Marie-Laure Poletti, a enseigné le français en France et au Québec. Responsable du Bureau pour l’enseignement des langues et des cultures (BELC) puis du département langue française du Centre international d’études pédagogiques (CIEP). Roger Pilhion a consacré la majeure partie de sa vie professionnelle au français et à la politique linguistique. Il a travaillé 18 ans à l’étranger, dans la coopération linguistique et éducative, puis 22 ans dans l’administration, au ministère des affaires étrangères en tant que sous-directeur chargé de la politique linguistique et éducative. Pierre Verluise, docteur en géopolitique, directeur des publications du Diploweb.com.
La francophonie, figure imposée de tout propos sur la place de la France dans le monde reste pourtant un impensé chez beaucoup de Français, y compris dans le personnel politique. En dehors de quelques grandes messes et figures imposées, le plus grand flou entoure ce sujet. Roger Pilhion et Marie-Laure Poletti ont le mérite de s’être coltinés aux réalités du terrain et d’avoir collecté d’abondantes données. Mieux, ils mettent les pieds dans le plat de certaines contradictions françaises à propos de la francophonie et osent même proposer des perspectives d’avenir.
Ils répondent de façon précise aux questions de Pierre Verluise, directeur des publications du Diploweb.com. Ils viennent de publier en version numérique et papier : Roger Pilhion et Marie-Laure Poletti, « … et le monde parlera français », iggybook.com, 2017.
Pierre Verluise (P. V.) : Au vu de votre expérience et des trois années passées à la rédaction de ce livre, quelles sont les principales idées fausses à propos de la francophonie ?
Roger Pilhion (R. P.) et Marie-Laure Poletti (M.-L. P) : La francophonie renvoie dans l’opinion publique française à des clichés tenaces.
Beaucoup considèrent la francophonie comme ringarde, comme dépassée, la modernité étant symbolisée par l’anglo-américain.
A ces détracteurs, objectons qu’il n’y a rien de ringard à lutter contre l’uniformisation qui est un des risques lié à la mondialisation. La mondialisation doit aller de pair avec l’affirmation de la diversité culturelle et linguistique, revendiquée par la plupart des États, comme l’a montré la Déclaration universelle sur la diversité culturelle adoptée à l’unanimité en 2002, lors de la 31e session de la Conférence générale de l’UNESCO. Les réseaux sociaux et Internet en apportent aujourd’hui une vivante illustration.
Beaucoup de Français ne se considèrent même pas comme francophones. A leurs yeux, les francophones, ce sont tous ceux qui parlent français hors de France, pas les Français.
Il faut évidemment renverser la perspective. Aujourd’hui les Français sont minoritaires parmi les francophones et le français est une langue en partage, comme toutes les langues de communication internationale.
D’aucuns voient dans la francophonie un instrument du néocolonialisme. A ceux-là, rappelons que la francophonie est née de la volonté de personnalités étrangères, telles que Léopold Sedar Senghor (Sénégal), Habib Bourguiba (Tunisie), Hamani Diori (Niger) et Norodom Sihanouk (Cambodge). Elle n’est donc pas, à l’origine, le fait d’hommes politiques français. En 2017, l’Organisation internationale de la Francophonie regroupe 84 États et gouvernements et ne saurait être réduite à un faux-nez de la diplomatie française. Au dernier Sommet de Madagascar (2016), le président Hollande s’est même fait voler la vedette par Justin Trudeau.
On ne compte plus les déclarations des hommes politiques français annonçant 500, voire 750 millions de francophones en 2050. Ces chiffres s’appuient sur la croissance démographique annoncée de l’Afrique dans les 30 à 50 prochaines années. La réalité est un peu plus complexe et incertaine. La croissance du français en Afrique va dépendre des évolutions du taux de francophones qui varie considérablement d’un pays à l’autre. Aujourd’hui, selon les données communiquées par l’OIF, ils se situent entre 6 % au Rwanda et 73 % de la population à Maurice, la moyenne se situant à 32,3 % pour les 21 pays concernés d’Afrique subsaharienne et de l’océan Indien. En outre, les positions du français en Afrique demeurent assez fragiles. Certaines élites africaines mondialisées sont tentées par l’anglais, à l’instar des élites françaises et le français ne va pas toujours de soi dans certains de ces pays. Le Rwanda a ainsi fait le choix de l’anglais.
P. V. : Quels sont les principaux lieux, chiffres et faits à connaître pour appréhender de façon pertinente la situation en 2017 de la francophonie ?
R. P. et M.-L. P : Voici les chiffres clés pour situer la langue française dans le monde.
. La langue française est parlée par 130 millions de francophones réels et compte entre 70 et 100 millions de francophones occasionnels. L’OIF estimait même le nombre de francophones en 2014 à 274 millions.
. Le français se situerait au 9e rang des langues les plus parlées dans le monde et même au 5e selon l’Observatoire de la langue française de l’OIF.
. Le français est langue officielle ou co-officielle dans 29 pays.
. 7 autres pays comptent plus de 20 % de francophones dans leur population ce qui porte le nombre de pays majoritairement ou partiellement francophones à 36.
. Le français est langue officielle et de travail dans la plupart des organisations internationales.
. Le français est, après l’anglais, la seconde langue la plus traduite.
. Le français est la quatrième langue d’Internet.
. Plus d’un francophone sur deux vit dans un environnement plurilingue.
La francophonie peut faire valoir de nombreux atouts.
. L’enseignement de la langue française dans la quasi-totalité des systèmes éducatifs dans le monde.
. L’Organisation internationale de la Francophonie, seule organisation internationale reposant sur une langue en partage.
. L’image de la France dans le monde, perçue par beaucoup comme porteuse de valeurs universelles héritées des Lumières et de la Révolution française.
. Des centaines de milliers de professeurs étrangers de français, partout dans le monde, donnant à découvrir et à apprécier la langue française. Ils sont les premiers ambassadeurs de la France et de la francophonie auprès de la jeunesse.
. Une diplomatie culturelle parmi les plus développées, portée par un réseau d’ambassades, d’établissements d’enseignement, d’instituts français et d’alliances françaises. Son expertise en matière de coopération linguistique, en appui à l’enseignement et à la diffusion du français, est ancienne et reconnue.
. TV5MONDE, RFI, France 24 et bien d’autres médias à travers internet et les réseaux câblés qui font connaître la France et la francophonie, partout dans le monde.
. La mobilité internationale en pleine expansion qui concourt au rayonnement de la France et du français, qu’il s’agisse des quelque 2,5 millions Français vivant à l’étranger ou des populations étrangères et immigrées en France, au premier rang desquelles figurent près de 300 000 étudiants étrangers.
Voici les acteurs de la francophonie et du français.
. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) regroupe 84 États et gouvernements (dont 26 membres observateurs et cinq entités régionales).
. L’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) compte 804 établissements membres dans 102 pays.
. L’Association internationale des maires francophones (AIMF) compte 265 villes et associations nationales de pouvoirs locaux dans 49 pays.
. TV5MONDE a une audience hebdomadaire de 55 millions de téléspectateurs.
. L’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) comprend des représentants de 78 parlements ou organisations parlementaires.
. Le dispositif diplomatique français comprend 162 ambassades, 17 représentations permanentes auprès des instances multilatérales et 92 consulats généraux et consulats.
. Le dispositif culturel français est constitué de 96 instituts français (totalisant 225 implantations) et de 812 alliances françaises dont 700 assurent des cours de français.
. De multiples acteurs publics belges, français, québécois et suisses, interviennent en appui à la promotion de la langue française et de la francophonie.
. Des réseaux associatifs multiples interviennent en appui à la promotion du français : les alliances françaises, la Mission laïque française, la Fédération internationale des professeurs de français…
L’apprentissage du et en français dans le monde peut s’appréhender avec les éléments suivants.
. Le français est la seconde langue vivante la plus enseignée comme langue étrangère.
. Le français est langue d’enseignement pour plus de 77 millions d’élèves et d’étudiants.
. 49 millions d’élèves et d’étudiants apprennent le français comme langue étrangère.
. Plus d’1,3 millions d’élèves suivent un enseignement bilingue francophone dans 51 pays.
. On estime à 900 000 le nombre de professeurs de français dans le monde.
. Plus de 1 800 assistants français de langue sont envoyés dans une vingtaine de pays étrangers dans le cadre d’un des programmes de mobilité les plus importants en appui à l’enseignement du français à l’étranger.
. 320 000 élèves, dont 63 % d’élèves étrangers, étaient inscrits dans un des 494 établissements d’enseignement français à l’étranger et de la Mission laïque française, en 2014-2015.
. 620 000 étudiants ont suivi des cours dans les instituts français et les alliances françaises en 2015.
. 410 000 candidats se sont présentés au Diplôme approfondi de langue française (DELF) et au DALF en 2015 dans 173 pays.
. 151 000 candidats ont passé le Test de connaissance du français (TCF) ou le Test d’évaluation du français (TEF) en 2015.
. 132 000 étrangers ont suivi des cours de français en France en 2014.
La francophonie économique peut s’appréhender avec les éléments ci-après.
. Le français est la troisième langue des affaires dans le monde.
. L’espace des pays membres de l’OIF représente plus de 20 % des échanges commerciaux dans le monde.
. Le PIB des 37 pays majoritairement ou partiellement francophones représente 6 193 milliards d’euros, soit 8,5 % du PIB mondial (Source : rapport Attali, incluant la Moldavie, ce qui porte à 37 le nombre de pays concernés).
. La France est la 5e puissance économique mondiale avec un PIB de 2 154 milliards d’euros.
. La France est le premier pays d’accueil de touristes dans le monde avec 85 millions de personnes en 2015.
. L’exportation de biens culturels français a représenté 2,7 milliards d’euros en 2015.
. La France est la troisième destination pour les étudiants étrangers, avec 298 900 étudiants en 2014-2015.
. L’aide publique française au développement (APD) s’est établie à 8,3 milliards d’euros en 2015 (5e bailleur mondial).
En 2017, le rayonnement culturel et scientifique de la France s’exprime à travers ces chiffres.
. 15 prix Nobel de littérature (1er rang mondial).
. 13 prix Nobel de médecine.
. 13 prix Nobel d’économie.
. 3 médailles Field (2e rang mondial).
. Le livre est la 1e industrie culturelle française avec près de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an. 25 % du chiffre d’affaires de l’édition française se réalise sur les marchés étrangers, ce qui constitue le 2e poste d’exportation de la France dans le domaine des biens culturels, après les objets d’art.
. Deezer, une plateforme musicale française, est présente dans 182 pays avec plus de 40 millions de titres.
. Pour la 3e fois en 4 ans, les films français ont franchi, en 2015, le seuil des 100 millions de spectateurs à l’international, avec 515 films français en exploitation dans les salles étrangères.
. L’institut français et le réseau culturel français à l’étranger ont organisé, en 2015, plus de 36 000 projections de films, plus de 2 000 projets culturels internationaux et plus de 100 débats d’idées.
P. V. : Quelles sont les grandes contradictions des politiques publiques françaises et de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ?
R. P. et M.-L. P : Première contradiction : Sur les 84 pays et gouvernements membres de plein droit, membres associés et membres observateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie, seuls 36 pays sont majoritairement ou partiellement francophones. La majorité des pays membres ne le sont donc pas. Leur adhésion peut s’expliquer par l’attachement à des valeurs portées par la Francophonie, à l’histoire, à des contextes régionaux particuliers ou encore à une démarche francophile, voire à la recherche d’un contre-pouvoir face à l’anglo-américain.
Ces élargissements de l’OIF n’ont pas été conditionnés à des mesures en faveur de l’enseignement de la langue française, alors même que la raison d’être de l’OIF repose sur cette langue en partage. Une seule initiative en ce sens a été prise au Sommet de Québec d’octobre 2008 : l’adoption d’une ″Résolution sur la langue française″ créant des ″pactes linguistiques.″
Le pacte linguistique intervient, à la demande des États sur la base de leur volonté de renforcer chez eux la promotion de la langue française. Il scelle un partenariat qui définit les apports des deux parties, l’OIF et les opérateurs spécialisés de la Francophonie proposant des mesures d’accompagnement aux engagements pris par les États. Cette démarche n’a concerné, à ce jour, que très peu de pays, car elle n’est pas obligatoire et n’entraîne pas la mise en place de financements spécifiques qui seraient nécessaires pour les pays les plus pauvres. Elle implique un simple soutien technique de l’OIF et de ses opérateurs.
Deuxième contradiction : considérer que la promotion du français passe prioritairement par la présence d’un réseau culturel et scolaire extrêmement développé.
Le dispositif culturel se compose de deux ensembles : un réseau public de 96 instituts français totalisant 225 implantations (l’Institut français d’Allemagne fédère ainsi 11 instituts et 3 antennes culturelles dans différentes villes, telles que Berlin, Munich, Stuttgart et Hambourg) et environ 800 alliances françaises, au statut associatif, (dont 700 dispensent des cours de français). Au total, le dispositif culturel français compte plus de 1000 implantations. Il accueille environ 620 000 étudiants chaque année.
Rapprochons ces chiffres d’autres dispositifs culturels comparables : selon les dernières statistiques disponibles pour chacun de ces réseaux (de 2010-2011 à 2014), le British Council comptait 191 établissements culturels dans 110 pays et territoires ; l’Institut Goethe en comptait 149 dans 93 pays ; les instituts culturels italiens étaient au nombre de 89 dans 61 pays ; l’Institut Cervantès en comptait 70 dans 40 pays ; l’Institut Camoens 19 dans 15 pays. Quant à la République populaire de Chine, elle aurait ouvert environ 500 Instituts Confucius au cours des 10 dernières années, tous rattachés à des structures administratives du pays d’accueil.
Le dispositif scolaire compte 494 établissements d’enseignement dans 136 pays. 336 000 élèves y sont scolarisés, dont 211 000 élèves étrangers, des effectifs en augmentation régulière de 2 à 3 % chaque année.
Sur les 494 établissements recensés, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, établissement public, en gère 74 directement. 156 sont des associations et des fondations qui ont passé une convention avec elle et 264 sont des établissements partenaires de l’Agence. Parmi ceux-ci, 109 appartiennent au réseau de la Mission laïque française, association reconnue d’utilité publique qui gère, en outre, une vingtaine d’écoles d’entreprises.
Rapprochons ces chiffres de réseaux scolaires comparables d’autres pays. Il existe 60 écoles allemandes à l’étranger pour 3 millions d’Allemands expatriés. Prenons le cas des écoles américaines à l’étranger. Elles sont, pour l’essentiel, entièrement privées et ne bénéficient qu’indirectement d’aides publiques, et elles proposent le plus souvent une offre de services plus attrayante en termes d’installations et d’équipements que les écoles françaises, avec des droits de scolarité, il est vrai, sensiblement supérieurs. Où serait le problème si nous avions, au moins dans certains pays, une organisation comparable assortie d’un système d’attribution de bourses pour les élèves français, en fonction des revenus des familles ?
Au total, dans ce qu’il est convenu d’appeler dans le jargon du Quai d’Orsay, les ″emprises françaises″, on accueille donc environ un million d’élèves et d’apprenants de français, un chiffre à mettre en relation avec les quelque 43 millions d’élèves et d’étudiants de français langue étrangère dans le monde et les 77 millions d’élèves et d’étudiants ayant le français pour langue d’enseignement dans 33 pays et régions dans le monde.
Dans un contexte de pénurie budgétaire, le Quai d’Orsay est dans la nécessité de privilégier de plus en plus le dispositif culturel et scolaire, au détriment des crédits et des actions de coopération en faveur du français dans les systèmes éducatifs nationaux et des établissements d’enseignement supérieur étrangers.
Evidemment, il ne s’agit pas d’abandonner les instituts et les alliances mais il faut concevoir une politique adaptée à nos moyens et à des objectifs stratégiques recherchant la meilleure efficacité. La promotion du français doit porter prioritairement sur le soutien à l’enseignement du et en français dans les systèmes éducatifs étrangers, dans le numérique et les réseaux sociaux.
Imaginerait-on un seul instant que la situation de l’allemand en France reposerait sur l’enseignement de cette langue dans les instituts Goethe en France et dans les écoles allemandes ? C’est pourtant ce que prône aujourd’hui très largement la politique mise en place par le Quai d’Orsay en faveur du français.
P. V. : Quels sont maintenant les véritables enjeux de la francophonie et de la promotion du français comme langue internationale ?
R. P. et M.-L. P : Les enjeux sont multiples.
. Le plurilinguisme et la diversité culturelle sont des enjeux fondamentaux dans la mondialisation. Ils touchent au cœur des identités.
. La Francophonie s’affirme comme un lieu de respect de la diversité linguistique et culturelle.
. Le plurilinguisme est au cœur de la construction européenne. Et la domination d’une seule langue dans les institutions européennes est un contre-sens qui éloigne l’Europe des peuples qui la constituent.
. La langue française et la francophonie constituent une des alternatives au modèle anglo-saxon dominant et un des contre-pouvoirs.
. La francophonie constitue un espace propice aux échanges économiques.
. Le français langue étrangère est un marché qui crée de l’activité et des emplois.
. La langue française est un vecteur d’influence pour la France dans le monde et un enjeu politique.
. La francophonie est un des atouts de la diplomatie française.
. L’exportation de produits culturels est un enjeu économique et politique.
P. V. : Dans ce contexte, quels atouts la francophone peut-elle faire valoir ?
R. P. et M.-L. P :
. La diffusion internationale du français, seule langue parlée, avec l’anglais, sur les cinq continents.
. L’existence d’une organisation internationale ayant la langue française comme pivot et comptant 84 pays et régions membres.
. L’existence de 36 pays sur les 5 continents ayant le français comme langue officielle ou co-officielle ou comme langue d’usage.
. Le statut du français, comme langue officielle et de travail, dans la plupart des organisations internationales.
. L’image de la France dans le monde.
. L’enseignement du français dans la quasi-totalité des systèmes éducatifs dans le monde.
. La présence de centaines de milliers de professeurs étrangers de français, partout dans le monde, qui donnent à découvrir et à apprécier la langue française. Ils sont les premiers ambassadeurs de la France et de la francophonie auprès de la jeunesse.
. La diplomatie culturelle française, parmi les plus développées, portée par un réseau d’ambassades, d’établissements d’enseignement, d’instituts français et d’alliances françaises.
. L’existence de médias internationaux, comme TV5MONDE, RFI, France 24 et bien d’autres à travers internet et les réseaux câblés qui font connaître la France et la francophonie, partout dans le monde.
. La mobilité internationale en pleine expansion qui concourt au rayonnement de la France et du français, qu’il s’agisse des quelque 2,5 millions de Français vivant à l’étranger ou des populations étrangères et immigrées en France, au premier rang desquelles figurent près de 300 000 étudiants étrangers.
P. V. : Le « Brexit » représente-t-il une opportunité pour la place du français dans les institutions européennes ?
R. P. et M.-L. P : Dans la mesure où les deux autres pays partiellement anglophones membres de l’Union européenne, l’Irlande et Malte ont fait le choix de leur langue nationale, le gaëlique et le maltais, comme langues officielles de l’Union européenne, la sortie du Royaume-Uni pose, d’un point de vue juridique, le problème du maintien de cette langue dans les instances de l’UE.
Dans les faits, il apparaît peu probable que le Brexit entraîne l’éviction de l’anglais dont l’usage prédomine largement.
Un rééquilibrage pourrait toutefois être progressivement engagé au profit du français et de l’allemand, les deux autres langues de travail de l’UE, par une politique volontariste conduite à l’instigation de la France et de l’Allemagne. Ces deux pays pourraient avoir intérêt à favoriser aussi la place de l’espagnol qui est l’une des grandes langues européennes les plus parlées dans le monde.
L’Union européenne pourrait ainsi projeter vers l’extérieur l’image de sa diversité.
P. V. : Quelles seraient les bonnes pratiques, les priorités géographiques et sectorielles à développer par une action politique enfin placée à la hauteur des enjeux ?
R. P. et M.-L. P : Il conviendrait d’abord d’organiser la politique de promotion du français sur la base de priorités géographiques
. En Europe : focaliser les moyens sur les pays d’Europe centrale membres de la Francophonie et les grands pays européens voisins de la France.
. Cibler prioritairement les pays membres ou membres observateurs de la Francophonie en suscitant la création de pactes linguistiques et en agissant sur la formation des professeurs de français et sur le développement d’un enseignement de qualité notamment l’enseignement bilingue francophone et les filières universitaires.
. Engager une action visant à rééquilibrer l’emploi des langues de travail dans les différentes instances de l’Union européenne, dans la perspective du Brexit, en lien étroit avec l’Allemagne et, le cas échéant l’Espagne.
. En Afrique : replacer l’éducation au cœur de la politique française d’aide au développement, en ciblant prioritairement, pour les pays ayant le français comme langue d’enseignement, la formation linguistique et pédagogique des enseignants.
. Dans le monde arabe, qui compte plus de la moitié des élèves suivant un enseignement du français, favoriser, partout où c’est possible, un enseignement en langue française et un environnement francophone.
. Ailleurs dans le monde : favoriser l’enseignement du français dans des établissements offrant des garanties de qualité et cibler, dans la formation aux adultes, des publics prioritaires dans des secteurs porteurs. Viser prioritairement les pays membres ou membres observateurs de la Francophonie, les grands pays émergents, notamment ceux où le français est en progression, comme l’Inde et la Chine et soutenir, partout ailleurs, les dispositifs ou les réseaux qui proposent un enseignement du français, comme aux Etats-Unis d’Amérique, en Russie, en Amérique latine, en Corée du sud, au Japon...
Il faudrait aussi organiser la politique de promotion du français sur la base de priorités sectorielles.
. Former les enseignants, qu’il s’agisse de formation initiale ou continue, dans les pays d’Afrique subsaharienne francophones, dans l’océan Indien, en Haïti…
. Promouvoir et soutenir l’enseignement du et en français dans les systèmes éducatifs et l’enseignement supérieur partout dans le monde.
. Favoriser partout où c’est possible l’enseignement en langue française, notamment dans les pays non francophones, par un soutien à la création d’établissements ou de classes bilingues francophones.
. Développer l’enseignement français à l’étranger en s’appuyant sur le savoir-faire de la Mission laïque française.
. Soutenir le marché de la formation linguistique des adultes dans le réseau des instituts français et des alliances françaises mais aussi dans les centres de langues publics et privés et cibler les publics porteurs. Favoriser, dans tous ces centres, une démarche d’assurance qualité conduisant au label « Qualité français langue étrangère ».
. Proposer un apprentissage du français en ligne.
Il faut encore mettre en œuvre des axes stratégiques qui répondent à des besoins spécifiques dans des contextes particuliers.
. Soutenir l’emploi du français dans les organisations internationales.
. Favoriser l’emploi du français des affaires et dans les affaires.
. Favoriser la mobilité des élèves, des étudiants et des enseignants.
. Favoriser la reconnaissance institutionnelle des apprentissages, des enseignements et des compétences professionnelles (tests, diplômes, labels).
. Favoriser un environnement francophone.
Il faudrait encore s’inspirer des bonnes pratiques et des réussites pour aller plus loin.
. Assumer sans renoncements la loi Toubon (1994) rendant obligatoire l’usage du français en France, sans exclure l’usage d’autres langues.
. Poursuivre les travaux d’enrichissement de la langue française qui constituent une force de proposition partagée entre les pays francophones.
. Favoriser le développement des filières offrant un enseignement du et en français de qualité, comme les sections bilingues francophones, les classes d’immersion et les filières universitaires francophones.
. Soutenir la coopération universitaire francophone mise en place sous l’égide de l’Agence universitaire de la Francophonie.
. Développer les certifications en langue française, diplômes et tests, implantées dans plus de 170 pays.
. Favoriser l’internationalisation du label Qualité français langue étrangère dans lequel sont engagés la plupart des centres de langue française en France.
. Poursuivre le programme d’échange d’assistants de langue intéressant plus de 60 pays et l’étendre aux pays membres de l’OIF, en favorisant la participation d’assistants de langue française originaires des pays francophones d’Afrique subsaharienne et de l’océan Indien.
. Accompagner de démarches politiques les programmes de formation linguistique de fonctionnaires étrangers, dans les organisations internationales, en lien avec la Francophonie.
. Poursuivre les actions de promotion du français et de la francophonie, comme la Journée de la Francophonie, en ciblant prioritairement les jeunes.
Il importe de faire de la promotion du français dans le monde et de la francophonie une véritable priorité politique.
D’abord, il convient de renforcer le pilotage politique.
. Créer un ministère délégué auprès du premier ministre, chargé de la langue française et de la francophonie.
. Substituer à l’actuelle Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) une administration rattachée à ce ministère et constituée de représentants des différentes administrations concernées.
. Simplifier et clarifier le dispositif administratif actuel.
. Redynamiser le dispositif de soutien et de promotion du français (coopération linguistique) : repenser les conditions de recrutement et de professionnalisation des personnels et ouvrir ce dispositif à des personnalités locales de haut niveau.
. Concevoir actions et projets en prenant appui sur des institutions telles que l’OIF, l’AUF, le CIEP, l’Institut français, la CCI-Paris Ile-de-France, les départements universitaires de Français langue étrangère (FLE), les éditeurs de FLE, TV5MONDE, France Médias Monde et des jeunes pousses (start up).
. Replacer l’éducation au cœur de la politique française d’aide au développement et apporter un soutien particulier aux pays dont le français est langue d’enseignement.
. Elargir le champ d’intervention de l’Agence française de développement (AFD) à la coopération linguistique et francophone.
. Mobiliser davantage l’expertise française dans les projets d’appui aux systèmes éducatifs des pays francophones en développement financés par des bailleurs internationaux, en s’appuyant sur Expertise France et le CIEP.
. Rééquilibrer les budgets de la diplomatie culturelle française au profit de la coopération linguistique, des alliances françaises et de la Mission laïque française, en réduisant le budget de l’AEFE.
Il faut aussi renforcer la Francophonie institutionnelle et faire de ce dossier un des axes prioritaires de la diplomatie française.
. Augmenter le budget de l’OIF en élevant le niveau des contributions obligatoires des Etats membres de plein droit et des membres observateurs.
. Abonder les contributions volontaires françaises à l’OIF pour financer des projets spécifiques.
. Redynamiser les pactes linguistiques et les accompagner techniquement et financièrement.
. Créer un programme ERASMUS francophone ouvert aux étudiants des pays proposant un enseignement en français et mandater l’AUF pour en assurer la gestion.
. Faire de l’Alliance française, partout où c’est possible, une alliance francophone.
. Renforcer l’articulation entre les actions engagées par les pays et régions francophones (France, Fédération Wallonie-Bruxelles, Québec, Suisse romande) pour la promotion du français.
. Renforcer l’articulation entre les coopérations bilatérales des pays et régions francophones et la coopération multilatérale francophone (OIF, AUF, TV5MONDE, AIMF, Université Senghor).
Il serait utile de repenser la politique d’enseignement des langues étrangères en France.
. Proposer dès le plus jeune âge un enseignement de type bilingue, fondé sur le principe de la diversité de l’offre de langues : anglais, allemand, espagnol, italien, portugais, chinois, russe, arabe … et en faisant appel à des enseignants étrangers.
. Proposer une offre de cours de langues étrangères diversifiée dans l’enseignement scolaire et dans l’enseignement supérieur français.
. Introduire dans certaines filières universitaires des cours sur la francophonie et sensibiliser les étudiants, notamment de sciences politiques, à ces enjeux.
Enfin, il serait pertinent d’agir auprès des médias pour sensibiliser davantage l’opinion publique française aux enjeux de la promotion du français comme langue internationale et à la francophonie.
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. Roger Pilhion et Marie-Laure Poletti, « … et le monde parlera français », iggybook.com, 2017
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Livre en version papier : ISBN 9782363156365 – 18 € TTC
Livre en version numérique : ISBN 9782363156358 – 4,99 € TTC
4e de couverture
Dans un contexte de repli et d’interrogations, ce livre dresse un état des lieux, décrit les acteurs et les enjeux liés à la diffusion internationale de la langue française et à la francophonie et esquisse des stratégies de remobilisation pragmatiques et concrètes.
Principaux sigles utilisés dans cet article :
AEFE - Agence pour l’enseignement français à l’étranger
AFD – Agence française de développement
AUF- Agence universitaire de la francophonie
AIMF Association internationale des maires francophones
DGLFLF – Délégation générale à la langue française et aux langues de France
OIF – Organisation internationale de la Francophonie
CIEP – Centre international d’études pédagogiques
CCI – Chambre de commerce et d’industrie
FLE – français langue étrangère
TCF –Test de connaissance du français
TEF – Test d’évaluation du français
DELF – Diplôme approfondi de langue française
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