Maxime Lefebvre est diplomate, Professeur en Questions internationales à Sciences Po et Professeur affilié à l’ESCP Europe. Auteur de nombreux ouvrages.
Images et son : Fabien Herbert. Résumé : Joséphine Boucher. Une conférence organisée par Pierre Verluise Diploweb.
L’ Ambassadeur Maxime Lefebvre s’exprime à titre personnel. Il présente clairement l’évolution des relations franco-allemandes depuis 1945, conjuguant les approches géopolitique et historique. La vidéo (54’) est accompagnée d’un résumé.
Cette vidéo peut facilement être diffusée en classe ou en amphi pour illustrer un cours ou un débat.
Résumé par Joséphine Boucher pour Diploweb.com
L’intervention de M. Lefebvre identifie les traits structurants des relations franco-allemandes depuis 1945, conjuguant les approches géopolitique et historique. La rivalité franco-allemande a été structurante dans le système international et européen à partir de la formation de l’unité allemande. Dès 1871, Otto von Bismarck créé un système d’alliances pour isoler la France à travers un réseau d’alliances diplomatiques visant à empêcher une revanche française. Après le conflit franco-allemand de 1914 et à partir du système de Paris de 1919, l’Allemagne humiliée par le Traité de Versailles fait face à une France qui tente de maintenir sa position de prépondérance. Néanmoins, les années 1920 sont synonymes d’un rapprochement incarné à l’époque par Aristide Briand et Gustav Stresemann, respectivement ministres français et allemand des Affaires étrangères de 1925 à 1932 pour l’un et de 1923 à 1929 pour l’autre. Ils sont en fait les inventeurs du couple franco-allemand, partageant l’idée de promouvoir la paix. En 1945, la défaite de l’Allemagne d’Adolf Hitler marque le début d’une nouvelle période qui peut être divisée en six étapes.
La première étape est celle de la réconciliation entre les deux pays et du lancement du projet communautaire. Avant 1949 et la création de deux Etats ouest-allemand et est-allemand, la première préoccupation française est d’empêcher la résurgence d’une menace allemande. Elle aboutit à deux traités dirigés contre le danger allemand, le traité franco-britannique de Dunkerque et un accord en 1948 pour souder l’Europe occidentale. La Guerre froide (1947-1990) correspond ensuite à un changement de contexte total. La menace principale devient l’Union soviétique et les Français initient la construction européenne avec la déclaration Schumann du 9 mai 1950 et la proposition de mettre en commun les industries du charbon et de l’acier des pays d’Europe de l’Ouest. Il s’agit alors de mutualiser des industries dédiées à l’origine à l’armement national et d’accomplir des réalisations concrètes créant des solidarités de fait. La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) naît en 1951 et, dans ce contexte de tensions, le plan Pleven proposé en 1950, signé en 1952 mais disparu en 1954 avait pour objet d’étendre la construction européenne à la défense en créant une communauté européenne de défense (CED). Il convient de noter que cette première Europe à 6 surnommée l’Europe carolingienne reste exclusivement occidentale et n’inclut que Allemagne de l’Ouest (RFA). La signature des traités de Rome en 1957 complète la CECA d’une Communauté économique européenne (CEE) et d’une Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou Euratom).
Zbigniew Brzezinski : « À travers la construction européenne, la France vise la réincarnation et l’Allemagne la rédemption. » Le Grand Echiquier (1997)
La deuxième phase correspond à la création d’un couple franco-allemand qui incarne une relation résumée par Zbigniew Brzezinski dans Le Grand Echiquier (1997) comme suit : « À travers la construction européenne, la France vise la réincarnation et l’Allemagne la rédemption. » La construction européenne semble être alors un levier de puissance pour la France et un moyen de reconstruire une souveraineté et une identité pour l’Allemagne. Ce couple si caractéristique est d’abord incarné par le Général C. de Gaulle et le chancelier K. Adenauer qui signent le traité de l’Elysée le 22 janvier 1963. Celui-ci établit un partenariat privilégié entre les deux pays. Malgré cela, il n’est pas le fondement d’une grande politique franco-allemande en raison des réticences allemandes à s’enfermer dans une relation bilatérale avec le voisin français.
Après le départ de C. de Gaulle, il est possible d’étendre la communauté au Royaume-Uni tout en solidifiant l’édifice européen. C’est la troisième phase, celle de l’élargissement et de l’approfondissement. C’est aussi la période de l’Ostpolitik et de Willy Brandt et Georges Pompidou. L’Allemagne fédérale mène alors sa propre politique vis-à-vis de l’URSS, elle veut détendre les relations avec l’Est et rapprocher les deux Allemagne selon une politique dite des transformations par le rapprochement. Cela aboutit à une détente dans le couple franco-allemand et à la reconnaissance des deux Etats allemands l’un par l’autre. Finalement, les changements sont à l’époque plus impulsés par l’Allemagne de l’Ouest que par le couple franco-allemand. Le premier élargissement nordique de 1973 au Danemark, au Royaume-Uni et à l’Irlande ouvre l’Europe communautaire à 9 Etats membres et s’accompagne de progrès avec la création d’une union politique européenne et d’une union monétaire via une coopération monétaire qui annonce la monnaie unique. De 1974 à 1982, deux leaders dominent le couple franco-allemand, ce sont le président Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) et le chancelier Helmut Schmidt (1974-1982). Les années 1980 sont celles d’un autre couple avec François Mitterrand à partir de 1981 et Helmut Kohl en 1982. Ils établissent une relation de confiance et un partenariat à travers la crise des euro-missiles, qui constitue un moment de solidarité important, et la commémoration de Verdun en 1984 dont la fameuse poignée de main est depuis intégrée dans le pathos franco-allemand. Ce sont les années de l’élargissement méditerranéen et de l’Europe à 12, mais aussi de la centralité française, qu’elle soit géographique ou d’influence. Les nouveaux progrès dans l’approfondissement sont marqués par l’accord de Schengen en 1985 qui ouvre la voie à la libre circulation des personnes entre la France, l’Allemagne et le Benelux. L’Acte unique de 1986 achève le marché intérieur et le passage d’un marché commun à un marché unique. Dans cette relation franco-allemande privilégiée, de nouvelles institutions apparaissent également : ce sont le Conseil franco-allemand économique et financier en 1988 et le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité, et une chaîne de télévision commune et bilingue, Arte.
La décennie suivante marque une nouvelle étape de la relation. La réunification allemande en 1990 signe la fin de la Guerre froide, le mur de Berlin est tombé, le communisme vit ses derniers jours à l’est et l’Europe de l’est entre dans une phase de démocratisation. C’est aussi un moment de méfiance entre la France et l’Allemagne surmonté par des progrès comme le traité de Maastricht signé en février 1992 et dont le point central est la monnaie unique, l’euro, mis en circulation le 1er janvier 2002. Par ailleurs, l’instauration d’une politique étrangère commune et d’une coopération en matière de justice et d’affaires intérieures permettent un nouvel élargissement de l’UE aux pays neutres, à savoir la Suède, la Finlande et l’Autriche en 1995. C’est à ce moment-là que le français devient minoritaire dans les institutions européennes au profit de l’anglais, dessinant une Europe plus nordique et plus anglophone. Gerhard Schröder, le successeur de Kohl en 1998 adopte un langage nouveau : il veut défendre les intérêts allemands et mène une politique de basculement vers l’est. La capitale allemande est déplacée de Bonn à Berlin et on constate un changement de l’équilibre géopolitique de l’Allemagne, qui fonde des liens commerciaux forts avec les pays de l’est européen.
Le rapprochement concerne aussi le refus de la guerre en Irak en 2002-2003, formant alors un axe géopolitique Paris-Berlin-Moscou contraire à la politique unilatérale de Georges W. Bush.
Le début du XXIème siècle correspond à une période de tensions dans la relation franco-allemande avec des sommets dont celui de Nice en 2000. Les dirigeants lancent alors le processus de Blaesheim qui consiste à organiser des rencontres régulières, environ tous les deux mois, entre les chefs d’Etat et de gouvernement et les deux ministres des Affaires étrangères. À cette époque là, des dirigeants socialistes français proposent de créer une union franco-allemande, idée reprise en 2003 par Dominique de Villepin. À cette période de tensions en 1999-2000 suit une phase de rapprochement entre 2002 et 2004 qu’incarnent Jacques Chirac et Gerhard Schröder et des accords franco-allemands, notamment sur la Politique agricole commune et son financement en 2002. Celui-ci stipule à la fois un maintien du budget de la PAC et une augmentation progressive des aides aux agriculteurs de l’est. Le rapprochement concerne aussi le refus de la guerre en Irak en 2002-2003, formant alors un axe géopolitique Paris-Berlin-Moscou contraire à la politique unilatérale de Georges W. Bush. En 2003, on parle même de Conseil des ministres franco-allemands. Par ailleurs, le projet de Constitution pour l’Europe pensé en 2004 est un autre moment de travail commun entre Français et Allemands. Cette proximité franco-allemande prend la forme d’une influence modératrice et positive de J. Chirac et G. Schröder auprès de V. Poutine lors de la première crise ukrainienne de 2004-2005. Pourtant, les divergences politico-économiques se développent à partir de 2002 suite aux réformes douloureuses de Schröder et à l’ascendant économique allemand qui fait face à une France qui s’enlise dans l’immobilisme. Malgré tout, le couple franco-allemand est toujours là : lors de la crise économique de 2008, le couple N. Sarkozy -A. Merkel tente de maintenir un équilibre entre solidarité avec les Grecs et responsabilité avec renforcement de la discipline à travers un pacte budgétaire conclu en 2012. Quand surgit une nouvelle crise ukrainienne en 2013-2014, François Hollande et Angela Merkel prennent l’initiative ensemble de créer le “format Normandie“ qui réunit la France, l’Allemagne, l’Ukraine et la Russie pour tenter de régler diplomatiquement la crise.
Enfin, la dernière étape plus contemporaine du Brexit et le départ annoncé des Anglais signent un bouleversement géopolitique européen aussi marqué par le frein allemand. Les blocages actuels concernent la tendance allemande moins intégrationniste et favorable à une Europe supranationale qu’auparavant. Nos voisins d’outre-Rhin semblent plus attentifs à défendre leurs intérêts, plus immobilistes et moins aptes à renforcer le budget européen et à encourager une intervention militaire extérieure.
Alors, quel poids franco-allemand dans l’UE aujourd’hui ? Les deux pays représentent ensemble plus d’1/3 de la population de l’UE à 27 et forment 55% du PIB de la zone euro. Des divergences persistent sur les plans politique, culturel et économique et l’Allemagne reste la puissance centrale de l’Europe par rapport à une France qui semble moins performante et plus demandeuse dans la relation franco-allemande. En témoigne le récent traité d’Aix-la-Chapelle signé le 22 janvier 2019 qui rénove la relation et introduit des nouveautés comme la coopération transfontalière, une clause de défense collective et l’inscription que le but des deux pays est que l’Allemagne ait un siège au Conseil de sécurité de l’ONU.
Finalement, le risque d’une relation franco-allemande détériorée est celui d’une déconstruction européenne. Cette relation est le trait d’union qui permet l’unité européenne. Un véritable levier franco-allemand nécessite alors un besoin de confiance et de volonté mais il ne peut pas s’agir d’une relation exclusive.
Copyright pour le résumé Mai 2019-Boucher/Diploweb.com
Cette conférence de M. Lefebvre était organisée au bénéfice des étudiants d’Hypokhâgne de la CPGE de Blomet (Paris), découvrez son site et sa page Facebook Prépa Blomet
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Quelques ouvrages de Maxime Lefebvre en relation avec le sujet de cette conférence :
Maxime Lefebvre, La construction de l’Europe et l’avenir des nations, éd. Armand Colin
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