www.diploweb.com présente
" Quelle France dans le monde au XXI e siècle ?
", par Pierre
Verluise 1. COMMENT LES FRANCAIS VOIENT-ILS LE MONDE ? Partie 1.4. Les médias et les centres d'expertise français offrent-ils toujours une information de qualité sur les questions internationales ?
|
Introduction - 1. Comment les Français voient-ils le monde ? - 2. Quelles sont les images de la France à l'étranger ? - 3. Quels sont les outils disponibles ? - 4. Quelle politique étrangère ? - 5. Quelle mondialisation construire ? - Conclusion - Postface de Gérard Chaliand : Stratégie d'influence |
Mots clés - key words : pierre verluise, francis balle, radu portocala, xavier de villepin, pascal boniface, général pierre gallois, france, diplomatie, actualité internationale, presse, medias, journalistes, déontologie, écoles, formation, révolution roumaine de 1989, charnier de timisoara, désinformation, centre d'expertise publique, fondation de recherches, dissuasion nucléaire, stratégie, hiroshima, crise de cuba, 1962, menace atomique, gouvernements, alliances, international herald tribune, bbc, wall street journal, financial times. | <Partie
précédente " La critique est facile, lart plus difficile ", dit le bon sens populaire. Les responsabilités des journalistes comme des experts paraissent extrêmement complexes en matière diplomatique, particulièrement en situation de crise. Quelle menace atomique ? Théoricien de la dissuasion nucléaire française, le général Pierre M. Gallois confie à ce sujet un témoignage prenant à contre-pied non seulement les médias de lépoque mais nombre de manuels dhistoire contemporaine. " Depuis Hiroshima et Nagasaki, les fondements stratégiques rendent une guerre nucléaire hautement improbable. Il ne faut donc jamais perdre de vue que la plupart des conflits internationaux restent superficiels, en dépit des apparences médiatiques. A partir dune petite part de vérité, on construit des machines de mensonges. Ainsi, durant la crise de Cuba, en 1962, il na jamais été véritablement question de prendre le risque dune nouvelle guerre mondiale. Etant alors en relation de travail avec l'OTAN - après y avoir servi cinq ans - je peux certifier que les militaires nont jamais cru à la menace dune guerre nucléaire lors de la crise de Cuba. En effet, un conflit atomique ne peut éclater dans un tel débordement davertissements. Contrairement aux apparences, la paix restait en béton. Lamplification médiatique a été montée de toutes pièces par les gouvernements soviétiques et américains, afin de montrer à leurs affidés et à leur population respective combien ils savaient maîtriser une crise " majeure "... et resserrer leurs rangs. Cet exemple indique combien il convient de se méfier des leurres en matière dactualité internationale ". Mission impossible ? Depuis les années 1960, le poids des médias ne cesse de croître dans les relations internationales, ce qui multiplie dautant les risques de manipulations. Aussi la fonction des journalistes devient-elle, sinon impossible, du moins très exigeante. Personne nétant omniscient, ne convient-il pas de recourir autant que nécessaire aux compétences des spécialistes ? Un européen qui uvre depuis longtemps en Afrique constate que " la France dispose dexcellents africanistes, mais ils restent trop rarement mis à contribution pour expliquer au grand public lactualité de ce continent. Faute davoir accès aux clés de lecture, beaucoup sont découragés par ces difficultés et sen désintéressent ". Chacun peut vérifier Alors que la mondialisation ne cesse de multiplier les interdépendances, quelle place accorde-t-on en France aux images du monde ? Spécialiste des médias (1), le Professeur Francis Balle invite chacun à faire une expérience. " Hors période de conflit international, il suffit de comparer durant plusieurs semaines les durées des sujets de politique intérieure et de politique étrangère pour sen convaincre. Les journaux télévisés français sont incroyablement hexagonaux. Il est vrai que les journalistes français travaillent avec relativement peu de moyens, comparativement à leurs confrères américains ou allemands. Ce qui contribue à expliquer pourquoi les rédactions françaises se font souvent " promener ", comme en décembre 1989, lors de la diffusion des images du faux charnier de Timisoara, pendant la " révolution " roumaine "(2). Des chiffres explicites Pourquoi cette référence à Timisoara ? Parce que cette manipulation marque une rupture majeure dans la confiance accordée aux médias par le public français. Celui-ci prend alors conscience de la perméabilité des journalistes à la désinformation étrangère. Neuf ans après, aucun médium ne retrouve sa légitimité antérieure aux yeux des Français, au vu du " baromètre SOFRES - Télérama - La Croix " (3). Pour les personnes interrogées, la crédibilité de la télévision chute de 1989 à 1998 de 65% à 50%. Soit une dégradation de 15 %. La radio limite les dégâts, de 63 % à 57%. Enfin, la presse écrite narrive même plus à accrocher la moyenne, puisquelle passe de 55% à 49%. Autrement dit, les lecteurs ne croient pas en un mot sur deux imprimés dans le journal de leur choix. Comment les médias français ont-ils scié la branche sur laquelle ils sasseyaient ? A pieds joints Pour avoir connu les coulisses dun journal télévisé français durant la " révolution " roumaine, Radu Portocala apporte un témoignage précieux. " Noyée depuis le 21 décembre 1989 sous un flot continu dimages de la télévision roumaine de Bucarest (4) auxquelles la rédaction ne comprenait rien," Antenne 2 " ma demandé de venir les visionner. Les images du " charnier " de Timisoara ont été mises à disposition vers 19 h 40, soit seulement vingt minutes avant louverture du journal. En les analysant, un fait ma tout de suite fait penser à une anomalie. Du bas de labdomen jusquau sternum, des cadavres présentaient une coupe grossièrement recousue avec de la ficelle. Comme cela se pratique pour une autopsie. Un médecin légiste à qui jai décrit la scène par téléphone ma immédiatement confirmé quil sagissait de cadavres autopsiés. Comme on parlait à ce moment de 12 000 cadavres, il semblait impossible que les deux médecins légistes de Timisoara aient pratiqué autant dautopsies en 48 heures. Dailleurs, pourquoi autopsier des personnes qui auraient été fusillées ? Cela navait aucun sens. Un deuxième lot dimages, mettant en scène des cadavres en décomposition avancée depuis plusieurs mois, renforçait mes doutes quant à la véracité de ces images. Le rédacteur en chef à qui jen faisais part répondit : " je comprends votre raisonnement, mais si je ne passe pas ces images, les autres chaînes vont le faire et je vais me faire taper sur les doigts ". Or, il faut noter quau pays de la concurrence reine, les Etats-Unis, les télévisions nont pas diffusé ces images horribles. Dabord, parce quelles ne cherchent pas à faire de laudience de cette manière. Ensuite, parce que les Américains navaient aucune certitude quant à la véracité de ces images. Leurs réflexes déontologiques et professionnels leur ont donc évité de tomber à pieds joints dans une manipulation avérée ". Qui était - réellement - Adrian Pop ? Faut-il comprendre cette malencontreuse diffusion comme une exception ou comme le résultat dun mode de fonctionnement ? Pour répondre à cette question, il convient détudier les usages en reportage et en studio. La diffusion dune rumeur rocambolesque, à propos de lenrôlement des enfants roumains abandonnés dans la "Securitate", conduit à penser que certains envoyés spéciaux se fiaient au premier venu. A peine débarqués de lavion, ils cherchaient dans lenvironnement immédiat de lhôtel un réseau dinformateurs. Par le plus grand des hasards, se trouvait là une forte proportion de Roumains formés aux langues étrangères... et à la désinformation. A Paris, la présence répétée sur le plateau de la "Cinq" dun Roumain répondant au nom dAdrian Pop - sorti du néant puis reparti au néant - conduit à se demander sil na pas été envoyé là pour contribuer à la désinformation ambiante. Cette apparition / disparition dun " informateur " incite à sinterroger à propos du contrôle des sources portées à la connaissance du public français. Celui-ci semble comprendre, de manière intuitive, quon abuse trop souvent de sa confiance... et la retire. Le public français semble rejoint par les étrangers, comme en témoigne cet exemple. Quel crédit ? A la fin de lannée 1998, un article du journal "Le Monde" signé dAlexandre Adler, intitulé " LItalie à lavant-garde de lEurope ", soulève un tollé dans le pays en question. Le "Corriere della Sera" écrit : " Lenthousiasme de lauteur est noyé dans une telle série derreurs sur lhistoire de lItalie quil finit par produire un effet opposé. Quel intérêt dêtre porté aux nues par quelquun qui na pas la plus pâle idée de ce dont il parle ? " Ernesto Galli della Loggia énumère les erreurs dAlexandre Adler, " dont la moindre est dattribuer au Président Giovanni Giolitti le prénom dAntonio, comme si un Italien parlait de Louis de Gaulle ". Des phénomènes conjoncturels ou structurels ? Comment mettre en perspective de tels dysfonctionnements dans la conception des images du monde ainsi présentées au public ? Radu Portocala avance quatre éléments de réponse. " Dune part, la formation des journalistes français demeure, trop souvent, superficielle. Dautre part, les équipes rédactionnelles chargées de linternational restent généralement moins bien dotées que celles consacrées à la politique et aux faits divers intérieurs. De surcroît, les moyens existants ne semblent pas toujours optimisés, parfois faute de consignes claires de la hiérarchie. Par ailleurs, les services diplomatiques des rédactions françaises tendent à éviter la spécialisation. Ce qui contribue à expliquer labsence de suivi sur la longue durée, en dehors des périodes paroxystiques. Pourtant, aucun journaliste ne peut suivre lévolution du monde entier et disposer partout dinformateurs fiables. Faute dune connaissance éprouvée de leur sujet, ils savèrent généralement incapables de construire une véritable analyse. Ce qui explique la place prédominante accordée au factuel, voire aux " ambiances de carte postale ". Enfin, particulièrement à la télévision, les journalistes se croient tellement supérieurs quils se ferment trop souvent à toute source dinformation ou danalyse discordante par rapport au discours dominant. Un spécialiste tentant de les joindre par téléphone ne dépasse généralement pas le barrage du secrétariat ou même le standard ". Dès lors, pour peu que la source dominante dinformations soit manipulatrice, peu de filets de sécurité viennent atténuer son efficacité. A force de diminuer la quantité dinformations internationales de qualité, comment sétonner dune crédibilité insuffisante des médias et dun intérêt irrégulier du public pour les questions diplomatiques ? Par crainte de voir leurs ventes diminuer - excepté en période de crise majeure - les hebdomadaires réfléchissent à deux fois avant de consacrer leur couverture à de tels sujets. Ce qui ressemble fort à un cercle vicieux. Résultat, le public français attend encore de véritables présentations argumentées de lEuro, des évolutions en Europe de lEst, des crises en Afrique ou de la mondialisation. Demain Comment progresser ? La quasi-totalité des personnalités rencontrées reprendraient volontiers à leur compte cette remarque de Xavier de Villepin : " Les journalistes français devraient prendre des leçons auprès des Anglo-saxons ". En dépit décarts que chacun connaît, quelles sont les qualités reconnues à la "B.B.C"., à l' "International Herald Tribune", au "Wall Street Journal" ou au "Financial Times" ? Premièrement, ces médias témoignent dune grande ouverture au monde, ne serait-ce que par la place importante réservée aux actualités internationales. Deuxièmement, le fait - vérifié - se voit érigé en majesté. Le journaliste garde en retrait son commentaire pour mettre en avant les données du problème. Troisièmement, les journalistes intervenant sur une question en sont généralement de véritables spécialistes, forts de nombreuses années dexpérience, de lectures, de séjours et de contacts. Aussi peuvent-ils sappuyer sur un vaste réseau de sources pour recouper les informations. Ce qui augmente les probabilités de discerner les manipulations, tout en donnant la possibilité de mettre judicieusement en perspective les derniers développements. Quatrièmement, les meilleurs de ces journalistes font preuve de pugnacité, tant dans leurs interviews de personnalités que dans leurs investigations. Ils ne pratiquent pas les questions convenues, voire " téléphonées ". En revanche, ils abordent les points clefs aussi longtemps quil le faut pour obtenir une réponse crédible. Ils disposent, alors, des éléments nécessaires pour construire des analyses consolidées. En effet, ces quatre comportements agissent en interrelations, comme le résume ce schéma.
Parlons argent Faut-il des moyens extraordinaires pour proposer des représentations pertinentes du monde ? Avec une rédaction réduite à moins dune douzaine de permanents, lhebdomadaire "Spectator" administre la preuve du contraire. Un rédacteur en chef décide du thème de chaque numéro puis passe commande darticles auprès de spécialistes extérieurs. Par ce procédé simple, le journal gagne une réputation de faiseur dopinion. Les lecteurs obtiennent des informations de qualité... et les meilleurs auteurs une tribune pour sexprimer. Ce qui contribue à entretenir la vitalité dune vision du monde. Autre " exception française " au regard des pays anglo-saxons : la rareté des centres dexpertises. Les centres dexpertises éclairent-ils les décideurs ? Alors que les Etats-Unis, le Japon ou l'Allemagne abondent en fondations alimentées par des dons bénéficiant de l'exonération fiscale pour soutenir des projets de recherche à long terme, la France en reste encore à lexpertise publique. En effet, la réflexion et la prospective sur les questions de société demeurent dans lHexagone du ressort de lEtat. Ce qui fragilise ces centres en cas de rigueur budgétaire, puisque le gouvernement ne craint pas de grandes manifestations en réduisant les crédits de centres dont le grand public n'a pas connaissance. Une contradiction manifeste entre la prétention et la réalité Le résultat est peu brillant, selon Pascal Boniface, directeur de l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques : "Les capacités de la France en matière de recherche et d'expertise internationales et stratégiques sont indignes du rôle qu'elle entend jouer sur la scène internationale. On ne compte qu'une centaine de spécialistes français des questions internationales prises dans leur diversité, et nos centres de recherche n'ont généralement pas la taille critique qui garantirait leur visibilité internationale. Nos moyens humains et financiers en terme de recherche stratégique sont d'une indigence affligeante comparés, non seulement à ce qui existe aux Etats-Unis, mais également en Grande-Bretagne et en Allemagne, voire dans certains Etats loin d'avoir notre statut international, comme la Belgique, les Pays-Bas, l'Espagne ou l'Italie. On en arrive au paradoxe selon lequel l'originalité de la position internationale de la France n'est pas relayée par une réflexion stratégique autonome. (En fait), la recherche stratégique n'a jamais été une priorité, ni même une préoccupation des gouvernements. La litanie des déclarations en sens contraire des responsables politiques des différentes tendances depuis vingt ans n'a débouché que sur la léthargie des efforts réellement entrepris" (5). Un exemple : la Fondation pour la Recherche Stratégique compte à peine une dizaine de chercheurs permanents. Quels outils ? Il serait également nécessaire dinvestir dans de nouveaux moyens dinvestigation dans le domaine économique. En effet, lappareil statistique français repose actuellement sur des systèmes de modélisation économétrique qui ne permettent pas de saisir avec précision le processus de la mondialisation. Les indicateurs traditionnels, comme lexcédent commercial et le taux dinflation, restent nécessaires mais ne suffisent plus. Il serait utile de pouvoir distinguer dans létude de la balance commerciale le contenu en savoir-faire et en technologie des biens importés ou exportés. Or, les analystes disposent de peu déléments chiffrés concernant cette dimension qualitative devenue fondamentale. Une situation dangereuse En fait, la modestie des centres dexpertise publics et la rareté des structures privées limitent pour les spécialistes les opportunités demplois correctement rémunérés. Ce qui condamne à terme le vivier et diminue déjà la vitalité de la pensée. En effet, le sous-développement de lexpertise induit un risque de conformisme. Sachant quil serait très difficile de retrouver un emploi, combien mettront en jeu leur poste en risquant une analyse en décalage par rapport au discours dominant ? En 1989 - 1990, une soviétologue na-t-elle pas été mise à pied dun centre dexpertise public pour avoir publié une analyse critique de la diplomatie de M. Gorbatchev ? Personne ne pouvant prétendre sérieusement posséder "La Vérité", ne serait-il pas judicieux dentretenir la vitalité de lanalyse par le respect du pluralisme dans les structures publiques et la multiplication des centres dexpertises indépendants ? Une telle évolution ne peut se faire sans une prise de conscience de la valeur de linformation et de la nécessité den payer le prix. Puisque linformation constitue un des grands domaines où se décide laptitude de la France à tirer - ou non - partie des évolutions du monde, lenjeu est dimportance. Encore ne suffit-il pas de disposer dinformations de qualité. Il importe de les utiliser correctement. Partie suivante> Notes: 1. Auteur, notamment de "Médias et sociétés", éd. Monchrestien, 1 er édition 1980, 9 e édition 1999. Ouvrage couronné par l'Académie des Sciences Morales et Politiques. 2. Lire à ce propos louvrage de Radu Portocala : "Autopsie du coup dEtat roumain. Au pays du mensonge triomphant", éd. Calmann-Lévy, 1990. 3. "La Croix", 19 janvier 1999. 4. Acheminées par relais terrestre de la capitale roumaine jusquen Yougoslavie, elles étaient envoyées depuis Zagreb sur le satellite. Qui a décidé et financé cette opération ? A quelles fins ? 5. In Espace Temps, "Les Cahiers", n° 71, 3 e trimestre 1999. Copyright janvier 2001-Pierre Verluise/ www.diploweb.com |
Mise en ligne 2001 | |||||||||
Plus avec www.diploweb.com | |||||||||||
Recherche par sujet | Ecrire :P. Verluise ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France | ||
Copyright janvier 2001-Pierre Verluise/ www.diploweb.com
Pierre Verluise est le propriétaire exclusif des droits mondiaux de ce texte. Toutes les mesures ont été prises pour établir l'antériorité de cet écrit. Pour en reproduire un extrait de plus de cent mots (100) ou obtenir un droit de publication, il est nécessaire d'obtenir l'autorisation écrite de Pierre Verluise. En précisant votre adresse postale et votre adresse électronique, vous pouvez écrire à l'adresse suivante: P. Verluise, ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France
La citation de moins de cent mots (100) est autorisée sans préalable, sous réserve d'indiquer le prénom et le nom de l'auteur, la date de la mise en ligne initiale et l'adresse url complète du site: www.diploweb.com