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" Quelle France dans le monde au XXI e siècle ?
", par Pierre
Verluise 2. QUELLES SONT LES IMAGES DE LA FRANCE A L'ETRANGER ? Partie 2.4. Comment la France est-elle perçue aux Etats-Unis, au Japon, en Allemagne, en Europe de l'Est et en Afrique ?
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Introduction - 1. Comment les Français voient-ils le monde ? - 2. Quelles sont les images de la France à l'étranger ? - 3. Quels sont les outils disponibles ? - 4. Quelle politique étrangère ? - 5. Quelle mondialisation construire ? - Conclusion - Postface de Gérard Chaliand : Stratégie d'influence |
Mots clés - key words : pierre verluise, john laughland, jacques leprette, yasushi masaki, édouard husson, alexandra viatteau, jacques rupnik, jean-françois lionnet, geneviève delaunoy, représentations, france, états-unis, japon, allemagne, europe de l'est, afrique, union européenne, russie, relations franco-allemandes, questions monétaires, gouvernement, ordre public, autorité, questions sociales, lobbies, syndicats, économie de marché, libéralisme, économie administrée, entreprises publiques, semi-publiques, privées, révolution américaine, lafayette, f. d. roosevelt, charles de gaulle, juin 1940, stratégie, droits de l'homme, ordre international, littérature française, traité de versailles, europe centrale, traité de trianon, conférence de munich, 1er septembre 1939, 1947, guerre froide, totalitarisme soviétique, aveuglement des élites françaises, communisme, reconnaissance des crimes soviétiques, mikhaïl gorbatchev, chute du mur de berlin et du rideau de fer, françois mitterrand, attentes des pays d'europe centrale et orientale, elargissement de l'union européenne, otan, élites africaines francophones, francophonie, indépendances, pré carré, conférences nationales, réforme de la politique africaine de la france, accords de défense. | <Partie
précédente Les trois premiers pays cités dans ce titre précèdent tous - et de loin - la France en terme de puissance économique. Alors que les deux dernières régions mentionnées vivent une situation critique. Avant détudier les images de la France dans chacun des espaces cités, il importe de noter trois représentations communes aux pays les plus riches. Paradoxe Premièrement, " larrogance de la France leur paraît non seulement irritante mais paradoxale, compte tenu de lincroyable soumission des gouvernements français aux autorités allemandes ", remarque John Laughland. Ainsi, les spécialistes des questions monétaires observent que, au moins depuis les années 1970, les Allemands imposent presque systématiquement leur point de vue à Paris (1) . Bien que cela ait été peu montré par les médias français, cela na pas échappé aux étrangers les mieux informés. Un pays en crise permanente ? Deuxièmement, les observateurs des pays les plus riches sinterrogent sérieusement sur la capacité des gouvernements qui se succèdent à la tête de ce pays à lui impulser une direction politique. Les étrangers restent souvent pantois devant les difficultés des autorités françaises à maintenir tout simplement lordre public. On remarque que les gouvernements ne font que trébucher dune crise à lautre, dune émeute à Strasbourg à une grève des transports publics ou privés en passant par des manifestations lycéennes. Lors des mouvements sociaux déclenchés par le plan du second gouvernement dAlain Juppé, "The Economist" écrit le 9 décembre 1995 : " Des grévistes par millions, des émeutes dans la rue : les événements des deux dernières semaines en France font ressembler le pays à une République bananière dans laquelle un gouvernement assiégé cherche à imposer les politiques daustérité du F.M.I. à une population hostile ". John Laughland confirme que " les Américains comme les Britanniques ont limpression que les gouvernements français se laissent prendre en otage. Lexécutif est aux mains de multiples groupes de pression. Or, il appartient à un gouvernement dincarner lintérêt national. Ce qui suppose de se libérer des lobbies. Si un gouvernement en demeure lotage, il devient évident aux yeux du monde quil nest plus souverain, même chez lui. Il doit alors se contenter de rechercher le niveau le plus bas possible dinsatisfaction mutuelle entre les parties en présence. Les gouvernements français fonctionnent ainsi, réagissant à des pressions successives quils ne cessent dapaiser en promettant des subsides. Ce qui fait penser aux empereurs du temps de la décadence romaine, achetant le peuple en lui donnant du pain et des jeux ". Manque de maturité Troisièmement, les pays les plus riches du monde considèrent que les Français manquent singulièrement de maturité à propos des grands principes de fonctionnement dune économie moderne dans le cadre des lois du marché. Celles-ci sont perçues comme des données objectives, au même titre que la météorologie. Chacun peut trouver la pluie désagréable, mais nul ne peut en nier lexistence. En France, nous continuons à refuser lexistence de la pluie. Il paraît surprenant mais significatif quaucun des principaux partis politiques ne se réclame du libéralisme. La France reste donc perçue comme une économie administrée par un Etat omniprésent, dans un consensus quasi général. Les étrangers sétonnent, dailleurs, que des Français ayant réussi un concours administratif se propulsent par cooptation dans les conseils dadministration des plus grandes entreprises publiques, semi-publiques ou même privées. Il paraît encore plus surprenant que les postes dexpansion économique et dattachés commerciaux soient attribués à des fonctionnaires nayant pas la moindre expérience du monde de lentreprise. Une fois posées ces représentations communes aux pays les plus riches, cernons les cas des trois pays qui précèdent la France au classement économique, par ordre de prééminence. . La France vue des Etats-Unis Un Français peut aisément sillusionner à propos de la perception américaine de son pays. En effet, il arrive quà la seule évocation du mot " France " des Américains se lancent en un émouvant hommage du rôle de ses ancêtres durant la Révolution américaine. Appelé ironiquement " the La Fayette sauce ", ce baume lénifiant demeure cependant absent du discours à usage interne. Lors des commémorations du bicentenaire de la Révolution américaine, en 1976, laction des Français conduits par La Fayette fut généralement passée sous silence. Aussi faut-il se garder de tomber dans " the La Fayette sauce ". Le poids de juin 1940 Dautant que les représentations américaines de la France restent marquées par une des pages les plus sombres de son histoire contemporaine. Après avoir été trois fois en poste aux Etats-Unis, lambassadeur de France Jacques Leprette lexplique. " Le président F. D. Roosevelt sentait que le général de Gaulle apprécierait peu de ne pas avoir été invité à la conférence de Yalta. Aussi envoya-t-il Harry Hopkins à Paris pour essayer daplanir les difficultés. Celui-ci fut reçu, en février 1945, par le général de Gaulle qui lui dit : " Japprécie votre démarche, mais pour quelle raison lAmérique nous en veut-elle autant ? " Son interlocuteur répondit franchement : "Nous avons été stupéfiés par leffondrement politique et militaire de la France en juin 1940. Depuis ce jour, nous craignons que la France ne soit plus en mesure dexercer de grandes responsabilités ". On peut donc considérer quà Washington, la France a été mise en observation - pour ne pas dire entre parenthèses - à la suite de juin 1940 ". Concurrence Par ailleurs, les Américains se pensent porteurs dune dimension messianique les chargeant naturellement du destin de la planète. Aussi ne conçoivent-ils pas quun " petit " pays puisse lui aussi prétendre avoir une vision globale du monde. Dautant que cette vision - ou à défaut ses initiatives - sopposent volontiers à la stratégie de la Maison Blanche. Ce qui explique que la France soit souvent critiquée. En fait, les Américains voient en la France "une grenouille qui veut se faire aussi grosse que le buf". Dès que la France se porte au devant de la scène internationale, de multiples groupes de pression américains montent au créneau pour stipendier une attitude quils présentent à la fois comme ridicule et déplacée. Les Américains ne supportent pas que la France prétende mettre en uvre une politique de grande puissance, de surcroît le plus souvent sans cohérence. Cynisme ? Outre ce déficit de cohérence, les Américains reprochent aux Français leur absence de moralité, ce qui peut étonner davantage. Un haut fonctionnaire européen lexplique ainsi : " Pour les Etats-Unis, la France est un pays cynique, notamment parce que leurs théories des droits de lhomme diffèrent. Pour Paris, on ne peut enregistrer de progrès en matière de droits de lhomme quà condition de favoriser des progrès économiques. Selon Washington, les droits de lhomme sont un facteur de construction de lordre international. Au moins dans les apparences, les Américains tiennent à ce que leur diplomatie soit construite sur de solides principes idéologiques, voire religieux. Laction internationale de ce pays volontiers " bigot " ne doit donc pas paraître en contradiction par rapport à ses engagements religieux. Voici pourquoi les Etats-Unis peinent à admettre labsence de principes religieux dans la diplomatie française, y compris à propos des droits de lHomme. Dès lors, il ne faut pas sétonner que la politique arabe de la France soit perçue comme mercantile par un Congrès toujours prêt à sinquiéter de la sécurité dIsraël ". Quittons la première puissance économique mondiale pour découvrir comment la France est perçue dans larchipel qui sest hissé au deuxième rang. . La France vue du Japon Au début du XIX e siècle, le Japon de l'époque des samouraïs pratique une politique de fermeture à légard des étrangers. En revanche, lère Meiji amorce en 1868 une ouverture à lOccident. Les Japonais se procurent alors auprès des pays occidentaux lexcellence en matière de commerce, de techniques, dadministration et de culture. La France se trouve à cette époque en compétition avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni et lAllemagne. Japonais, particulièrement actif dans le domaine culturel, Yasushi Masaki marque la pesanteur du choix fait alors. "Vue comme la mère des systèmes démocratiques et juridiques, la France se voit de surcroît reconnaître à la fin du XIX e siècle une prééminence dans le domaine culturel. Les arts et la littérature française deviennent pour longtemps la référence des intellectuels japonais. Voici pourquoi Victor Hugo, par exemple, a exercé une grande influence sur les écrivains de larchipel. Il existe même des sociétés littéraires spécialisées dans létude de Balzac ou de Proust. Au début du XX e siècle, un esprit japonais se doit de venir à la source de cette culture, en faisant un voyage en France. Même avant la Seconde Guerre mondiale, les intellectuels nippons se réfugient volontiers dans la capitale française. Ce qui renforce encore la perception dune France pays de référence en matière culturelle. Après la fin du conflit, limage de la France senrichit de son excellence en matière dart de vivre et de mode. L'Empereur du Japon. Crédits: Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure Résultat, la France est encore perçue au milieu des années 1990 comme le pays des arts, de la mode, des produits de luxe, de la littérature et du cinéma. Jean Gabin, Alain Delon et Catherine Deneuve sont des noms et des visages connus des japonais". Les images de la France sont-elles aussi flatteuses dans la troisième puissance économique du monde ? . La France vue dAllemagne Alors que les noms les plus connus de lenseignement français sur lAllemagne atteignent lâge de la retraite, un jeune historien universitaire contribue à renouveler lapproche de ce pays. Normalien, agrégé et docteur en histoire, Edouard Husson (2) confie ici les observations faites lors de ses multiples séjours outre-Rhin. " Sil y a une chose qui compte en Allemagne, cest le respect de la parole donnée. Si l'on était polémique, on ajouterait que les Allemands se reconnaissent à eux seuls la possibilité de se défaire dun engagement antérieur (3). Or, les Allemands voient trop souvent dans les Français des gens peu fiables qui ne tiennent pas toujours parole. Cela les choque et explique quils aient parfois du mal à sentendre avec la France. Préjugés De surcroît, beaucoup d'Allemands manquent dune véritable connaissance de la culture française dans ce quelle a de singulier et dirréductible. La réciproque est vraie. Il reste beaucoup de préjugés à surmonter des deux côtés du Rhin. En 1995, les Allemands nont voulu ainsi voir dans la reprise des essais nucléaires français quune manifestation darrogance supplémentaire. Sans faire leffort de comprendre que la France possède une tradition politique propre et que Paris a su faire depuis les années soixante la distinction entre une stratégie de puissance et une diplomatie au service dun équilibre européen et mondial. De manière ironique, les Allemands se plaisent plus que jamais à désigner la France comme " la grande Nation ", en français dans le texte. Cette expression désigne, à lorigine, la France de la Révolution et de lEmpire. LAllemagne moderne sétant construite contre la Révolution et lEmpire, les Allemands daujourdhui se moquent ainsi de la Grande Armée... et de la France ". Ce sobriquet nous amène au fond des choses. Après avoir été d'un réalisme total, les Allemands se sont dit : " Puisque nos rêves fous de grande puissance nous ont conduits à léchec, acceptons de nêtre plus quune puissance moyenne, via léconomie ". Alors que les Allemands savent bien que la France arrive à des résultats économiques inférieurs de près dun tiers, ils ne comprennent pas - voire nadmettent pas - que les Français affichent encore des rêves de prestige et de politique étrangère indépendante de la puissance américaine. " Quoi quil arrive, les Allemands ont tendance à considérer que la France na - de toute façon - pas de véritable vision à proposer. Toutes ses prises de position sont donc, par définition, dépourvues de sens ", conclut un observateur européen. Sil existe un espace où la France et lAllemagne pourraient être en concurrence, cest bien lEurope de lEst. . Quelles sont les représentations de la France dans les pays dEurope centrale et orientale ? Les relations entre lHexagone et ces pays remontent à plusieurs siècles, mais nous nous limiterons aux seules représentations issues de faits survenus au XX e siècle. Nombre de méfiances contemporaines envers la France senracinent au lendemain de la guerre de 1914 - 1918. A la suite de la signature du traité de Versailles (28 juin 1919), plusieurs traités réorganisent les frontières de lEurope centrale. A tort ou à raison, la France est tenue pour responsable davoir contribué à la création dune Europe centrale composée de petits Etats qui nétaient pas de véritables Etats nations. A cause de leurs problèmes de frontières et de minorités nationales, ces entités non viables nont vécu que vingt ans. Les Hongrois, de surcroît, tiennent la France en partie responsable du démembrement de la Hongrie par le traité de Trianon (4 juin 1920). Labandon forcé dun tiers de la population hongroise en dehors des frontières a été un profond traumatisme. Pour les Tchèques, la conférence de Munich (28 et 29 septembre 1938) accole à la France une réputation de protecteur peu fiable, puisquelle na pas tenu ses engagements. Ce qui a contribué à laisser lAllemagne nazie écraser les Tchèques. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale naméliore pas la réputation de la France en Europe de lEst. Les Polonais se souviennent que Paris nenvoie pas le moindre corps expéditionnaire lorsque les Allemands envahissent leur pays le 1 er septembre 1939. En 1947, la Guerre froide devenue manifeste, les pays suivants sont abandonnés au totalitarisme soviétique : lAllemagne de lEst, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Yougoslavie, la Bulgarie et lAlbanie. Ces populations subissent durant plus de quatre décennies les multiples atteintes aux droits de lhomme induites par le système communiste. Faiblesse et aveuglement Quelles représentations conserve t-on aujourdhui du rôle de la France durant ces années noires ? Auteur douvrages remarqués sur la Pologne contemporaine (4) et enseignante à lUniversité de Paris II, Alexandra Viatteau répond. "Il faut bien admettre que la France a toujours eu de la faiblesse ou de laveuglement pour le système communiste. Cela jette aujourdhui encore une ombre sur ses relations avec les pays de l'Europe centrale et orientale. Dautant quau début des années Gorbatchev (1985 - 1991) les médias français ont le plus souvent fait preuve dune naïveté confondante en félicitant le Secrétaire général du Parti Communiste dUnion soviétique de sa reconnaissance courageuse, mais partielle des crimes... soviétiques. Alors que, depuis plusieurs décennies, les témoins et les victimes survivantes avaient pris le risque de faire parvenir en Occident dinnombrables informations et rapports sur les crimes du soviétisme. Ceux qui vivaient en Occident n'arrivaient pas davantage à faire entendre la réalité. Ces documents et ces témoignages sont, le plus souvent, restés sans suite. En revanche, quand une autorité soviétique fait mine de " découvrir " les crimes soviétiques... les Français applaudissent à tout rompre. Sans se rendre compte que l'on dévoile, enfin, ce qu'ils auraient dû savoir et clamer haut et fort depuis un demi-siècle. Dans les pays dEurope de lEst, ce comportement a été considéré comme naïf et conduit à regarder la France avec un peu de tristesse". A contretemps ? La chute du mur de Berlin et du rideau de fer place, à plus dun titre, la France en une situation peu favorable. Jacques Rupnik, enseignant et chercheur à la Fondation Nationale des Sciences Politiques, attire lattention sur une singularité de la situation française. " La coïncidence entre la chute du système communiste durant lhiver 1989 - 1990 et la présence en France dun président de la République et dun gouvernement socialiste a été lourde de conséquences en Europe centrale et orientale. Bien entendu, il sagit dun socialisme particulier, mais vu de pays où le système communiste vient de seffondrer, la France apparaît décalée. Durant les années 1990, la France apparaît donc en porte à faux par rapport à lévolution à luvre en Europe centrale et orientale, via une remise en cause de l'emprise de lEtat sur léconomie et la société. Il en va de même pour les modèles politiques. Seuls les moins démocrates - Illiescu en Roumanie et Tudjman en Croatie - prétendent alors sy inspirer dun " modèle français ", pour mettre en valeur une conception centralisatrice et autoritaire du pouvoir ". La méfiance domine A la fin des années 1990, une tournée des capitales Est européennes et une étude de leur presse conduit à constater que les perceptions de la France y varient de lindifférence à la suspicion systématique. Les rares a priori favorables - quelque fois en Pologne et en Roumanie - peuvent rapidement se transformer en dépit, tant la présence française demeure insuffisante au regard des attentes. En réalité, il devient exceptionnel que lon fasse en Europe centrale et orientale une pierre de touche des positions françaises. Dautant que le rôle de la France au sein de lUnion européenne reste, dans ces pays, tout à fait flou. Les jugements, le plus souvent défavorables, résultent des intentions cachées quon prête à Paris : arrière-pensées quant à la relation avec le Kremlin, hostilité de principe présumée vis à vis de la politique de Washington, réticences au sujet de lélargissement de lUnion européenne à ces pays... Voire intention de nuire, en voulant empêcher lélargissement de lOrganisation du Traité de lAtlantique Nord (OTAN) à certains de ces pays. Outre quon lui reproche volontiers son absence dans la région, la France se voit de plus en plus souvent attribuer le mauvais rôle, même en labsence de justification objective. Que la France se comporte en " trouble-fête " sans avoir de véritable politique en Europe centrale et orientale est jugé incohérent. Compte tenu des horreurs faites par les nazis en Europe centrale et orientale durant la Seconde Guerre mondiale, nest-il pas à la fois paradoxal et significatif que les Allemands réussissent à être aujourdhui mieux perçus que les Français dans cet espace éminemment stratégique ? Autre espace important, si lon en croît les efforts américains pour sy implanter, lAfrique. . La France vue dAfrique A la veille de la Première Guerre mondiale, la France possède le deuxième empire colonial du monde. LEmpire français est alors essentiellement africain. Il comprend une forte proportion de lAfrique du nord, de lAfrique occidentale et de lAfrique équatoriale, sans oublier lîle de Madagascar. Si lEmpire nexiste plus depuis les années 1960, il subsiste en héritage de la colonisation des relations complexes avec près dun tiers des pays africains. Ministre plénipotentiaire et Directeur pour lAfrique des Etudes et de la Recherche au Centre des Hautes Etudes sur lAfrique et lAsie Modernes (CHEAM), lambassadeur Jean-François Lionnet introduit la réflexion. " Au-delà des diversités, il existe chez les élites africaines francophones une représentation assez largement commune de la France contemporaine. La France reste le pays de la Révolution de 1789 et lancien colonisateur, mais c'est aussi une "moyenne grande puissance" grâce à ses attributs politiques, militaires, économiques et culturels. Enfin, disposant dans sa politique étrangère d'une dimension spécifiquement africaine, l'Hexagone est le pays qui s'est révélé le plus intéressé au développement. Pour autant, le bilan apparaît nuancé. Au nombre des succès de la France sur le continent, on considère que les pays avec lesquels elle a entretenu des relations étroites se sont, depuis leur indépendance, généralement moins déchirés que dautres. Au nombre des échecs, les Africains relèvent une approche partielle du continent et constatent une trop grande complaisance pour les dirigeants et les régimes amis. Ce travers culmine au Rwanda en 1994, à la veille d'un génocide pourtant annoncé. Enfin, malgré des comparaisons parfois flatteuses, le maigre résultat des politiques daide au développement n'échappe à personne. Par ailleurs, il faut éviter de se leurrer sur létat de la francophonie en Afrique. Seulement 10 % des africains, généralement citadins, maîtrisent véritablement la langue française. Environ 10 % lutilisent plus ou moins à loral et près de 80 % ne lânonnent même pas, y compris dans les pays francophones ". Des relations complexes L'Algérie constitue un cas particulier. La durée comme les modalités de la colonisation et les violences de la guerre d'indépendance (1954 - 1962) laissent des cicatrices, de part et d'autre. "Il en résulte une relation encore passionnelle, mais toujours entachée de suspicion, explique Geneviève Delaunoy. Au niveau des élites, et dans une moindre mesure de la population, cette relation de haine / amour et de fascination / répulsion rappelle sans cesse le passé tortueux qu'ont vécu ces deux pays. Cela conditionne encore la perception qu'ils ont l'un de l'autre. Depuis l'Algérie, la France semble à beaucoup un eldorado, où tout paraît - à tort - plus facile. Cette représentation est renforcée par la proximité géographique et les échanges réguliers. Pour autant, Paris apparaît souvent beaucoup trop paternaliste, voire interventionniste aux yeux d'Alger, ce qui ne fait qu'accroître la susceptibilité de ses dirigeants". En Afrique noire, le passé colonial fut généralement moins long et la cohabitation plus pacifique, sauf à Madagascar où il y eut des soulèvements durement réprimés. La lutte pour l'indépendance fut surtout le fait des intellectuels, contestant la domination française au nom de la devise nationale française : Liberté, égalité, fraternité. Compte tenu des modalités des indépendances, Paris a pu éviter pendant longtemps mise à plat de ses relations avec ses anciennes colonies. Par ailleurs, alors que ces pays espéraient entretenir une fois indépendants des rapports plus égalitaires avec Paris, ils restent confrontés à une arrogance et un paternalisme d'une époque présumée révolue, tout en devant reconnaître qu'ils sont de plus en plus économiquement dépendants. Si Paris a soutenu nombre de dictateurs, beaucoup d'Africains sont reconnaissants à la France d'avoir, à la suite de la chute du mur de Berlin, suggéré l'organisation de conférences nationales réunissant toutes les composantes nationales. La première s'est tenue au Bénin et à fait tache d'huile sur le continent. Réforme ou abandon ? Depuis 1997, comment les représentations de la France sont-elles affectées par lévolution de sa politique africaine ? Apporter des éléments de réponse à cette question conduit à esquisser la nature des relations construites au fil du temps. Sil existe un point commun qui unifie les images de la France chez les Africains, cest que toute relation humaine y reste perçue selon les modèles familiaux, villageois ou claniques. Parce quils ont manifesté leur force, les Français ont par le passé accaparé la place des chefs. Dans un schéma familial, le chef est toujours le détenteur dune autorité paternelle dont on attend non seulement un pouvoir, mais aussi une aide et une protection. Bientôt quatre décennies après les indépendances, il nest pas rare dentendre dans les sphères dirigeantes un discours qui revient à dire : " Vous avez été les maîtres pendant près dun siècle, vous nous avez formés, vous êtes nos pères. En conséquence, vous devez faire en sorte que nos difficultés cessent ". Même au niveau des élites capables dabstractions intellectuelles, ce discours reste sous-jacent, parce que la tendance culturelle africaine reste de reproduire le modèle quon a reçu. Compte tenu de ce terrain, le désengagement en cours de la France ne peut être que mal perçu puisquil est vécu comme la trahison dune relation qui nadmet pas ce genre dabandon. Aussi nombre dAfricains persistent-ils à revendiquer des relations privilégiées. Très répandue chez les paysans, cette demande sera critiquée par nombre dintellectuels. Pour autant, sans en être dupes, ces mêmes intellectuels produiront parfois ce discours dans lespoir dobtenir une concession. En 1996, lexpulsion de Maliens a ainsi été utilisée afin dobtenir de Paris de nouvelles aides publiques. Ce mode de relation induit une constante rivalité dintérêts dans laquelle les parties sutilisent mutuellement mais ne coopèrent pas véritablement de manière constructive. Ce qui explique, en partie, léchec de nombreux projets de développement. Aigreur La nouvelle politique africaine de la France engendre donc une aigreur défavorable à ses représentations en Afrique. La France n'est plus perçue comme une grande puissance mais comme une puissance régionale qui n'a plus les moyens de sa politique. Voici pourquoi ces pays recherchent une diversification de leurs relations, via de nouveaux accords bi et multilatéraux. Cependant, même si les images deviennent moins favorables, linfluence de la France sur le continent reste non négligeable, et les accords de défense nombreux. Pour autant, il ne serait guère étonnant que les Américains tirent profit des rancurs accumulées à lencontre de la France pour faire avancer leur jeu sur ce continent riche en ressources minières. Ainsi, en dépit de leur diversité, les représentations de la France aux Etats-Unis, en Allemagne, en Europe de lEst et en Afrique ne plaident pas systématiquement en notre faveur. Le Japon apparaît, peut être, comme le moins mal prédisposé. En dépit des reproches qui nous sont souvent faits reste-t-il quelques points dappuis pour rebondir ? Partie suivante> Notes : 1. Ce point est détaillé dans le chapitre 4, consacré à la politique étrangère de la France. 2. Lire, notamment, son ouvrage intitulé : LEurope contre lamitié franco-allemande, des malentendus à la discorde, coll. Combats pour la liberté de lesprit, éd. François-Xavier de Guibert, Paris, 1998. Comprendre Hitler et la Shoah. Les historiens de RFA et l'identité allemande depuis 1949, coll. Perspectives Germaniques, Presses Universitaires de France, 2000. 3. En janvier 1999, Berlin a ainsi remis sur la table les accords franco-allemands concernant le nucléaire civil. A. Viatteau est, notamment, l'auteur de Staline assassine la Pologne, 1939 - 1953, éd. Seuil, Paris, 1999. Lire, aussi : Katyn, larmée polonaise assassinée, 1940 - 1943, éd. Complexe, coll. La mémoire du siècle, Bruxelles, 1982 première édition et 1989 deuxième édition.. Copyright janvier 2001-Pierre Verluise/ www.diploweb.com |
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