Hervé Théry, CNRS et Universidade de São Paulo, hthery aol.com Patrick Caron, Université de Montpellier et Muse, patrick.caron cirad.fr
Existe-t-il une correspondance entre offre abondante de viande et obésité ? Réponse argumentée à partir de deux cartes commentées : Indice de masse corporelle et Variation de la prévalence de l’obésité des adultes.
LA consommation de viande et ses effets sur la santé humaine, dans un contexte de croissante prévalence de l’obésité, a été l’un des points cruciaux de la « controverse » organisée par Mak !it, (Montpellier Advanced Knowledge Institute on Transitions), un des projets phares de l’Initiative Muse (Montpellier University of Excellence).
Pour y contribuer nous avons choisi d’explorer les aspects territoriaux de la question en utilisant les ressources de la cartographie, qui fait ressortir, sous une forme synoptique, des configurations spatiales (concentrations, contrastes) des bases de données d’organismes internationaux (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture - parfois connue sous son sigle en anglais FAO - et l’Organisation Mondiale de la Santé - OMS).
La croissance de la consommation de viande dans le monde s’accompagne d’une multiplication du nombre des cas d’obésité, qui se définit comme une accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle représentant un risque pour la santé. L’indice de masse corporelle (IMC) est un moyen simple de la mesurer. Il correspond au poids de la personne (en kilogrammes) divisé par le carré de sa taille (en mètres) : une personne ayant un IMC de 30 ou plus est considérée comme obèse. Or la proportion des obèses dans la population est en progression constante depuis plus de quarante ans, si forte que certains observateurs parlent d’une épidémie d’obésité.
Celle-ci peut se cartographier puisque les situations sont très différentes d’un pays à l’autre. Une carte de la prévalence moyenne de l’obésité par pays, élaborée à partir des statistiques rassemblées et publiées par l’Organisation Mondiale de la Santé [1], montre une nette opposition entre des pays où elle est très forte et d’autres où elle est – pour le moment du moins – encore faible. Parmi les premiers figurent les pays aux indicateurs économiques les plus élevés d’Europe et d’Amérique du Nord, plus l’Australie et l’Afrique du Sud, ainsi que l’Amérique du Sud, très « carnivore ». Il s’y ajoute, à un moindre degré, tout un arc de pays de l’Est et du Sud de la Méditerranée. Ces derniers, bien que ne consommant pas de viande de porc – ayant pour la plupart l’Islam pour religion dominante – ont augmenté leur consommation des autres viandes (mouton, bœuf et surtout poulet) grâce à des importations venues de pays en produisant à bas prix (Australie et Nouvelle Zélande pour la première, États-Unis et Brésil pour les autres).
Notons qu’un pays de ce groupe, l’Arabie Saoudite, est l’un des deux pays du monde où la prévalence est la plus forte, avec les États-Unis. À l’inverse, la prévalence est basse ou très basse dans la plupart des pays d’Afrique et d’Asie, y compris les plus peuplés au monde dont l’Inde et la Chine, pour le moment du moins, tant que l’ensemble du pays n’a pas adopté le régime alimentaire de Hong-Kong.
Une configuration préoccupante apparaît sur la carte qui retrace l’évolution de l’obésité entre 1976 et 2016 (première et dernière années disponibles dans les statistiques en ligne de l’OMS), où ce sont l’Afrique et surtout l’Asie qui ont connu les plus fortes progressions. Il y a certes un peu d’artefact dans cette progression présentée en pourcentage, apparaissant évidemment plus forte pour des prévalences faibles, mais la tendance est néanmoins claire, et renvoie aux changements des modes d’alimentation dans ces pays et à la place croissante qu’y tiennent les viandes.
L’observation et le rapprochement de ces cartes (et d’autres contenues dans une étude plus complète [2]) montre qu’il existe, dans nombre de pays du monde, une correspondance entre offre abondante de viande et obésité. Elle n’est pas parfaite pour la viande bovine, en particulier dans le cas des pays méditerranéens, mais on s’en rapproche si l’on y ajoute la viande ovine, et plus encore si l’on fait la somme en calories de toutes les viandes (en ajoutant viande de porc et de volailles). Nous ne parlerons pas ici de causalité, puisque la prévalence croissante de l’obésité dépend de nombreux facteurs (génétiques, exercice physique, autres composantes du régime alimentaire, en particulier sucres, sels et graisses).
Mais à coup sûr la consommation de viande est aujourd’hui un marqueur pertinent, l’un des facteurs d’une causalité traduisant un processus complexe : manifestement, les co-incidences détectées sur les cartes ne sont pas que coïncidences. Et si l’on se risque à un peu de prospective, on peut avancer que si les populations et pays qui entament une transition alimentaire la poursuivent en suivant les mêmes modalités que des pays qui les ont précédés dans cette voie, ils risquent de voir comme eux s’associer consommation croissante de viandes et obésité.
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Titre du document : Planisphères de l’Indice de masse corporelle (IMC) en 2016 et de la variation 1976-2016 de la prévalence de l’obésité des adultes en pourcentage Cliquer sur la vignette pour agrandir ces cartes de l’Indice de masse corporelle (IMC) en 2016 et de la variation 1976-2016 de la prévalence de l’obésité des adultes en pourcentage. Réalisation : Hervé Théry / Mak’it 2018. Document ajouté le 5 octobre 2019 Document JPEG ; 400060 ko Taille : 1600 x 1591 px Visualiser le document |
Viande et obésité, quels rapports ? Réponse à partir de deux cartes commentées. Sur un sujet sensible, les auteurs donnent à réfléchir.
[2] Hervé Théry et Patrick Caron, « Circulation, consommation mondiale des viandes et obésité : coïncidences ou co-incidences ? », Confins 40 | 2019, http://journals.openedition.org/confins/20153
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