L’Est et l’Ouest européens semblent aujourd’hui se faire face à travers l’existence et la subsistance d’un certain nombre de crispations entre deux aires supposées du continent. Comment les comprendre ? Pascal Orcier répond de façon argumentée et nuancée, avec plusieurs précieuses cartes. Une conférence prononcée dans le cadre du Festival géopolitique. Vidéo accompagnée d’un résumé rédigé par Joséphine Boucher pour Diploweb.com.
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Résumé par Joséphine Boucher pour Diploweb.com
L’Est et l’Ouest européens semblent aujourd’hui se faire face à travers l’existence et la subsistance d’un certain nombre de crispations entre deux aires supposées du continent. Cette notion d’Est et d’Ouest renvoie en effet au poids historique mais aussi à certaines imprécisions dans la délimitation exacte de ces deux zones supposées du continent européen. Il faut d’abord s’interroger sur ce que l’on nomme lorsqu’on parle d’Est européen aujourd’hui. S’agit-il des Etats situés en dehors de l’Union européenne et qui sont restés dans la sphère d’influence russe ? Ou bien des Etats ayant rejoint le bloc européen depuis 2004 et qui tardent à trouver leur place dans ce corps à 28 ? Traiter cette question implique également de s’intéresser aux facteurs qui interviennent dans l’entretien de ces incompréhensions.
La première approche élargit l’étude au voisin russe avec la question des différends entre l’UE et l’imposante Russie. Des perceptions qui divergent, des divisions qui s’accumulent : voilà peut-être un bref résumé des relations entre les deux entités. S’il n’existe plus d’ennemi commun dans la rhétorique post Guerre froide, il y a en revanche des menaces diffuses incarnées selon les pays membres de l’Union par des réalités différentes. La perception de la menace en Europe est hétérogène : ce serait la menace islamiste en Europe de l’Ouest, et, héritage historique, la Russie pour les pays d’Europe centrale et orientale, depuis la Finlande et la Suède jusqu’aux rives de la mer Noire. Produit de l’Histoire du XXe siècle comme de faits récents à l’image de la guerre en Géorgie en 2008 et de l’annexion de la Crimée en 2014, la menace russe est aussi incarnée par des épisodes moins connus comme les violations répétées d’espaces aériens ou encore des manœuvres militaires non loin des frontières orientales de l’Union. Du point de vue de la Russie et des Etats d’Europe centrale et orientale, il apparaît également une ligne de fracture quant à la perception de l’OTAN. L’organisation, qui a déployé en Europe orientale des unités dans le cadre de la surveillance aérienne du ciel européen, est tantôt perçue comme une menace ou à l’inverse comme une protection entre les pays qui en font partie, ceux qui n’en font pas et ceux qui seraient candidats dans le Caucase et dans les Balkans. Par ailleurs, parmi les contentieux entre l’UE et la Russie, certaines affaires témoignent des crispations encore existantes. En témoigne l’affaire du Kosovo en 2008, qui laisse apparaître une nette division à l’échelle du continent entre les Etats qui le reconnaissent comme un Etat indépendant et ceux qui considèrent l’indépendance comme illégale (5 Etats membres de l’UE). Plus tard, la crise syrienne (2011 - ) a aussi pu révéler des divergences avec la Russie au sujet des frappes aériennes contre le régime syrien. Quant à la crise ukrainienne de 2014, elle a mobilisé une solidarité européenne à l’égard de l’Ukraine. Enfin, l’affaire Skripal de tentative d’assassinat d’un ex espion russe en Grande-Bretagne (4 mars 2018) a mené à l’expulsion symbolique de diplomates russes. Pour finir, la consultation des données du Conseil de l’Europe et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme révèle que la Russie est au premier rang de l’ensemble des condamnations prononcées en 2017. Les divisions sont donc d’ordre politique, social, institutionnel, et semblent illustrer une interprétation différenciée de la démocratie et des droits de l’Homme.
Au sein même de l’Union, comment expliquer l’existence de telles différences internes entre pays dits d’Europe centrale et orientale et pays de l’Ouest ? Dans les années 1990 et 2000 se propage l’idée d’un retour à l’Europe dans ces pays et de l’unification politique du continent, d’un rééquilibrage entre Etats via la diffusion des valeurs occidentales, de l’économie de marché et de la prospérité à l’échelle du continent. Il s’agit alors de s’intégrer et de rejoindre les différentes structures communautaires. Mais même si les chiffres témoignent d’un rattrapage économique, il subsiste néanmoins d’importants écarts entre les régions orientales et occidentales. En effet, le processus s’est fait de manière différenciée selon les régions, en bénéficiant davantage aux zones frontalières au contact de l’ancien bloc de l’ouest et à celles abritant les capitales nationales. Cela a ainsi contribué à creuser les écarts entre la région de la capitale et le reste du territoire délaissé.
Dès lors, peut-on parler d’une « européanisation » incomplète ? Celle-ci était présentée comme la diffusion du modèle occidental mais l’Europe de l’Ouest semble avoir sous-estimé la prise en compte pourtant nécessaire des valeurs et des représentations toujours à l’œuvre en Europe de l’Est. Malgré des progrès réalisés dans la diffusion des règles et des normes, il existe toujours des facteurs de résistance inhérents à ces sociétés, héritages des pratiques politiques de la seconde moitié du XXe siècle. Il est clair que l’indice de démocratie a nettement progressé dans ces pays, y compris sur le plan de la lutte contre la corruption, et que le fonctionnement démocratique y est meilleur, mais les processus de transformation interne prennent manifestement plus de temps que les processus techniques ou que la simple volonté politique.
En même temps, l’adhésion à la communauté européenne a représenté un choc sur le plan culturel puisqu’elle a confronté des sociétés longtemps cloisonnées par le rideau de fer (1947-1989) et des frontières nationales à une mondialisation grandissante. Cette ouverture est d’abord incarnée par l’intensification des flux de travailleurs en provenance des pays est-européens, suscitant des départs massifs notamment du personnel médical. Privés d’une partie de leurs forces vives et de leurs élites, les Etats de départ ont donc fait appel à une main d’oeuvre immigrée contrôlée et encadrée par des règles fixes (contrats à durée déterminée uniquement et ne donnant pas droit à l’accès à la nationalité). Ainsi, les étrangers ont pu passer comme des figures stigmatisant tant les méfaits de la mondialisation que les dégâts de l’intégration européenne. La crise des migrants de 2015-2016 a accentué ce phénomène avec l’expression d’une certaine xénophobie en Europe centrale, au sein de cet espace de transit entre la Méditerranée et l’Europe du Nord. Le phénomène de retour des frontières est à ce titre hautement significatif, avec la reconstruction de clôtures notamment en Hongrie et à la frontière orientale, dans les pays baltes, à partir de 2017. Ce choc de l’ouverture s’appuie sur des sociétés qui connaissent un déclin démographique accentué depuis une trentaine d’années, en particulier en Ukraine (hors UE, mais candidate officieuse), en Pologne et en Estonie. Ce contexte nourrit alors des craintes autour des idées de dépeuplement et d’affaiblissement de la nation, suscitant la remontée de craintes d’ordre identitaire qui expliquent sans doute le retour de mouvements nationalistes incarnés par des gouvernements associés à ces idéaux en Pologne, en Hongrie ou encore en République Tchèque. Ce décalage démographique peut dès lors être considéré comme une sorte de matrice au retour de ces phénomènes de repli identitaire, au retour des valeurs traditionnelles et de formations politiques qualifiées de populistes.
Finalement, les sociétés sont-elles plus lentes à changer que l’économie ? On peut à ce titre s’intéresser au sujet des droits LGBT en Europe, qui révèle un gradient entre l’Est et l’Ouest de l’Europe, entre des Etats plus tolérants et d’autres plus fermés. Il y a d’un côté les processus politiques et de l’autre le temps des sociétés, beaucoup plus long et lent, qui rencontre davantage de résistances et qui est source d’incompréhensions.
Ces incompréhensions sont aujourd’hui incarnées par la montée générale du nationalisme et des populismes qui traduit les frustrations à l’égard de l’incomplétude de cette européanisation et de la persistance de blocages venant de l’Ouest. À titre d’exemple, la Bulgarie et la Roumanie n’ont pas encore rejoint l’espace Schengen alors qu’elles sont techniquement intégrées. Malgré la mise en place de dispositifs de contrôle des frontières, de coopération policière et d’ouverture du marché du travail, ces deux Etats restent encore dans l’antichambre de l’espace Schengen, ce qui alimente les frustrations et les incompréhensions.
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En déclarant que « l’Ukraine appartient à notre famille européenne », le Conseil européen n’a pas promis son adhésion mais élaboré une formule de compromis entre les États membres qui le souhaitent et ceux qui restent prudents. Quels sont les règles, critères et la pratique en matière d’adhésion à l’Union ? Quelles sont les conditions et les obstacles à cette voie ? Non seulement à l’obtention de ce statut mais aussi, à plus long terme, aux conséquences potentielles de ces adhésions. Quelles réponses de l’UE : grand saut, petits pas ou une alternative ? Fort d’une exceptionnelle expérience des élargissements de l’UE, Pierre Mirel présente un tableau remarquablement documenté. Il termine sa démonstration par une proposition.
Pour conclure, intéressons-nous à l’Allemagne en tant qu’elle peut être considérée comme une sorte de caisse de résonance privilégiée des incompréhensions entre l’Est et l’Ouest européens. Du fait de sa position charnière à l’échelle de l’Union et de son statut historique de laboratoire de la réunification du continent, peut-être pourrait-on en observant la situation allemande mieux comprendre les attentes, les déceptions et les espoirs de cette Europe dite de l’Est. Le pays pourrait être perçu comme un écho de cette Europe réunifiée qui veut continuer à s’étendre mais qui tarde à adopter des positions communes et une mémoire partagée.
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