Les petites puissances : quelle stratégie diplomatique ?

Par Raoul DELCORDE, le 22 septembre 2024  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Raoul Delcorde est ambassadeur (hon) de Belgique, docteur en science politique, professeur invité UCLouvain et membre de l’Académie royale de Belgique et de l’Académie des sciences d’outre-mer (France). Membre du Conseil scientifique du Diploweb.com. Il a notamment publié « Manuel de la négociation diplomatique internationale », préface de Jean De Ruyt, éd. Bruylant.

Le monde devenant de plus en plus multipolaire, les compétences que les « petits » États ont développées pour survivre pourraient être celles que de plus en plus de diplomates nationaux devront maîtriser. Un petit Etat a d’abord comme objectif d’être reconnu comme une puissance, petite certes, mais qu’il faut entendre. Et il doit donc forger des coalitions ad hoc, voire s’allier à plus grand que lui.

« Il n’y a que deux types d’Etats en Europe : les petits et ceux qui ne savent pas encore qu’ils le sont », Paul-Henry Spaak, homme politique belge, 1899- 1972

Les petites puissances ont des caractéristiques diverses

Les petites puissances se sont longtemps définies a contrario : ce sont des États qui, au XIX e siècle, ne faisaient pas partie de la Sainte-Alliance, c’est-à-dire de l’alliance des grandes puissances de l’époque. Alors que la Renaissance était caractérisée par un grand nombre de cités-États très actives diplomatiquement (Venise, Milan, Florence, Bruges, Amsterdam, etc.), les petits États sont devenus, après les guerres napoléoniennes, des facteurs d’instabilité. Ainsi, les guerres auxquelles ils se livraient dans les Balkans précipitèrent l’Europe dans la Première Guerre mondiale. Il fallut attendre la création de la Société des Nations (SDN) en 1919 pour que les petits États puissent être considérés comme pouvant contribuer à la sécurité internationale. Comment définir un petit État ? On a d’abord privilégié l’approche en termes de ressources. Les petits États sont des États moins grands en superficie, moins peuplés, moins puissants militairement que les moyennes et les grandes puissances. Mais où fixer le seuil à partir duquel un État est considéré comme un petit État ? Les critères de population ou de PIB varient selon les institutions qui les établissent. Et comment définir des États dont certains critères les placent dans la catégorie des petits (par exemple la superficie) et d’autres dans la catégorie des moyennes puissances ? Ainsi, Singapour est petite par la taille, mais son PIB est supérieur à celui de la Norvège ou du Kazakhstan.

Les petites puissances : quelle stratégie diplomatique ?
Raoul Delcorde
Raoul Delcorde a notamment publié « La diplomatie d’hier à demain », préface de Herman Van Rompuy, Bruxelles, éd. Mardaga ; et « Manuel de la négociation diplomatique internationale », préface de Jean De Ruyt, éd. Bruylant, 2023
Delcorde

Un petit État est un État dont les dirigeants reconnaissent que leur poids politique est limité à une échelle locale plutôt que mondiale. Robert Keohane explique qu’il s’agit d’un État « dont les dirigeants ne pensent pas qu’il pourra, en agissant seul ou en petit groupe, avoir un impact significatif sur le système »
 [1] La première fonction de la diplomatie des petits États est de servir ses objectifs primaires de survie et de bien-être. Au-delà de ces objectifs essentiels, il y a des voies qu’il serait inutile pour les diplomates des petits États de suivre. Ils ne peuvent prétendre être des puissances mondiales, même s’ils participent à la gouvernance mondiale, notamment à l’ONU. Pourtant, il existe plusieurs rôles internationaux pour lesquels la petitesse n’est pas un handicap, et souvent un avantage. La possibilité a déjà été mentionnée pour les petites nations de faire des propositions constructives et innovantes en tant qu’ « entrepreneurs de normes ». L’image pacifique et impartiale qui les rend crédibles fait également de leurs diplomates et hommes d’État les plus compétents des candidats recherchés pour les missions internationales d’enquête, les commissions d’investigation et les tentatives de médiation. Dans la plupart des missions de paix auxquelles participent les petits États – dans le cadre de l’ONU, de l’Union européenne et des organisations régionales –, leurs représentants sont fréquemment sélectionnés comme commandants ou chefs de mission pour illustrer les bonnes intentions de l’entreprise. Par exemple, trois des cinq premiers commandants des forces de maintien de la paix des Nations unies au Congo (ONUC, 1960-1964) venaient des petits États européens que sont l’Irlande, la Norvège et la Suède. Les petits États ont d’autres occasions de jouer de tels rôles et d’améliorer leur profil lorsqu’ils assument la présidence d’organisations régionales et lorsqu’ils accueillent des réunions multilatérales sur leur territoire. Ils peuvent créer leurs propres groupements internationaux pour des causes spécifiques aux petits États : ainsi l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS) créée en 1991, dont les 44 membres actuels sont tous confrontés aux graves conséquences du changement climatique.

Les petits États ne souhaitant pas, ou ne pouvant pas, s’allier à des protecteurs ont souvent choisi la neutralité comme alternative pendant la Guerre froide, et certains petits États relativement influents tels que l’Irlande, l’Autriche et le Costa Rica possèdent toujours ce statut ou un statut similaire.

Un petit appareil diplomatique ne peut pas se permettre de se spécialiser, mais doit garder à l’esprit les intérêts généraux de l’État.

La stratégie diplomatique des petites puissances

En général, les affaires extérieures occupent une place plus importante dans la conscience du public des petits pays, étant donné leur niveau élevé de dépendance extérieure. Une grande partie de l’élite nationale, y compris les acteurs commerciaux, universitaires et culturels, y est exposée aux questions et aux activités ayant trait aux relations extérieures. Les ministères des Affaires étrangères, le personnel des services diplomatiques et le réseau des ambassades à l’étranger seront tous de taille limitée. Le plus grand risque que cela implique est l’infiltration de la politique extérieure et de l’appareil diplomatique d’un petit État par des acteurs mal intentionnés, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’État. Cela peut se produire lorsqu’il est soumis à un voisin puissant, lorsque le gouvernement est pris en otage par des intérêts corrompus et criminels, ou après une forme de coup d’Etat (par exemple, par des terroristes, des mercenaires). Une alternative plus douce consiste pour les petits États à « vendre leur vote » en permettant à un acteur extérieur, souvent un fournisseur d’aide, de leur dicter la position à adopter sur une question internationale spécifique pour laquelle ils ont le droit de vote. Il y a eu, par exemple, des débats approfondis sur l’achat de votes au sein de la Commission baleinière internationale, où des militants anti-chasse à la baleine ont encouragé les petits pays à se joindre à eux pour voter contre la chasse commerciale à la baleine, tandis que les pays pro-chasse, comme le Japon, ont été accusés d’utiliser l’aide économique pour les inciter à changer de vote. Un petit appareil diplomatique ne peut pas se permettre de se spécialiser, mais doit garder à l’esprit les intérêts généraux de l’État. Ses membres seront des « généralistes » qui n’auront guère la possibilité d’approfondir les dossiers, notamment en raison du manque de spécialistes et d’accès aux renseignements classifiés. À l’étranger, ils seront généralement accrédités auprès d’un ensemble d’États voisins, ce qui rendra leur participation sporadique. Les petits États disposent toutefois de plusieurs moyens pour compenser ces difficultés, notamment en recourant proportionnellement davantage aux consuls honoraires et autres nominations non professionnelles. Ils peuvent engager des experts nationaux et étrangers pour des tâches ponctuelles. Ils peuvent faire appel à des personnalités extérieures au service diplomatique dans le cadre de leur travail de représentation, notamment des personnalités culturelles pour la création d’images ou des experts commerciaux pour la promotion du commerce. Les petits États nouvellement (re)créés peuvent également marquer une rupture avec les régimes antérieurs en recherchant leurs représentants dans des milieux atypiques. Dans les États baltes, au début des années 1990, les émigrés de retour au pays et les jeunes gens « non contaminés » par le soviétisme, se sont vu attribuer délibérément de nombreux postes importants, y compris dans le service diplomatique. Grâce à de bonnes compétences diplomatiques individuelles, même généralisées, un représentant d’un petit État peut souvent obtenir un impact considérable dans l’exercice de la diplomatie traditionnelle, ainsi que dans la diplomatie multilatérale et institutionnelle. Dans un petit service diplomatique, par exemple, l’ambassadeur à Moscou peut être le seul ou le principal expert du pays au sujet de la Russie et sa capitale lui laissera probablement une grande marge de manœuvre pour agir comme il le juge le mieux. Les pratiques de rotation ont également tendance à être plus souples, de sorte qu’un diplomate d’un petit État peut rester plus longtemps dans un État étranger ou une organisation donnée, accumulant ainsi une expérience qui suscite le respect et augmente les chances d’accéder facilement aux décideurs. L’image pacifique de nombreux petits États en fait des candidats appréciés pour les missions de médiation et les commandements de maintien de la paix. La littérature sur les relations internationales admet que de nombreux petits États doivent forger des alliances, coopérer sur toute une série de questions et faire pression pour obtenir des solutions qui leur soient favorables. On a pu mettre en lumière les approches les plus susceptibles de les aider à réussir dans les négociations internationales. Premièrement, les petits États doivent établir des priorités et concentrer leurs ressources administratives et financières sur leurs principaux intérêts. Une concentration claire sur une ou plusieurs questions particulières dans un domaine politique spécifique donne plus d’espoir de succès qu’un plan ambitieux visant à modifier l’ensemble du secteur. Par exemple, les États nordiques ont donné la priorité aux droits des femmes au sein des organes des Nations unies qui s’occupent spécialement des droits humains. L’adhésion de l’Irlande au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) en 2001-2002 a été considérée comme un succès en raison de son approche pragmatique de la hiérarchisation des charges de travail dans les sociétés contemporaines.

Deuxièmement, un petit service diplomatique doit développer des compétences en matière de coalition et de leadership. Ces compétences sont de la plus haute importance pour avoir son mot à dire dans la structure complexe des canaux formels et informels de prise de décision au sein de l’ONU. Par exemple, les travaux préparatoires de la Suède pour son mandat de membre non permanent au Conseil de sécurité de 1997-1998 ont inclus l’établissement d’une base de données des questions à l’ordre du jour, en notant les positions des différents membres. Par la suite, les connaissances compilées dans la base de données ont été utilisées pour construire des mini-séminaires pour la délégation suédoise. Une autre stratégie a été mise au point avec succès dans la préparation de la Norvège à son mandat au Conseil de sécurité, qui comprenait une coopération étroite avec les universités, les instituts de recherche et les organisations non gouvernementales. Ce travail de base a permis à la Norvège de développer ses compétences de médiateur au Moyen-Orient et au Sri Lanka et, plus particulièrement, de jouer un rôle constructif dans les négociations entre l’Érythrée et l’Éthiopie, où les Norvégiens ont pris la tête du Comité Érythrée-Éthiopie pendant leur mandat au Conseil de sécurité de l’ONU. Le Liechtenstein, l’un des plus petits États-membres des Nations unies en termes d’habitants, s’est forgé une solide réputation grâce à des initiatives telles que le « Liechtenstein Institute on Self-Determination », basé à l’université de Princeton, avec des liens directs avec la Mission permanente du Liechtenstein auprès des Nations unies. Ainsi, le personnel de la Mission permanente du Liechtenstein à New York a réussi à prendre une part active aux discussions sur des questions telles que « Les civils dans les conflits armés » (ONU, 2005), « Les femmes, la paix et la sécurité » (ONU, 2000) et « La consolidation de la paix après les conflits » au sein du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU, 2008). Enfin, comme déjà mentionné, l’Irlande a prouvé, lors de sa participation au Conseil de sécurité, la valeur des stratégies de négociation bien calibrées, de la compétence et de l’autonomie des fonctionnaires et de l’informalité, caractéristiques d’une petite administration. Au lendemain du 11 septembre 2001, lorsque les États-Unis ont montré des signes d’incertitude quant à la possibilité de porter la question des attaques terroristes devant le Conseil de sécurité, la délégation irlandaise a réussi, de manière informelle, à les persuader de le faire, renforçant ainsi l’institution.

Troisièmement, un petit État a besoin d’une image positive pour être respecté et influent dans un domaine politique particulier. Une impartialité reconnue ou une réputation d’État de référence dans ce domaine est d’une importance fondamentale. Par exemple, comme nous l’avons déjà indiqué, quatre des États nordiques (Suède, Norvège, Danemark et Finlande) sont considérés comme des États de référence dans les domaines des droits de l’homme, des droits des femmes, de la participation aux opérations de paix, des efforts humanitaires et de la protection de l’environnement. Ils ont un bilan remarquable en matière de soutien aux Nations unies, fournissant, par exemple, 25 % de l’ensemble du personnel militaire déployé dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU pendant la Guerre froide. En outre, les pays nordiques ont utilisé leur image positive et leurs bons antécédents pour pourvoir à des postes importants au sein des organes des Nations unies. En conclusion, en appliquant ces caractéristiques et en explorant ces options, les petits États peuvent aller au-delà d’une simple participation réactive au sein de la communauté internationale. Au-delà des ressources économiques et administratives de base nécessaires, ils doivent toutefois disposer d’incitants politiques et avoir l’ambition de jouer un rôle actif au sein des Nations unies. Ils doivent être prêts à consacrer du temps, des efforts et de l’argent pour travailler dans les institutions des Nations unies et pour trouver leurs créneaux. Certains États n’ont tout simplement pas l’ambition de le faire.

Le monde devenant de plus en plus multipolaire, les compétences que les petits États ont développées pour survivre pourraient être celles que de plus en plus de diplomates nationaux devront maîtriser.

« Des micro-États, des petits États nouvellement indépendants, ayant traversé des troubles politiques, des guerres civiles, ont fait le choix de ne jamais candidater. Sur 193 États membres des Nations unies, 60 États n’ont jamais été membres du Conseil de sécurité, la plupart sont considérés comme des petits États. On peut ajouter à cette catégorie des États qui n’ont été élus qu’à une ou deux reprises et parfois, ces entrées au Conseil sont dues à des « accidents de l’histoire » […]. Dans la pratique, ce sont des États qui auront assez peu de moyens diplomatiques pour peser et ils seront instrumentalisés par les autres » [2]. Les petits États sont d’emblée confrontés à des handicaps. Sauf dans les régions les plus pacifiques du monde, ils doivent déployer des efforts considérables rien que pour établir les relations qui leur procurent une stabilité stratégique, économique et politique. Pour réussir à l’extérieur dans des tâches aussi fondamentales, une petite nation a besoin de capacités administratives internes, d’un service extérieur entreprenant et de la volonté de prendre une part active à la défense de ses intérêts, et ce, d’autant plus encore si elle cherche à exercer une influence internationale positive. Elle doit développer des compétences particulières et qualitatives, et mobiliser tous les atouts humains pour remédier à ses limites, notamment en matière d’expertise sur des dossiers spécifiques. Le monde moderne offre toutefois des conditions et des options améliorées pour les petits acteurs bien préparés. Les organisations régionales intégratives comme l’Union européenne offrent aux petits États membres de nombreux avantages liés à l’absorption dans une unité politique plus large, tout en respectant leur souveraineté et en leur donnant une voix plus forte (et un éventail de rôles) que ne le dicterait une arithmétique réaliste. La communauté internationale donne beaucoup aux petits États, et notamment en termes d’aide au développement pour les petits États du Sud et de secours en cas de catastrophe.

Ce que certains petits États, si ce n’est tous, redonnent, c’est une série de contributions internationales positives, tant matérielles qu’intellectuelles, y compris, et ce n’est pas le moins important, les compétences de leurs diplomates. Plus subtilement, ils conduisent au développement de nouvelles formes multilatérales de gouvernance (étatique et non étatique), tant par leurs besoins que par leur enthousiasme généralement supérieur à la moyenne en faveur du renforcement des institutions. Le monde devenant de plus en plus multipolaire, les compétences que les petits États ont développées pour survivre pourraient être celles que de plus en plus de diplomates nationaux devront maîtriser.

Les petits États au sein de l’Union européenne

Les petits États sont cependant confrontés à des désavantages structurels au sein des institutions de l’UE en raison de la répartition inégale des votes au Conseil de l’Union européenne, de leur nombre limité de sièges au Parlement européen et de l’étroitesse de leur administration publique et de leur service extérieur par rapport aux grands États. Le Conseil reflète un équilibre entre les petits et les grands États membres, mais les récents changements apportés au traité ont modifié l’influence que les petits États peuvent exercer au cours des processus décisionnels du Conseil.

L’introduction du vote à la majorité qualifiée (qui exige que les décisions soient soutenues par 55 % des États membres et qu’ils représentent 65 % de la population de l’UE) dans la plupart des domaines politiques permet sans doute aux grands États membres de former plus facilement des coalitions fructueuses sous le régime de l’unanimité ou du vote à la majorité simple. La création d’un président permanent du Conseil européen et l’affaiblissement de la présidence tournante du Conseil (des ministres) ont également supprimé une voie d’influence pour les petits Etats, dans la mesure où la présidence tournante était utile pour influencer les résultats des négociations. Il a également été avancé que les grands États membres de l’UE coopèrent de plus en plus entre eux sur une base ad hoc en dehors du Conseil, laissant les petits États principalement en dehors des processus de prise de décision. On observe, cependant, que les petits États au sein du Conseil compensent leur manque de pouvoir de négociation individuel par la coordination régionale et en s’associant avec les grands États membres individuels. Les petits États peuvent en outre utiliser le pouvoir de réputation qui découle de la présidence tournante et utiliser des stratégies de prioritisation pour exercer une influence. Pour expliquer les différents niveaux d’activité des petits États, on remarque que les petits États les plus actifs ont tendance à être ceux qui sont les plus anciens États membres de l’UE, qui ont occupé la présidence, et qui ont des administrations de haute qualité et des cultures bureaucratiques. Il est intéressant de noter que les différents niveaux de soutien à l’intégration européenne et les avantages de l’adhésion à l’UE n’ont pas d’effet notable sur le niveau d’activité des différents États membres de l’UE.

Les petits États ont tendance à s’appuyer sur la Commission européenne.

En outre, les petits États ont tendance à s’appuyer sur la Commission européenne. En effet, les petits États n’ont pas les capacités administratives internes nécessaires pour recueillir des informations dans les domaines politiques d’importance nationale limitée et ils ont davantage besoin de l’expertise et des conseils de la Commission dans les négociations au sein du Conseil que les grands États. Par conséquent, les petits États ont tendance à coopérer avec la Commission, alors que les grands États sont beaucoup plus conflictuels à son égard.

Les petits États utilisent les caractéristiques particulières de leurs administrations à leur avantage. Par exemple, les diplomates travaillant dans l’UE et issus de petites administrations sont plus flexibles, informels et autonomes. Cela peut donner un coup de pouce aux petits États puisque leurs diplomates peuvent plus facilement utiliser les relations personnelles avec d’autres diplomates et développer une autorité personnelle, ce qui est une caractéristique importante des négociations au niveau de l’UE. Par exemple, en ce qui concerne la législation européenne, le même fonctionnaire peut être impliqué dans l’élaboration de politiques nationales sur une question donnée, contribuer à la formation de la position d’un État sur une proposition de législation européenne sur cette question, négocier au nom de l’État sur cette même question au sein de l’UE, prendre la décision finale sur une proposition relative à cette question au sein de l’UE, puis participer à la mise en œuvre de cette politique européenne, ce qui peut conduire à une plus grande influence.

Les petits États, grâce à l’informalité et à la flexibilité de leurs administrations, peuvent développer des relations de travail étroites avec la Commission. Par exemple, il arrive souvent qu’un nombre limité de fonctionnaires, voire une ou deux personnes, soient en contact direct avec les fonctionnaires de la Commission concernant une proposition donnée. Comme il n’y aura souvent qu’un seul rapporteur chargé de la proposition en question du côté de la Commission, la communication entre les petits États et la Commission peut être plus rapide et plus fluide qu’elle ne l’aurait été entre les grands États et la Commission. L’établissement d’une relation étroite avec les fonctionnaires des petits États est également judicieux pour la Commission, en raison de leur autonomie et de leur flexibilité. Les fonctionnaires des petits États peuvent donc être des partenaires attrayants, car ils augmentent l’efficacité de la Commission. Il est donc essentiel que les petits États membres s’efforcent de nouer des relations avec les fonctionnaires de la Commission, car c’est un moyen efficace d’intégrer leurs points de vue dans les propositions politiques de la Commission, et donc d’influencer les résultats au niveau de l’UE.

En outre, il est beaucoup plus facile pour la Commission de satisfaire les besoins des petits États et d’obtenir leur soutien pour les propositions politiques que de persuader un grand État. Par exemple, il est beaucoup moins coûteux pour la Commission d’augmenter les quotas laitiers en Irlande qu’en Italie. La facilité avec laquelle la Commission peut "acheter" les petits États compense le fait que les grands États sont des partenaires de coalition plus précieux pour la Commission au Conseil européen qu’un petit État. Outre les stratégies susmentionnées, les petits États tentent d’exercer une influence dès les premières étapes du processus de négociation au sein de la Commission.

Même si les praticiens de l’UE pensent que les grands États obtiennent des résultats plus favorables que les petits États, les recherches existantes laissent planer des doutes. Il est difficile de mesurer le succès des négociations en raison de la complexité du processus décisionnel de l’UE (par exemple, plusieurs organes de l’UE, différentes étapes de négociation, négociations à huis clos, se favoriser réciproquement, en anglais logrolling), des difficultés à mesurer et à penser l’asymétrie entre les États membres, et de l’incertitude quant à l’avenir de l’UE.

Il est toutefois tentant de créer des coalitions de petits Etats : le Benelux + les Nordiques + les Etats de Visegrad (la Pologne n’étant pas un petit Etat, il est vrai), soit une coalition de 10 Etats disposant d’un sérieux levier par rapport aux « grands » de l’UE. Mais le risque alors est de figer ces Etats dans la posture de petits acteurs politiques et ce d’autant qu’ils constituent un ensemble assez hétérogène (Hongrie et Slovaquie ne sont pas vraiment en phase avec les Nordiques ou le Benelux).

En conclusion, un petit Etat a d’abord comme objectif d’être reconnu comme une puissance, petite certes, mais qu’il faut entendre. Et il doit donc forger des coalitions ad hoc, voire s’allier à plus grand que lui. Quelle satisfaction lorsqu’on dit d’un petit Etat qu’il boxe dans une catégorie supérieure à la sienne ! C’est, par exemple, le compliment adressé à la Belgique à l’issue de sa présidence de l’UE, au premier semestre 2024.

Copyright Septembre 2024-Delcorde/Diploweb.com


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[1Keohane R.O., « Lilliputians’ Dilemmas : Small States in International Politics”, International Organizations, 33 (2), 1969, p. 296.

[2Placide-Frot D., “La diplomatie des petits États au Conseil de sécurité de l’ONU », GSI consulting, 27-02-2020.


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| Dernière mise à jour le mercredi 25 septembre 2024 |