce que le pouvoir aujourd'hui ?

La mondialisation nous apprend que le pouvoir n'est pas le contrôle de l'information mais la capacité à être un carrefour, à la fois un centre de réception et un centre de production de l'information. Le pouvoir, c’est la capacité de produire l’information, de la diffuser et de mobiliser des gens autour de ces informations. Le pouvoir revient donc à celui qui sait réguler les réseaux. Il importe de créer une dynamique collective faite d’incitations à participer pour développer un jeu à somme positive impliquant un gain pour tous. Les moyens d’action passent par les arrangements, la négociation, la consultation et l’écoute, selon Rod Rhodes (1).

Dans ce contexte, conserver une conception et une pratique monarchique du pouvoir comme de l’information revient à se condamner.

Enfin, chaque entreprise doit intégrer que pour être aujourd'hui performante sur les marchés, elle ne peut plus se contenter d'afficher des prix bas ou des produits innovants. L'entreprise doit maintenant se battre à la fois sur les prix, la qualité et l'innovation. Cette multi-compétence implique un contenu évolutif de la performance individuelle et collective. Rien n’est jamais acquis.

Anticiper

En fait, la grande leçon du processus de la mondialisation est qu'il nous faut passer d'une approche de l'adaptation à une pratique de l'anticipation.

Persistant dans une logique d’adaptation, nous avons depuis quinze ans confondu ouverture et extraversion.

L'ouverture signifie l'acceptation du processus d'interdépendance des entreprises et des nations, ce qui s’avère effectivement nécessaire parce que cela produit de la prospérité.

En revanche, l'extraversion exprime une perte des centres de décisions proportionnellement plus importante que d'autres Etats ou territoires. Demeurant dans une culture de l'adaptation, nous nous mettons implicitement dans une logique d'extraversion. Tout l'effort français doit donc être de passer d'une pratique de l'adaptation sous contrainte à une pratique collective de l'anticipation.

Mettre en avant les notions d'information, d'innovation, de coordination, de projets communs, de relations entre l'industrie, la banque et le territoire dans la formation et la recherche... c'est situer dans une perspective d'anticipation l'ensemble des acteurs publics et privés. Cette approche d’anticipation peut se décliner au niveau d'une P.M.E.-P.M.I., d’un grand groupe, d’une région, d’un pays comme la France.

Au-delà de la France, cette nouvelle approche de l’anticipation peut se mettre en œuvre à l’échelle de l'Union européenne. Partie suivante>

Pierre Verluise

Note:

(1) "The new governance : governing without government", Political Studies, 3, 1996.

Copyright janvier 2001-Pierre Verluise/ www.diploweb.com

Mise en ligne 2001
     
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