Vidéo. B. Courmont Fin de partie pour le leadership des Etats-Unis ?

Par Antonin DACOS , Barthélémy COURMONT, le 4 juin 2020  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Barthélémy Courmont est maître de conférence à l’Université catholique de Lille, et responsable pédagogique du Master Histoire / Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l’IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d’Asia Focus. Il a longuement vécu en Asie, y a consacré ouvrages et guides touristiques. Il publie en mai 2020 « Innocence », un roman consacré aux Khmers rouges, chez La route de la soie éditions. Entretien, images, son et montage par Antonin Dacos pour Diploweb.com

Barthélémy Courmont fait un tableau magistral des Etats-Unis début juin 2020, alors que les questions raciales reviennent sur le devant de la scène, après la mort de George Floyd requalifiée le 3 juin 2020 en "meurtre", et l’inculpation de quatre policiers. B. Courmont évoque une crise existentielle des Etats-Unis, aussi bien en interne que dans le monde.

Cette vidéo peut facilement être diffusée en classe ou en amphi pour illustrer un cours ou un débat.

Résumé par Antonin Dacos pour Diploweb.com

Des crises actuelles

Pour Barthélémy Courmont, les États-Unis font aujourd’hui face à des événements conjoncturels qui les affaiblissent. Début juin 2020, on recense près de 2 millions de cas d’infection au coronavirus pour déjà plus de 100 000 morts. Cette épidémie affecte l’économie américaine de façon particulièrement brutale. Dans un pays où les aides publiques pour les chômeurs sont particulièrement faibles, le quasi-doublement du taux de chômage fait planer un risque important pour l’économie américaine. L’action de Donald Trump contribue à déstabiliser le pays. Celui-ci polarise le champ politique américain, empêchant le travail bipartisan pourtant nécessaire dans un régime présidentiel où les démocrates occupent la chambre des représentants. Symboles de cette instabilité : le record du plus long shutdown de l’histoire du pays et une procédure d’impeachment, arrivés en seulement deux ans. Dans ce contexte, la mort de Georges Floyd a soulevé une contestation massive et virulente contre Donald Trump, annonçant une élection présidentielle particulièrement conflictuelle.

Les États-Unis sont déstabilisés par l’addition de ces crises. Mais il faut avoir à l’esprit que leur impact est démultiplié par des faiblesses structurelles qui prennent de plus en plus d’importance.

Une crise existentielle interne

Barthélémy Courmont souligne qu’à la question des violences policières, les manifestations aux États-Unis ajoutent une preuve du manque de cohésion de la société américaine. Son organisation sociale et économique, dont la quasi-absence d’État providence est un point important, est de plus en plus contestée comme l’illustre la surprise qu’à été le relatif succès de Bernie Sanders, candidat à l’investiture démocrate se réclamant du “socialisme démocratique”. De même, le spécialiste souligne que la mort de Georges Floyd et la réaction qu’elle a entraîné sont “un échec du multiculturalisme américain”.

Barthélémy Courmont pointe également la difficulté des Américains à proposer une vraie alternance politique, notamment sur les questions de sécurité. Dénuée de vision stratégique renouvelée, la politique américaine est très dépendante de la Maison blanche et de son administration. Elle a donc plus de risque d’être changeante, voire incohérente.

Vidéo. B. Courmont Fin de partie pour le leadership des Etats-Unis ?
Barthélémy Courmont
Maître de conférence à l’Université catholique de Lille, et responsable pédagogique du Master Histoire / Relations internationales
Dacos/Diploweb

Une politique incohérente

Cette déstabilisation politique joue sur l’action extérieure des États-Unis. La bipolarisation de plus en plus forte du champ politique amène ainsi à des revirements importants dans le domaine régalien où la constance est primordiale. Ainsi, pendant deux mandats, Barack Obama a cherché à tendre la main aux anciens adversaires de son pays, via l’ouverture avec Cuba ou les accords sur le nucléaire iranien.

Aussitôt arrivé au pouvoir, Donald Trump a immédiatement saboté ces initiatives diplomatiques et ravivé les tensions avec la Chine et l’Iran. La personnalité du président cette confusion. Ainsi, sa stratégie nord-coréenne a totalement basculée, passant d’une opposition frontale à une politique très accommodante où “rocket man” est devenu “l’ami” de Donald Trump, premier président américain à entrer en Corée du Nord. Celui-ci est peu populaire à l’étranger ce qui est un frein pour sa politique étrangère. Ses alliés le considèrent avec méfiance et ses adversaires avec une hostilité renouvelée.

La vision stratégique et les structures de défense américaines ont peu évolué depuis la guerre froide. Ainsi, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) est devenue une contrainte pour les États-Unis. Depuis les années 1990, des élus et des experts pointent cette structure lourde qui, d’après ces critiques, met à la disposition des Européens les forces américaines sans de contrepartie équivalente. Cette situation est comme beaucoup d’autres. Sans être nouvelle, elle a pris de l’ampleur avec le temps jusqu’à arriver à un point de rupture, le mandat de Donald Trump agissant comme un révélateur.

La politique extérieure américaine reflète donc les hésitations de sa société. Les États-Unis, face à leur plus grave crise depuis la guerre de Sécession, affaiblis et clivés, se cherchent un cap. Dans l’immédiat, c’est leur leadership qui fait les frais de ces doutes.

Un leadership américain diminué

En 1991, les États-Unis sortent largement victorieux de la Guerre froide avec le bloc de l’Est. Ceux-ci deviennent un “hégémon bienveillant” qui se donne pour but d’utiliser sa puissance, à l’époque sans rivale, pour stabiliser le monde. Sa posture est celle d’un arbitre bienveillant. Mais il peut également opter pour une politique cherchant à étendre le modèle américain libéral au-delà de ses frontières, notamment avec les président Bill Clinton et Georges W. Bush (junior). Barthélémy Courmont parle d’un “leadership à la carte” où les États-Unis choisissent les combats qu’ils veulent mener en prenant en compte leurs intérêts. Pour cela, ils utilisent notamment l’outil des coalitions qui permet d’agir avec plusieurs alliés comme en Irak, mais qui nourrissent les mises en doute de la bienveillance américaine.

Le contraste est saisissant entre la situation en 1991 et la période que ceux-ci traversent en 2020. Pour Barthélémy Courmont, il était impensable il y a 20 ans que les États-Unis soient aussi diminués. Leur diplomatie apparaît hésitante, dénuée de toute vision stratégique. “On ne sait aujourd’hui plus ce que veulent les États-Unis” explique le spécialiste. Les alliés de Washington tendent donc à se chercher de nouveaux partenaires, comme Israël avec la Chine, tandis que ses adversaires occupent le vide créé. La crise du Coronavirus a ainsi révélé une Chine plus affirmée et ripostant aux critiques visant sa politique.

Un monde sans leadership ?

Barthélémy Courmont évoque plusieurs scénarios pour le futur leadership américain. Les États-Unis peuvent décider de s’affirmer dans une volonté de se confronter avec les puissances émergentes comme la Chine lors d’une compétition à grande échelle. Mais, il est peu probable qu’une figure présidentielle forte parviennent à stabiliser et unir le pays à l’intérieur tout en reconstruisant une vision stratégique globale et cohérente à l’extérieur. Il apparaît donc possible que les États-Unis se placent plus en retrait du monde pour une longue période. En manque de moyens, ceux-ci peuvent réviser leur ambition à la baisse et se cantonner progressivement à une présence sur quelques points choisis du monde. Le pays est, en effet, de plus en plus tourné vers lui-même et son actualité intérieure immédiate.

Dans cette hypothèse, “on peut s’attendre à une absence de leadership international” explique Barthélémy Courmont. Le monde se partagerait alors en différentes zones d’influence selon les puissances régionales et globales. Le risque serait alors plus important de “zones grises” dans lesquelles aucune grande puissance ne s’impliquerait, rendant probable l’apparition de zones d’instabilité.

NDLR : ce résumé a été lu et validé par B. Courmont

Copyright pour le résumé Juin 2020-Dacos/Diploweb.com


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