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www.diploweb.com présente " Quelle France dans le monde au XXI e siècle ? ", par Pierre Verluise

5. QUELLE MONDIALISATION CONSTRUIRE ?

Partie 5.6. La construction européenne donne-t-elle des moyens supplémentaires pour construire à la fois un nouveau rapport à l'information stratégique et une nouvelle compétitivité ?

 

Introduction - 1. Comment les Français voient-ils le monde ? - 2. Quelles sont les images de la France à l'étranger ? - 3. Quels sont les outils disponibles ? - 4. Quelle politique étrangère ? - 5. Quelle mondialisation construire ? - Conclusion - Postface de Gérard Chaliand : Stratégie d'influence
Mots clés - key words : pierre verluise, jean girardin, france, europe, mondialisation, union européenne, information stratégique, compétitivité, anticipation, facteur social, directive européenne du 22 septembre 1994 transposée en droit français par la loi 966985 du 12 novembre 1996, entreprises de plus de 1 000 salariés, multinationales, comité d'entreprise européen, médiation et gestion des conflits internes, coproduction de règles, syndicats et patronat. <Partie précédente

Qui peut prétendre que se construit au niveau européen une vision stratégique de la mondialisation ? Si l'Union européenne persiste dans une logique d'adaptation à la mondialisation, nous risquons d'avoir demain de sérieux problèmes de concurrence avec les Etats Unis et l'Asie.

Une politique d'anticipation à l'échelle européenne implique, notamment, de penser en même temps politique démographique, politique technologique, politique industrielle, politique de concurrence et politique commerciale. Il faut utiliser la diversité de l'Europe moins dans une approche d'intégration que de coordination.

Comment ne pas s’étonner que l’Europe ne développe ni une vision stratégique de la mondialisation ni une politique démographique adaptée à la menace de dépopulation virtuelle qui pèse sur cet espace vieillissant ? N’existe t-il pas une contradiction entre des transferts de souveraineté croissants et un tel déficit à propos de domaines qui engagent l’avenir collectif ?

Comment définir le social ?

Pour autant, cela n’empêche pas la construction européenne d’apporter des éléments qui peuvent être utiles à une meilleure amélioration du lien entre le social et l’information. Jean Girardin, Professeur d’intelligence sociale, situe l’enjeu : "Comment pouvons nous faire pour à la fois continuer à être fort économiquement et à faire du social un moteur de compétitivité de notre économie ?

Le social a longtemps été considéré par la totalité des acteurs comme étant à la traîne de l'économique. Les articles 117 et 118 a et b du Traité de Rome signé en 1957 définissent clairement le social comme acceptable à condition que l'économie soit florissante. L'économie est donc considérée comme la seule à pouvoir nous apporter du bien être social.

Par ailleurs, à cause de la peur de l’autre, le social est longtemps resté un concept valise, mal vécu. Pourtant, le social peut se définir comme un lieu de partage dans l’entreprise et l'information sociale comme une information économico-sociale qui devient sociale parce qu’elle se partage.

Dans les plus grandes firmes se diffuse maintenant la préoccupation d'intégrer davantage les salariés dans les processus de décision. Cette intégration peut se faire au travers des quatre modes d'intervention des représentants des salariés dans les décisions des multinationales. C’est à dire deux modes plus ou moins généralisés - la consultation et l'information - et deux modes d'implication intenses, peu généralisés, la codécision et la négociation.

Le comité d'entreprise européen

Sous réserve d'une mise en œuvre effective, la directive européenne du 22 septembre 1994 peut permettre d’espérer une nouvelle évolution dans les entreprises dites de " dimension communautaire " - au moins 1 000 salariés - ayant dans la communauté au moins deux établissements d'au moins 150 salariés chacun. Ce qui concerne des dizaines de milliers de délégués et de travailleurs, dans près de 1 500 entreprises multinationales. Cette directive oblige ces firmes à se doter d'une structure ou d’une procédure d'information-consultation.

Tel qu’il est conçu par la directive du 22 septembre 1994, le comité d'entreprise européen peut contribuer à faire du social un moteur de compétitivité de l’économie. En effet, il s’agit de créer un lieu stratégique d'information, horizontal et se situant dans une approche transversale, n'ayant absolument rien à voir avec les autres hiérarchies d'une entreprise. Le comité d’entreprise européen a pour fonction de capter l'information, de la traiter, de la coordonner et de l'échanger avec l'ensemble du réseau des syndicalistes européens du groupe. Les missions dévolues à ces nouvelles instances d’information et de consultation des salariés dans les entreprises multinationales ont donc un champ d’application très large.

Voici deux missions majeures :

. informer, notamment par l’échange de points de vue sur les questions économiques, financières ou sociales et sur l’évolution du périmètre du groupe ;

. développer le dialogue social à propos de la situation ou des orientations stratégiques du groupe et sur les conséquences en matière d’adaptation des salariés.

Cette conception fait apparaître des enjeux interculturels mais pose aussi le problème des délits d'entrave ou d'initié en terme de diffusion des informations financières. La position du syndicaliste devient alors éminemment stratégique.

Il y a là des enjeux extrêmement sensibles, puissants et déstabilisants. Pour un patron de grand groupe, il ne s'agit plus de plaisanter. Il se trouve non plus face à un syndicaliste isolé mais en relation avec un réseau au travers duquel influent toutes les pratiques nationales syndicales. Il faut donc gérer au mieux la naissance de cette nouvelle entité.

Enquête

Une enquête auprès de 107 multinationales apporte une vision très contrastée de la manière dont cette nouvelle forme de participation des salariés émerge dans les processus de décision.

Un groupe de l'agroalimentaire se trouve déjà dans une situation mutante. Celui-ci a décidé très tôt que l'intégration du syndicalisme dans la stratégie d'un groupe peut faire naître une manière de s'auto-destiner par l’auto-production des règles internes de l'entreprise. Ces plates-formes communes y existent depuis déjà une décennie.. Alors que certaines entreprises en sont encore aux balbutiements ou se demandent encore s'il est raisonnable que les syndicalistes soient informés ne serait-ce qu'une fois par an des stratégies du groupe. Il existe donc des décalages extrêmement importants entre les entreprises concernées.

. En terme de compétitivité des entreprises, que peut-on attendre de cette nouvelle forme d'intervention des salariés ?

D’une part, le comité d’entreprise peut devenir un organe de médiation et de gestion des conflits internes. Comme cela a été le cas en Espagne lors du conflit au sein des usines Seat, au travers de l’intervention du bureau du comité du groupe Volkswagen. La réduction du nombre et de la durée des conflits ne peut être que bénéfique à tous.

D’autre part, le comité d’entreprise peut contribuer à la production commune de nouvelles règles, outre celles imposées par la légalité et la réglementation du travail du pays. Il s'agit de développer la capacité de produire des règles ensemble, patronat et syndicats. Il faut donc se mettre à table pour les définir et faire en sorte qu'elles soient suivies. Il importe que l'on puisse imaginer dans l'entreprise un suivi de ces nouvelles règles - par exemple en matière d'hygiène et de sécurité - au travers d'une véritable coordination de terrain.

En outre, ce comité peut devenir un lieu de promotion et de communication des valeurs et de la culture du groupe au sein des filiales étrangères et de sa base. Le comité est le seul lieu qui puisse impulser la mise en place d'une démarche de communication et de promotion de ce qu'est ce groupe à l'étranger mais aussi organiser des remontées d'informations sociales de l'étranger vers la maison mère. Ce qui peut être bénéfique pour les directions des ressources humaines.

Enfin, ce comité peut contribuer à mieux faire comprendre au groupe sa capacité à s'intégrer dans un paysage socioculturel. C'est ainsi que le groupe en question s'est implanté au Brésil. Lafarge a fait de même en ex-Allemagne de l’Est. En terme de compréhension socioculturelle, trop d’entreprises restent dans une situation de déconnexion de la maison mère par rapport à ses filiales. A l’inverse, le groupe considéré connaît en moins de deux mois l'impact d'une décision interne dans les huit pays où sont ses filiales. C'est un cas intéressant pour mettre, par exemple, en œuvre une décision d'aménagement du temps de travail dans des pays où la législation et la réglementation sociales diffèrent.

Ce nouveau comité d’entreprise peut donc contribuer, en tant que contre pouvoir, de diverses manières à la compétitivité des organisations. Le risque consisterait à tuer dans l'œuf la naissance de cette jeune pousse qui représente une avancée significative de la démocratie industrielle en Europe.

Finalement, il faut non plus faire du social parce que l'on sait combien cela coûte de ne pas en faire mais comprendre le social comme un élément majeur à intégrer systématiquement dans les processus de décision. Rares sont cependant les groupes qui ont été à ce jour capables d'intégrer la politique sociale dans une approche globale et systémique. Il faut pourtant considérer le social comme un capital et s'en enrichir ".

L'information donne un plus

Le Japon et l'Allemagne mais encore la Norvège et la Suède ont jusqu'ici mieux su le mettre en pratique que la France. Ainsi, le Japon dépense chaque année des milliards de Yens pour s’enrichir du social via des inventions en Recherche-Développement issues de la mobilisation du capital social des entreprises. Comme par hasard, le Japon produit aujourd'hui près d'un brevet sur deux dans le monde.

Ce n'est, ni par la loi, ni par le décret, que nous ferons avancer le social et notamment cet enjeu difficile de la rencontre entre les deux pôles de l'entreprise que sont les syndicalistes et la direction centrale du groupe. En revanche, l'information donne une clé extrêmement intéressante.

Plus nous développerons la sphère informationnelle des partenaires sociaux plus nous élèverons la conscience de l'information et de la consultation. Si nous augmentons la sphère d'influence informationnelle des partenaires sociaux, nous améliorerons l'information-consultation dans le bon sens comme étant un enjeu de compétitivité. Ce qui suppose de mettre à niveau d’opérationnalité des partenaires sociaux, afin qu'ils puissent échanger, partager et donc coproduire. Le développement de cette démarche d’intelligence sociale, partie intégrante de la démarche d’intelligence économique, peut - au travers de ces nouvelles instances - optimiser la concertation entre partenaires sociaux dans le cadre d’une vision stratégique globale. La formation d’un contre-pouvoir intelligent, loin de nuire aux objectifs de compétitivité, peut préserver l’entreprise de toute manœuvre de déstabilisation. Au final, cette démarche développe la cohésion sociale et défend l’emploi.

* * *

Ainsi, pour peu que les Français veuillent en tirer les enseignements et les bénéfices, non seulement la France a ses chances dans la mondialisation, mais la mondialisation peut être une chance pour la France. La chance de rénover - autour d’une redéfinition des relations entre information et pouvoir - un lien social malmené.

Loin de sonner le glas de la maîtrise de notre destin individuel et collectif, la mondialisation peut, au contraire, permettre d’inventer une nouvelle manière d’être ensemble. Partie suivante>

Pierre Verluise

Note :

(1) Il s’agit de la directive 94 /45/ CE du Conseil du 22 septembre 1994, transposée en droit français par la loi n° 966985 du 12 novembre 1996.

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Mise en ligne 2001
     
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