Géopolitique de la Norvège. Illustré de deux cartes et deux graphiques. Quand le plus grand fonds souverain du monde envisage de doubler ses investissements dans le domaine de la protection de l’environnement, cela ne passe pas inaperçu. Pays prospère et riche en ressources naturelles, érigée en modèle, la Norvège est bien plus intégrée au système européen que ne le laissent croire ses refus d’adhérer à l’Union européenne, mais n’est pas épargnée par les contradictions entre son image verte et son statut de producteur d’hydrocarbures.
LORS du référendum de 1972, les citoyens norvégiens rejettent par 53,5% des suffrages [1] l’adhésion à la Communauté Économique Européenne (CEE), puis à nouveau en 1994 (52,4% [2]). Ce rejet est motivé par la crainte d’une perte de souveraineté nationale et par des considérations d’ordre économique : riche en ressources halieutiques et en hydrocarbures, la Norvège préfère ne pas partager sa Zone Économique Exclusive (ZEE) avec les États membres de la CEE.
Les cartes au format pdf haute qualité.
Ce document est la matrice de deux des trente cartes présentée dans l’ouvrage de Gérard-François Dumont et Pierre Verluise, Géopolitique de l’Europe. De l’Atlantique à l’Oural, PUF.
Du fait de sa situation socio-économique bien meilleure que celle de l’Union européenne, la Norvège a encore aujourd’hui peu d’intérêt à devenir membre de l’UE.
La conservation de sa monnaie nationale lui a aussi permis de ne pas subir directement les soubresauts de la crise de l’euro. Elle collabore toutefois avec ses voisins européens dans de nombreuses organisations régionales.
La Norvège est ainsi membre du Conseil nordique depuis 1952, aux côtés du Danemark, de la Finlande, de l’Islande et de la Suède. Le Conseil fonctionne sur un modèle intergouvernemental pour élaborer des règles communes (en matière de marché du travail et de sécurité sociale par exemple) ; ses décisions doivent être transposées dans le droit national des États membres. Il a conduit par exemple à la création de l’Union nordique des passeports, permettant la circulation sans passeport d’un État membre à l’autre. La Norvège est également signataire de l’Accord de Libre-Échange Européen (AELE, 1960), mais celui-ci a peu à peu perdu de sa substance au fur et à mesure que ses membres l’ont quitté pour rejoindre l’UE : il ne reste aujourd’hui, outre la Norvège, que l’Islande, le Liechtenstein et la Suisse.
Malgré le refus d’adhérer à l’UE en 1994, le Royaume rejoint l’Espace Économique Européen (EEE) cette même année. Garantissant la libre-circulation des marchandises, services, capitaux et personnes, celui-ci permet à la Norvège de développer des liens commerciaux avec les membres de l’UE, tout en préservant sa souveraineté en matière de pêche et de tarifs douaniers, au cœur du refus d’intégrer l’Union européenne.
Enfin, l’espace Schengen a été rejoint par la Norvège en 2001, ce qui lui permet d’éliminer les contrôles aux frontières avec les autres membres. Le pays est donc à certains égards plus avancé dans son intégration européenne que d’autres pays pourtant membres de l’UE (le Royaume-Uni et l’Irlande ne sont ainsi pas signataires des accords de Schengen).
Rappelons que la Norvège est également présente au Conseil de l’Europe et est membre fondateur de l’OTAN. Contrairement à une idée reçue, le pays est donc très bien intégré à l’échelle régionale ; mais plutôt qu’adhérer à l’organe supranational que peut représenter l’UE, il fait le choix de la coopération intergouvernementale et d’une Europe à la carte, tout comme la Suisse.
Le modèle norvégien tant vanté repose sur un système politique et social, mais également sur la prospérité que lui assure l’abondance de ses ressources naturelles.
La Norvège est ainsi 6ème producteur mondial d’hydro-électricité [3] : 99 % de son électricité est d’origine hydraulique. Ceci lui permet d’exporter ses hydrocarbures et de générer ainsi des profits immenses.
En 2012, le pays est 3ème exportateur et 6ème producteur mondial de gaz ; et 7ème exportateur et 14ème producteur mondial de pétrole [4]. Ces activités lui assurent une rente confortable mais rendent le pays fortement dépendant de l’exploitation de ses ressources fossiles : plus d’un quart des revenus du gouvernement norvégien provient ainsi du domaine pétrolier.
La dépendance aux ressources naturelles est donc incontestable. La vraie question est plutôt de savoir si celle-ci est, à court ou long terme, problématique.
En effet, consciente de la nécessité de préparer l’après-pétrole et l’après-gaz, la Norvège fonde dès 1990 le Petroleum Fund of Norway, rebaptisé en janvier 2006 Government Pension Fund Global. Celui-ci, destiné à « couvrir les dépenses de retraites des futures générations » [5], est le premier fonds souverain du monde en termes de volume : plus de 600 milliards d’euros en 2014 [6]. Il est alimenté par les profits du gouvernement liés au pétrole : impôts, permis d’exploitation et d’exploration, participation à des sociétés telles que Norsk Hydro et Statoil. Par les choix d’investissements de ce fonds –dont 45,2 % sont à destination de pays européens [7]– et sa méthode de gestion, le gouvernement norvégien cherche à renvoyer une image éthique de sa rente pétrolière. Le fonds a ainsi un indice de transparence Linaburg-Maduell [8], évaluant la transparence des fonds souverains, de 10 [9] –la meilleure notation– et tient publique une liste des entreprises exclues des investissements [10] pour violation des droits de l’homme ou parce que produisant des armes par exemple. Comme d’autres pays producteurs et exportateurs d’hydrocarbures tels que le Qatar [11], la Norvège investit donc les revenus du pétrole de manière à pouvoir préparer la transition de son économie une fois les réserves d’or noir et de gaz épuisées.
La promotion du développement des énergies renouvelables, tant au niveau domestique qu’à l’étranger, et l’affirmation de son engagement dans la mise « en œuvre des solutions globales et durables face aux défis climatiques » [12] restent pourtant profondément contradictoires avec le principe même de l’exploitation d’hydrocarbures actuelle sur laquelle se fonde la prospérité norvégienne tant enviée par ses voisins européens.
Manuscrit clos en mai 2014.
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[1] .cvce.eu/collections/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/8bf94809-5b45-4840-8a90-9a33b4479419 , consulté le 25 avril 2014.
[2] Ibid.
[3] norvege.no/News_and_events/Informations-sur-la-Norvege/La-Norvege-et-lEnergie/#.U1p2u_l_uTx . Consulté le 25 avril 2014.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] swfinstitute.org/fund-rankings/ . En anglais. Consulté le 25 avril 2014.
[7] lesechos.fr/entreprises-secteurs/finance-marches/actu/0203345414293-le-fonds-souverain-norvegien-affiche-une-performance-de-16-653904.php . Consulté le 25 avril 2014.
[8] swfinstitute.org/statistics-research/linaburg-maduell-transparency-index/ . En anglais. Consulté le 25 avril 2014.
[9] swfinstitute.org/fund-rankings/ . En anglais. Consulté le 25 avril 2014.
[10] regjeringen.no/en/dep/fin/Selected-topics/the-government-pension-fund/responsible-investments/companies-excluded-from-the-investment-u.html ?id=447122 . En anglais. Consulté le 25 avril 2014.
[11] challenges.fr/revue-de-presse/20120320.CHA4432/le-qatar-detient-bien-12-83-de-lagardere.html , lesechos.fr/06/03/2012/lesechos.fr/0201934751955_le-qatar-detient-desormais-100---du-psg.htm . Consultés le 2 mai 2014.
[12] norvege.no/News_and_events/Informations-sur-la-Norvege/La-Norvege-et-lEnergie/#.U2Ny-Pl_uTx . Consulté le 2 mai 2014.
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