Michel Foucher publie l’« Atlas des mondes francophones », préface Alain Borer, cartographie de Pascal Orcier, éd. Marie B, 2020. Il est auteur de nombreux ouvrages, dont « L’obsession des frontières » (éd. Perrin, 2012) et « Europe, un dessein, un destin » (éd. Marie B, 2019). Il est géographe, ancien ambassadeur, chaire de géopolitique appliquée au Collège d’études mondiales (FMSH). Propos recueillis par Pierre Verluise, docteur en géopolitique, fondateur du Diploweb.com. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages.
A propos de francophonie, pourquoi parler de pluralité ? Comment caractériser les présences francophones en Europe, en Afrique subsaharienne, en Asie et en Amérique ? Peut-on distinguer des francophonies du Nord et du Sud ? Pourquoi la France est-elle, paradoxalement, le premier chantier de la francophonie ? Et demain, quelle place pour les francophonies dans un monde globalisé post-covid19 ?
Le géographe et ancien ambassadeur Michel Foucher, auteur de l’« Atlas des mondes francophones », préface Alain Borer, cartographie de Pascal Orcier, éd. Marie B, 2020, répond aux questions de Pierre Verluise, fondateur du Diploweb.com. Entretien illustré de deux cartes réalisées par Pascal Orcier.
Pierre Verluise (P. V.) : A propos de francophonie, pourquoi parlez-vous de pluralité ?
Michel Foucher (M. F.) : Je propose en effet avec cet « Atlas des mondes francophones » (éd. Marie B, 2020), une géographie des situations de francophonie. La géographie est l’art de la diversité. Si l’on constate l’unité normative de la langue écrite, s’impose à l’observateur la pluralité des pratiques et des littératures. Centralité de la France qui regroupe encore 72% des francophones dénombrés selon l’origine, le français y étant langue maternelle ou seconde. Diversité des statuts et des territoires.
Dans les autres grandes aires linguistiques, à l’exception de la Chine, la nation mère est minoritaire : le Portugal ne rassemble plus que 4% des lusophones, l’Espagne moins de 9% et le Royaume-Uni 16% des anglophones en langue première. Quant à l’Égypte, le plus peuplé des pays arabes, elle ne regroupe que le quart des arabophones.
La construction francophone est donc singulière, du fait de la position dominante de la France et de la place de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), née à Niamey en 1970 et dont le siège est à Paris. En même temps, la réalité est celle de « mondes francophones », selon le statut de la langue - maternelle ou seconde -, sa maîtrise – complète ou partielle – et son usage – circonstanciel ou constant. La variété de ces situations explique la diversité des dénombrements, de 90 millions à 300 millions.
La francophonie au singulier est une communauté d’appartenance ; les mondes francophones, au pluriel, désignent la diversité des pratiques orales et écrites. Avec un « f » minuscule, la francophonie est un espace linguistique d’échelle mondiale. Avec un « F » majuscule, il s’agit d’une ambition de peuples ayant la langue française en partage et les instances institutionnelles qui l’organisent.
La pluralité se lit sur les nombreuses cartes de l’« Atlas des mondes francophones » également dans la géographie de la langue française, qui est mondiale, en héritage de sa diffusion historique, depuis les premiers établissements en Amérique du nord (Québec, Acadie, Louisiane, Antilles et Guyane), en Afrique et en Inde, enfin dans l’ancienne Indochine et en Océanie.
Elle se lit dans la cartographie des localisations des locuteurs en langue française dans son exposition à de multiples autres langues. On pense ici aux pays du Maghreb et au Liban (à côté de l’arabe), à la Belgique (avec le flamand), au Luxembourg (allemand et portugais), dans la Confédération Helvétique (Schweizer-Deutsch, italien et romanche) et en Andorre (catalan), en Haïti et dans les Antilles (créoles), au Canada bien sûr (face à l’anglais)
Les apprenants, dans les 492 écoles et lycées français dans 137 pays, les 109 écoles de la Mission laïque française, les 98 Instituts culturels français et les 835 Alliances françaises et les nouveaux locuteurs sont désormais plus nombreux hors de France.
La pluralité se révèle enfin dans la floraison des littératures-monde en français pointées par le grand écrivain Jean-Marie Gustave Le Clézio [1] pour marquer que, tout en gardant sa norme originelle (grammaire, orthographe), la langue française est vivante, diversifiée ainsi qu’en témoignent les salons du livre en France et dans le monde comme les vitrines des libraires. Une littérature qui serait « libérée de son pacte exclusif avec la nation », qui serait donc ouverte au monde, transnationale, dont les seules frontières seraient celles de l’esprit. La création d’une chaire des mondes francophones au Collège de France à partir de 2019, confiée chaque année à un écrivain différent et dont les conférences sont accessibles en ligne confirme cette pluralité.
P. V. : Comment caractériser les présences francophones en Europe, en Afrique subsaharienne, en Asie et en Amérique ?
M. F. : La géographie des mondes francophones est héritière de l’histoire et se nourrit aujourd’hui d’un intérêt pour l’étude et l’usage d’une autre langue que l’anglo-américain.
En Europe, le français est la langue première de 14% des citoyens de l’Union européenne, au même niveau que l’anglais, l’italien mais derrière l’allemand (18%).
Dans une vision plus ample, le monde francophone européen associe les locuteurs de langue maternelle (France, Suisse romande, Belgique de Wallonie-Bruxelles, Andorre, Monaco et Val d’Aoste italien) et ceux qui ont appris le français comme langue étrangère (Grèce, Pologne, Bulgarie, Roumanie, Allemagne). La permanence historique et géopolitique de la géographie linguistique européenne est remarquable : l’allemand domine en Europe centrale et balkanique et le français est utilisé en Europe méridionale et au Benelux. La relation franco-allemande reste déséquilibrée puisque 73% des élèves allemands apprennent le français contre 15% seulement des élèves français l’allemand.
Ceci finit par favoriser l’usage de l’anglo-américain. La Belgique est le seul pays au monde à avoir institué une « frontière linguistique », dès 1921 au tracé modifié en 1962 et qui crée quatre régions distinctes : langue française, néerlandais, allemand et bilinguisme à Bruxelles-Capitale. La Confédération helvétique pratique un plurilinguisme assumé, tant au plan officiel qu’à celui des répertoires individuels. A la différence du Canada et de la Belgique, la Confédération n’a pas de législation linguistique détaillée et un seul article de sa Constitution (article 116, 1938, modifié en 1999) précise : les quatre langues nationales sont l’allemand, le français, l’italien et le romanche. Au Parlement de Berne, chacun s’exprime dans sa langue, sans interprétation.
Dans l’hémisphère américain, la place de la francophonie résulte de trois courants distincts.
D’abord il convient de remarquer la résilience et le volontarisme du Québec et de ses alliés du Nouveau-Brunswick (ancienne Acadie) où tout est fait pour défendre une langue géographiquement minoritaire, tant au Canada lui-même qu’en Amérique du nord. Les acteurs Québécois sont les plus actifs à défendre la langue française, notamment en proposant systématiquement des équivalents français aux termes anglo-américains globalisés. Quelques exemples dont je laisse au lecteur le soin d’identifier l’original : courriel, égo-portrait, infolettre, socio-financement, réseautage, plan d’affaires, magasiner, y compris en ligne. Le français est la seule langue officielle du Québec depuis 1974. Aux États-Unis, La Louisiane et le Maine comptent un peu plus de deux millions de locuteurs de français, en incluant les diasporas du Sénégal et d’Haïti.
Ensuite, il faut rappeler l’ancienneté des liens culturels entre la France et l’Amérique latine, depuis le XIXème siècle. Les idées issues des Lumières puis du positivisme (Ordre et Progrès, sur le drapeau national du Brésil, devise d’Auguste Comte), de la démocratie et des droits de l’homme ont percolé dans ces pays, avec le relais efficace des Alliances françaises dont six pays forment les principaux foyers : 30% des apprenants, 35% si l’on ajoute la Méditerranée américaine, dès lors que l’Alliance française la plus fréquentée du monde en termes d’apprenants est celle de La Havane. De nouvelles ouvertures, toutes d’initiative locale, ont eu lieu depuis 2019 : Mérida et Cancun au Mexique, Miami en Floride (dont il faut rappeler que c’est la capitale économique de la Méditerranée américaine), San Cristobal au Venezuela.
Enfin, Haïti, les Antilles et la Guyane française sont des sociétés tout ou partiellement francophones et leurs productions littéraires et culturelles sont fécondes. C’est Yanick Lahens qui est la première titulaire de la chaire des mondes francophones au Collège de France. L’héritage d’Aimé Césaire, écrivain engagé, est donc vivant.
L’Asie est le maillon faible de la francophonie mondiale, sauf dans le domaine de la recherche.
Héritage encore en Afrique sub-saharienne, et Léopold Sedar Senghor fut, avec Hamani Diori du Niger et Habib Bourguiba de Tunisie, l’un des précurseurs de la Francophonie institutionnelle, dont l’intention initiale était de garantir des liens étroits avec la France postcoloniale sur le modèle du Commonwealth britannique. Senghor, comme l’écrivain algérien Boualem Sansal, n’hésitaient pas à revendiquer l’usage de « ce merveilleux outil trouvé dans les décombres du Régime colonial » [2]. Le campus franco-sénégalais de Diamniadio a été ouvert en septembre 2019, associant dix établissements de formation supérieure sénégalais et neuf français. Le Sénégal réplique à sa mesure la stratégie suivie par le Maroc dans le champ de la coopération universitaire francophone et paritaire. Et le Maroc bénéficie de l’usage de la langue française pour étendre son influence sur son Sud.
Le Burkina Faso avait su, avant les tensions politiques actuelles, organiser des festivals culturels de portée continentale. Les dirigeants de l’Afrique de l’Ouest sont actifs dans l’émergence d’institutions régionales et on a compris au Nigéria et au Ghana que l’Afrique de l’Ouest était en partie francophone. Seul le manque de professeurs limite leur choix de l’ouverture linguistique. Enfin que le Franc CFA soit renommé ECO, sans que le lien avec l’euro, monnaie forte, ne soit cassé est une bonne nouvelle pour une dynamique francophone décomplexée.
L’Asie est le maillon faible de la francophonie mondiale, sauf dans le domaine de la recherche (centres de recherche en sciences politiques à New Delhi, Bangkok, Hong Kong, Taipeh et Tokyo et médecine, Chine, Cambodge et Vietnam). Le fait francophone, vu de France, peut faire illusion si l’on s’en tient à la seule lecture des romans de Marguerite Duras et des travaux d’Alexandre Yersin (sur le premier sérum anti-pesteux et la toxine diphtérique) mis en épopée par Patrick Deville dans Peste et choléra. [3] En réalité, l’effort éducatif de la France en Indochine fut très réduit : 34 000 locuteurs dans l’espace vietnamien en 1940, 3 écoles et mille élèves au Cambodge en 1945. Si Norodom Sihanouk s’est accroché au train de la Francophonie pour y trouver des alliés et des protecteurs de sa neutralité, ailleurs, la francophonie est peu représentée (600 000 locuteurs au Vietnam sur 100 millions d’habitants), malgré le relais de la diaspora. C’est finalement en Chine que le développement de l’intérêt pour la langue française est le plus vif, à la fois par le rôle de la France dans l’Union européenne et les objectifs de la Chine en Afrique francophone.
P. V. : Peut-on distinguer des francophonies du Nord et du Sud ?
M. F. : Cette distinction entre deux sous-ensembles que j’ai introduite dans l’« Atlas des mondes francophones » (éd. Marie B, 2020), a pour fonction de souligner la pluralité des mondes francophones, dont la dispersion sur tous les continents et le polycentrisme font la force.
La francophonie du Sud – Maghreb et Machreck, Afrique occidentale et centrale – est supposée, dans les projections démographiques, prendre le relais, au milieu du XXIème siècle, de la nation mère, la France dite « métropolitaine » précisément. En réalité, la progression de l’usage de la langue française ne se réalisera qu’à deux conditions : d’une part, par un effort accru d’investissement dans la formation des enseignants de français, dans un continent qui a connu la plus forte progression de l’accès à l’école primaire, grâce aux contributions des budgets nationaux et des ménages ; d’autre part, par la démocratisation de l’usage d’une langue qui reste perçue comme celle des élites urbaines et qui est rarement la première langue parlée à la maison. Avant de scolariser en français, il convient de le faire dans les langues vernaculaires et véhiculaires.
A mon sens, le rôle des pays du sous-ensemble de la francophonie du Nord est d’accompagner cet effort, notamment en réorganisant l’Organisation internationale de la francophonie, qui ne consacre plus que 14% de son budget à la diffusion de la langue française et s’est ouverte dans le passé à des Etats non francophones. Si le souhait est vraiment de faire du français « l’une des grandes langues-monde de demain et un atout dans la mondialisation -, tel qu’il a été formulé par le Président français le 20 mars 2018 à l’Académie française. Et l’Agence française de développement a mis l’accent sur l’assistance à la formation des maîtres, en lien avec l’Union européenne et le Canada (Conférence de Dakar sur l’éducation et son financement, 2 février 2018
P. V. : Pourquoi défendez-vous l’idée paradoxale que la France est le premier chantier de la francophonie ?
M. F. : La Direction générale de la langue française et des langues de France (DGLFLF), au Ministère de la Culture, définit la politique officielle de la langue française. Après avoir soutenu la ligne du plurilinguisme afin de faire vivre la langue française dans une globalisation qui parle « anglo-américain », la DGLFLF a complété son action pour encourager les Français à parler français chez eux. Elle présente un rapport chaque année au Parlement sur l’état de « la défense et l’illustration de la langue française », pour reprendre la belle expression de Joachim du Bellay (1522-1560).
Le poète voulait faire reconnaître l’égale dignité de la langue nationale, à côté du latin et du grec. Ce manifeste fut écrit en 1549, une décennie après l’Ordonnance de Villers-Cotterêts par laquelle François Ier imposa le « langage maternel francoys » dans l’administration, la justice et le droit. Du Bellay œuvre ensuite avec les poètes du groupe de La Pléiade pour en faire une langue d’études et d’éducation. L’exemple récent d’élévation du toscan, matrice de la langue italienne, en lieu et place du latin, servit de référence.
Ce château de Villers-Cotterêts (département de l’Aisne), une fois rénové, deviendra la Cité de la francophonie, en 2022, sur décision du Président Macron. Entre 1539 et 2020, la langue française s’est imposée en France même comme langue nationale, ce qui fut acquis à la fin du XIXème siècle, a essaimé sur tous les continents, fut une langue diplomatique de référence jusqu’en 1919. Elle a perdu du terrain dans les institutions européennes au profit de l’anglais et en France même.
Chacun peut recenser l’invasion des termes anglo-américains dans l’usage quotidien, que ce soit dans les enseignes des magasins, dans la communication publicitaire, dans les réunions d’entreprise, dans la communication publique et bien entendu dans les pratiques numériques. Par cohérence avec mon propos, je m’abstiendrai délibérément d’employer le moindre terme importé mais le lecteur pourra consulter et compléter par lui-même des exemples de nos paresses et de nos dérives en la matière dans les pages conclusives (60 à 63) de mon Atlas des mondes francophones (1ère édition, mars 2020).
M. Marini a indiqué que de nombreux pays francophones invitaient la France à se montrer plus exigeante en matière de défense de son patrimoine linguistique.
Que des réunions internationales tenues en France ayant pour objectif d’attirer l’attention des investisseurs étrangers comportent des slogans et des mots d’ordre rédigés dans la langue internationale des affaires est compréhensible. Que des réunions européennes à Bruxelles soient monolingues pour éviter des frais d’interprétation l’est moins. Que de grandes enseignes commerciales récusent l’emploi du français comme si cette langue avait perdu toute modernité n’est pas acceptable. Mais les lois Toubon (4 août 1994 et décret d’application du 3 juillet 1996) et Marini (2004-2017), qui visent à protéger et promouvoir l’usage de la langue française ont été menacées d’être jugées contraires au droit européen de libre circulation des produits. Dans les débats au Sénat sur sa proposition de loi complétant les dispositions de la loi de 1994 (notamment sur les communications électroniques et la police des enseignes), M. Philippe Marini, a fait valoir que sa démarche résultait notamment de son expérience de maire face à la multiplication des enseignes non francophones et au conditionnement culturel de la jeunesse véhiculé par « une mondialisation largement anglo-saxonne ». Jugeant de bon sens de s’étonner de l’existence de « certains quartiers de Paris où il est possible de parcourir plusieurs centaines de mètres sans voir aux devantures des magasins ou sur les enseignes un mot de français, ni même parfois un mot articulé en caractère latin », M. Marini a indiqué que de nombreux pays francophones invitaient la France à se montrer plus exigeante en matière de défense de son patrimoine linguistique.
M. Jacques Legendre a affirmé que la législation sur la langue française ne visait pas à « retrouver sa pureté », mais à « veiller à ce que des domaines entiers de l’activité humaine ne cessent pas, même en France, d’être exprimés en français ». Rappelant la nécessaire conciliation entre la liberté d’expression et la lutte contre l’abandon progressif d’un vocabulaire mettant en péril l’existence même de la langue, le rapporteur a fait valoir que les politiques linguistiques très strictes mises en œuvre par les Flamands, les Catalans ou les Québécois avaient démontré leur efficacité. Il s’est par ailleurs félicité de l’enracinement progressif des normes édictées par la loi Toubon, relatives à l’information des consommateurs ou à l’emploi du français sur le lieu de travail. Et le Parlement doit examiner chaque année l’état des lieux de l’usage du français. Une révision de la loi Toubon a été mise en chantier par le Ministère de la culture en 2019.
Enfin, la Commission des affaires européennes du Sénat, à l’initiative de M. Jean Bizet, a adopté un avis politique le 29 janvier 2020 pour dénoncer le recul de l’usage de la langue française dans les institutions européennes (de 40% en 2000 à 5% en 2014) et s’étonner du paradoxe, qu’à l’heure du « Brexit », l’anglais s’impose comme la seule langue de travail à Bruxelles dans un ensemble multinational et plurilingue. Les technologies de traduction pourraient aider à enrayer cette dérive. Il reste que le plurilinguisme – étudier et parler la langue du voisin – est la clef de la compréhension mutuelle. Et l’école française a encore un effort à faire pour l’atteindre, la France restant le pays d’Europe où les élèves rencontrent le plus de difficulté à atteindre le niveau attendu : seuls 23% des élèves atteignent le niveau espéré à la fin du collège, pour une moyenne européenne de 41%, selon le rapport du Conseil national d’évaluation des politiques scolaires [4]. Parmi les explications de ces difficultés, le Conseil pointe le rapport complexe que les Français entretiennent à leur langue, dans un pays édifié sur le refus du plurilinguisme à l’école – en raison de la coïncidence entre langue et identité nationale - et la non-reconnaissance des langues parlées à la maison et étudiées de manière marginale dans l’institution scolaire. Et l’abandon du français dans la communication internationale accompagne la nostalgie de la perte d’une ancienne position dominante et l’acceptation d’une lassitude historique d’être nous-mêmes.
P. V. : Et demain, quelle place pour les francophonies dans un monde globalisé post-covid19 ?
M. F. : La grande prudence s’impose dans une situation inédite d’une telle incertitude. On peut simplement esquisser les deux observations qui suivent.
D’abord, les mondes francophones sont des aires de formation, de recherche et de circulation des idées. Comme les autres aires linguistiques, à commencer par le Commonwealth. Ceci vaut particulièrement pour les questions de santé, traitées comme une priorité dès l’époque coloniale. Dans le seul cas de la France, la moitié des 18 000 étudiants étrangers en médecine en 2018 provenaient du continent africain (9 288 Maghreb et Afrique de l’Ouest), devant les Roumains, les Italiens et les Belges. La France étant un pays de référence dans ce domaine, il n’est pas douteux que des échanges scientifiques s’opèrent, d’autant que plusieurs pays d’Afrique de l’ouest ont tiré des leçons préventives de l’épidémie d’Ébola. De plus, en une telle période d’incertitude, les gouvernements sont enclins à adapter des mesures préventives observées ailleurs, même si leur efficacité n’est pas immédiate.
Ensuite, la francophonie du Nord regroupe des Etats démocratiques dont la gestion de la pandémie, importée de Chine, rappelons-le, est en train de s’avérer efficace. La résilience des pays démocratiques est réelle : le système médical français est dynamique. La communauté scientifique est puissante, compétente et écoutée des décideurs politiques. La digitalisation de l’économie est en progrès. Un essai paneuropéen (Discovery) est en cours pour trouver des traitements efficaces face au Covid 19. Il est donc probable que les francophones du Sud, observant ce qui se passe en France, au Canada et en Europe, ne prendront pas pour argent comptant les vertus supposées d’un « modèle chinois » qui a montré ses graves lacunes bureaucratiques et qui est fondé sur un mélange de mensonges d’Etat-parti sur le nombre réel de victimes et de contrôle totalitaire des populations. Les régimes démocratiques européens sortiront confortés de cette épreuve universelle.
Manuscrit clos le 9 avril 2020
Copyright Avril 2020 Foucher-Verluise/Diploweb.com
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. Michel Foucher, « Atlas des mondes francophones », préface Alain Borer, cartographie de Pascal Orcier, éd. Marie B, 2020.
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4e de couverture
La langue française est un des piliers de l’influence française, aux plans culturel, politique et économique.
Les rapports que le français entretient avec une large part de ses locuteurs, et notamment ses locuteurs de demain, sont en pleine recomposition.
A côté de la francophonie (institutionnelle « française ») est en train d’émerger une « francosphère » (la sphère d’expression de ses locuteurs et créateurs), riche de dynamiques.
A travers, une série de cartes, de portraits et de rencontres, un livre de référence pour tous ceux que l’influence française dans le monde intéresse.
Michel Foucher est auteur de nombreux autres ouvrages, dont « L’obsession des frontières » (éd. Perrin, 2012) et « Europe, un dessein, un destin » (éd. Marie B, 2019). Il est géographe, ancien ambassadeur, chaire de géopolitique appliquée au Collège d’études mondiales.
Alain Borer (préfacier) est écrivain, auteur notamment de « De quel amour blessé, réflexion sur la langue française » (éd. Gallimard, 2014)
[1] « Pour une littérature-monde en français », manifeste de JMG Le Clézio et 43 écrivains français, octobre 2007
[2] Le français langue de culture, Revue Esprit, novembre 1962
[3] Seuil, 2012
[4] « De la découverte à l’appropriation des langues vivantes étrangères : comment l’école peut-elle mieux accompagner les élèves ? » 11 avril 2019.
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