Axelle Degans, Docteure en Géopolitique de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, Agrégée d’Histoire, Professeure de chaire supérieure au lycée Faidherbe, à Lille. Nous vous recommandons particulièrement la lecture de sa thèse, disponible sur le Diploweb.com, "La sécurité économique de la France dans la mondialisation : une stratégie de puissance face aux nouveaux défis du XXIème siècle".
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb.com, il anime Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF depuis septembre 2024. Cette émission a été diffusée en direct le 24 septembre 2024.
Synthèse par Émilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle est en charge depuis septembre 2024 du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.com.
Pourquoi la géopolitique s’intéresse-t-elle à l’intelligence économique ? Comment comprendre et faire face à la guerre économique ? Dans un contexte de remise en cause de l’ordre mondial, que peuvent tenter les pays de l’Union européenne ? Pourquoi la crise de la Covid-19 et la guerre en Ukraine sont-elles des accélérateurs pour la géopolitique et l’intelligence économique ? Dans le cadre de la transition écologique, comment gérer nos dépendances ? Pour répondre, nous avons l’honneur de recevoir Axelle Degans. Vous trouverez ici le podcast et sa synthèse, rédigée par E. Bourgoin, relue et validée par A. Degans.
Cette émission, Pourquoi la géopolitique s’intéresse-t-elle à l’intelligence économique ? Avec A. Degans, sur RND
Cette émission, Pourquoi la géopolitique s’intéresse-t-elle à l’intelligence économique ? Avec A. Degans, sur RCF
Lien direct vers cette émission sur RCF
Synthèse de cette émission, Pourquoi la géopolitique s’intéresse-t-elle à l’intelligence économique ? avec A. Degans. Rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb.com, relue et validée par A. Degans
LA GEOPOLITIQUE et l’intelligence économique sont souvent perçues comme deux disciplines distinctes, voire incompatibles : la première se concentre sur les États et les conflits internationaux, tandis que la seconde s’adresse aux entreprises et à l’économie. Pourtant, cette vision dichotomique est une erreur fondamentale. Ces deux domaines sont intrinsèquement liés par la notion de puissance et de compétitivité, éléments essentiels à la fois pour les États et les entreprises. En France, cette compréhension erronée a longtemps freiné l’adoption d’une vision intégrée de la géopolitique et de l’intelligence économique.
La géopolitique, selon le Pr Yves Lacoste, concerne l’analyse des rivalités de pouvoir et des luttes d’influence ancrées dans les territoires. Le général Pierre-Marie Gallois la définit comme la conduite de politiques de puissance sur le plan international. En revanche, l’intelligence économique se concentre sur la collecte, l’analyse, la valorisation et la diffusion d’informations stratégiques pour maintenir la compétitivité d’un État ou d’une entreprise. Malheureusement, en France, l’intelligence économique est souvent perçue comme une forme de "barbouzerie", tandis que la géopolitique est réduite à une simple analyse des guerres. Ces visions simplifiées ne tiennent pas compte de leur complémentarité : la géopolitique et l’intelligence économique sont toutes deux orientées vers la notion de puissance.
L’intelligence économique repose sur quatre piliers fondamentaux : la sécurité économique, la compétitivité économique, la diplomatie économique et la guerre économique. La sécurité économique vise à créer une culture de l’intelligence économique au sein des entreprises, en renforçant leur capacité à collecter et analyser des informations stratégiques. La compétitivité économique sert à créer de la richesse en dotant les entreprises d’outils pour comprendre leur environnement. La diplomatie économique engage les ambassadeurs à soutenir les intérêts des entreprises nationales sur la scène internationale. En France, la diplomatie économique n’a été intégrée que récemment, sous l’impulsion de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international en 2012-2016. Comparée à des pays comme les États-Unis, la Chine ou l’Allemagne, la France avait un retard culturel et politique dans ce domaine. La promotion de la diplomatie économique visait à soutenir les entreprises françaises à l’international dans un contexte de concurrence mondiale accrue. Cependant, cette initiative n’a pas été immédiatement adoptée par le corps diplomatique français, car elle ne faisait pas partie de son ADN. Enfin, la guerre économique est la continuation de la guerre par d’autres moyens, notamment par des stratégies d’influence et de désinformation.
La maîtrise de l’information est cruciale en intelligence économique : "Qui détient l’information détient l’avantage." Cela inclut non seulement l’accès à des informations fiables mais aussi la capacité à contrer la désinformation. Dans un monde où la complexité géopolitique ne cesse de croître, les entreprises, en particulier celles du secteur de la défense, des minerais et de l’énergie, se sont saisies de ces enjeux pour orienter leurs stratégies. D’autres, comme Danone en Chine, ont dû réagir face à des contextes géopolitiques imprévisibles.
L’Europe communautaire devenue Union européenne a longtemps évolué dans un "déni de puissance", croyant que le commerce suffirait à réguler les relations internationales. Cependant, dans le contexte du retour des politiques de puissance et de la guerre économique et face à des événements tels que la crise financière de 2008, l’ascension de la Chine, ou encore la pandémie de COVID-19, l’Union européenne a dû reconsidérer ses positions. Les crises récentes ont révélé les faiblesses des interdépendances économiques et géopolitiques européennes, notamment la dépendance aux vaccins et aux chaînes d’approvisionnement chinoises. La prise de conscience de ces vulnérabilités pousse les États européens à adopter une approche plus stratégique et à repenser leurs relations internationales.
La transition écologique et énergétique constitue un autre défi géopolitique majeur pour l’UE. La décarbonation de l’économie nécessite des ressources en minerais rares, souvent concentrées dans des régions géopolitiquement instables. Par exemple, le lithium en Amérique latine et le cobalt en République démocratique du Congo. Les États-Unis ont déjà pris des mesures pour sécuriser ces approvisionnements. Dans l’UE, cette prise de conscience a été plus lente, et les pays européens ont souvent agi de manière désordonnée avant que des politiques communes ne soient envisagées.
L’électrification des mobilités représente un enjeu économique et environnemental crucial pour l’Europe. Avec des coûts énergétiques quatre fois plus élevés qu’aux États-Unis, l’industrie européenne des batteries et de l’automobile électrique est sous pression. Si l’Union européenne ne prend pas des mesures pour renforcer ses capacités d’innovation et protéger ses filières, l’industrie automobile, un pilier économique, risque de disparaître au profit de concurrents chinois. La mise en place de taxes pour protéger le marché européen est un premier pas, mais il faudra davantage d’initiatives pour rester compétitif.
Pour ceux qui souhaitent approfondir leur compréhension des liens entre géopolitique et intelligence économique, plusieurs ressources de qualité sont disponibles. Diploweb recommande la thèse d’Axelle Degans, disponible sur en ligne, "La sécurité économique de la France dans la mondialisation : une stratégie de puissance face aux nouveaux défis du XXIème siècle".
Par ailleurs, la Revue de Guerre Économique, produite par l’École de Guerre Économique, propose des analyses approfondies sur les stratégies économiques, les rivalités de pouvoir, et les enjeux de compétitivité. Les ouvrages de Christian Harbulot [1], spécialiste en intelligence économique, sont également essentiels pour comprendre comment les États et les entreprises développent des stratégies pour maintenir et renforcer leur puissance.
Copyright pour la synthèse relue et validée par A. Degans : 2024-Septembre-Bourgoin/Diploweb.com
Plus
Présentation du concept de l’émission Planisphère par Pierre Verluise
Planisphère est une émission de géopolitique proposée par Radio Notre Dame et RCF. Planisphère est animée par Hugo Billard jusqu’au 31 août 2024 ; par Pierre Verluise (Diploweb.com) depuis le 3 septembre 2024. Chaque semaine des historiens, des géographes, des géopoliticiens, des diplomates, des stratèges et des acteurs des relations internationales prennent le temps de mettre en perspective les soubresauts du monde. Planisphère cherche à comprendre l’actualité mondiale dans l’espace et dans le temps, en privilégiant la clarification des jeux des acteurs comme des résultats sur les territoires. Pierre Verluise cherche à mettre à jour l’interaction des échelles et les dynamiques de la puissance, définie comme une capacité de faire, de faire faire, de refuser de faire ou d’empêcher de faire.
Cette émission est disponible en podcast sur les sites et les applications de ces deux radios, comme sur le Diploweb.com qui offre en bonus une synthèse rédigée, validée dans la mesure du possible par l’intervenant.
[1] NDLR : Voir notamment Christian Harbulot, "La guerre économique au XXIe siècle", VA édition, 2024 ; "Manuel d’intelligence économique", PUF, 2019 - 3ème édition ; Christian Harbulot, Lucie Laurent, Nicolas Moinet, "Guerre économique : qui est l’ennemi ?", Nouveau Monde, 2022.
SAS Expertise géopolitique - Diploweb, au capital de 3000 euros. Mentions légales.
Directeur des publications, P. Verluise - 1 avenue Lamartine, 94300 Vincennes, France - Présenter le site© Diploweb (sauf mentions contraires) | ISSN 2111-4307 | Déclaration CNIL N°854004 | Droits de reproduction et de diffusion réservés
| Dernière mise à jour le mercredi 18 décembre 2024 |