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www.diploweb.com présente " Quelle France dans le monde au XXI e siècle ? ", par Pierre Verluise

4. QUELLE POLITIQUE ETRANGERE ?

Partie 4.4. Les objectifs de la politique européenne de la France sont-ils atteints ?

 

Introduction - 1. Comment les Français voient-ils le monde ? - 2. Quelles sont les images de la France à l'étranger ? - 3. Quels sont les outils disponibles ? - 4. Quelle politique étrangère ? - 5. Quelle mondialisation construire ? - Conclusion - Postface de Gérard Chaliand : Stratégie d'influence
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Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis jouent un rôle souvent méconnu mais décisif dans la reconstruction de l'Europe de l'Ouest. De diverses manières et à travers de nombreux relais officiels ou non, Washington favorise le développement de nouvelles formes de coopération entre ennemis d'hier, notamment via l'Organisation européenne de coopération économique et l'Union européenne des paiements.

Objectifs non-dits

Bon gré, mal gré, la France de la IV e République - alors en train de perdre pied dans son empire colonial - participe aux processus qui conduisent à la signature du traité de Rome, en 1957. A cette date, l'Allemagne n'a recouvré sa souveraineté que depuis deux ans. Elle reste divisée et dominée. Beaucoup pensent qu'il en sera toujours ainsi. Les Allemands de l'Ouest - eux-mêmes - sont stupéfaits qu'on s'intéresse encore à eux pour un projet d'association. Les négociations gouvernementales pour la mise en œuvre du Marché commun se déroulent donc dans un état d'esprit tout à fait différend de celui des années 1990. Quoi qu'il en soit, ces accords précèdent le retour au pouvoir du général de Gaulle, en 1958. Pourtant, le fondateur de la Ve République ne remet pas en question la participation française à la Communauté Economique Européenne. "Tout laisse à penser que le général de Gaulle espère maîtriser, sinon ligoter, l'Allemagne par la construction d'une Europe qu'il envisage indépendante des Etats-Unis", explique un diplomate.

Dans les coulisses

Ces deux objectifs non-dits de la politique européenne de la France restent en partie sous-jacents - ne serait-ce que sous forme de phantasmes - après la démission du général de Gaulle, en 1969. La France maîtrise-t-elle l'Allemagne ? Pour répondre à cette première interrogation, il paraît symptomatique d'étudier les coulisses des négociations monétaires européennes durant les trois décennies suivantes. En effet, l'instauration en 1999 d'une Union monétaire entre onze des quinze pays membres de l'Union européenne indique combien la monnaie occupe une place centrale dans la construction européenne. En la matière, qui de la France ou de l'Allemagne a le plus souvent - in fine - imposée sa volonté à l'autre ?

Un premier projet d'union monétaire avorte

Dès 1976, le président Valéry Giscard d'Estaing (1974 - 1981) entend construire une union monétaire. Ce projet rencontre peu d'enthousiasme chez les autorités d'Allemagne fédérale. Le 5 décembre 1978, cependant, les pays de la Communauté Economique Européenne parviennent à un accord prévoyant la création d'un Système Monétaire Européen (SME). Le calendrier convenu prévoit le passage à une phase institutionnelle en 1981, débouchant sur une union monétaire en 1981 - 1982.

A cette époque, lors d'une réunion au plus haut niveau dans le salon Colbert lambrissé de chêne du 93 rue de Rivoli, le chef de la délégation allemande se fait excuser sous un prétexte fallacieux. Un fonctionnaire allemand de moindre importance vient délivrer froidement le message de Bonn :"La phase institutionnelle du SME n'intéresse pas l'Allemagne. Le Fonds monétaire européen ne verra pas le jour". En dépit de leur signature antérieure et de tous les arrangements proposés, les Allemands enterrent - par leur seule volonté et à la stupeur générale - ce projet français devenu communautaire.

La conception de la BCE

En 1988 - 1989, les négociations à propos du nouveau projet d'Union monétaire butent au sujet de la conception de la future Banque Centrale Européenne (BCE). Satisfaits de l'indépendance de leur banque centrale - instituée après la Seconde Guerre mondiale par les autorités d'occupation - les Allemands prônent ce modèle. En dépit des réserves d'autres négociateurs, notamment Français, les Allemands imposent une BCE indépendante des gouvernements. Ce principe apparaît officiellement en 1989 dans le rapport rédigé par les gouverneurs des banques centrales européennes remis à la Commission de Bruxelles.

Cette concession au président de la Bundesbank, reprise par le traité de Maastricht, met la BCE dans un rapport de force favorable par rapport aux gouvernements. Elle se trouve désormais "en position d'influencer, dans l'opacité, les politiques économiques et sociales étatiques, à la place des peuples et de leurs représentants démocratiquement élus", écrit Laurent Carroué, membre de l'Institut d'études européennes (1).

Même quand les Français sont exemplaires

Au début des années 1990, les Allemands imposent une nouvelle fois leur volonté, en défendant pourtant une position paradoxale. Dans le cadre de la définition des critères à satisfaire pour qu'un pays puisse devenir éligible à la future monnaie unique, les Français se font alors les défenseurs de la plus stricte orthodoxie en matière de déficit public. Les hauts fonctionnaires français posent comme seul critère acceptable le niveau zéro, soit un budget équilibré. Contrairement à leur réputation d'orthodoxie, les Allemands prétendent calculer la dette publique en lui ôtant la part des investissements de la Loi de Finance. L'argumentation allemande est la suivante :"L'investissement public représente une dépense faite par les générations présentes pour les générations futures. Il ne semble donc pas normal que les générations actuelles paient tout l'investissement, puisque leurs descendants en profiteront. Les générations futures devront, pour cette raison, contribuer à son financement par le paiement du service de la dette". A cette argumentation, les envoyés de la rue de Rivoli récemment convertis à la rigueur budgétaire répondent avec la vigueur des nouveaux croyants :"Voici la porte ouverte à toutes les combines, notamment pour les gouvernements les plus faibles. Nous refusons."

Les représentants Allemands concluent alors :" Notre thèse semble peut-être moins orthodoxe, mais nous la trouvons meilleure ; nous allons donc faire comme cela." Voici comment se trouve décidé, avec le soutien de gouvernements que l'Allemagne juge habituellement peu sérieux, le critère de 3 % du déficit public annuel inscrit dans le traité de Maastricht. Ainsi, même quand les Français se veulent meilleurs financiers que les Allemands, ces derniers l'emportent.

"Cette fois, nous serons fermes"

En 1993, peu après la ratification du traité de Maastricht, la France escompte obtenir - en échange de ses nombreuses concessions à l'Allemagne quant à la conception de la monnaie unique - une satisfaction de prestige : héberger le siège de la future Banque Centrale Européenne. Croyant que la gastronomie pourrait emporter la décision, les Français soutiennent la candidature de la ville de Lyon. De leur côté, les Allemands avancent le dossier de leur place financière : Francfort. Ils répondent aux négociateurs Français cherchant à défendre la deuxième agglomération de l'Hexagone : "Nous ne voyons pas pourquoi vous vous fatiguez encore à nous parler de Lyon. Nous souhaitons que le siège de la BCE soit à Francfort. Il sera à Francfort."

Il ne reste plus au représentant français qu'à rédiger un compte rendu circonstancié pour le ministre des Affaires Etrangères, le Premier ministre et le Président de la République … qui laissent tomber la candidature française devant un tel argument d'autorité … et se promettent, une fois encore, d'être plus fermes sur le prochain dossier.

Un froid à la table des négociations

En 1995, les Allemands reviennent sur le nom de la future monnaie commune, convenu lors de la mise en place du Système Monétaire Européen, en 1978 - 1979. Les Français, à commencer par le Président Valéry Giscard d'Estaing, pensent depuis cette époque avoir gagné cette bataille hautement symbolique en faisant accepter l'Ecu, référence à une ancienne monnaie française.

Ce qui n'empêche nullement les Allemands d'annoncer en 1995 à la table des négociations : "Nous refusons désormais que la monnaie unique s'appelle l'Ecu. Ce sera l'Euro." Les Français en restent sidérés. Les représentants des autres pays déclarent cette affaire "regrettable". Les Allemands reprennent alors la parole :"Ce sera l'Euro. La discussion est close".

"On ne rit pas… ", précise le Président J. Chirac

En 1997 - 1998, la nomination du Président de la Banque Centrale Européenne voit Paris défendre la candidature de Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France. Finalement, l'Allemagne impose son candidat, Wim Duisemberg, au moins pour la première moitié du mandat, laissant espérer à Paris que son candidat en réalisera la seconde moitié.

Présentant ce "succès" diplomatique à la presse, le président Jacques Chirac doit lui-même préciser :"on ne rit pas …" A son retour en Allemagne, le chancelier Helmut Kohl essuie une volée de bois vert pour cet étrange partage de présidence et deux ministres allemands déclarent bientôt que le départ avant terme de Wim Duisemberg paraît incertain. Quand bien même, la demi nomination de Jean-Claude Trichet peut-elle apparaître comme une victoire ?

Mode d'emploi

Ainsi, l'étude sur trois décennies des modalités concrètes des négociations monétaires européennes indique combien la France - loin de maîtriser l'Allemagne à la faveur de la construction communautaire - cède le plus souvent devant l'autorité allemande. Un négociateur expérimenté témoigne : "Les représentants allemands ont toujours tendance à dire :"Voici comment nous voulons faire. Si cela ne vous plait pas, c'est regrettable, mais il faudra vous y habituer". Si le représentant d'un autre pays propose une alternative, il s'entend répondre : "Nous avons également des raisons pour lesquelles votre solution ne nous plaît pas. Nous voudrions que cette question se règle comme nous l'avons déjà expliqué. Alors, nous ferons comme cela."

Le plus déplorable en cette affaire est que les Français - ne comprenant généralement pas l'état d'esprit de leur partenaire réputé privilégié - ne cessent d'inventer des initiatives ou de faire des concessions que Berlin retourne ou utilise systématiquement à l'avantage de l'Allemagne.

Une propension ancienne

Mise en perspective historique, l'histoire monétaire des trois dernières décennies du XX e siècle ne fait que mettre en évidence un trait caractéristique des relations séculaires que la France entretient avec l'Outre-Rhin : une singulière propension à "faire la guerre pour le roi de Prusse".

Cette expression date du XVIII e siècle. Elle fait référence au roi Louis XV (1715 - 1774) qui a travaillé "pour le roi de Prusse" dans la guerre de Succession d'Autriche (1740 - 1748). En outre, celui-ci croît bon d'engager la France dans la guerre de Sept ans (1756 - 1763), pour offrir la Silésie à la Prusse en 1763. Il a de dignes successeurs.

Tout en affaiblissant l'Autriche, l'empereur Napoléon Ier (1804 / 1814 et 1815) amorce par sa politique d'expansion militaire le processus d'unification de l'Allemagne.

L'empereur Napoléon III (1852 - 1870) combat à son tour la maison d'Autriche, puis aide indirectement le chancelier Bismarck à achever l'unité allemande, en tombant dans son piège pour finalement capituler à Sedan, le 2 septembre 1870.

En 1919, la France signe un traité de Versailles qui réduit l'Autriche à une province mais laisse l'Allemagne presque intacte.

En 1989 - 1990, le Président François Mitterrand ne comprend rien à la réunification de l'Allemagne, qu'il prétend empêcher (2). Réduisant la diplomatie à l'entretien d'un rite, il oublie l'exercice intellectuel qui consiste à réfléchir au monde présent et au monde émergent. Au lieu de reconsidérer de manière dynamique la nouvelle donne stratégique, son gouvernement conçoit la marche forcée à l'Union monétaire comme un moyen de ligoter ce géant qui inquiète, non sans préoccupations électoralistes. Cela n'empêche pourtant pas l'Allemagne réunifiée de jouer plus que jamais son propre jeu, tant en matière diplomatique que monétaire. Résultat, l'Euro met l'Allemagne en situation de prépotence.

Du 7 au 11 décembre 2000, le Sommet européen de Nice - placé sous la Présidence française - ne s'est-il pas conclu par la mise en évidence du leadership de Berlin ? Au Parlement aussi bien qu'au Conseil, l'Allemagne a considérablement renforcé sa position par rapport à la France. Spécialiste de l'Allemagne, Edouard Husson tire la sonnette d'alarme : "Les renoncements successifs de Paris ne peuvent que contribuer à rendre l'Allemagne arrogante".

Pour autant, leurs renoncements répétés ont-ils permis aux Français de faire de l'Europe une force diplomatique indépendante des Etats-Unis ? Partie suivante>

Pierre Verluise

Notes :

(1) Universalia 1999, éd. Encyclopaedia Universalis, 1999, p. 195.

(2) Il créé ainsi un lourd passif entre les deux rives du Rhin, qui se manifeste au grand jour lors de la nomination du Président de la Banque centrale européenne.

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Mise en ligne 2001
     
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