Paco Milhiet est docteur en science politique. Il s’exprime ici à titre personnel. Paco Milhiet enseigne les relations internationales à l’École de l’air et de l’espace ainsi qu’à Sciences Po Aix. Ses recherches portent sur la géopolitique de la zone Indo-Pacifique et sur le développement de l’influence chinoise dans la région. Membre du Conseil scientifique du Diploweb.com. Il vient de publier Paco Milhiet, « Géopolitique de l’Indo-Pacifique. Enjeux internationaux, perspectives françaises », préface de Christian Lechervy, éditions Le Cavalier bleu.
Stratégie nationale et réalités locales ne se superposent pas systématiquement dans l’Indo-Pacifique français. Si les collectivités françaises de l’Indo-Pacifique sont amenées à devenir une composante importante des relations internationales françaises, celles-ci doivent être considérés dans leurs spécificités, pas seulement pour leur intérêt géostratégique. Les organismes, institutions et think tanks français doivent en conséquence se spécialiser sur ces problématiques par un travail de formation et de sensibilisation indispensable, mais aussi en valorisant les compétences existantes notamment dans chaque collectivité d’outre-mer. Un tableau inédit par Paco Milhiet, auteur de « Géopolitique de l’Indo-Pacifique. Enjeux internationaux, perspectives françaises », préface de Christian Lechervy, éditions Le Cavalier bleu.
VASTE REGION géopolitique englobant les deux océans éponymes, l’Indo-Pacifique est surtout un concept des relations internationales développé depuis le début du XXIème siècle par plusieurs chancelleries (Japon, Australie, Etats-Unis, Inde, ASEAN etc.) dont le but, plus ou moins affirmé, est de répondre au développement thalassopolitique de la République Populaire de Chine.
Depuis 2018, Emmanuel Macron a formalisé une stratégie de l’Indo-Pacifique français pour légitimer et crédibiliser le statut de la France en tant que puissance régionale. Une opportunité pour la diplomatie française de valoriser ses attributs de puissance diplomatiques, culturels, économiques et militaires dans cette vaste région.
Néanmoins, en 2021, le narratif français semblait fragilisé. Au niveau international, la rupture stratégique franco-australienne, conséquence directe du renoncement australien d’acquérir 12 sous-marins auprès de Naval Group, constitua un véritable camouflet pour la diplomatie française et provoqua une crise diplomatique sans précédent avec les gouvernements australien et américain, deux partenaires majeurs dans la zone. À l’échelle locale, le troisième référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie fut massivement boycotté par les populations kanak, prémices d’une séquence de crise politique qui n’en finit plus sur le « Caillou », territoire hautement stratégique et pierre angulaire de la stratégie française dans la zone. Dans les autres collectivités françaises de l’Indo-Pacifique (CFIP), la crise sanitaire liée au Covid 19 accentuait une situation sociale déjà précaire et suscitait un mécontentement populaire de mauvais augure pour la majorité présidentielle.
L’année 2022 était donc celle de tous les dangers pour la stratégie indo-pacifique française. Elle fut riche en événements : réconciliation post-AUKUS, diplomatie française proactive, projections militaires, élections présidentielles en demi-teinte dans la zone pour le Président, crise sociale et migratoire à Mayotte, incertitudes statutaires et juridiques en Nouvelle-Calédonie…
Si la France a enregistré plusieurs succès diplomatiques indéniables, donnant du crédit à son statut de puissance riveraine de la zone (I), des crises endémiques dans les CFIP viennent parfois mettre à mal un récit géopolitique largement initié depuis Paris, souvent en décalage avec le contexte local (II).
Revenons sur une année 2022 chargée dans l’Indo-Pacifique français.
Le 15 septembre 2021, un partenariat tripartite signé entre l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni, l’AUKUS, avait de facto exclu la France et l’Union européenne (UE) d’un nouveau schème stratégique au cœur de la zone Indo-Pacifique. Pire, le gouvernement australien renonçait à l’acquisition de 12 sous-marins auprès de Naval Group, un « contrat du siècle » estimé à 56 milliards d’euros, engageant le groupe français pour 25 ans avec 4 000 emplois à la clé. Initialement considéré comme une trahison par Paris qui rappela ses ambassadeurs à Washington et Canberra, la diplomatie française a néanmoins vite pardonné à ses partenaires anglo-saxons.
À peine un mois après, le 29 octobre 2021, Emmanuel Macron recevait Joe Biden à la villa Bonaparte du Vatican pour acter la réconciliation et plaider pour « une collaboration robuste dans l’Indo-Pacifique » [1]. Coté australien, l’élection d’un nouveau premier ministre travailliste, Anthony Albanese, soucieux de diversifier les relations diplomatiques de son pays et de rattraper les maladresses de son prédécesseur, contribua à la normalisation du dialogue diplomatique franco-australien. La visite officielle du nouveau premier ministre à Paris en juillet 2022 et son entrevue avec le président Emmanuel Macron marqua officiellement la fin de la crise de confiance bilatérale [2]. La France a donc choisi de normaliser ses relations avec ses partenaires anglo-saxons traditionnels, mais elle diversifie néanmoins son action et son réseau de partenariat.
Dernier pays de l’UE encore souverain dans la zone Indo-Pacifique, la diplomatie française a profité de la Présidence française (du Conseil des ministres) de l’Union européenne (PFUE) pour organiser en février 2022 un forum ministériel pour la coopération en Indo-Pacifique, réunissant les institutions européennes, les ministres des Affaires étrangères, ou leur représentant, des 27 Etats membres de l’UE, et d’une trentaine d’États de l’Indo-Pacifique, ainsi que des représentants des organisations régionales de l’Océan Indien et de l’Océan Pacifique [3]. Evènement unique en son genre, il témoigne de la volonté française d’apparaitre comme le leader européen sur les problématiques indo-pacifiques tout en diversifiant son réseau de partenaires potentiels (Indonésie, Inde, Japon, Corée du Sud, etc.). Point d’importance qu’il faut relever, ni la Chine, ni les Etats-Unis n’étaient conviés lors de ce forum, illustration d’une volonté française de non-alignement dans la zone et de favoriser une vision inclusive de la stratégie Indo-Pacifique française et européenne, contrastant avec la rhétorique clivante portée par d’autres schèmes stratégiques, notamment l’AUKUS.
Depuis la présidence française, toutes les Présidences tournantes (du Conseil des ministres) de l’UE ont nommé un représentant spécial pour l’Indo-Pacifique (Marc Abensour ambassadeur français chargé de l’Indo-Pacifique, Éric Widman pour la Suède, Libor Secka pour la République Tchèque).
Dans la continuité des différents succès diplomatiques obtenus depuis l’énonciation d’une stratégie Indo-Pacifique en 2018 (adhésion à l’Indian Ocean Rim association en 2020, partenariat renforcé avec l’ASEAN en 2021) la diplomatie française a enregistré d’autres résultats probants en 2022. Par exemple, le président Emmanuel Macron a été invité au Sommet de l’APEC (Asia-Pacific Economic coopération.) C’est la première fois qu’un dirigeant européen est convié à ce forum important, réunissant 21 pays de la région Asie-Pacifique. En préambule de son discours, le Président français a fait preuve de pédagogie envers ceux qui douteraient encore de la légitimité française de participer à ce genre d’évènement : « Vous êtes sans doute nombreux à vous demander pourquoi un Président français participe à un sommet de l’APEC ? (…) je souhaiterais ici rappeler la vérité car nombreux sont ceux qui ignorent que la France n’est pas uniquement, bien évidemment, un pays européen, mais également un pays de l’Indo-Pacifique. » [4]
Le ministère des Armées a également été particulièrement proactif dans sa diplomatie indo-pacifique. Nommé ministre des Armées en mai 2022, Sébastien Lecornu, a depuis multiplié les déplacements dans la zone : Shangri la Dialogue de Singapour en juin 2022, tournée à Abou Dabi, Jakarta et New Dehli pour rencontrer ses homologues en novembre 2022. Et les résultats sont notables, notamment pour les exportations de matériel militaire français. Après la commande de 80 rafales par les EAU en 2021, l’Indonésie a confirmé son intention d’en acquérir 42. Jakarta a également fait part de son intérêt pour des sous-marins de classe Scorpène. En Inde, grand marché d’exportations d’armements français (deuxième après l’Égypte), de nouvelles coopérations autour du spatial, du naval, du cyber et du spatial ont été convenues. Au niveau multilatéral, la France vient d’être admise en tant qu’observateur au sein de l’ASEAN defense ministers’ meeting plus (ADMM+) [5]. Cette instance rassemble les ministres de la Défense de dix pays de l’Asie du Sud-Est. Ce dynamisme diplomatique s’accompagne de projections opérationnelles et d’exercices militaires bilatéraux dans la zone. Ainsi, l’Inde et la France ont tenu en novembre 2022 leur traditionnel exercice bilatéral Garuda sur la base de Jodhpur dans l’Etat du Rajasthan au nord-est de l’Inde, réunissant l’armée de l’air indienne et l’Armée de l’air et de l’espace (AAE). Cinq Rafale, un avion ravitailleur A330 MRTT Phénix et 220 aviateurs français ont participé à cet exercice. Ensuite, dans la continuité de projections similaires menées (Pégase 2018, Heifara 2021, Skyros 2021), l’AAE a mené une mission de projection longue distance, Pégase 2022, entre le 10 août et le 18 septembre 2022 en s’appuyant sur un dispositif aérien exclusivement composé de moyens français (3 avions Rafale, 2 avions A330 MRTT PHÉNIX et 2 avions A400M ATLAS). Après une projection en moins de 72 heures pour rallier la Nouvelle-Calédonie, les forces françaises ont ensuite participé à un exercice multinational de haute intensité en Australie (Pitch Black) et effectué deux étapes valorisées en Indonésie et à Singapour, notamment pour assurer le rayonnement du matériel français chez ces deux partenaires clés. L’étape finale avant le retour vers la France a été menée aux Émirats arabes unis, sur la base aérienne 104 d’Al Dhafra.
La France mène donc une diplomatie dynamique et multimodale pour valoriser son nouveau narratif indo-pacifique, stratégie prioritaire du gouvernent Macron, relayée par les différents services et ministères concernés. Néanmoins comme l’a rappelé le Président de la République lors de son voyage en Thaïlande, c’est avant tout l’exercice de la souveraineté dans les CFIP qui fonde la légitimité de la stratégie française. À cet égard, chaque collectivité de la zone est confrontée à des problématiques spécifiques, locales, souvent sans corrélations d’un territoire à l’autre, et parfois éloignées du récit géopolitique promu à Paris par le gouvernement.
En nommant Sébastien Lecornu comme ministre des Armées, d’aucuns pouvaient y voir une volonté de l’exécutif de lier les enjeux internationaux et les contextes locaux de chaque CFIP dans l’Indo-Pacifique français. En effet, l’ancien ministre des Outre-mer (2020-2022) avait été en première ligne sur le très sensible dossier néocalédonien, et apparaissait comme la personnalité la plus compétente pour comprendre les déclinaisons locales de la stratégie nationale.
Mais en Nouvelle-Calédonie, trois référendums n’auront pas suffi à clarifier l’avenir institutionnel de la collectivité. Le processus initié lors des accords de Nouméa en 1998 est arrivé à son terme, mais cristallise encore les tensions. À la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? », le « NON » l’a emporté de peu lors des deux premiers référendums de 2018 et 2020 (56,67 % et 53 ,26 % pour le « NON »). Pour le 3ème référendum du 12 décembre 2021, les principaux partis indépendantistes avaient appelé à ne pas participer au scrutin en raison du contexte sanitaire lié à la crise covid. Les résultats (96,5 % de « NON ») furent donc fragilisés par une abstention record. Ainsi, le processus référendaire qui devait déboucher sur une évolution statutaire consensuelle s’apparente désormais comme le début d’une période de confrontation politique. Les partis indépendantistes ont déjà contesté la légitimité démocratique du referendum auprès d’organisations internationales (ONU, Forum des îles du Pacifique, Groupe de fer de lance mélanésien).
Après plus de trente ans de transition politique, les autorités françaises s’étaient persuadées de la réalité d’un destin commun, défini dans les accords de Nouméa comme « une communauté de destin ». Les récentes échéances électorales ont démontré que ces objectifs n’ont pas été atteints. Une analyse réaliste et pragmatique s’impose, le vote en Nouvelle-Calédonie est un vote ethnique et communautaire. Les statistiques ethniques étant autorisées en Nouvelle-Calédonie, l’ethnicisation du vote dans la collectivité a été démontrée [6]. La population kanak vote quasiment exclusivement pour l’indépendance, les autres communautés votent en majorité pour le maintien au sein de la République française. Il existe deux « volontés de vivre ensemble » sur un même territoire.
Et maintenant ? Les accords de Nouméa restent évasifs en cas de choix de maintien au sein de la République française. « si la réponse [à la troisième consultation] est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». Les spécialistes de droit constitutionnel débattent des dispositions à adopter. L’échéance référendaire prévue par les accords de Nouméa étant arrivé à son terme, le statut actuel est-il devenu caduc ? C’est ce qu’avait défendu le ministre Lecornu, en raison du caractère provisoire du titre XIII de la Constitution [7]. De nombreuses dispositions des accords de Nouméa sont en effet contraire à des principes constitutionnellement protégés, notamment la restriction du corps électoral pour les élections locales. Une révision constitutionnelle (1998) fut même nécessaire pour « constitutionnaliser » les accords de Nouméa. Ceux-ci étant arrivés à leur terme, plus rien ne justifie a priori les atteintes aux droits et libertés garantis par la Constitution.
D’autres arguent que certaines dispositions prévues par les accords sont irréversibles : la notion de peuple kanak, la citoyenneté calédonienne, les restrictions au droit de vote pour certains nationaux, l’emploi local [8]. Le principal point d’achoppement concerne évidemment le gel du corps électoral pour les scrutins locaux et référendaires, une revendication historique des partis indépendantistes pour ne pas devenir minoritaire lors des échéances référendaires. Cette disposition exclue à peu près de 34 000 personnes des élections provinciale et du processus référendaire pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, soit 17% du corps électoral, majoritairement des métropolitains installés sur le territoire après 1994. Certains spécialistes du contentieux pourraient à terme contester la validité des prochaines échéances électorales et annuler les élections, notamment les élections provinciales 2024. Un seul point semble faire l’unanimité, une révision constitutionnelle s’impose. Une bonne fenêtre de tir pour une réforme globale du droit ultramarin, devenu largement très illisible pour le commun des mortels ? Qui a conscience en métropole, hormis quelques spécialistes du sujet, qu’une collectivité située à plus de 16 000 km de Paris influe depuis plus de 30 ans sur la loi fondamentale française ?
Et la Nouvelle-Calédonie n’est pas un cas isolé, dans la France ultramarine l’unité et l’indivisibilité de la République relèvent plus souvent du slogan politique voire idéologique que de la réalité administrative. Certaines dispositions réglementaires sont plus difficilement acceptées localement. Ce fut particulièrement le cas pendant la période de crise sanitaire Covid 19, où les politiques d’obligations vaccinales ont suscité un sentiment de mécontentement populaire vis-à-vis du gouvernement.
L’exécutif avançait donc en terrain miné à l’approche des élection présidentielles 2022. Les résultats confirmèrent une certaine défiance des collectivités d’outre-mer, voire un vote sanction contre le gouvernement en place. Dans l’Indo-Pacifique français, les territoires de l’océan Indien ont majoritairement plébiscité Marine Le Pen au second tour. Dans le Pacifique, Emmanuel Macron arrive en tête dans les trois collectivités. Partout, sauf en Nouvelle-Calédonie, le vote Rassemblement national progresse par rapport à 2017, celui-ci ayant largement bénéficié du report des voix attribués à Jean-Luc Mélenchon au premier tour.
Pour les législatives de juin 2022, les résultats dans les CFIP furent plus disparates. Seulement 3 députés sur 14 en Indo-Pacifique sont membres de la majorité présidentielle, alors que 9 sont affiliés à la coalition NUPES.
Tous les députés indo-pacifique sont membres de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, présidée par Moetai Brotherson. Pour rappel, ce-dernier avait à plusieurs reprises exprimé son scepticisme vis-à-vis de la stratégie Indo-Pacifique française : « Cette problématique[l’Indo-Pacifique], peu visible et peu lisible des Polynésiens qui n’ont malheureusement pas conscience de n’être à nouveau (comme à l’époque du CEP) un pion sur cet échiquier mondial où la France décide in fine, en dépit des apparences de notre statut dit d’autonomie, et est la main qui décide du jeu » [9]
Autre évènement notable du microcosme politique de l’Indo-Pacifique français, la nomination en juillet 2022 de Sonia Backes en tant que secrétaire d’Etat chargée à la citoyenneté dans le gouvernement Elisabeth Borne. Dans le sillage du ralliement d’une partie de l’électorat loyaliste (pour le maintien dans la République française) à la candidature d’Emmanuel Macron (confédération Ensemble Nouvelle-Calédonie), l’accession à un poste gouvernemental de cette figure emblématique du mouvement loyaliste illustre le rapprochement entre Emmanuel Macron et la classe politique loyaliste en Nouvelle-Calédonie déjà remarqué lors de l’élection présidentielle. Les représentants non indépendantistes calédoniens disposent ainsi d’un canal privilégié et d’une éventuelle capacité d’influence sur la politique étrangère de Paris en Indo-Pacifique. Au risque de remettre en cause l’impartialité de l’Etat dans les futures négociations statuaires de la collectivité ?
À l’autre extrémité de l’Indo-Pacifique français, l’île de Mayotte semble échapper à tout processus d’intégration régional et même sous-régional. Contrairement à sa voisine réunionnaise, l’île hippocampe (Mayotte) ne participe pas à la Commission de l’Océan Indien, organisation intergouvernementale réunissant les Seychelles, l’île Maurice, les Comores, Madagascar et la France au titre de La Réunion.
Géographiquement rattaché à l’archipel des Comores, cet ancien Territoire d’Outre-mer sous souveraineté française, avait voté pour accéder à l’indépendance en 1974 dans le cadre d’un referendum d’autodétermination. Si l’ensemble de la population de l’archipel comorien a voté à près de 95 % pour l’indépendance, la situation fut différente à Mayotte où 63 % des habitants ont voté pour le maintien dans la République française. Mayotte resta ainsi française alors que ses voisines accédaient à l’indépendance. L’Union des Comores revendique depuis la souveraineté sur l’île Mayotte.
Les conséquences du contentieux franco-comorien sur l’île se matérialisent au quotidien à Mayotte, via les centaines de Kwassa-Kwassa (embarcation de fortune) qui débarquent illégalement chaque année plusieurs milliers de clandestins. Près d’un habitant sur deux à Mayotte est de nationalité étrangère [10]. Cette problématique de l’immigration illégale est le principal point de désaccord qui cristallise les tensions franco-comoriennes, et empêche toute possibilité d’apaisement dans la relation bilatérale. En 2019, plus 27 000 personnes en situation irrégulière ont été reconduites à la frontière comorienne (Anjouan) [11] par les autorités françaises. Soit plus que sur l’ensemble du territoire métropolitain pour la même année (19 000). L’absence de politique dissuasive de la part des autorités comoriennes fait que le phénomène migratoire persiste. Au-delà du gouffre économique que représente la lutte contre l’immigration clandestine, cette pression migratoire a entraîné de graves troubles sociaux sur l’île, avec des tensions interethniques quotidiennes, et un sentiment d’insécurité croissant de la part de la population mahoraise. La multiplication d’affrontements entre bandes sont devenues incontrôlables Aujourd’hui la situation à Mayotte est précaire. Département le plus jeune de France, 84 % des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté, le taux de chômage avoisine les 35 % et l’illettrisme 42 %, 69 % des nouveau-nés sont comoriens, 60 % de la population scolarisée est étrangère.
Que faire ? Le gouvernement, conscient de la situation (le ministre de l’Intérieur, Gerald Darmanin, s’y est déplacé deux fois dans l’année 2022, notamment pour passer le nouvel an avec les forces de l’ordre), pense à faire de Mayotte un laboratoire d’une future loi nationale sur l’immigration, et même une réforme du droit du sol sur le département via de nouvelles mesures ciblées pour lutter contre l’immigration. Des parlementaires appellent à une présence accrue des moyens de la Marine nationale, et des forces de l’ordre sur l’île.
Ces mesures seront-elles efficaces ? Probablement indispensables, elles ne peuvent néanmoins constituer une solution de long terme qui impliquera forcément une collaboration accrue avec le gouvernement de l’Union des Comores. Rappelons que l’île d’Anjouan se trouve à seulement 70 kilomètres des côtes mahoraises.
En conclusion, stratégie nationale et réalités locales ne se superposent pas systématiquement dans l’Indo-Pacifique français. Si les CFIP sont amenées à devenir une composante importante des relations internationales françaises, celles-ci doivent être considérés dans leurs spécificités, pas seulement pour leur intérêt géostratégique. Les organismes, institutions et think tanks français doivent en conséquence se spécialiser sur ces problématiques par un travail de formation et de sensibilisation indispensable, mais aussi en valorisant les compétences existantes notamment dans la collectivités d’outre-mer.
La multiplication d’études stratégiques par des chercheurs originaires des CFIP en 2022 est un très bon signal [12].
Sous forme d’ouverture, quelques évènements devront être scrutés de près en 2023 dans l’Indo-Pacifique français :
. La visite d’Emmanuel Macron à Pékin prévue début avril 2023.
. Les élections territoriales en Polynésie française en avril 2023 pour renouveler les 57 députés de l’assemblée de la Polynésie française.
. Les conséquences sociales de l’inflation galopante dans les CFIP déjà très marquées par le phénomène de « vie chère ». Les suites de la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, et l’impact du réchauffement climatique frappent des secteurs économiques déjà sinistrés.
. La politique régionale menée par la Chine et les Etats-Unis dans le Pacifique océanien, nouveau laboratoire des relations concurrentielles sino-américaines. Pour la seule année 2022, Wang Yi avait mené une vaste tournée dans la région de 10 jours, tandis que Joe Biden avait invité les leaders politiques de la région à Washington, notamment Edouard Fritch (président de la Polynésie française) et Louis Mapou (Président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie).
. Enfin, la Coupe du monde de rugby organisée en France en septembre 2023 offre une occasion unique de célébrer le talent et le courage de certains athlètes de l’Indo-Pacifique français, notamment ceux originaire du Pacifique océanien (Willi Atonio, Peato Mauvaka, Romain Toafifenua, Yoram Moefana, Emerick Sertiano).
Copyright Février 2023-Milhiet/Diploweb.com
Plus : Voir l’année 2023 dans l’Indo-Pacifique
. Paco Milhiet, « Géopolitique de l’Indo-Pacifique. Enjeux internationaux, perspectives françaises », préface de Christian Lechervy, éditions Le Cavalier bleu, 2022.
Derrière chaque dénomination géographique se cache une intention politique. L’Indo-Pacifique ne déroge pas à la règle… Nouveau leitmotiv des relations internationales, cette construction stratégique vise à contenir la montée en puissance de la Chine et met en exergue la rivalité sino-américaine. Mais elle se traduit aussi par des enjeux régionaux qui ne sont pas toujours en ligne avec la stratégie de certaines métropoles, notamment la France, acteur important grâce à ses collectivités présentes dans la région.
Les problématiques de l’Indo-Pacifique se développent donc à plusieurs échelles, internationale, nationale et locale. Ce sont ces représentations multiscalaires, conduisant à des intérêts géo¬politiques parfois concurrents, que Paco Milhiet analyse dans cet ouvrage.
Paco Milhiet est docteur en science politique. Il enseigne les relations internationales à l’École de l’air et de l’espace ainsi qu’à Sciences Po Aix. Ses recherches portent sur la géopolitique de la zone Indo-Pacifique et sur le développement de l’influence chinoise dans la région.
Préface de Christian Lechervy
Ouvrage publié avec le soutien de la Maison des sciences de l’homme du Pacifique et de l’Université de la Polynésie française
[1] Emmanuel MACRON, Déclaration conjointe entre la France et les Etats-Unis, Elysée, [en ligne], 2021, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/10/29/declaration-conjointe-entre-la-france-et-les-etats-unis
[2] Emmanuel MACRON, Déclaration du Président de la République à l’occasion de la visite du Premier ministre d’Australie, Anthony Albanese, Elysée, [en ligne], 2022, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/07/01/declaration-conjointe-du-president-emmanuel-macron-et-du-premier-ministre-daustralie-anthony-albanese,
[3] France Diplomatie, Forum ministériel pour la coopération dans l’Indopacifique (Paris, 22 février 2022), Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, [en ligne], 2022, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/11/18/deplacement-du-president-emmanuel-macron-en-thailande
[4] Emmanuel MACRON, Déplacement du Président Emmanuel Macron en Thailand, Elysée.fr, [En ligne], 2022, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/11/18/deplacement-du-president-emmanuel-macron-en-thailande
[5] Ministère des Armées, Indopacifique, la France renforce sa présence aux avants postes, defense.gouv.fr, [En ligne], 2022, https://www.defense.gouv.fr/actualites/indopacifique-france-renforce-sa-presence-aux-postes
[6] Hubert B, La gueule de bois des loyalistes, Calédosphère, [en ligne], 2018, https://caledosphere.com/2018/11/06/la-gueule-de-bois-des-loyalistes-lespoir-des-independantistes/)
[7] Angélique Le Bouter, Nouvelle-Calédonie : le troisième référendum aura lieu le 12 décembre 2021, Outre-mer la 1ère, [en ligne], 2021, https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvelle-caledonie-le-troisieme-referendum-aura-lieu-le-12-decembre-2021-1023304.html
[8] Mathias CHAUCHAT, vers la fin de la garantie d’irréversibilité constitutionnelle de l’accord de Noumea, JP BLOG, [en ligne], 2021, https://blog.juspoliticum.com/2021/07/12/vers-la-fin-de-la-garantie-dirreversibilite-constitutionnelle-de-laccord-de-noumea-par-mathias-chauchat/
[9] Commentaire sur la page facebook du député Moetai Brotherson, 7 novembre 2019 https://www.facebook.com/Moetai2017/posts/613998699136200
[10] Chantal CHAUSSY, Sébastien MERCERON, A Mayotte, près d’un habitant sur deux est de nationalité étrangère, Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, [en ligne], 2019, https://www.insee.fr/fr/statistiques/3713016
[11] Jean-Marc LECLERC, Mayotte a reconduit 27 000 clandestins, Le Figaro, [en ligne], 2019, https://www.lefigaro.fr/actualite-france/mayotte-a-reconduit-27-000-clandestins-20200211#:~:text=Les%20objectifs%20d’%C3%A9loignements%20pour,mais%20la%20pression%20migratoire%20persiste
[12] Notons par exemple :
Raihaamana TEVAHITUA, L’océanie française à l’heure de l’Indo-Pacifique : entre local et global, IRIS observatoire géopolitique de l’Indo-Pacifique, [en ligne], 2022, https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2022/12/ObsIndoPac_Note-1.pdf
Christophe ROCHELAND, La diplomatie territoriale de La Réunion, genèse, analyse et enjeux de géopolitique interne et externe, Thèse de doctorat Institut français de Géopolitique, 2022, 463p.
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