Stratégie d’influence

Par Gérard CHALIAND , le 1er janvier 2001  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Spécialiste de géopolitique. Ecrivain

Au début des années 2000, la France est à la fois dans une phase de baisse relative de statut et en posture défensive tandis que sa situation économique et sociale est peu dynamique ce qui amenuise, voire décrédibilise, ses propositions. Comment rebondir ?

Publié sur le Diploweb.com en 2001, ce texte a contribué à la prise de conscience de la nécessité d’une nouvelle stratégie d’influence française. Il a été par la suite publié en version papier.

Le courage ne manque pas aux membres lorsqu’il ne fait défaut à la tête. Machiavel

LES POLITIQUES d’influence sont de l’ordre des stratégies indirectes. A une époque où celles des actions directes sont de plus en plus rares et bridées pour les Etats industriels démocratiques, il n’est pas étonnant que les stratégies d’influence soient considérées comme particulièrement importantes. Elles constituent des vecteurs subtils, plus ou moins feutrés, pour conforter des positions économiques, politiques et culturelles.

Israël est l’Etat qui, par rapport à sa puissance industrielle exerce l’influence la plus grande dans le monde. A l’inverse l’Italie, qui appartient au G7, est l’Etat dont l’influence, par rapport à sa puissance industrielle, est la plus faible.

Précision

Avant de déterminer les voies et les moyens pour maximiser une stratégie d’influence, il est important d’établir une distinction entre influence et rayonnement. Le rayonnement est le produit du prestige historique et culturel d’un Etat. L’influence s’exerce par le truchement de la puissance politique et économique d’un Etat, l’influence culturelle étant la conséquence de cette puissance. Israël influence souvent de façon décisive mais, en tant qu’Etat, ne rayonne pas. L’Allemagne influence mais ne rayonne plus depuis deux générations. La France, par exemple en Amérique Latine, rayonne mais n’influence que modestement. L’Autriche a cessé à la fois de rayonner et d’influencer.

Pour la France, qui rayonne comme grande puissance au plan politique, militaire et culturel jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le problème est aujourd’hui d’éviter de glisser vers le statut de l’Italie. Grâce à une expansion économique vigoureuse, durant les années qui séparent de l’après-guerre de la première crise pétrolière (1973), à une remonté démographique, à la possession de l’arme nucléaire, grâce à un siège au Conseil de Sécurité, au maintien d’une zone d’influence directe en Afrique et au prestige du général de Gaulle, la France joue un rôle et occupe une place de choix, bien que graduellement déclinante, depuis un quart de siècle.

Le monde a changé

La rupture essentielle marquée par l’après-Guerre froide - 1991 est une des trois dates clefs du siècle avec 1914 et 1945 - se traduit par un recul de la position qu’occupait la France. Des facteurs indépendants de notre volonté ont pesé dans le sens d’une perte relative d’influence.

La fin de la bipolarité accentue de façon décisive la suprématie des Etats-Unis déjà apparente à l’époque de M. Gorbatchev. La Guerre froide nous était au total favorable. Ce n’est pas le gaullisme qui est caduc, c’est le monde qui fut celui du général de Gaulle.

La réunification de l’Allemagne - quelles que soient par ailleurs ses difficultés circonstancielles - ramène, de façon décisive, le centre de gravité de l’Europe de demain à Berlin. On prétend que l’Allemagne a des moyens sans stratégie. C’est, à mon sens, ne pas percevoir sa dynamique objective. Celle-ci est fondée sur deux facteurs. D’une part, la fin de la culpabilisation, avec la disparition physique de la génération née avant 1925. D’autre part, l’Allemagne tire bénéfice de sa puissance économique, voie royale pour transformer en pouvoir politique sa présence considérable en Europe centrale et orientale, facilitée par la place qu’occupait la RDA dans le "camp socialiste" durant la Guerre froide.

Par ailleurs, avec le Chancelier Kohl, la France a perdu son partenaire le plus favorable. Ceci à un moment où nos relations avec l’Allemagne se distendent. En 1990, l’Allemagne représente 28 % de la production industrielle de la Communauté européenne, la France 18 % et la Grande-Bretagne 13 %. Nous étions en 1990 la 4ème puissance mondiale, talonnée par une demi-douzaine d’Etats, tandis que le deuxième et le troisième étaient loin devant.

Le recul en Afrique des positions françaises - dont l’analyse sort de notre propos - ajoute un élément à notre repli (Rwanda, Burundi, Congo demain peut-être le Cameroun).

La fin du tiers-mondisme où tant en Amérique latine que dans le monde afro-asiatique, les intellectuels français - pour le meilleur et pour le pire - jouaient un rôle non négligeable. La langue et la culture française servaient souvent aux élites d’autres continents de contre-feux à l’envahissement de l’anglais et de la culture américaine.

Ajoutons que notre dynamisme au cours des deux dernières décennies, en gros depuis 1974 - a été des plus mesuré. Par souci de paix sociale à tout prix, les mesures impopulaires, quel que soit le gouvernement, ont été évitées ou remises à plus tard. Entre-temps, la montée du chômage ainsi que celle du Front national véhiculait une image de la France timorée et repliée sur elle-même, malgré les déclarations d’intention des dirigeants sur la vocation mondiale de notre pays.

Quelle Europe ?

L’Europe qui est notre avenir stratégique est, pour l’instant et pour une période indéterminée, en devenir. Le facteur temps et l’excessive multiplication des partenaires sont chargés d’incertitudes et constituent une série de paramètres que nous ne maîtrisons pas. L’Europe que nous souhaitons est-elle à l’image de celle qu’espèrent nos principaux partenaires ? Par ailleurs, n’y-t-il pas une contradiction entre nos buts proclamés qui sont dans le fil du gaullisme et nos conduites qui depuis quelques années les contrarient ?

Malgré des réalisations industrielles et technologiques importantes, notre situation actuelle est médiocre dans la mesure où nous subissons à la fois les effets de notre relative stagnation et, surtout, l’impact considérable de la concurrence américaine dans nombre de domaines. Nous subissons aussi la montée irrésistible de la langue anglaise et de ses moyens de diffusion ; le piétinement relatif de la construction d’une Europe dotée d’un projet autonome ; les limites de notre capacité d’intervention en ex-Yougoslavie ; notre recul en Afrique ; le vide de l’UEO, etc.

Par voie de conséquence, nous sommes à la fois dans une phase de baisse relative de statut et en posture défensive tandis que notre situation économique et sociale est peu dynamique ce qui amenuise, voire décrédibilise, nos propositions.

Le principe d’efficacité

La francophonie est un facteur d’identité et doit être renforcée là où elle existe. Ailleurs, le message français, quand il y en a un, devrait être véhiculé selon un principe d’efficacité dans les langues comprises par le public qu’on veut atteindre. Un effort particulier doit être fait pour que les étudiants de français à l’étranger puissent aisément trouver des structures d’accueil en France pour des périodes variant de 1 à 12 mois.

Il est également nécessaire d’améliorer notre image politique, sciemment contrée aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Les rapports avec des ambassades avec les faiseurs d’opinion devraient être plus réguliers. Certains de ceux-ci devraient être sélectivement invités à Paris. La capitale reste un lieu d’attraction considérable dont il faut tirer parti.

La francophonie comme dogme est devenue l’un des obstacles à notre influence. Il nous faut traduire en anglais ce qui chez nous est original, particulièrement en matière d’articles importants (internet) ou de livres durables.

Pour envisager une politique d’influence, il nous faut tirer profit de la situation de paix relative - puisque nous ne sommes confrontés à aucune menace sérieuse mais à des nuisances - afin d’établir un bilan de nos carences et de nos atouts, de réformer et de dynamiser ce qui peut l’être et de préparer l’avenir. Faut-il insister sur le fait que de façon ultime nous pèserons en très grande partie ce que pèsera notre puissance technico-économique ?

A cet égard, l’impulsion essentielle devrait venir de la capacité à mener une réforme administrative destinée à redonner dynamisme à un appareil étatique lourd et paralysant d’une part, et d’autre part à entreprendre les réformes - mêmes impopulaires - permettant de retrouver une vitalité économique. De ces deux réformes, la plus importante et la moins probable est la réforme administrative. Par crainte de déplaire, nos gouvernements successifs se contentent trop souvent de gérer à la petite semaine des corporatismes.

Mener une politique d’influence implique trois éléments fondamentaux :

. Des buts soigneusement définis et cohérents.

. Une cohésion dans l’exécution qui nous manque et dont nous semblons incapables.

. Une continuité.

L’exemple américain

La politique d’influence des Etats-Unis est diffusée par un ensemble de vecteurs :

. L’idéologie : la démocratie, l’économie de marché et les droits de l’homme, ceux-ci étant sélectifs et constituant une arme politique.

. La langue anglaise, devenue vernaculaire à l’échelle mondiale, bénéficie du capital de l’Empire britannique (ex-colonies et dominions de la couronne). Cette langue est véhiculée - avec ses messages - sur Internet, CNN, des radios (Board of international broadcasting, Radio Free Europe, Voice of America), le cinéma, les séries télévisuelles, les vidéos, etc.

. L’influence des Etats-Unis s’exerce directement ou indirectement sur les institutions internationales comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (25 % du budget de ces organismes est payé par les Etats-Unis selon USIA) mais aussi la FAO, l’UNESCO et l’ONU, particulièrement depuis l’effondrement de l’URSS.

. Les réseaux, de plusieurs types, jouent un rôle essentiel. Il existe des réseaux religieux (par exemple les églises protestantes en Amérique latine), des réseaux politiques (par exemple avec des Etats comme Israël, la Turquie, l’Arabie Saoudite ou le Japon), des réseaux interpersonnels avec tous ceux qui sont allés étudier ou travailler aux Etats-Unis, ou chez eux avec des Etats-Unis ou des firmes américaines. Des fichiers existent, par pays ou par profession et les contacts sont maintenus de façons diverses. Ce que la France ne fait pas.

L’USIA

Pour mesurer régulièrement leur image - reflet au moins partiel de leur influence - les Etats-Unis disposent d’une agence : US Information Agency. Celle-ci publie une série de sondages effectués, à la demande de l’USIA, par des organismes de sondages locaux sur des questions intéressant les Etats-Unis.

Les points forts des Etats-Unis dans la stratégie d’influence exercée de façon ciblée sont :

. La formation des élites économiques, politiques et militaires des pays qui leur sont favorables. Quand cela est possible, un système scolaire similaire à celui des Etats-Unis y est développé, d’où l’aisance avec laquelle un étudiant de ces pays s’adapte au système universitaire américain. C’est le cas, par exemple, au Brésil, pays qui avait naguère un cursus à la française.

. La pêche aux cerveaux permet d’attirer chez soi des éléments de valeur, déjà formés, en leur donnant les moyens de travailler. (La liste serait longue des chercheurs étrangers qui ont été de passage en France et que nous avons perdus faute d’avoir su les retenir. Depuis quelques années, nous perdons même nos propres diplômés, tandis que notre immigration est presque entièrement composée de gens peu ou pas qualifiés).

. Des ambassades axées non seulement sur le travail politique - qui consiste aussi à maintenir des contacts avec le réseau des amis des Etats-Unis au sens le plus large - mais sur des services commerciaux actifs, animés non par des fonctionnaires de formation n’ayant jamais fait fructifier de capital mais par des hommes d’affaires recrutés à cet effet pour une période donnée. La conquête d’un marché se fait en écoutant l’autre et en répondant d’abord à ses besoins, non en l’assurant qu’on a ce qui lui faut puisqu’on en est le fabricant, ce qui reste une méthode de vente fréquente chez les industriels français.

Deux exemples européens

La Grande-Bretagne, quant à elle, axe sa politique d’influence sur :

. Une collaboration avec les Etats-Unis chaque fois que c’est dans l’intérêt de la langue anglaise, par exemple en matière de radio.

. Même durant les années où son économie était médiocre, le maintien d’un très haut niveau de qualité de ses médias : BBC, World Program, télévision éducative, journaux et hebdomadaires, par exemple le Financial Times et The Economist, dont la France n’a pas l’équivalent.

. Un réseau très sélectif de soutien sélectionné et cultivé par les ambassades et invités dans le cadre de négociations utiles à la Grande-Bretagne dans des châteaux et autres lieux historiques dont l’Etat a la disposition.

. Londres reste un carrefour politique, financier, commercial et culturel très important et une plaque tournante que la politique d’Air France ne nous a jamais permis d’égaler. La politique de reconversion de British Airways a plus de dix ans. Celle menée à l’égard d’Air France illustre assez bien notre incohérence - ou nos conservatismes.

Quant à l’Allemagne, son influence - au profil discret compte tenu du passif de la Seconde Guerre mondiale dont désormais 55 années nous séparent - s’exerce d’abord économiquement et commercialement à travers des politiques dynamiques menées par les firmes allemandes et non par l’Etat ou les entreprises d’Etat.

. En Europe centrale et orientale et dans l’ex-URSS, l’implantation est grandement facilitée par des décennies de présence technique, commerciale et linguistique de la RDA.

. Ailleurs, des pénétrations déjà anciennes ont été faites, sur le continent américain et en Asie. La Deutsche Welle émet en 8 langues en Asie, au lieu de 4 pour Radio France Internationale.

Dans ce domaine, malgré des avancées considérables, la France reste en retrait par rapport à la BBC qui émet en 14 langues - tandis que Voice of America émet en 17 langues. L’Afrique francophone est évidemment abondamment couverte, mais ni en Haoussa, ni en Swahili, ni en Malinké.

Les Français sont leur pire ennemi

Notre principale faiblesse est d’ordre interne : multiplication des divisions internes (économiques, sociales, culturelles, etc.)

Il nous faut améliorer notre efficience. Notamment celle de l’Etat, trop fort consommateur avec 45 % du Produit Intérieur Brut en prélèvement obligatoire. Il nous faudrait dégager 3 à 5 % sur la Sécurité Sociale comme sur le fonctionnement de l’Etat. Sommes—nous en mesure de le faire ? C’est antienne que de constater qu’il y a dans ce pays trop de positions acquises à divers échelons, les syndicats n’étant pas de reste dans cette sclérose.

Il importe de se donner les moyens d’une véritable réduction du chômage dont les effets désintégrateurs parmi les jeunes sont considérables.

Crise des élites

Au sommet, on ne peut que constater une crise des élites. Contrairement à ce qui s’entend communément aujourd’hui, le problème n’est pas l’existence de l’Ecole Nationale d’Administration ou de Polytechnique mais la pérennité de la position acquise. Guère de place pour ceux qui sont issus d’autres filières et notamment du terrain et qui pourraient irriguer par des méthodes ou une pensée originale à la fois l’Etat et les entreprises nationalisées. Il s’agit d’un oligopole socioculturel caractérisé par l’absence de concurrence. Nos gouvernements, quels qu’ils soient, sont trop souvent issus de la fonction publique. De surcroît, nos élites formées dans un même moule se retrouvent aussi dans le privé et dans l’univers politique, ce qui tend à renforcer une pensée uniforme.

En ce qui concerne nos entreprises, elles ont, d’une manière générale, fait un gros effort d’innovation entre 1975 et 1990/91. Mais elles se caractérisent, depuis, par une grande frilosité. Le patronat n’a plus de projet porteur. En vivant partiellement de contrats et de subventions de l’Etat, le grand patronat ne fait pas son travail d’entrepreneur.

Négocier pour réduire les confrontations

En matière d’emploi, il nous faut porter l’effort dans deux directions. Il importe d’assouplir les règles permettant la création de petites et moyennes entreprises (la différence avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne est consternante). Il nous faut, surtout, négocier davantage. Ce qui ne veut pas dire céder. Les 35 heures payées 39 ne se justifient pas. 35 h se payent 35. Fallait-il qu’elles soient obligatoires ou généralisées ? Compte tenu de la pyramide des âges, il faudra, dans une décennie, augmenter le nombre d’heures dans de nombreuses entreprises et reculer l’âge de la retraite dans certains secteurs. Il est vrai que cela sera à la charge d’un autre gouvernement. Le dialogue social dans notre pays est si discret qu’il oblige, pour être entendu, à recourir aux actions de rues. Il nous faut développer des mécanismes de négociation et réduire les confrontations.

Pourtant, nos atouts existent. Nous sommes très performants dans ce qu’on pourrait nommer les "gros systèmes". Qu’il s’agisse d’Airbus, d’Ariane, d’EDF-GDF, de l’eau, des barrages, des travaux publics, de ports, d’aéroport, de Train à Grande Vitesse, de métro, de Telecom, etc.

Par contre, si nous savons concevoir et faire, nous ne savons pas vendre. Nous sommes trop souvent représentés par de purs ingénieurs, non par des ingénieurs technico-commerciaux. Il est vrai que nous avons formé dans les quarante dernières années des élites économiques, commerciales et financières. Mais elles ne sont pas suffisamment influentes. Le modèle français est-il adapté aux conditions du marché ? Celui du travail est trop réglementé. Nous gelons nous-mêmes nos dynamismes.

. Nous sommes performants dans les technologies de pointe (armement compris).

. Dans l’agro-alimentaire (où les Italiens nous ont devancés sur le marché vietnamien).

. Dans la mode et les produits de luxe (où nous sommes grignotés).

. Dans le tourisme où, en Europe avec 60 millions de visiteurs, nous dépassons l’Allemagne (40 millions) et l’Italie (30 millions) malgré un accueil qui, à Paris, laisse à désirer, etc.

L’utilisation de la stratégie indirecte toute de plasticité et d’adaptabilité suppose l’existence d’objectifs politiques bien définis et d’une organisation des moyens à cet effet.

C’est la cohérence de ce projet adapté à nos moyens et à nos buts qui rend efficace une stratégie d’influence.

A cet égard nous sommes, compte tenu de nos moyens, à la fois trop dispersés (nous sommes après les Etats-Unis le pays qui a le plus grand nombre d’ambassades) et trop peu présents économiquement en Asie orientale où s’érige une partie du monde de demain. Un réexamen de notre diplomatie compte tenu de nos buts et de nos moyens s’impose et, une fois de plus, la clef de notre problème est l’Etat, ses pesanteurs, les positions acquises. Ceci pose la question de la stratégie des moyens.

Objectifs

Notre aire géographique essentielle est l’Europe d’une part et de l’autre la Méditerranée, notamment son flanc occidental. A cet égard, il nous faut renforcer nos liens avec l’Espagne et l’Italie et contribuer à ce que le Maghreb reste aussi stable que possible et surtout connaisse une croissance substantielle particulièrement en Algérie et au Maroc. En Europe, qui s’élargit de plus en plus sans s’approfondir, nos partenaires essentiels sont naturellement l’Allemagne et l’Angleterre. Il importe de resserrer nos liens avec les Italiens, les Espagnols, les Portugais - entre autres dans une perspective latino-américaine (et africaine).

Peut-être aussi, maintenant que les desseins américains en Europe et autour de la Russie sont plus clairs, pourrions-nous nous poser quelques questions :

. Avons-nous intérêt à faciliter l’entrée de la Turquie dans la communauté européenne, ce qui renforcerait encore l’emprise des Etats-Unis sur l’Europe ?

. Avons-nous intérêt à l’affaiblissement de la Russie que recherchent les Etats-Unis ? Dans quelle mesure ?

Ne serait-il pas globalement plus pertinent, pour la diplomatie française, d’axer davantage notre politique sur le monde arabe et l’Amérique latine (le Brésil au premier chef) et de réévaluer de façon critique notre politique africaine, pour l’essentiel confisquée par des réseaux qui, par exemple au Rwanda, n’ont pas voulu voir venir la catastrophe malgré qu’elle ait été précédée de messages annonciateurs ? En Amérique latine nous disposons d’excellents atouts culturels, d’une image et d’une implantation économique non négligeables. Celle-ci devrait être renforcée notamment au Brésil qui devrait devenir un partenaire privilégié.

Sur le plan culturel, nos atouts sont un réseau de lycées riche de 30 000 professeurs de français et un réseau d’Alliance française et d’instituts. Mais nos actions culturelles sont coûteuses et à faible retentissement, souffrant de peu de présence dans les médias de masse. Il nous faut investir les industries culturelles à fort rayonnement. Notre action est souvent peu adaptée. Il est souhaitable d’exporter des formations plutôt que de vouloir faire passer les Latino-américains par le moule universitaire français. Il manque un suivi des anciens boursiers du gouvernement français. Un effort devrait être fait pour dégager des partenaires locaux ou des institutions ouvertes aux échanges. Et, avant tout, des études concrètes sur le profil économique et culturel de chaque pays où nous voulons approfondir notre présence et sur les futurs partenaires. Enfin, il faut valoriser l’enseignement de l’espagnol et du portugais.

Quant à l’Asie orientale, nous avons judicieusement choisi de jouer le Vietnam dans l’Asean. Cependant même sur le plan culturel, par pesanteur administrative, nous avons été devancés par les Anglo-Saxons (Australie, Etats-Unis, etc.) et par le Japon !

Mais nous ne devrions pas négliger d’autres acteurs comme l’Indonésie et la Thaïlande. Et surtout améliorer nos positions économiques en Chine et en Inde. Les rapports avec le Japon et la Corée du sud seront restreints à des secteurs finement sélectionnés. Il faut encourager l’étude du mandarin, du japonais, du coréen, du vietnamien, etc. Et multiplier les boursiers des pays choisis. Le nombre d’étudiants étrangers en France est sensiblement moins important qu’en Allemagne.

Nous avons d’autant plus intérêt à pousser nos pions économiques, technologiques et commerciaux que sur le plan strictement politique notre position actuelle en Europe n’est ni claire ni aisément explicable. En fait, qui comprend où nous nous situons par rapport à l’OTAN, par exemple ?

Ce qui est paradoxal dans un pays comme le notre, fortement centralisé, c’est de constater à quel point l’Etat est fragmenté et à quel point l’information et la communication sont pauvrement échangées quand elles ne sont pas jalousement confisquées.

Il faudrait éliminer ou du moins réduire (particulièrement dans les secteurs lourds comme l’armement et les hydrocarbures) les rivalités franco-françaises, paralysantes et coûteuses. Des leçons qu’on peut sommairement tirer des retombées économiques de notre politique de présence (coûteuse) en ex-Yougoslavie indiquent que nous devons grandement améliorer notre capacité à transformer en gains nos investissements humains qui sont de qualité.

D’une façon générale, nous réagissons plutôt que de mener une politique accordée à nos intérêts et à nos moyens. Face aux Américains par exemple, notre posture est souvent aussi agaçante qu’inefficace. Pour finir, nous gagnerions à être moins arrogants.

Copyright janvier 2001-Gérard Chaliand/Diploweb.com


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