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www.diploweb.com présente " Quelle France dans le monde au XXI e siècle ? ", par Pierre Verluise

4. QUELLE POLITIQUE ETRANGERE ?

Partie 4.6. Au vu des trois dernières décennies,

quelles méthodes dévaluent ou valorisent la France ?

 

Introduction - 1. Comment les Français voient-ils le monde ? - 2. Quelles sont les images de la France à l'étranger ? - 3. Quels sont les outils disponibles ? - 4. Quelle politique étrangère ? - 5. Quelle mondialisation construire ? - Conclusion - Postface de Gérard Chaliand : Stratégie d'influence
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Cette réflexion ne peut faire l'économie d'une analyse synthétique de l'évolution du rang de la France, aussi bien à l'échelle mondiale qu'européenne.

Avant la chute du rideau de fer, en 1989 - 1990, le jeu de bascule entre l'Est et l'Ouest souvent pratiqué par la France n'empêche pas son déclin relatif à l'échelle mondiale. Finalement, "cette attitude assimile davantage la France à un pays du tiers-monde qu'à une véritable puissance", constate Jean-Pierre Lacroix. Avec le recul, on ne voit pas quel atout cela donne à Paris par rapport au Kremlin. En revanche, il est certain que cette ambivalence développe des réactions allergiques à la Maison-Blanche. Enfin, la France s'attache ainsi une réputation peu flatteuse dans les pays d'Europe de l'Est, sous le joug soviétique.

L'œil sur le rétroviseur

Durant la première décennie suivant la chute du rideau de fer, les autorités françaises s'avèrent incapables de tirer partie de la fin des blocs. Alors que les Etats-Unis prorogent l'OTAN, les gouvernements français n'arrivent pas à bénéficier de la nouvelle distribution des cartes. Ils s'accrochent à des politiques dépassées (1), s'imaginant ligoter l'Allemagne par l'Union monétaire à marche forcée, au prix de nombreuses années de faible croissance pour cause de critères de convergence. Alors que chacun constate que les Etats-Unis dominent le début du XXI e siècle, la plupart des français continuent à ignorer superbement l'étude de cette puissance. Héritage des ambiguïtés passées, les Etats-Unis préfèrent généralement s'adresser au Royaume-Uni et à l'Allemagne pour discuter des affaires sérieuses. Résultat, Paris se retrouve marginalisée par rapport à l'axe fort du moment : Washington - Londres - Berlin.

Dans l'espoir de ligoter l'Allemagne et de transformer l'Europe en caisse de résonance de ses velléités de politique étrangère, la France fait depuis trois décennies de nombreuses concessions à la construction européenne. Ces concessions concernent sa souveraineté législative (2), financière, économique, diplomatique et stratégique. Résultat, la France contribue ainsi à mettre l'Allemagne désormais réunifiée en situation favorable, aussi bien à l'échelle européenne que planétaire. Enfin, Paris place sa politique étrangère et de sécurité sous la tutelle de l'OTAN, sans y disposer du moindre pouvoir de décision.

Quelle solidarité européenne ?

Quand elle juge sa sécurité en question, la France peut-elle compter sur un soutien sans faille de ses partenaires européens, en retour de ses sacrifices ? Lors de l'ultime campagne d'essais nucléaires, en 1995, combien de membres des Quinze apportent leurs voix quand Paris se trouve au banc des accusés lors d'un vote de l'Assemblée générale des Nations Unies ? Seul le Royaume-Uni - autre pays nucléaire - vote alors pour la France. Trois partenaires s'abstiennent : l'Allemagne, l'Espagne et la Grèce.

Les dix autres pays membres de l'Union européenne font défaut, soit 71 %. Alors que moins de 50 % des voix de l'Assemblée générale se portent contre la France. Autrement dit, le Quai d'Orsay trouve moins de soutiens au sein de l'Union européenne que dans les pays arabes ou en Europe de l'Est. Voici le commentaire d'un diplomate : "C'est la première fois depuis Maastricht qu'un Etat membre n'a pas été soutenu, sous prétexte de ne pas froisser les opinions publiques. Curieuse conception de la solidarité entre Etats".

Une comparaison

Si les pays d'Europe de l'Est soutiennent la France, c'est parce qu'ils savent d'expérience ce que coûte le manque de vraies garanties. Pour autant, leur appui ne doit pas faire illusion. La première décennie après la chute du rideau de fer ne se solde pas par un bilan très positif pour la France dans cette zone encore fragile mais toujours stratégique. Embourbée en Russie - notamment sur le plan financier (3) - la France du début des années 1990 se montre incapable d'ouvrir rapidement les yeux sur la nouvelle situation des pays d'Europe centrale et orientale.

Pendant ce temps, l'Allemagne fait financer une partie de la reconstruction de l'ex-RDA par ses partenaires européens - notamment via sa politique des taux d'intérêts - tout en devenant le premier pays créancier de la Russie post-soviétique, en "paiement" de la chute du mur de Berlin. Dans le même temps, l'Allemagne réunifiée s'impose en Europe centrale et orientale. Autrement dit, durant la décennie 1990 la France se compromet en Russie auprès d'un Boris Eltsine peu brillant tout en perdant du temps en Europe de l'Est, pendant que Berlin achète sa tranquillité à Moscou pour s'imposer en Europe centrale et orientale, avec la bénédiction de Washington.

Au tournant du siècle, force est de constater le déclin du rang de la France dans le monde et en Europe.

Quelques comportements en question

Quels sont les travers à l'origine de cette dévaluation ? Sans prétendre à l'exhaustivité, voici quelques traits majeurs : le manque de vision du monde et de soi ; une conception contre-productive de la relation entre information et pouvoir, une politique étrangère volontiers déclaratoire mais souvent incohérente ; un goût pour les rivalités internes et les confrontations externes.

Le manque de vision du monde et de la place de la France dans les relations internationales contemporaines sont les deux faces d'une même médaille. Pour Gabriel Robin, ambassadeur de France, "la faillite de la politique étrangère française résulte avant tout d'une défaillance intellectuelle. Plus rien n'est vraiment pensé, justifié, conçu avec soin. Les dirigeants en sont à réagir d'instinct. L'alibi européen évite d'avoir à penser".

Pourtant, nous ne connaissons guère mieux nos voisins européens - y compris l'Allemagne - que la Russie de Poutine, la puissance américaine ou la moitié asiatique de l'humanité. Les Français éprouvent de véritables difficultés à reconnaître la singularité qui fonde la différence d'autrui, son altérité. Il en résulte une difficulté pour adopter le langage adapté à chacun.

En miroir, nous faisons encore peu de cas des images que les étrangers se font - à tort ou à raison - de l'Hexagone. Vécu comme du mépris et de l'arrogance, ce comportement s'avère doublement contre-productif. D'une part, les Français s'attachent ainsi un à priori négatif. D'autre part, ils passent à côté de signaux implicites ou explicites dont la prise en compte serait porteuse de progression.

L'arbitraire n'est pas loin

Ces comportements renvoient à une conception peu efficiente des relations entre information et pouvoir. D'autant plus mal digéré qu'il se drape dans les plis de la République, l'héritage monarchique produit des tendances à la monopolisation de l'information et à l'opacité, voire l'arbitraire de la décision.

Ainsi, la question européenne reste longtemps au Quai d'Orsay le monopole d'un petit groupe d'une quinzaine de spécialistes. L'immense majorité des diplomates - à l'image des Français - regardent de loin la construction européenne, sans conviction ni véritable information à propos de ces dossiers. Résultat significatif, "le personnel du ministère des Affaires étrangères épouse l'évolution de l'opinion publique française, passant d'une prédisposition relativement favorable à une attitude sceptique, voire critique", témoigne un diplomate. Il est délicat d'indiquer une proportion, notamment parce que les nuances abondent, mais nul ne peut nier qu'il y a de moins en moins d'euro-enthousiastes au Quai.

Au-delà de cet exemple emblématique, la tendance à la monopolisation de l'information réduit mécaniquement le pluralisme des débats internes aussi bien qu'externes. Ce qui explique la faible évaluation des données disponibles et la fragilité à l'égard de la désinformation. Enfin, ce comportement engendre une anticipation médiocre et la non-gestion des conflits à cause de la panne de la décision.

Comment s'étonner qu'il en résulte une politique étrangère volontiers déclaratoire mais souvent incohérente ? Il serait possible d'allonger la liste commencée depuis le début de ce chapitre. N'ajoutons que deux exemples, le premier à propos de la politique agricole européenne, le second au sujet de l'OTAN.

Quelle politique agricole ?

La France est particulièrement attentive et sensible à la politique agricole commune, dont les grands céréaliers tirent de larges bénéfices - mais existe-t-il à Paris une philosophie générale en la matière ? Après plusieurs décennies dans les institutions communautaires, un spécialiste s'interroge : "Les négociations sur les prix agricoles se tiennent chaque printemps. Pendant que les paysans défilent dans les rues, les représentants des gouvernements fixent - sous la pression - les prix des produits concernés. Ce qui renvoie nécessairement à une politique agricole.

Quelle est la politique agricole de la France ? Après de nombreuses années dans les institutions communautaires je ne la connais toujours pas. Veut-on le maintien des petites exploitations ou de vastes champs de blés ou de maïs de 300 hectares ? Considère-t-on les paysans comme les jardiniers des paysages de la France ou importe-on à moindre coût du beurre ou du mouton de Nouvelle - Zélande ? Alors qu'on devrait d'abord définir ce qu'on veut de manière cohérente, puis en déduire l'action à mener en fonction des circonstances, Paris réagit au coup par coup, au grès des évènements".

Le retour dans l'OTAN a-t-il été bien négocié ?

Second exemple : la position de la France à l'égard de l'OTAN. Sortie depuis 1966 du commandement intégré de l'OTAN, tout en restant dans l'Alliance, la France déclare sous le gouvernement d'Alain Juppé (1995 - 1997) avoir l'intention de revenir dans le commandement intégré de l'OTAN. Peu après, Paris pose une condition à son retour : obtenir un grand commandement, par exemple celui de l'Europe du Sud. Devant le refus des Etats-Unis, Paris change une nouvelle fois sa position et demande un grand commandement pour un pays européen, par exemple l'Italie ou l'Espagne puisque l'enjeu est l'Europe du Sud. Après quoi Rome et Madrid s'empressent de déclarer qu'elles ne veulent pas d'un tel honneur.

Finalement, les aspirations françaises tombent à l'eau. L'ambassadeur Jacques Jessel fait le commentaire suivant : "Un diplomate débutant le sait : si on engage une négociation en ayant une exigence essentielle, il faut formuler celle-ci avant de prendre un engagement dont elle constitue la condition sine qua non ! La demande française d'un commandement aurait du être abordée lors de pourparlers discrets avec les Etats-Unis. La France ayant eu des postes importants dans l'OTAN avant d'en quitter le commandement intégré, il était logique que Paris formule une telle demande. En revanche, il était prévisible que Washington refuse le commandement de l'Europe du Sud, parce qu'il inclut celui de la VI e flotte américaine que les Etats-Unis ne peuvent évidemment pas placer sous une autorité étrangère. Paris aurait probablement pu obtenir un autre poste, mais pas de cette manière incohérente. On ne pouvait pas mieux faire pour échouer".

Un beau discours … ne suffit pas

Ce genre de faux pas s'avère d'autant plus néfaste que la France a une certaine tradition de la diplomatie déclaratoire. Spécialiste de stratégie, Gérard Chaliand le constate à la faveur de ses déplacements à l'étranger : "Nous sommes de plus en plus perçus comme des gens qui font une entrée théâtrale mais qui ne livrent pas la marchandise". Le voyage du ministre des Affaires étrangères Hervé de Charrette au Proche-Orient semble un exemple éloquent, mais il serait possible de mettre dans le lot bien des tournées africaines.

L'écrivain britannique John Laughland conclut : "C'est parce qu'ils ne sont pas portés par une stratégie que de nombreux gestes diplomatiques de la France paraissent arrogants. Les étrangers voient le geste mais ne voient pas le sens. A force de faire des déclarations décalées qui ne mènent nulle part, la voix de la France finit par perdre de sa crédibilité". D'autant que l'expression tourne parfois à la cacophonie.

Un petit village gaulois ?

En effet, nous affichons un goût prononcé pour les rivalités internes et les confrontations externes. Au mois de mars 2000, le Premier ministre Lionel Jospin et le Président de la République Jacques Chirac s'opposent ainsi à propos d'une déclaration du premier concernant le Proche-Orient. Les concurrences tournent également à l'antagonisme entre ministères et entre corps administratifs. Enfin, les relations entre administrations et entreprises ne semblent pas toujours optimales en terme d'efficacité.

Ces entités publiques et privées manquent, en fait, d'un minimum de sens commun. Voilà probablement le plus grand déficit de la société française. Il explique ses difficultés à se réformer dans la concertation et la tentation d'utiliser la contrainte extérieure pour lever les blocages sociaux. Professeur à l'université de Princeton (Etats-Unis), Ezra Suleiman ajoute :"L'enjeu, pour les responsables politiques, consiste à refonder le contrat social en encourageant (le) dynamisme, car il en va de l'avenir de la France, mais en travaillant aussi à faire que tous les citoyens aient les moyens de marcher ensemble dans la même direction. C'est un enjeu et une difficulté. Aux acteurs politiques de savoir la surmonter" (4) .

Attitude à revoir

Notre prédilection pour l'antagonisme se retrouve dans les relations avec l'étranger. François Heisbourg observe que "face à des problèmes difficiles, les Français ont souvent tendance à jouer systématiquement la confrontation, sans chercher préalablement à créer discrètement un rapport de force favorable avec des alliés. Résultat, la France se retrouve souvent isolée et perdante au bout du compte. Parce qu'ils n'ont généralement pas le moindre souci du rapport de force ou de recherche d'alliés, les Français ont l'art de se faire gratuitement des ennemis.

Enfin, placés dans une situation délicate - par exemple à propos du Rwanda - ils ne savent pas se dégager à l'américaine, en disant : I'm sorry. Bill Clinton a ainsi fait taire les critiques à l'encontre du rôle des Etats-Unis dans la non-prévention du génocide, mais personne n'a entendu les responsables politiques français de l'époque manifester le moindre regret que la France ait pu voir son nom associé à ces évènements".

Quels hommes politiques ?

Au-delà de ces quatre travers majeurs, Jean Guellec, confie : "Ce qui me frappe actuellement, c'est la difficulté des hommes politiques français à donner un destin politique à la France. Ils n'ont plus le courage d'énoncer et de faire respecter les grandes valeurs. Une nouvelle génération doit valoriser les atouts de la France au XXI e siècle. Que les nouveaux hommes politiques soient clairs dans les buts et dans les moyens, ils mobiliseront les Français."

Sans atteindre encore de telles ambitions, les dernières années du XX e siècle comportent, peut-être, quelques signes prometteurs.

D'une part, la crise liée à l'ultime campagne d'essais nucléaires de la France, en 1995, a fait la preuve de l'aptitude des diplomates français à défendre la position de Paris - notamment hors d'Europe - pour peu qu'ils disposent d'instructions claires.

D'autre part, l'arrivée d'Hubert Vedrine au ministère des Affaires étrangères en 1997 marque, selon François Heisbourg, un début d'évolution des méthodes. "La manière dont il a orchestré l'opposition de Paris à une nouvelle intervention militaire contre l'Irak esquisse un changement : ne pas chercher la bagarre uniquement pour se faire plaisir. Avant que le coq ne se dresse sur ses ergots, il vaut mieux que les Français essaient de construire discrètement une coalition, pour faire évoluer la situation dans le sens qu'ils souhaitent. A cette occasion, le Quai défend avec beaucoup de professionnalisme une position raisonnable qui finalement l'emporte. Ce qui contribue à améliorer l'image de la France, y compris outre-Atlantique."

Enfin, le ministère des Affaires étrangères et le Service d'Informations du Gouvernement développement depuis 1998 l'étude systématique des perceptions étrangères de la France, ce qui semble indispensable dans un monde de plus en plus interdépendant. Encore faut-il qu'une stratégie cohérente soit mise en œuvre de manière suivie pour tenir compte des informations recueillies, avec les moyens financiers et humains appropriés.

* * *

Sur un terrain plus économique et social, l'inscription de la France dans le XXI e siècle dépend, pour terminer, de son aptitude à tirer partie de la mondialisation. Partie suivante>

Pierre Verluise

Notes :

(1) Lire à ce sujet le livre de Gabriel Robin : Un monde sans maître, éd. O. Jacob, 1995.

(2) Pour s'en convaincre, lire L'application du droit de l'Union européenne en France, par Jean-Luc Sauron, éd. La documentation Française, coll. Réflexe Europe, 2 e édition, mars 2000.

(3) Lire à ce sujet Le nouvel emprunt russe, Pierre Verluise, éd. O. Média, 1996. Disponible sur le site http://www.alapage.com

(4) Le Monde, 11 avril 2000.

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Mise en ligne 2001
     
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