Cette année 2023, focus sur la proactivité diplomatique du président de la République française, E. Macron, dans la zone Indo-Pacifique. Dans la continuité d’un article publié il y a un an dans les colonnes de Diploweb, Paco Milhiet poursuit sa chronique visant à offrir un suivi du contexte géopolitique de l’Indo-Pacifique français.
EN MAI 2018, à l’occasion d’une tournée diplomatique en Australie et en Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron conceptualisait une nouvelle stratégie géopolitique : l’Indo-Pacifique français [1]. Cinq ans plus tard, le 26 juillet 2023, le président de la République, de retour en Nouvelle-Calédonie, déclare à Nouméa : « j’ai voulu pour notre pays une stratégie indopacifique forte (…) on peut être fier, quand on vient à Nouméa, à Papeete ou ailleurs, de dire : “regardez, nous sommes une puissance, nous sommes là” (…) La France est une puissance indopacifique à travers vous et par vous. » [2].
Mais l’explicitation d’une stratégie nationale suffit-elle pour apparaitre comme un acteur légitime dans la région ? Rien n’est moins sûr. Pour beaucoup, la France, dernier pays membre de l’Union européenne (UE) souverain dans la zone, est une puissance « bienvenue, entendue, mais pas forcément attendue » [3]. D’autres l’ont longtemps considérée comme illégitime dans la région. Ce fut notamment le cas de la République populaire de Chine (RPC), qui explicitait sa position par la voix d’un amiral au Shangri-La Dialogue de 2013 : « Pour nous, la France c’est en Europe » [4].
Certes, le passé colonial de la France en Asie de l’Est a laissé un très mauvais souvenir aux Chinois. La deuxième guerre de l’opium, le sac du Palais d’Été, la guerre franco-chinoise de 1883, la conquête coloniale en Indochine sont autant de souvenirs douloureux savamment entretenus par le régime communiste chinois. Toute personne ayant visité le nouveau Palais d’Été (Yiheyuan) a pu le constater. Plus récemment, les déclarations intempestives du sulfureux ambassadeur chinois à Paris, le wolf warrior Lu Shaye, l’incident de la frégate Vendémiaire de la Marine nationale en 2019 sèchement intimée de ne pas naviguer dans le détroit de Taiwan [5], ainsi que la modernisation du système lance-leurres des frégates Lafayette de Taipei, ont écorné la relation bilatérale.
Néanmoins, le communiqué conjoint franco-chinois publié en avril 2023 à l’issue d’un voyage du Président français en RPC à Pékin , notamment son point 4, est révélateur d’une évolution notable : « la France et la Chine s’accordent à approfondir les échanges sur les questions stratégiques et notamment à approfondir le dialogue entre le Théâtre Sud de l’Armée populaire de libération de la Chine et le Commandement des forces françaises en Zone Asie-Pacifique (ALPACI), afin de renforcer la compréhension mutuelle des enjeux de sécurité régionaux et internationaux » [6].
Une reconnaissance explicite chinoise de la légitimité française à se poser comme puissance dans la région ?
Si le terme Indo-Pacifique est scrupuleusement évité par la diplomatie chinoise, Pékin considérant (à raison ?) que le nouveau schème stratégique est une sémantique américaine visant à contenir son développement, cette déclaration conjointe n’est pas anodine dans le sens où elle porte reconnaissance par la Chine de la présence militaire française dans la région. Un premier pas vers le développement d’une relation sino-française dans la zone ? Comme nous le faisions remarquer ici même il y a quelque temps [7], l’Asie-Pacifique constitue une nouvelle composante de la relation sino-française.
En 2023, les voyages présidentiels dans la région Indo-Pacifique sont donc caractéristiques des enjeux géopolitiques définis comme prioritaires par l’Elysée. La Chine demeure un élément structurant et ambivalent de la stratégie Indo-Pacifique française (I). Les autres ensembles sous-régionaux ne sont pour autant pas négligés. Particulièrement l’ Asie du Sud où l’Inde est devenue une pierre angulaire de la stratégie française dans la zone (II). Dans le Pacifique océanien, si tout reste à faire en Nouvelle-Calédonie pour stabiliser la situation politique et économique, la France développe néanmoins une diplomatie régionale proactive (III).
Cacophonie européenne, illisibilité, échec, contradictions… le voyage présidentiel d’Emmanuel Macron en Chine du 5 au 8 avril 2023 n’a pas manqué de faire réagir la communauté européenne de sinologues et d’experts en relations internationales. En cause les déclarations du Président à son retour de Pékin : « La pire des choses serait de penser que nous Européens devrions être suivistes sur ce sujet (Taïwan) en nous adaptant au rythme américain et à une surréaction chinoise » [8]. L’onde de choc dépassant très largement les frontières hexagonales, nous épargnons au lecteur la prose peu inspirée de Donald Trump pour qualifier cette sortie du Président français [9], qui illustre néanmoins la portée internationale de la polémique.
Ainsi, Emmanuel Macron aurait « fait le jeu de Pékin », « sacrifié la souveraineté de Taïwan », « donné un signal aux Russes » et suscité l’incompréhension de nos « partenaires » [10]… Pis, pour certains, la position française de puissance « d’équilibres en Indo-Pacifique », leitmotiv de la dernière « Revue nationale stratégique 2022 », serait illisible, arrogante et contreproductive [11].
Pourtant, si l’on peut facilement convenir que les réactions du Président ont pu déplaire à la diplomatie américaine et à certains pays européens, ne concevant leur stratégie de défense que sous le prisme du partenariat atlantique, donc de l’OTAN, les déclarations présidentielles n’ont pas suscité les mêmes réactions partout. Particulièrement en Asie-Pacifique…
Si l’encensement de la presse chinoise pour le « nouveau champion de l’autonomie stratégique » [12] semble être de circonstance, d’autres voix influentes de la zone ont exprimé des propos plus réservés, voire favorables à l’égard du positionnement français exprimé. Sans prétendre à une réaction homogène de la part de la communauté de chercheurs en Asie-Pacifique, où le débat est riche et les opinions plurielles, certains chercheurs et diplomates influents ont apprécié les propos du Président Macron.
C’est le cas du diplomate singapourien Kishore Mahbubani, ancien président du Conseil de sécurité de l’ONU et désormais commentateur reconnu des affaires internationales. Il a jugé les propos du Président français comme « la vraie tradition française de suivre une voie indépendante » et qu’il ne faisait aucun doute « que les intérêts de l’Europe n’étaient pas de se joindre à une croisade américaine conte la Chine » [13]. Autre exemple, en Inde, le chercheur Raja Mohan analysait cette volonté d’autonomie stratégique française comme un espoir pour renforcer les relations multilatérales entre l’Inde et les pays de l’UE [14]. Enfin, le chercheur indonésien Evan Laksmana, présent à Paris lors d’une conférence organisée par la Fondation pour la Recherche Stratégique en juillet 2023, estimait que le principal atout français dans la région était le positionnement indépendant exprimé par son président [15]. Bien loin donc des volées de bois vert exprimées dans la presse occidentale.
Il est vrai que dans la région Asie-Pacifique, les acteurs des relations internationales sont très liés à Pékin et adoptent des positions plus réservées vis-à-vis de la question taïwanaise. Tous les pays de la région reconnaissent le principe d’une « seule Chine » (à l’exception de 4 micro-États du Pacifique) et chercheront avant tout à rester neutres en cas d’escalade dans le détroit de Formose. Ils admettent bien volontiers que les visites d’officiels américains sur l’île, comme celle de Nancy Pelosi en 2022, relèvent de la provocation américaine. Par ailleurs, les propos du Président Macron renvoient au positionnement traditionnel et singulier de la diplomatie française, celui qui fait que la voix de Paris compte encore à l’international. Bonne nouvelle donc pour la France qui tente de se positionner comme un acteur régional … au risque de surjouer son rôle géopolitique ?
Le 28 août 2023, dans le cadre de la Conférence des ambassadrices et ambassadeurs [16], Emmanuel Macron aborde la stratégie française en Indo-Pacifique en ces termes : « Ce que comprennent les partenaires de la région, et j’ai pu le tester, c’est la troisième voie. Alors, il y a plein de gens qui détestent. Moi j’aime bien et mes interlocuteurs comprennent bien, c’est efficace. ». Depuis plusieurs années, le Président adjoint au narratif Indo-Pacifique une série de concepts censés appuyer la crédibilité de sa stratégie. La France serait donc une « puissance d’équilibre », jouissant d’une « autonomie stratégique », pour défendre « la liberté de souveraineté » dans l’Indo-Pacifique.
Derrière ces concepts fétiches en soutien d’une stratégie géopolitique, il faut comprendre essentiellement être libre de la coercition chinoise, tout en n’étant pas systématiquement aligné sur les États-Unis. Ce positionnement, largement interprété comme un héritage du général de Gaulle [17], est bien compris dans la région concernée, la plupart des pays ayant des liens économiques trop importants avec la Chine pour s’afficher ouvertement du côté des Américains. C’est le cas en Asie du Sud, nouvel axe prioritaire de la stratégie française, dans le sillage d’une relation franco-indienne au beau fixe.
En effet, depuis la signature d’un partenariat stratégique en 1998 [18], la relation bilatérale franco-indienne a connu un essor sans précédent dans plusieurs domaines : culturel, économique, diplomatique, mais surtout stratégique. L’énergie nucléaire, l’aérospatiale, la recherche et développement, l’exportation d’armements et les exercices militaires conjoints sont autant de secteurs clés qui favorisent le développement de cette relation.
Depuis 2018, ce partenariat stratégique intègre une forte dimension Indo-Pacifique : exportations d’armements, exercices militaires bilatéraux, rapprochement post-AUKUS [19], participation active à des forums régionaux (Indian Ocean Naval Symposium, Indian Ocean Rim Association) et collaboration opérationnelle sur l’île de la Réunion symbolisent ce nouveau tournant Indo-Pacifique dans la relation bilatérale. Preuve s’il en est, le 14 juillet 2023, le Premier ministre indien, Narendra Modi, était l’invité d’honneur du défilé militaire sur les Champs-Élysées. Des troupes indiennes ont défilé tandis que des Rafale indiens survolaient l’avenue parisienne. Quelques instants plus tard, les diplomaties indienne et française publiaient un communiqué conjoint pour célébrer les 25 ans du partenariat stratégique. En annexe, une « feuille de route » énumérait 12 points comme autant de piliers d’une collaboration dans l’ensemble régional Indo-Pacifique [20].
À New Dehli, la position d’équilibre française est appréciée, une communication conjointe [21] franco-indienne publiée à l’issue du G20 rappelle que : « la force du partenariat entre la France et l’Inde est fondée sur une confiance profonde, des valeurs partagées, la croyance en la souveraineté et l’autonomie stratégique ».
Et la stratégie française en Asie du Sud ne se cantonne pas à l’Inde. Dans la continuité d’une tournée diplomatique dans le Pacifique océanien (voir infra), le Président Macron effectuait une première visite historique au Sri Lanka pour célébrer les 75 ans de l’établissement des relations diplomatiques et envisager une restructuration de la dette sri-lankaise (la France, quatrième créancier bilatéral de la nation insulaire) [22]. Le Président Ranil Wickremesinghe saluait « le rôle important de la France dans les affaires mondiales et les questions liées à la région Indo-Pacifique » [23].
Quelques semaines plus tard, Emmanuel Macron en visite au Bangladesh propose « une troisième voie fondée sur le respect de la souveraineté et l’autonomie stratégique de nos partenaires ». La réaction enthousiaste de la Première ministre bangladaise, Sheikh Hasina, ne risque pas de faire douter le Président français : « la promotion de votre autonomie stratégique s’aligne sur notre propre politique étrangère (…). Nous considérons que vous êtes une bouffée d’air. » [24].
Critiquée en France, encensée à l’étranger, la stratégie Indo-Pacifique française est-elle condamnée à n’être populaire qu’à l’extérieur des frontières hexagonales ? Le hiatus géopolitique est plus complexe, car la France de l’Indo-Pacifique est aussi une stratégie à destination des territoires ultramarins. À cet égard, une collectivité du Pacifique océanien, région dans laquelle Emmanuel Macron a été très actif en cette année 2023, illustre parfaitement le décalage qui existe parfois entre problématique locale et stratégie régionale.
Du 24 au 28 juillet 2023, Emmanuel Macron s’est rendu en Nouvelle-Calédonie, au Vanuatu et en Papouasie–Nouvelle-Guinée. Accompagné dans son périple par les chefs des exécutifs de la Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie (Moetai Brotherson et Louis Mapou), le Président a ainsi confirmé la tradition de l’État d’associer les collectivités dans la politique régionale française, nonobstant le parti pris politique. Le Vanuatu, archipel mélanésien frontalier de la Nouvelle-Calédonie, ancien condominium franco-britannique et seul État francophone du Pacifique océanien, fait l’objet d’une attention particulière dans le cadre de cette stratégie régionale. La nomination d’un expert en études stratégiques et relations internationales en tant qu’Ambassadeur au Vanuatu (également accrédité aux îles Salomon) [25], l’annonce de la création d’une antenne de l’Agence française de développement (AFD) et un investissement à hauteur de 200 millions d’euros, ainsi que l’engagement régulier des forces armées française en Nouvelle-Calédonie (FANC), notamment lors des cyclones Judith et Kevin en 2023, illustrent cette volonté de faire de cette petite république insulaire un partenaire régional majeur. Quelques mois plus tard, du 4 au 7 décembre 2023, la réunion des ministres de la Défense du Pacifique Sud (SPPDM), en présence du ministre français de la Défense Sébastien Lecornu, reflète l’importance croissante que la France accorde aux questions de sécurité régionale. L’organisation d’un tel événement offre l’opportunité aux FANC de valoriser le caractère positif, responsable et durable de leurs actions unanimement reconnues comme d’utilité publique dans la région : sécurité maritime, assistance aux populations victimes de catastrophes naturelles (HADR), formations professionnelles (RSMA), évacuations sanitaires, protection de l’environnement, lutte contre la pêche illégale. Le ministre de la Défense a également confirmé l’implantation future d’une « académie du Pacifique », un nouveau pôle de formation à destination des forces militaires des pays de la zone.
Malgré cet activisme géopolitique visant à renforcer l’influence française dans la région, à Nouméa en 2023, il fut moins question de projet géopolitique que d’évolution statutaire et de réforme constitutionnelle. Plus de 35 ans après les événements d’Ouvéa, et malgré 3 référendums (2018, 2020, 2021), la problématique de l’autodétermination de la collectivité cristallise toujours les tensions politiques.
La période référendaire n’a donc pas eu les résultats escomptés, les partis indépendantistes ne reconnaissant pas la validité du troisième referendum et contestant sa légitimité démocratique auprès d’organisations internationales (ONU, Forum des îles du Pacifique, Groupe de fer-de-lance mélanésien). Ce sont désormais les constitutionnalistes qui s’écharpent sur le sujet. Le statut actuel, issu des accords de Nouméa, est-il devenu caduc avec l’échéance des accords, ou au contraire, certaines dispositions prévues sont irréversibles ? Si une révision constitutionnelle a été annoncée par le Président lors de son déplacement, le temps presse car les prochaines élections provinciales se profilent en 2024 et certains spécialistes du contentieux pourraient en contester la validité. Pour l’instant, les projets de discussion trilatérale pour s’accorder sur un statut sont restés lettre morte, une partie des indépendantistes s’y opposant. De là à critiquer la stratégie Indo-Pacifique, il n’y a qu’un pas… Ainsi, dans un communiqué publié en novembre 2023, le FLNKS, principal parti indépendantiste de Nouvelle-Calédonie, déclarait : « La France se sert de notre pays comme « porte avion » afin de rayonner dans la région et décliner sa stratégie Indo-Pacifique par une remilitarisation de la Nouvelle-Calédonie, ce qui est contraire aux principes de l’ONU pour un territoire inscrit sur la liste des pays à décoloniser » [26].
Autre dossier sensible sur le Caillou : le nickel. La Nouvelle-Calédonie est le 4e producteur mondial de ce métal indispensable à la composition de très nombreux alliages métalliques et aciers inoxydables ainsi que pour le marché des batteries de véhicules électriques. La production métallurgique représente 90 % des exportations du territoire et emploi 12 000 personnes, soit quasiment 20 % de la population active. Mais la principale richesse de l’île est devenue un fardeau économique. Aucune des 3 usines de l’île n’est rentable et la production est en recul. Entre 2008 et 2021, les déficits cumulés par les 3 opérateurs culminent à près de 19 milliards d’euros (soit 218 % du PIB 2021) [27]. Pire, deux des principaux actionnaires, Eramet (SLN) et Glencore (KNS), ont tous deux déclaré en 2023 qu’ils ne fourniraient pas de financement supplémentaire aux entreprises, entrainant un risque de faillite financière à l’horizon 2024. Le ministre de l’Économie Bruno Lemaire, en visite sur le territoire en novembre 2023, a esquissé un plan de sauvetage pour le secteur impliquant une modification du code minier pour favoriser les exportations, une refonte du système énergétique et une réorientation de l’offre vers des marchés destinés aux batteries électriques, notamment en direction de l’UE. Néanmoins, à l’instar d’Emmanuel Macron quelques mois auparavant, il a mis en garde ses interlocuteurs en déclarant que l’État ne financerait pas des activités industrielles à perte. Une restructuration générale du secteur est donc à prévoir.
La Nouvelle-Calédonie est confrontée à une crise politique et économique majeure. Cette situation peut-elle constituer une opportunité pour des acteurs régionaux soucieux d’étendre leur influence sur le territoire ? Le facteur Chine a souvent été mis en exergue comme repoussoir à toute velléité indépendantiste en Nouvelle-Calédonie. Si le développement de l’influence chinoise dans la région est sans conteste [28], l’activisme géopolitique de la RPC dans les collectivités françaises repose, pour l’instant, sur peu d’éléments tangibles.
Conclusion
Les déclinaisons géopolitiques de la stratégie Indo-Pacifique française divergent donc en fonction de l’échelle d’analyse. Pour le Président français, l’exercice consiste à naviguer entre posture internationale, stratégie nationale et réalités politiques locales.
À l’échelle internationale, si l’année 2023 fut celle de la pérennisation de la relation franco-indienne, celle de 2024 sera probablement consacrée à la RPC à l’aulne des 60 ans de la relation bilatérale franco-chinoise. Pour Paris, Pékin est un sujet plus épineux que New Delhi.
Fluctuant entre intégration à des organismes multilatéraux censés démultiplier sa puissance et volonté de porter une voix singulière dans les relations internationales, le positionnement français vis-à-vis de la RPC est parfois ambivalent. Dans une volonté globale visant à lier les contextes Euro-Atlantique et Indo-Pacifique, les principales organisations multilatérales auxquelles la France contribue ont toutes durci leurs positions contre Pékin. Ainsi, l’OTAN, l’UE et le G7 visent clairement la Chine, la présentant comme un concurrent, voire une menace. Côté français, le Président n’a pas hésité pas à user du terme « nouveaux impérialismes » dans ses discours au Vanuatu, au Sri Lanka et au Bangladesh, critique à peine voilée de l’envahissante influence de la Chine.
Pourtant, dans le cadre bilatéral franco-chinois, le discours est tout à fait différent. Cela s’est observé lors du voyage présidentiel en Chine évoqué plus tôt, mais aussi à Vilnius au sommet de l’OTAN des 11 et 12 juillet 2023 quand Emmanuel Macron a confirmé son refus catégorique de voir une antenne de l’Organisation ouvrir à Tokyo. [29] Il convient pour Paris de ne pas provoquer Pékin, dont les officiels ont rappelé à de nombreuses reprises qu’ils voyaient d’un très mauvais œil l’extension de l’Organisation à la région Asie-Pacifique [30].
Reste à savoir si la zone géographique Indo-Pacifique deviendra à terme une composante importante de la relation sino-française, basculant ainsi la focale d’analyse de l’échelle internationale aux contextes locaux.
Car en matière de relations extérieures, les narratifs nationaux et locaux ne se conjuguent pas systématiquement, surtout dans le Pacifique français. Conscient de leurs dépendances économiques à la métropole, souvent isolées de leur propre environnement régional, les autorités des collectivités françaises voient en la Chine des perspectives de croissance économique que nul autre acteur ne peut porter et cherchent donc à entretenir une relation politique spécifique avec la RPC, parfois en dehors du cadre de la relation sino-française. À l’heure où deux gouvernements indépendantistes sont aux affaires en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, plus que jamais les autorités locales chercheront à « négocier les interdépendances » [31], notamment avec la RPC.
Pour assoir la stratégie géopolitique Indo-Pacifique de l’État, le Président Macron et ses ministres devront redoubler de créativité juridique et institutionnelle, de continuité stratégique, de réalisme financier et d’habilité relationnelle. Un scenario complexe et multidimensionnel à bien articuler. Les objectifs pour 2024 sont posés.
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Paco Milhiet est Docteur en Géopolitique de l’Institut Catholique de Paris et de l’Université de la Polynésie française. Il s’exprime ici à titre personnel. Actuellement en poste à Singapour dans le cadre d’un postdoc à la S. Rajaratnam School of International Studies (RSIS), Paco Milhiet a enseigné les relations internationales à l’École de l’Air et de l’Espace ainsi qu’à Sciences Po Aix. Ses recherches portent sur la géopolitique de l’Indo-Pacifique, le développement de l’influence chinoise dans la région, et les enjeux spécifiques de chaque collectivité française de la zone. Membre du Conseil scientifique du Diploweb.com, il a publié « Géopolitique de l’Indo-Pacifique. Enjeux internationaux, perspectives françaises » aux éditions Le Cavalier bleu, ouvrage préfacé par Christian Lechervy.
[1] Emmanuel MACRON, Discours à Garden Island, base navale de Sydney, Elysee.fr, [en ligne], 2018, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/05/03/discours-a-garden-island-base-navale-de-sydney
[2] Emmanuel MACRON, Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la Nouvelle-Calédonie et l’Indopacifique, à Nouméa le 26 juillet 2023, Vie Publique, République française, [en ligne],2023, https://www.vie-publique.fr/discours/290549-emmanuel-macron-26072023-nouvelle-caledonie#:~:text=Nous%20devons%20construire%20aujourd’hui,et%20ce%20chemin%20d’avenir.
[3] Expression empruntée au chercheur Eric Frécon (entretien avec l’auteur).
[4] Sylvie KAUFFMAN, La France peut-elle devenir une puissance de l’Asie-Pacifique ? Le Monde [en ligne],2013, https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/06/02/la-france-puissance-de-l-asie-pacifique-combien-de-divisions_3422496_3216.html
[5] Daniel SCHAEFFER, Incident franco-chinois dans le détroit de Taiwan : recadrage, Asie 21, [en ligne], 2019, https://www.asie21.com/tag/detrit-de-taiwan/
[6] Elysée, Déclaration conjointe entre la République française et la République populaire de Chine, Visite d’État en Chine, [en ligne], 2023, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/04/07/declaration-conjointe-entre-la-republique-francaise-et-la-republique-populaire-de-chine .
[7] Paco MILHIET, géopolitique de l’outre-mer. Quelle concurrence France/Chine en Polynésie française, Diploweb, [en ligne], 2021, https://www.diploweb.com/Geopolitique-de-l-outre-mer-Quelle-concurrence-France-Chine-en-Polynesie-francaise.html
[8] Jamil ANDERLINI, Clea CAULCUTT, Macron incitent les Européens à ne pas se penser en « suiveurs » des États-Unis, Politico, [en ligne], 2023, https://www.politico.eu/article/emmanuel-macron-incite-europeens-etats-unis-chine/
[9] Doina CHIACU, Trump accuses France’s Macron of pandering to China, Reuters, [en ligne], 2023, https://www.reuters.com/world/trump-accuses-frances-macron-pandering-china-2023-04-12/
[10] FRANCE INFO, Taïwan : on vous explique la polémique après les propos d’Emmanuel Macron qui défend une « autonomie » européenne face à la Chine et aux Etats-Unis, France Télévision, [en ligne], 2023, https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/tensions-entre-la-chine-et-taiwan-on-vous-explique-la-polemique-apres-les-propos-d-emmanuel-macron_5764562.html
[11] Antoine BONDAZ, Reconceptualiser la politique étrangère et de sécurité française en Indo-Pacifique, Note de la Fondation pour la Recherche Stratégique n°16/2023, [en ligne], 2023, https://www.frstrategie.org/publications/notes/reconceptualiser-politique-etrangere-securite-francaise-indo-pacifique-2023
[12] Wen SHENG, Strategic autonomy will enable Europe to stand equally among major powers, Global Times, [en ligne], 2023, https://www.globaltimes.cn/page/202304/1288739.shtml
[13] Kaiser KUO, As the US and China part ways, the Global South finds its own path,[en ligne], 2023, The China Project, https://thechinaproject.com/2023/04/13/as-the-u-s-and-china-part-ways-the-global-south-finds-its-own-path/
[14] C. Raja MOHAN, Macron’s distancing from US, statement on Taiwan- India needs greater engagement with European geopolitics, not less, The Indian Express, [en ligne], 2023, https://indianexpress.com/article/opinion/columns/macron-distancing-from-us-statement-on-taiwan-india-european-geopolitics-8563076/
[15] Evan LAKSMANA, Multilateralism in the Indo-Pacific : redefining cooperation formats to meet regional challenges, Fondation pour la Recherche stratégique, [en ligne], 2023, https://www.youtube.com/watch?v=oVrAo0je0kY ( à partir de 2h12 min)
[16] Emmanuel MACRON, Conférence des Ambassadrices et des Ambassadeurs : le discours du Président Emmanuel Macron, Elysée, [en ligne], 2023, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/08/28/conference-des-ambassadrices-et-des-ambassadeurs-le-discours-du-president-emmanuel-macron
[17] Christine CLERC, Quand Macron se prend pour de Gaulle, Le Point, [en ligne], 2023, https://www.lepoint.fr/monde/quand-macron-se-prend-pour-de-gaulle-12-04-2023-2516006_24.php
[18] France Diplomatie, Le partenariat stratégique franco-indien en 4 questions, Ministères de l’Europe et des Affaires étrangères, [en ligne], 2023, https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/inde/le-partenariat-strategique-franco-indien-en-4-questions/
[19] Paco MILHIET, AUKUS, quelles conséquences pour la stratégie Indo-Pacifique française, Asia Focus n°178, IRIS, [en ligne], https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2022/04/Asia-Focus-178-Paco-Milhiet.pdf
[20] Ministry of external Affairs, India-France Indo-Pacific roadmap, Government of India, [en ligne], 2023 https://www.mea.gov.in/bilateral-documents.htm?dtl/36799/IndiaFrance_IndoPacific_Roadmap
[21] Ministry of external affairs, India-France joint statement, Government of India, [en ligne], 2023, https://www.mea.gov.in/bilateral-documents.htm?dtl/37096/IndiaFrance+Joint+Statement
[22] Jayesh KHATU, The significance of French President Macron’s visit to Stri Lanka, The Diplomat, [en ligne], 2023, https://thediplomat.com/2023/08/the-significance-of-french-president-macrons-visit-to-sri-lanka/
[23] VOA News, French President visits his counterpart in Sri-Lanka, Associated Press, [en ligne], 2023, https://www.voanews.com/a/french-president-macron-visits-his-counterpart-in-sri-lanka-/7203129.html
[24] Al Jazeera, Macron visits Bangladesh to consolidate France’s Indo-Pacific push, News agencies, [en ligne], 2023, https://www.aljazeera.com/news/2023/9/11/macron-visits-bangladesh-to-consolidate-frances-indo-pacific-push
[25] NDLR : Il s’agit de l’ancien directeur de l’IRSEM, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer. Celui-ci communique régulièrement sur Linkedin à propos de ses actions dans la région.
[26] Bureau politique du FLNKS, Non à la remilitarisation de notre pays, Communiqué publié sur la plateforme Facebook le 29 novembre, [en ligne], 2023, https://www.facebook.com/FLNKSOfficiel/?ref=page_internal
[27] Institut d’émission d’outre-mer, Rapports annuel économique 2022 Nouvelle-Calédonie, p115 [en ligne], 2022, https://www.ieom.fr/IMG/pdf/ieom_ra_economique_nouvelle_caledonie_2022.pdf
[28] Bastien VANDENDYCK, le développement de l’influence chinoise dans le Pacifique Océanien, IRIS, Asia focus n° 61, [en ligne], 2018, https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2018/02/Asia-focus-61.pdf
[29] Ji JI, Macron informs Nato chief of France’s opposition to officie in Tokyo,The Japan Times, [en ligne], 2023, https://www.japantimes.co.jp/news/2023/07/09/national/tokyo-nato-office/
[30] Paco MILHIET, Un dialogue de sourds entre les grandes puissances en Asie-Pacifique ?, The Conversation, [en ligne], 2023, https://theconversation.com/un-dialogue-de-sourds-entre-les-grandes-puissances-en-asie-pacifique-208223
[31] Propos attribués au leader indépendantiste Kanak Jean-Marie Tjibaou, rapporté par Michel Rocard in Christian BLANC, La force des racines Kanak en Nouvelle-Calédonie, Odile Jacob, 2021, 432 p.
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Date de publication / Date of publication : 22 décembre 2023
Titre de l'article / Article title : L’Indo-Pacifique français en 2023. L’activisme diplomatique du Président Macron
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Cette année 2023, focus sur la proactivité diplomatique du président de la République française, E. Macron, dans la zone Indo-Pacifique. Dans la continuité d’un article publié il y a un an dans les colonnes de Diploweb, Paco Milhiet poursuit sa chronique visant à offrir un suivi du contexte géopolitique de l’Indo-Pacifique français.
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