Pierre-Antoine Donnet, diplomé de langue chinoise a fait une très belle carrière de journaliste à l’AFP (1982-2018), dont un poste de correspondant en République populaire de Chine (1984-1989). Il en gardé un intérêt prononcé pour ce pays. Il publie un ouvrage recommandé par Diploweb.com « Chine, le grand prédateur. Un défi pour la planète » (éditions de L’Aube, 2021)
Avec une plume alerte et documentée, P-A Donnet met en perspective de manière très éclairante les relations entre les Etats-Unis et la République de Chine populaire, à travers la question stratégique majeure de Taïwan. L’occasion de mettre en évidence les effets inattendus du rapprochement diplomatique mis en œuvre dans les années 1970. Si les consommateurs Occidentaux ont été d’une certaine manière les grands gagnants des investissements étrangers dans les zones littorales de la RPC, l’entrée de ce pays dans la mondialisation a aussi nourri l’émergence d’une puissance qui entend depuis plus d’une décennie contribuer à la désoccidentalisation du monde, y compris au sujet de Taïwan. En outre, cette dynamique a accéléré le changement climatique. Puisse cet exemple conduire à la réflexion les stratèges d’aujourd’hui et de demain.
TAIWAN, que l’on appelait autrefois Formose [1], est devenue ces dernières années la zone de tous les dangers avec une montée qui semble irrépressible des tensions entre la Chine et les Etats-Unis qui, plus que jamais, fait surgir la possibilité d’une troisième guerre mondiale.
La Chine communiste revendique sa souveraineté sur ce petit archipel grand comme la Belgique où vivent quelques 24 millions d’habitants mais le fait est qu’elle ne l’a jamais contrôlé. Devenue une authentique démocratie, Taïwan fait figure de porte-avions des valeurs universelles face à ce glacis totalitaire qu’est la Chine populaire depuis l’arrivée de Mao Zedong au pouvoir en 1949. Un défi intolérable pour la Chine communiste toute proche.
« Porte-avions insubmersible » comme l’avait dit le général américain MacArthur en 1950 ou terre fragile qui bientôt serait absorbée par l’immense continent surarmé qui lui fait face à quelque 130 kilomètres de l’autre côté du Détroit de Taïwan ? Quelques rappels historiques pour commencer.
Du 21 au 28 février 1972, le président américain Richard Nixon effectuait une visite historique à Pékin, dans le sillage d’une visite secrète de Henry Kissinger qui avait préparé la reconnaissance par les États-Unis de la Chine communiste. Mais cinquante années plus tard, que de désillusions ! Le goût est amer. En effet, passée l’euphorie de cette lune de miel improbable entre la Chine rouge et le plus grand pays capitaliste, le constat d’échec est patent. Car loin d’avoir abouti à une ouverture de la Chine, ce rapprochement sino-américain a provoqué l’inverse : une Chine conquérante et totalitaire face à une Amérique qui n’est plus tout-à-fait le symbole de la démocratie qu’elle était au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
C’est le secrétaire d’État du président Nixon, Henry Kissinger, qui avait en 1971 jeté les bases de cette normalisation entre Pékin et Washington. Lors d’une visite secrète dans la capitale chinoise, il avait rencontré les plus hauts dignitaires du régime. Mais déjà à l’époque, il était conscient du fait que ce pari pourrait un jour se retourner contre les États-Unis. « Lorsque ces gens n’auront plus besoin de nous, il sera très difficile de leur parler », avait confié le secrétaire d’État à l’un de ses assistants au sortir d’un entretien avec un responsable chinois.
Henry Kissinger, aujourd’hui âgé de 99 ans, est resté une personne très estimée des dirigeants chinois. À commencer par le président Xi Jinping qui, en 2019 encore, l’a accueilli avec tous les honneurs à Pékin. Le journal Le Monde est revenu récemment sur les circonstances qui ont conduit à cette visite secrète dont l’artisan a été cet ancien secrétaire d’Etat.
« Les États-Unis sont invités à se rendre en Chine populaire, le secrétaire général de la délégation chinoise de tennis de table, M. Sung Chung, a invité la Fédération américaine à se rendre en Chine pour y disputer une série de matches. L’invitation, qui a été lancée le 7 avril (1971) à Nagoya, au Japon, où se déroulent actuellement les championnats du monde, a provoqué une certaine surprise en raison du refus antérieur des Chinois de rencontrer les Cambodgiens et les Vietnamiens du Sud », explique le journal.
Dès le 13 avril 1971, ce premier échange de balles entre Chinois et Américains, alors en état de quasi-hostilité depuis la guerre de Corée, passait dans les pages de politique étrangère, avant de faire la Une du Monde le 16 avril 1971. Le grand ballet qui allait amener, trois mois plus tard et dans le plus grand secret, le conseiller de Richard Nixon à Pékin prenait son envol.
L’affaire était tellement énorme que, lorsque les pongistes Glenn Cowan et Zhuang Zedong échangèrent quelques politesses à Nagoya, personne n’y avait prêté attention. D’autant que l’opinion américaine et internationale, obnubilée par la guerre du Vietnam ainsi que par un conflit sino-soviétique qui avait failli dégénérer en guerre nucléaire, n’avait guère suivi la diplomatie du « Dear Henry » pour établir des relations avec Pékin.
Mais, en saisissant la balle au bond, l’habile tacticien qu’était Zhou Enlai, alors Premier ministre, avait inventé la « diplomatie du ping-pong ». S’il est une négociation fondée sur une Realpolitik dénuée de tout sentimentalisme, s’il existe des négociateurs aussi cyniques et sans scrupules pour protéger ce qu’ils croyaient être les intérêts majeurs de leur pays, ce sont bien des joueurs d’échecs Zhou Enlai et Henry Kissinger qu’il s’agit, œuvrant pour le compte de leurs patrons respectifs Mao Zedong et Richard Nixon.
Pendant vingt ans, la Chine était pourtant devenue pour les États-Unis, marqués par l’anticommunisme viscéral de ces deux pères spirituels de Richard Nixon qu’étaient le sénateur McCarthy et Foster Dulles, le symbole du communisme le plus diabolique. Il fallait la contenir par une muraille de feu et d’alliances, et protéger avant tout l’allié taïwanais. Pour Mao, depuis la guerre de Corée, et encore plus pendant la Révolution culturelle, l’Amérique était une sorte de « Grand Satan » du capitalisme et de l’impérialisme, l’ennemi principal bien que « tigre de papier », comme aimait à le dire Mao.
Qu’est-ce qui a bien pu rapprocher deux présidents si hostiles l’un envers l’autre ? Richard Nixon écrivait certes en 1967 : « La Chine rouge menace, sa menace est claire, présente […] et insistante. » Trois ans plus tôt, Mao affirmait : « L’impérialisme américain est l’ennemi le plus féroce des peuples du monde. » Mais tous deux partageaient une même perception de la menace soviétique en ces temps du brejnévisme triomphant, qu’ils avaient vu se manifester en Europe avec l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, et en Asie avec les accrochages à la frontière chinoise en 1969.
Dans ses mémoires (Les années de renouveau, mémoires ed. Le grand livre du mois, 2000), Kissinger raconte avec un luxe de détails comment se déroulèrent ces premiers contacts, dans une atmosphère digne d’un film d’espionnage de série B. Il raille l’obsession médiatique de son patron, oubliant qu’il partageait à sa manière le même travers, mais surtout que, s’il était le messager américain de cette histoire, l’instigateur en fut Richard Nixon. À travers ses souvenirs, et d’autres, on peut reconstituer ce fascinant puzzle, sur fond d’invasion du Cambodge et de scandale du Watergate.
Dès son élection en 1969, Richard Nixon avait compris la nécessité de renouer avec la Chine et de profiter d’une nouvelle diplomatie « triangulaire » pour affaiblir l’URSS. Dès son élection, il avait lancé quelques signaux que Pékin n’avait pas manqué de décrypter : en mars, le président américain s’ouvrit au général de Gaulle (qui avait reconnu la République populaire dès 1964) de son intention d’amorcer un dialogue, lui demandant de le faire savoir à la Chine.
L’ambassadeur de France à Pékin de l’époque, Etienne Manac’h, en informa Zhou Enlai. En même temps, Washington fit quelques « gestes » symboliques : ainsi par exemple, la levée de l’interdiction de se rendre en Chine pour les journalistes et universitaires et la suspension des patrouilles navales dans le détroit de Taïwan.
Pour brouiller les pistes, surtout à l’égard de leurs alliés (Saïgon, Taipei et Tokyo pour les États-Unis, Hanoï pour la Chine), il fallut recourir à des émissaires secrets. Mais cette volonté frénétique de conclure était contrebalancée par de regrettables contingences extérieures. D’abord l’attitude de l’URSS, qui s’inquiétait de ce rapprochement, mais dont la « lourdeur », selon Henry Kissinger, ne fit que servir les comploteurs. Surtout, la politique indochinoise de Nixon retarda le processus : il était difficile aux Chinois de ne pas paraître soutenir leurs alliés vietnamiens, ainsi que le prince Sihanouk et les Khmers rouges.
Mao se livra en mai de la même année à une philippique endiablée contre les « impérialistes américains », tout en se gardant bien d’annoncer une intervention militaire. La Maison Blanche parlait désormais de « République populaire » et autorisait la reprise des contacts et du commerce avec Pékin. C’est ainsi que, au milieu d’un voyage d’information apparemment anodin qui le menait de Saïgon à Paris via New Delhi et Islamabad, Henry Kissinger fit sa première escapade secrète à Pékin du 9 au 11 juillet 1971. Il fallut inventer un malaise obligeant le secrétaire d’État à se reposer dans la capitale du Pakistan, déjouer la surveillance, devenue gênante, de diplomates et membres des services secrets américains, pour prendre un avion pakistanais au petit matin.
Tout se passa pour le mieux à Pékin, les deux hommes s’étant jaugés et sachant jusqu’où ils pouvaient aller. Le 15 juillet 1971, un communiqué commun apprenait au monde stupéfait la visite pour 1972 du président américain à Pékin. Richard Nixon et Henry Kissinger célébrèrent leur triomphe par un repas de crabe arrosé de Laffite-Rothschild 1961 dans un restaurant à la mode de Los Angeles.
Le 20 février 1972, le président américain s’envolait pour Pékin et la rencontre historique avec Mao. À l’automne, la République populaire remplaçait Taïwan aux Nations Unies. En 1974, George H. W. Bush devenait le représentant officiel américain à Pékin. Le 1er janvier 1979, Chinois et Américains établissaient des relations diplomatiques. Les rapports entre les deux pays allaient revenir au beau fixe, à la grande joie des politiciens et hommes d’affaires américains intéressés par la « carte » et par le marché chinois. Ceci jusqu’au massacre de la place Tiananmen le 4 juin 1989 qui fit des centaines de morts dans les rangs des jeunes protestataires qui demandaient davantage de démocratie.
Voilà qui explique sans doute l’importance accordée par le président George Bush Père à ses relations avec Pékin. Pourtant, en dépit de son engouement pour une Chine qui l’avait propulsé dans l’Histoire et avait fait sa réputation de diplomate, Henry Kissinger n’avait pu s’empêcher de mettre en garde contre la redoutable habileté de ses partenaires : « Les Soviétiques offrent leur bonne volonté comme prix de la réussite de négociations. Les Chinois utilisent l’amitié comme un licou [2] dans la poursuite des négociations ; en offrant au moins à l’interlocuteur les apparences d’une intimité personnelle, une subtile contrainte est mise aux prétentions qu’il peut avancer. » Une mise en garde toujours actuelle.
La visite à Pékin du président américain George W. Bush en 2002 avait marqué le 30ème anniversaire de la reconnaissance croisée des anciens ennemis. Il y a dix ans, Xi Jinping qui était alors sur le point de prendre les rênes du pouvoir à Pékin, avait réuni dans la capitale chinoise les artisans de cette réconciliation improbable. Étaient là aussi les anciens conseillers à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski, Brent Scowcroft et, bien sûr, Kissinger.
Mais cinquante ans après, les relations entre les deux superpuissances mondiales ont tourné à l’aigre tandis que la Russie et la Chine ont effectué ces derniers mois un rapprochement spectaculaire. Ce rapprochement s’est encore renforcé avec la visite à Pékin du président russe Vladimir Poutine, premier chef d’État à arriver dans la capitale chinoise avant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Pékin. Étonnant retournement de la situation : tandis qu’au début des années 1970, Nixon et Kissinger étaient en mesure de jouer la carte de la Chine contre l’Union soviétique, maintenant c’est au tour de Poutine et de Xi Jinping de jouer la même carte contre les États-Unis et leurs alliés.
Henry Kissinger avait peut-être bien senti instinctivement que la direction communiste chinoise se retournerait un jour contre l’Amérique aussitôt qu’elle en aurait les capacités militaires et diplomatiques. Ainsi ses éloges sur la nouvelle Chine résonnent-ils étrangement aujourd’hui tandis que Pékin et Washington s’affrontent plus que jamais sur des questions économiques, politiques et surtout idéologiques. Au cœur de cet affrontement, l’archipel de Taïwan. Alors se pose en 2022 la question : la Chine et les États-Unis en arriveront-ils à se livrer une guerre chaude sur ce sujet sensible ?
Après être restée tapie dans l’ombre face à une supériorité militaire américaine incontestable, écrit Doshi, la Chine est maintenant devenue arrogante et sûre d’elle, confiante dans le fait qu’elle restera impunie (...)
Aujourd’hui, les langues se délient dans la capitale américaine. Ainsi l’expert américain des affaires chinoises Rush Doshi n’hésite-t-il pas à expliquer la nature de cette menace chinoise dans un livre paru récemment, The Long Game : China’s Grand Strategy to Displace American Order (Ed. Oup USA, 2021). Après être restée tapie dans l’ombre face à une supériorité militaire américaine incontestable, écrit Doshi, la Chine est maintenant devenue arrogante et sûre d’elle, confiante dans le fait qu’elle restera impunie sur la scène internationale en dépit de tous ses forfaits, en raison surtout de sa puissance économique mais aussi d’un nationalisme exacerbé dans le pays.
Selon Rush Doshi, devenu aujourd’hui l’un des membres du Conseil national de sécurité du président Joe Biden, la Chine était traversée par des dissensions internes et confrontée à une puissance militaire dominante des États-Unis à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Cette puissance était éclatante avec la chute de l’Union soviétique et la Première guerre du Golfe. Mais la crise financière de 2008 a commencé à modifier cette perspective, Pékin observant un affaiblissement du colosse américain.
L’élection en 2016 de Donald Trump à la Maison Blanche puis le chaos suscité aux États-Unis par une gestion exécrable de la pandémie de Covid-19 ont ensuite enclenché une nouvelle phase : la direction chinoise était désormais persuadée que l’Amérique se trouve maintenant entrée dans une phase de déclin irréversible. Autour de 2016, Pékin constatant un affaiblissement de l’Occident, la propagande chinoise se mit à évoquer des « changements sans précédent depuis un siècle » dans le monde. À son profit.
Quel bouleversement pour la Chine qui avait été humiliée lors des deux Guerres de l’opium à la fin du XIXème siècle, lorsqu’elle avait été contrainte de signer des « traités inégaux » qui lui avaient imposé d’ouvrir aux impérialistes occidentaux des ports au commerce de cette drogue. La Chine commençait à prendre sa revanche. Cette revanche suit maintenant son chemin. À l’heure actuelle, tout oppose Pékin et Washington, à l’exception peut-être de leur coopération timide dans la lutte contre le changement climatique. Mais pour le reste, rien ne va plus. La concurrence ne cesse de s’aiguiser dans les domaines militaires, technologiques, commerciaux, géopolitiques et idéologiques, en particulier en Indo-Pacifique.
Les États-Unis ont donc été aveugles.
La désillusion américaine avait commencé après l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001. Sans l’aide des États-Unis, la Chine ne serait doute jamais devenue membre de l’OMC. Depuis, Américains et autres pays occidentaux ont réalisé que non seulement la Chine ne s’est pas ouverte sur le monde extérieur, mais elle a trahi quasiment toutes ses promesses.
Les États-Unis ont donc été aveugles. « À regarder ce qui s’est passé, c’est douloureux car il s’agit de tellement de crédulité », explique Michael Pillsbury, un ancien responsable du département américain de la Défense et vétéran des négociations sino-américaines, cité par le quotidien Nikkei Asia. Parmi ceux qui ont peut-être souffert de cécité et qui en sont revenus, figure Hank Paulson, ancien secrétaire au Trésor américain et aujourd’hui chef de Goldman Sachs. Jusqu’à une période récente très enthousiaste de l’engagement avec la Chine, tout comme d’ailleurs la majorité de la communauté d’affaires américaine, il a aujourd’hui radicalement changé de ton pour proclamer que la Chine constitue une menace existentielle pour l’Amérique.
À mi-mandat de la présidence Trump, Paulson avait déjà explicitement déclaré que de nombreuses entreprises américaines étaient devenus « sceptiques et même hostiles après avoir été les avocates » de la politique commerciale américaine à l’égard de la Chine.
Outre Taïwan, le Japon, proche allié des États-Unis, avait été une autre victime de la normalisation sino-américaine. Or voici qu’aujourd’hui, l’archipel nippon est devenu résolument hostile à la Chine. Des déclarations récentes de l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe et de l’actuel chef du gouvernement japonais Fumio Kishida ont bien montré qu’en cas de guerre à Taïwan, le Japon se rangerait sans hésiter du côté américain. Mais c’est sans conteste Taipei qui a été véritablement trahi par cette normalisation. Dans ses mémoires, Kissinger explique que l’ancienne Formose avait été à peine mentionnée lors de ses discussions avec Zhou Enlai en 1971.
Mais des documents aujourd’hui déclassifiés montrent au contraire que l’ancien Premier ministre chinois avait lourdement insisté sur le fait que Washington devait absolument abandonner Taïwan pour que la Chine accepte de normaliser ses relations avec les États-Unis.
Il en ressort clairement que Kissinger avait bel et bien décidé d’abandonner Taïwan pour conduire la Chine à se rapprocher de l’Amérique pour faire front ensemble face à l’Union soviétique. Comme l’a expliqué plus tard l’historienne Nancy Bernkopf Tucker, Kissinger a en réalité offert à la Chine bien plus qu’elle ne pouvait espérer en acceptant que le États-Unis retirent toute présence militaire sur le sol taïwanais et adoptent le concept « d’une seule Chine », reconnaissant ainsi que Taïwan fait partie intégrante de la Chine populaire.
« Les promesses [de Nixon et Kissinger] étaient plus grandes, leurs compromis plus conséquents et leurs concessions plus fondamentales que ce qu’ils pensaient acceptable par le peuple américain, écrivait cette historienne en 2005. Voici pourquoi ils ont eu recours au secret pour dissimuler île les dommages collatéraux » de ces concessions, explique l’historienne [3].
De fait, il apparaît bien que Kissinger fût intimidé par Zhou Enlai et surtout Mao. Confronté à la colère que le Congrès américain avait exprimé devant ce lâchage d’un allié anticommuniste, Nixon accepta que ce même Congrès vote en 1979 le fameux Taiwan Relations Act par lequel les États-Unis s’engageaient à fournir des armes à Taïwan en quantités suffisantes pour lui permettre de se défendre en cas d’agression militaire. C’était là la seule concession du président américain de l’époque.
Depuis, la Chine n’a plus jamais cessé de revendiquer Taïwan comme faisant partie de son territoire. Fin 2021, Zhao Lijian, l’un des porte-paroles du ministère chinois des Affaires étrangères, a rappelé que le principe « d’une seule Chine » constituait « le fondement d’un développement politique stable des relations Chine/États-Unis ». De fait, cette rhétorique chinoise n’a jamais changé.
Quant à Xi Jinping, il n’hésite plus à brandir la menace d’une intervention militaire si les autorités de Taïwan persistent dans leur refus de négocier une « réunification » de l’île sous la bannière du Parti communiste chinois. Il a en outre tenu à préciser que cette réunification devrait nécessairement se réaliser « au cours de la génération présente », c’est-à-dire dans les trente prochaines années.
Aujourd’hui, les dirigeants américains réalisent, mais peut-être un peu tard, qu’ils se sont lourdement trompés. Est-il encore temps de redresser la barre ? Oui, certes. Car aujourd’hui, la perspective d’une guerre à Taïwan est lointaine tant nombre de pays ont exprimé leur solidarité avec Taïwan. Outre les États-Unis qui, par la voix de leur président Joe Biden, ont clairement indiqué qu’ils défendraient l’île en cas d’attaque chinoise, le Japon, l’Australie, l’Inde, le Vietnam et, dans une moindre mesure, la Corée du Sud ont tous clairement exprimé leur soutien à Taïwan qui, plus que jamais, apparaît comme un bastion de la démocratie dans le monde chinois.
Pour mieux en saisir la singularité, un peu d’histoire sur les origines de Taïwan. Peuplée d’aborigènes venus d’Océanie, Taïwan a été plusieurs fois envahi. C’étaient les Hollandais, les premiers colonisateurs de l’île, qui avaient encouragé au XVIIe siècle la colonisation de Taïwan par les Chinois. Un temps considéré déjà comme une base arrière par ces Chinois pour reconquérir la Chine continentale en faveur de la dynastie Ming (1368-1644), Taïwan avait obtenu dès 1885 un statut à part, autonome, dans la Chine des Qing mandchous (1644-1911).
Les conférences de Potsdam et de Yalta spécifièrent que Taïwan devrait revenir à la Chine, une fois libérée des Japonais qui l’occupaient depuis 1895, un argument encore invoqué par Pékin. Agacés par l’intransigeance de Tchang Kaï-chek (Jiang Jieshi), les États-Unis se résignaient donc à cette chute lorsque, le 25 octobre 1949, les communistes orchestrèrent un débarquement sur l’île de Quemoy (Kinmen), située juste en face à quelques kilomètres de leur côte orientale. Quemoy prise, la route serait libre jusqu’à Taïwan. Mais cette opération amphibie fut un désastre : près de 6 000 morts pour la RPC. Un coup d’arrêt qui sauva doublement les nationalistes.
L’administration Truman s’avisa que le cheval taïwanais n’était peut-être pas si mauvais. Double morale de l’histoire : quand vous êtes faibles, aidez-vous d’abord, les puissants viendront vous aider ensuite ; les Ukrainiens en savent quelque chose depuis le 24 février 2022. Et il suffit parfois d’un rien, une petite bataille, un petit sursaut, pour enclencher un rééquilibrage qui dure encore.
L’île nationaliste fut favorisée par un autre accident de l’Histoire : la guerre de Corée, déclenchée en 1950, renforce son intérêt stratégique pour les Américains, engagés dans la lutte avec la Chine. La 7e flotte prend l’habitude de croiser dans les détroits de la mer de Chine du Sud et du Sud-Est asiatique, les Américains étant seuls à faire face aux communistes après le départ des Français d’Indochine en mai 1954. Du côté chinois, après la fin des guerres de Corée (1953) et d’Indochine, il faut trouver un nouvel objectif mobilisateur. On crée un slogan appelé à perdurer : « Libérons Taïwan ». Le 3 septembre 1954, Pékin bombarde l’île de Quemoy. Une façon de tester la détermination américaine à défendre Taïwan. Washington se divise sur la réponse. Frapper la Chine ? Lui imposer un blocus ? Ne pas répondre car ces îles (il faut y ajouter Tachen au nord et Matsu) n’ont aucun intérêt stratégique ? Dwight Eisenhower, comme l’explique Jean-Marc Le Page dans La Menace nucléaire (ed. Passés composés, août 2022), alerte de représailles massives, compare l’agression de Taïwan par la Chine à celle de la Tchécoslovaquie par Hitler, tout en choisissant la voie de l’apaisement.
À cette époque, souligne Pierre Grosser dans L’histoire du monde se fait en Asie (ed. Odile Jacob), la grande question américaine est : comment garder limitée une guerre et comment mener une guerre limitée avec succès ? Washington s’engage dans une politique d’alliance qui arrime Taïwan aux États-Unis : un traité de sécurité mutuelle est signé en décembre 1954, inspiré des autres traités multilatéraux dans la région, l’Anzus et l’Otase. Une manière de contrôler l’allié taïwanais qui ne cesse de lancer des raids sur la Chine continentale. Mais, selon ce traité, ni Tachen ni Matsu ni Quemoy ne font partie des territoires dont la défense justifierait une riposte, seules Formose et les îles Pescadores sont mentionnées. Le 18 janvier 1955, la Chine s’empare de quelques îles de l’archipel de Tachen. Le président Eisenhower répond : « Il est temps de tracer une ligne claire. » Les nationalistes acceptent cependant d’évacuer tout l’archipel de Tachen pour s’assurer que la résolution de Formose, qui assure la protection de l’île, soit votée par les deux Chambres américaines.
Si la situation se stabilise sur le plan militaire, en coulisses, on prépare une réponse diplomatique. Pour la seconde fois de leur histoire, après la guerre de Corée, les États-Unis agitent la menace nucléaire : « Je ne vois pas de raisons pour lesquelles les armes nucléaires ne pourraient être utilisées de la même façon que des balles de fusil », déclare Eisenhower le 16 mars 1955. Cette mise en garde est un électrochoc mais oblige la Chine à négocier avec Washington, comme Chou En-lai l’annonce à la conférence de Bandung, acte de baptême du tiers-monde. Les Américains vont en déduire que la menace a porté ses fruits. À la suite de cette première crise, ils installent des armes nucléaires au Japon. Mao, de son côté, a réussi à ce que la question taïwanaise ne soit pas oubliée. Mais, en provoquant une crise, il a resserré les liens entre les États-Unis et Taïwan. Bilan mitigé. C’est la fin du premier acte et le bras de fer a conduit les adversaires à durcir leurs positions. Washington s’est engagé, tandis que la Chine, qui n’a pas renoncé à Taïwan, songe au coup d’après : les îles de Quemoy et de Matsu, non incluses dans le traité américano-taïwanais.
L’épisode fait aussi basculer la Chine dans l’ère nucléaire. La menace américaine est en effet l’argument massue dont Mao a besoin pour convaincre l’URSS de lui fournir la technologie. Khrouchtchev commence par l’en dissuader (le grand frère l’abritera sous son parapluie et lui évitera des frais exorbitants), mais Mao, vexé, exige un transfert de connaissances. En janvier 1955, Liu Jie, le chef des services de géologie, lui a fait une démonstration de radioactivité après la découverte d’importants gisements d’uranium dans le Guangxi. « J’ai promené au-dessus du minerai un compteur Geiger qui a aussitôt fait “ga-ga-ga”. Le président Mao a ri comme un enfant, puis il a empoigné le compteur Geiger pour écouter le “ga-ga-ga”. Ce que vous faites va décider de notre destinée », se souviendra Liu Jie.
Le président américain Dwight Eisenhower annonce un déploiement militaire autour de Taïwan, le 1er septembre 1958. Chiang Kai-shek avait certes sanctuarisé militairement Quemoy et Matsu, mais, le 23 août, la Chine déclenche un déluge de feu sur Quemoy : 30 000 obus de fabrication soviétique. Qu’est-ce qui incite Pékin à repasser à l’attaque ? Les missiles nucléaires que Washington a récemment installés sur Taïwan ? Pas seulement. Entre-temps, Khrouchtchev a publié en 1956 le rapport sur les crimes de Staline ; une trahison selon Mao. La Chine se met à jouer avec virtuosité une partition aventuriste qui effraie Moscou et qui s’ouvre sur Taïwan.
Mao instrumentalise le conflit avec Taïwan. C’est la stratégie de l’allié embarrassant (...)
Selon Jung Chang et Jon Halliday, les biographes de Mao, le leader chinois instrumentalise le conflit avec Taïwan. C’est la stratégie de l’allié embarrassant : puisque je risque d’aller au conflit, il serait plus malin de m’en fournir les moyens – comprenez la bombe – plutôt que de vous battre vous-mêmes. Gromyko, le ministre des Affaires étrangères soviétique, se rend à Pékin, où Mao s’emploie à l’effrayer, imaginant une guerre atomique qui détruirait Moscou. « Où bâtirons-nous la capitale du monde socialiste ? Sur une île artificielle dans l’océan Pacifique. » Puis Mao réaffirme que la Chine est prête à assurer seule les conséquences d’une guerre nucléaire, à condition bien sûr d’être aidée. « Pour éliminer totalement les impérialistes, nous, le peuple chinois, sommes prêts à subir la première attaque américaine. Il ne s’agit, après tout, que de la mort d’un tas de gens ».
L’armée américaine brise le blocus autour de Quemoy et concentre près de l’île la plus grande force militaire depuis 1945. La stratégie est claire : contrer d’emblée la Chine pour l’empêcher de rêver au-delà de ces deux îles vers son objectif principal. La dimension nucléaire n’est pas explicitée, mais quand la question est posée à John Foster Dulles, le secrétaire d’État, il ne l’exclut pas. Il n’y songe pas un instant, c’est du bluff complet, mais efficace. Les Chinois, rassurés sur leur demande en armement par les soviétiques, réclament des négociations qui s’ouvrent le 15 septembre 1958.
Cette crise des détroits aura donc entraîné surtout des conséquences sur le plan nucléaire : les États-Unis y ont appris à apprivoiser l’usage de sa menace et le concept de guerre limitée, tandis que les Chinois ont obtenu d’importants transferts de technologie, en attendant mieux, la bombe qu’ils obtiennent en 1964 après la rupture avec l’URSS en 1962. Dès son origine, Taïwan a ainsi été un objet et un jouet, très symbolique et très pragmatique, qui a servi les projets des deux superpuissances.
Revenons en quelques lignes sur les populations aborigènes qui peuplaient l’île avant l’arrivée des premiers colons. Les aborigènes de Taïwan ( 原住民), littéralement « les habitants originels ») sont les descendants des plus anciens occupants de l’île de Taïwan. Cette population autochtone ne représente plus qu’environ 2% de la population de Taïwan en 2011. Voici cinq millénaires, ils seraient venus du sud-est de la Chine. Les langues des autochtones appartiennent à la famille austronésienne.
Pendant plusieurs siècles, les autochtones se sont opposés aux puissances coloniales dans les domaines militaires et économiques. Les gouvernements centralisés encouragent cependant une conversion linguistique et, plus généralement, une assimilation culturelle via le métissage. Les dynamiques de ces processus contribuent de diverses manières à l’extinction des langues locales à Taïwan.
Longtemps inconnue des plus grandes civilisations, l’île de Taïwan a su attiser bien des convoitises au cours des siècles, notamment à partir de la seconde moitié du deuxième millénaire (à partir du XVIème siècle). Alors traversée successivement par différents peuples, qu’ils soient aborigènes tout d’abord, puis européens, chinois et japonais, Taïwan a construit une identité unique, en constante évolution. Rares sont les pays dont les vagues successives de populations auront à ce point influencé leur histoire.
Taïwan ne rentrait clairement pas dans les plans des Qing, qui virent l’île comme un territoire n’apportant rien de bon à l’empire, si bien qu’il fut interdit aux Chinois de s’y installer. Interdiction qui ne fut cependant pas respectée, notamment par les habitants du Fujian (Sud-Est de la Chine), qui faisant face à des pénuries de nourriture et à une pauvreté grandissante, décidèrent de se rendre à Taïwan avec l’espoir d’y trouver une vie meilleure. Ainsi, et ce jusqu’en 1885, Taïwan fut considéré comme faisant partie du Fujian, avant d’être nommée comme une province à part entière.
C’est donc dès le XVIIIème siècle que l’île commença à voir émerger des villes de taille moyenne et des temples. Mais c’était sans compter la corruption grandissante, qui entraîna des affrontements entre les migrants du Fujian et les aborigènes de Taïwan notamment. Au début du XIXème siècle, on pouvait compter plus de 2 millions d’habitants sur l’île. Les différences ethnies se mélangèrent facilement, donnant naissance à une identité toute nouvelle et unique, propre à Taïwan. La situation politique et économique venant à se stabiliser, l’île de Formose commença alors à attiser les convoitises de forces extérieures, parmi lesquelles le Japon, L’Empire britannique et la Russie. Ces derniers ne cachèrent pas leur intérêt et établirent des liens commerciaux notamment dans les ports de l’île. Il aura fallu attendre le conflit avec la France au Vietnam et le rapprochement de celle-ci avec Taïwan pour que la Chine décide enfin d’agir et d’investir plus de ressources dans l’île, construisant des places défensives sur le territoire.
À la suite de la défaite de la Chine face au Japon au cours de la guerre sino-japonaise (1894-95), les Qing durent céder Taïwan à ce dernier. Les Japonais passèrent les 6 premiers mois de l’occupation à mater la résistance locale, perdant des milliers d’hommes à cause des maladies qui ravagèrent l’île. Ainsi, améliorer les conditions sanitaires fut l’une des priorités des Japonais, et développèrent notamment un réseau ferroviaire très fiable. Mais les populations aborigènes souffrirent énormément de l’occupation, et assistèrent impuissants à l’appropriation de leurs terres par les Japonais. Ce qui entraîna des révoltes, rapidement éteintes par les nouveaux occupants de l’île.
Taïwan fut une base militaire importante du Japon au cours de la Seconde Guerre mondiale : on comptait alors près de 200 000 Taïwanais dans l’armée japonaise. Et si le Japon rendit Taïwan à la Chine en 1945, sa présence sur l’île restera gravée à jamais. Mais, à la différence des crimes commis sur le continent chinois, l’armée japonaise ne commis pas ces forfaits à Taïwan. Si bien que la population taïwanaise conserva un souvenir plutôt positif de cette période coloniale qui sema les graines de l’industrialisation et d’une économie moderne à Taïwan.
À la fin de l’année 1949, Chiang Kai-shek fuit la montée du communisme de Mao. Ses troupes défaites par l’armée de Mao, il s’installa à Taïwan, déplaçant avec lui les plus beaux trésors de Chine, dont la majorité est aujourd’hui conservés dans les entrailles du Musée national à Taipei. Plus de 1,5 millions de Chinois suivirent Chiang Kai-shek dans son exil à Taïwan, qui déclara la République de Chine comme dirigeante légitime de toutes les Chines, et que toute opposition y est interdite.
Parti au pouvoir en Chine, le Guomindang et son chef de file Chiang Kai-shek décidèrent d’intégrer Taïwan le même régime autoritaire qu’il imposa en Chine continentale. Cependant, les Taïwanais ne mirent pas longtemps avant de se soulever contre ce nouveau régime, jugé injuste et brutal par les locaux : économie mal gérée, corruption… Au moment de l’intervention des troupes chinoises, le drame fut alors inévitable : des milliers de Taïwanais périrent au cours d’un massacre désormais connu sous le nom de l’incident 228 (28 février), un épisode qui prit le nom de « terreur blanche ».
Néanmoins, le nouveau gouvernement en place lança alors une série de réformes pour moderniser le territoire, sur lequel émergèrent alors des usines en très grand nombre. Devenue plus prospère, Taïwan vit sa population doubler entre les années 1950 et 1970, pour atteindre près de 15 millions d’habitants.
Le grand virage pour Taïwan fut l’élection en 1988 du natif de l’île Lee Teng-hui au suffrage universel à la présidence de la République. Taïwan était alors devenu une démocratie authentique et vivante, la seule dans le monde chinois. Non seulement les Taïwanais peuvent élire leur président ainsi que leurs députés et leurs maires, ils bénéficient aussi d’une justice indépendante et d’une presse libre. Le multipartisme est fonctionnel, le débat d’idée existe et la prise de parole est libre. Tout le contraire donc de la Chine communiste.
De plus, le système de santé et sécurité sociale gagna en efficacité prenant en compte toutes les couches de la société. Au Guomindang, le parti nationaliste, succéda alors le nouveau Parti Démocrate Progressiste (PDP) en 2000, avec à sa tête Tsai Ing-wen, réélue en janvier 2021 à la tête de l’Etat pour un deuxième mandat de cinq ans.
L’accession de Taïwan à la démocratie fait mentir ceux parmi les « experts » de la Chine qui affirmaient de façon péremptoire et passablement ridicule que la démocratie n’est pas faite pour la civilisation chinoise. Ce démenti est retentissant et s’accentue chaque jour qui passe.
Mais cet état de fait représente évidemment un défi pour le régime de Pékin, dans une Chine où l’univers politique est celui de l’autoritarisme, du règne absolu du Parti communiste et de la répression implacable de toute forme de dissidence. Plus que jamais, le Parti communiste chinois et son maître Xi Jinping voient en Taïwan un modèle dangereux pour la survie du régime communiste car, même si peu d’habitants de Chine continentale le savent du fait de la censure, ce défi grandit de jour en jour car Taïwan a désormais de plus en plus d’amis à travers le monde à l’heure où les interrogations sont de plus en lancinantes dans le monde sur le destin de la Chine.
Le pouvoir chinois est aujourd’hui confronté à des difficultés gigantesques avec une croissance économique qui s’effondre, des investisseurs étrangers qui font leurs bagages, une montée du chômage, surtout celui des jeunes, et une démographie en panne.
Mais outre l’aspect politique, au moins deux autres raisons peuvent expliquer l’appétit de Pékin pour Taïwan. La première est que l’archipel taïwanais représente un verrou stratégique crucial sur l’Indo-Pacifique. La seule position géographique de Taïwan constitue un nœud vital pour un accès à l’espace océanique le plus important sur la planète car il borde les Etats-Unis, l’Amérique Latine, le Japon et la péninsule Coréenne avec une ouverture au sud sur la Mer de Chine du Sud.
La Chine revendique d’ailleurs aussi ce deuxième espace maritime de près de quatre millions de km2 riche en ressources en hydrocarbures et en réserves halieutiques. La Mer de Chine du Sud est en outre, elle aussi, d’une grande importance géostratégique car plus de la moitié du commerce maritime mondial l’emprunte.
La deuxième raison, peut-être encore plus importante, est le fait que géant des semiconducteurs TSMC se trouve à Taïwan. Or ces « chips » sont vitales pour l’industrie et l’économie d’aujourd’hui et de demain, celle de la révolution numérique en marche depuis deux décennies.
La production de TSMC en semiconducteurs représente à elle seule 53% du marché mondial et même près de 90% pour les « chips » de dernière génération gravés à 5 nanomètres et bientôt à 2 nanomètres. Le seul véritable concurrent de TSMC est le sud-coréen Samsung. L’américain Intel a pris un retard important tandis que la Chine continentale est en retard d’au moins quinze ans dans ce secteur.
Vers un conflit armé entre les Etats-Unis et la Chine ?
Alors quelle issue aux tensions actuelles ? Y aura-t-il oui ou non un conflit armé entre les Etats-Unis et la Chine qui risquerait alors de s’étendre au Japon, la Corée du Sud d’un côté et la Russie ainsi que la Corée du Nord de l’autre ?
Plusieurs thèses s’affrontent. Celles alarmistes pour qui la guerre est inéluctable du fait du désir incandescent d’un régime chinois en difficulté qui espère retrouver ainsi une légitimité auprès du peuple chinois. Celles plus réfléchies selon qui la raison l’emportera car à Pékin on réalise qu’un tel conflit mènera selon toutes probabilités à une défaite cuisante de l’Armée populaire de libération.
Cette défaite semble en effet plus que probable car si l’armée chinoise a certainement réalisé des avancées importantes depuis une vingtaine d’années, en face la présence de l’armée américaine dans la région est écrasante. En outre, si conflit il devait y avoir, celle-ci trouverait à ses côtés en appui logistique les capacités militaires du Japon et vraisemblablement aussi celles de la Corée du Sud.
Or le niveau technologique de ces forces armées est largement supérieur à celui de la Chine et Xi Jinping en a parfaitement conscience. Songeons que le budget militaire américain est supérieur à ceux de tous les autres pays de la planète réunis.
Outre une erreur ou un accident non désiré sur le terrain qui pourraient déclencher les hostilités, il reste un autre facteur d’incertitude qui rend tout pronostic hasardeux : celui du nationalisme, une corde que le numéro un chinois sait faire vibrer quand il veut trouver autour de lui le soutien nécessaire pour rester au sommet du pouvoir.
Et ce nationalisme, il serait peut-être tenté de l’utiliser à son profit s’il se trouvait en difficulté dans son pays et menacé d’être renversé. La Chine a connu un tel épisode en 1966 lorsque Mao Zedong, se sentant menacé, avait alors déclenché la sinistre Révolution culturelle qui devait durer dix ans, semant le chaos dans le pays.
Comme Mao en 1966, Xi Jinping concentre actuellement tous les pouvoirs : il est à la fois président de la République, secrétaire général du Parti et chef de la Commission militaire centrale. Il attend du XXe congrès du PCC fin octobre 2022 d’être reconduit dans ses fonctions. Mais s’il devait se sentir en danger, n’ayant alors plus rien à perdre, il pourrait alors décider la fuite en avant. La région toute entière plongerait alors dans l’inconnu, avec alors des conséquences imprévisibles et potentiellement catastrophiques pour la planète.
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[1] Formose signifie la « belle », en portugais
[2] Le dictionnaire de l’Académie française donne la définition suivante de licou : « Lien de cuir, de corde ou de crin qu’on passe autour de la tête et du cou des chevaux, des mulets, des ânes, pour les conduire en main ou pour les attacher ».
[3] Washington Post, 3 mars 2021.
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