Docteur de géopolitique de l’Institut Français de Géopolitique à l’Université de Paris VIII Vincennes – Saint Denis (2014). Analyste de l’Observatoire du Cybermonde Arabophone (OCA) (depuis avril 2016), une équipe de recherche rattachée à la Chaire Castex en Cyber stratégie et à l’Institut Français de Géopolitique.
Voici une géopolitique du pouvoir saoudien, à l’occasion du déplacement du prince héritier en Egypte. L’objectif du prince héritier Mohammad Ben Salman (MBS) est de devenir l’unique source de pouvoir, en attente de la première transition verticale du pouvoir dans l’histoire du royaume d’Arabie saoudite. Kamal Kajja explique comment Mohammad Ben Salman procède, en synergie avec son père le roi Salman.
LA « PURGE » sans précédent effectuée le 4 novembre 2017 par le nouvel homme fort de l’Arabie Saoudite, le prince héritier Mohammad Ben Salman (MBS), quelques heures après sa nomination par décret royal à la tête de la Haute Commission de lutte anti-corruption, constitue le dernier « coup de force » de ce jeune prince en vue de sa quête du trône saoudien. Ce vaste coup de filet a pris de court tous les observateurs du royaume. Il a donné lieu à l’arrestation de plus de 500 personnes dont d’éminents princes saoudiens, une dizaine de ministres (anciens et en exercice) ainsi que des hommes d’affaires et des militaires. Elle a également donné lieu au gel de 1 300 comptes bancaires. Cet événement a remis le royaume sous les projecteurs et a relancé le débat sur la transition de pouvoir en Arabie Saoudite et les rivalités au sein des al-Saoud. La question de succession est une question est très importante, considère avec une attention très particulière par les al-Saoud et par leur allié américain.
Cette « purge » met également la lumière sur l’ascension fulgurante de Mohammad Ben Salman et son emprise sur le pouvoir, constituant ainsi un précédent dans l’histoire du royaume, car c’est la première fois qu’on assiste à une transition verticale du pouvoir en Arabie Saoudite, et non plus horizontale comme le voulait la tradition.
NDLR : Le mode de succession adelphique
Le mode de succession que les al-Saoud avaient précédemment adopté était adelphique, reposant sur la transmission du pouvoir au sein de la même génération du lignage dominant avant de passer la main à la suivante. Dans ce système, les luttes pour le pouvoir sont récurrentes. Les moments de succession, notamment de transition générationnelle, sont des instants de crise par excellence. Pour canaliser les luttes fratricides, la famille royale a mis en place dans les années 1960 une distribution horizontale du pouvoir : chaque faction des Al-Saoud contrôle un pan de l’appareil étatique, ce qui engendre des dysfonctionnements à cause de la multiplication des centres de pouvoir et des luttes de faction.
Une transition qui s’annonce très problématique et qui risque d’exacerber les rivalités internes. Elle survient également sur fond d’énormes bouleversements géopolitiques au Moyen-Orient, la guerre au Yémen, la guerre en Syrie avec son lot d’ingérences régionales et internationales, le bras de fer géopolitique et confessionnel entre l’Arabie Saoudite et son rival régional l’Iran, la crise avec le Qatar et la défaite en Irak et en Syrie de l’organisation terroriste de « l’Etat Islamique » ou « Daech », qui a constitué un énorme défi stratégique pour les Etats de la région et pour le monde. Comment comprendre la stratégie mise en place par le roi Salman pour renforcer son pouvoir, celui de son clan et favoriser l’ascension politique de son fils, le prince Mohammad Ben Salman ? Pour analyser cette stratégie, il convient de voir comment le roi Salman a consolidé son pouvoir au lendemain de son avènement sur le trône du royaume, puis d’analyser l’ascension politique du prince Mohammad Ben Salman en vue de la première transition verticale de pouvoir en Arabie Saoudite, enfin de considérer le positionnement du jeune prince à l’égard des enjeux régionaux auquel le royaume doit faire face.
La mort du roi Abdallah, le 23 janvier 2015, a marqué le retour du clan des Soudeiri au pouvoir, par le biais du roi Salman, né en 1935 [1]. Ce dernier, une fois intronisé et le jour même de la mort d’Abdallah, signe très rapidement et d’une façon très inhabituelle dans les traditions du royaume une série de décrets royaux qui annoncent un retour en force et une restructuration du pouvoir au profit de ce clan. A travers ces décrets, le nouveau roi nomme son neveu et ministre de l’intérieur, le prince Mohammad Ben Nayef, vice prince héritier après le prince héritier Muqrin, marquant ainsi l’avènement de la troisième génération sur la voie du trône. Le décret royal déclare que cette nomination a été entérinée par le Comité d’allégeance avec une majorité des voix. Salman nomme également son fils cadet, Mohammad Ben Salman, né en 1985 [2], en tant que ministre de la défense et chef du cabinet royal suite au limogeage de Khaled Tuwayjri, un proche du roi Abdallah, de son poste de chef du cabinet royal et commandant de la garde royale.
Cette nomination a été contestée par plusieurs membres de la famille royale, qui ont argué que le prince Mohammed Ben Salman est encore jeune et n’a ni l’expérience ni la carrure pour assumer de telles charges. Les décisions prises par le nouveau souverain saoudien, démontrent la volonté de Salman de consolider son pouvoir ainsi que celui des Soudeiri et révèle au grand jour les rivalités et les tensions qui existaient entre ce clan et le roi Abdallah, longtemps occultées par le pouvoir saoudien. Six jours plus tard, le 29 janvier 2015, le roi Salman prend une autre série de décisions (trente décrets royaux), qui ont constitué une vraie « liquidation » de l’héritage politique du roi Abdallah [3]. Le roi Salman a ainsi procédé à une restructuration du pouvoir au profit de son clan, tout en neutralisant politiquement le clan d’Abdallah et ses alliés. La première décision a été une recomposition complète du gouvernement, tout en maintenant les princes Saoud al-Fayçal et Mit’ab ben Abdallah à leurs postes respectifs de ministre des affaires étrangères et de commandant de la Garde nationale, avec grade de ministre. Salman annonce également la dissolution de douze comités chargés des affaires politiques, sécuritaires, économiques, sociales et de l’éducation nationale. Ces Comités ont été ainsi remplacés par deux Conseils, qui dépendent exclusivement du Conseil des ministres que le roi préside de facto.
Le premier de ces deux Conseils, est chargé des affaires économiques et du développement, présidé par le fils cadet du roi et ministre de la défense, le prince Mohammad Ben Salman. Le deuxième Conseil est chargé des affaires politiques et sécuritaires, dont la direction a été confiée au vice prince héritier et ministre de l’intérieur, le prince Mohammad Ben Nayef. Cette initiative a pour objectif de neutraliser politiquement le prince Mit’ab Ben Abdallah, en mettant la Garde nationale qu’il commande sous les ordres de ce Conseil et donc sous les ordres des Soudeiri. Rappelons que la Garde nationale saoudienne a toujours constitué un contre poids face à l’armée et a longtemps été commandée par Abdallah, avant que ce dernier ne cède le commandement de cette force en 2010 à son fils Mit’ab Ben Abdallah [4]. Par la suite, le roi Salman a limogé le prince Bandar Ben Sultan de son poste de secrétaire général du Conseil de sécurité nationale et a procédé à la dissolution de cette instance créée par le roi Abdallah. Salman a limogé également, à travers un autre décret royal, deux autres fils du défunt roi, les princes Mich’al et Turki, de leurs postes de gouverneurs de la province de la Mecque et celle de Riyad. Il est important de souligner que ces deux provinces sont considérées comme les plus prestigieuses, donnant ainsi un précieux poids politique à leurs gouverneurs. Voulant également contrôler le secteur stratégique du pétrole, le roi Salman a nommé également son fils Abdul Aziz au poste de vice-ministre du pétrole.
Le 29 avril 2015, le royaume connait un véritable « coup de force » orchestré par le roi Salman, qui a décidé de mettre fin au système adelphique qui a prévalu au royaume depuis sa formation en 1932. Ce dernier a procédé au limogeage du prince Muqrin de son poste de prince héritier au profit de son neveu et ministre de l’intérieur, le prince Mohammad Ben Nayef. Salman prépare également le terrain pour son fils cadet, le prince Mohammad Ben Salman, en le nommant au poste de vice prince héritier. Ce dernier a gardé également son poste de chef du cabinet royal et ministre de la défense [5]. Les décisions de Salman ont provoqué des tensions au sein de la famille royale, dont certains membres ont contesté la nomination de Mohammad Ben Nayef et de Mohammad Ben Salman respectivement en tant que prince héritier et vice prince héritier. Certains princes, comme le prince Talal Ibn Abdul Aziz, ont carrément refusé de prêter allégeance au nouveau prince héritier. Talal a affirmé que cette nomination violait la règle de succession qui fait que le trône se transmet aux fils encore vivants d’Ibn Saoud. Il a révélé également que le Comité d’allégeance n’a pas été convoqué pour entériner une telle décision et que le Conseil de famille ne s’est pas réuni depuis des mois. Talal a déclaré que ces nominations vont créer de graves tensions au sein de la famille royale et risquent de provoquer sa chute [6].
Depuis, Mohammad Ben Salman bénéficie d’une fulgurante ascension politique. Ce dernier cherche dès sa nomination à marginaliser son cousin et prince héritier, le prince Mohammad Ben Nayef, qui était l’interlocuteur préféré des Etats-Unis au royaume grâce à son rôle dans la lutte antiterroriste. Mohammad Ben Salman concentre graduellement entre ses mains tous les leviers du pouvoir (politique, économique, militaire, religieux et médiatique) et lance une série de réformes dans un pays historiquement ultraconservateur, à cause du poids de la religion et des traditions dans la société saoudienne. Mohammad Ben Salman veut ainsi apparaitre aux yeux des Occidentaux comme étant un prince qui veut réformer la société saoudienne. Ce dernier étant proche du prince héritier des EAU, le prince Mohammad Ben Zayed, il a été inspiré par la réussite économique de ce pays, notamment le modèle de Dubaï. MBS a lancé plusieurs grands projets qui ont pour objectif la diversification de l’économie saoudienne, trop dépendante de la rente pétrolière, et l’encouragement des investissements étrangers au royaume. On citera à titre d’exemple son plan « Vision 2030 » lancé en avril 2016, qui prévoit outre une privatisation et une libéralisation de l’économie saoudienne, une « saoudisation » des emplois, mais également le projet de la ville futuriste NEOM [7], lancé en octobre 2017.
Pour renforcer encore plus l’emprise de Mohammad Ben Salman et sa position pour accéder au trône saoudien, le roi Salman signe le 22 avril 2017 une quarantaine de décrets royaux, qui ont pour objectif de réduire encore plus l’influence et le pouvoir du prince héritier, Mohammad Ben Nayef. Salman espère ainsi retirer tous les obstacles sur le chemin de son fils cadet. Il procède ainsi à la nomination de son autre fils, le prince Khaled Ben Salman, au poste clé d’ambassadeur du royaume aux Etats-Unis malgré son jeune âge et son manque d’expérience politique et diplomatique, faisant de lui le plus jeune ambassadeur saoudien. Le roi crée également un ministère de l’énergie et nomme un autre fils, le prince Abdul Aziz Ben Salman, à sa tête. A travers la création de ce ministère, on assiste au verrouillage du régime saoudien au profit des « al Salman » et spécifiquement au profit de Mohammad Ben Salman. Ces nominations ont atteint également la sécurité intérieure, bastion du prince héritier, et les renseignements saoudiens. En créant le Centre de la sécurité nationale, qui dépend directement du Cabinet royal, le roi Salman a voulu marginaliser encore plus son neveu et prince héritier au profit de son fils. Le roi Salman nomme également le général Ahmad al Ousseiri, ancien porte-parole de la coalition islamique au Yémen et un fidèle de MBS, au poste de chef des renseignements saoudiens.
Tous les indicateurs démontraient que ce n’était qu’une question de temps avant que le prince héritier, Mohammad Ben Nayef, ne soit évincé du pouvoir. Chose qui a été faite le 21 juin 2017 par un décret royal du roi Salman, qui a automatiquement nommé son fils, le prince Mohammad Ben Salman, au poste de prince héritier. C’est la première fois dans l’histoire du royaume qu’un souverain saoudien arrive à nommer son fils à ce poste. Plusieurs rois saoudiens ont tenté par le passé de transmettre le pouvoir à leurs fils, mais ils ont échoué. Les nouveaux dirigeants du royaume ont affirmé que cette nomination a été entérinée par le Conseil de famille et par l’institution religieuse. Contrairement à l’image véhiculée par le régime saoudien d’une transition souple de pouvoir, Mohammad Ben Nayef a été arrêté et forcé de renoncer à son poste au profit de son ambitieux cousin [8]. La volonté de Mohammad Ben Salman de devenir l’homme fort du royaume, a poussé ce dernier à œuvrer depuis l’avènement de son père sur le trône à renforcer sa position et son emprise sur le pouvoir. C’est cette même logique d’accaparement de pouvoir, qui l’a poussé à procéder le 4 novembre 2017 à une spectaculaire « purge ». Placé à la tête de la Haute commission de lutte contre la corruption, créée quelques heures plutôt, MBS lance un vaste coup de filet à travers l’arrestation de plus de 500 personnes. Parmi ces derniers figurent 11 éminent princes parmi lesquels le prince Mit’ab Ben Abdallah, commandant de la garde nationale et dernier rival sur l’échiquier du pouvoir, le prince milliardaire al Walid Ben Talal PDG de Kingdom Holding, le prince Fahd ben Abdullah bin Mohammed al-Saud, ancien vice-ministre de la défense, Prince Turki ben Nasser, ancien patron de la « Presidency of Meteorology and Environment » et le prince Turki Ben Abdallah, ancien gouverneur de la province de Riyad. Cette purge a également touché une dizaine de ministres anciens et en exercice à l’instar d’Adel al Faqih (ministre de l’Économie) et Ibrahim al-Assaf (ancien ministre des Finances), ainsi que des hommes d’affaires tels que Bakr Ben Laden (PDG de Saudi Binladin Group) Walid al-Ibrahim (propriétaire du groupe de télévision MBC) et l’homme d’affaire Mohammad al Ammoudi. Plusieurs d’entre eux ont été récemment relâchés après avoir conclu un arrangement financier avec le pouvoir.
La soif de pouvoir a poussé Mohammad Ben Salman à casser le consensus historique, qui a caractérisé la monarchie saoudienne depuis sa formation en 1932, et à marginaliser les autres branches des al Saoud. Son emprise s’est également étendue au champ religieux, chasse gardée de l’institution religieuse wahhabite, alliée historique des al Saoud. MBS cherche ainsi à réduire son influence et son poids au sein de la société saoudienne. C’est dans cette optique qu’il a procédé, dès le 11 avril 2016, à la diminution du pouvoir de la police religieuse (la « Mutawa’a »). Le 7 mai 2016, MBS a procédé également à la création du Comité de loisir, une autre mesure visant à réduire l’influence de cette institution. L’autorisation accordée le 26 septembre 2017 à la femme de conduire, ainsi que la décision prise le 11 décembre 2017 d’autoriser l’ouverture, dès 2018, des salles de cinéma publiques après 35 ans d’interdiction constituent un autre coup pour l’institution religieuse et un énorme bouleversement dans une société réputée pour son ultra conservatisme. L’objectif final de Mohammad Ben Salman est de devenir l’unique source de pouvoir, en attente de la première transition verticale du pouvoir dans l’histoire du royaume. Tout ceci intervient dans un contexte marqué par les souvenirs des « printemps arabes » (2011) et un rapprochement récent de l’Arabie Saoudite avec Donald Trump, en dépit de ses déclarations hostiles au royaume lors de sa campagne électorale (2016). Pour son premier déplacement à l’étranger, ce dernier s’est rendu à Riyad le 20 mai 2017. Une visite durant laquelle il a signé d’énormes contrats d’un montant total de 450 milliards de dollars, poussant plusieurs observateurs à poser l’hypothèse d’un feu vert américain [9] à la « purge » de Mohammad Ben Salman et à son durcissement sur le plan régional.
La « purge » de MBS intervient dans un contexte régional marqué par un véritable bras de fer géopolitique et confessionnel entre l’Arabie Saoudite et l’Iran et la volonté manifeste de ce jeune prince de s’opposer frontalement à l’influence iranienne au Moyen-Orient, notamment au Liban, au Yémen, en Irak et en Syrie. Ce bras de fer s’est intensifié avec le chaos généré par les soulèvements arabes à partir de 2011, pour se transformer en une véritable « guerre froide » entre les deux puissances régionales. Les dirigeants saoudiens ont été sidérés par l’accord sur le nucléaire iranien, conclu en juillet 2015 entre l’Iran et les cinq membres du Conseil de Sécurité plus l’Allemagne, faisant du coup de la république islamique une puissance régionale à part entière. Cette montée en puissance de l’Iran et sa consécration en tant qu’acteur géopolitique incontournable dans la région, suscite de vives inquiétudes chez les dirigeants saoudiens qui ont amorcé depuis quelques temps un rapprochement avec Israël. La nouvelle direction saoudienne est obsédée par ce qu’elle considère comme un encerclement géopolitique et confessionnel de la part de l’Iran et de ses alliés dans la région. Lors d’une interview accordée le 2 mai 2017 à la chaîne d’al Arabiya, Mohammad Ben Salman a ainsi menacé l’Iran d’étendre le conflit à son territoire. Il est allé même jusqu’à qualifier le guide suprême de la révolution iranienne, Ali Khamenei, de « nouveau Hitler du Moyen-Orient [10] ».
Ceci explique la stratégie agressive tous azimuts, mise-en place par MBS pour restaurer le leadership saoudien, mis à mal ces dernières années. Cette perte d’influence du royaume est clairement palpable au sein de sa zone historique d’influence, qu’est le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) où l’on assiste depuis juin 2017 à une crise sans précédent qui risque de mettre fin à cette instance régionale. Celle-ci oppose le Qatar à l’Arabie Saoudite, les EAU, le Bahreïn et l’Egypte, sans que Riyad et ses alliés puissent imposer leur diktat à Doha. En Syrie, le régime syrien non seulement n’est pas renversé, mais l’armée de Bachar a largement infléchi le rapport de force sur le terrain en sa faveur, grâce aux succès militaires réalisés avec l’appui de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah. Des succès qui lui ont permis de récupérer de larges pans du territoire syriens aux mains des groupes armés et de Daech. Sur le théâtre irakien, la défaite de Daech par l’armée irakienne soutenue par le Hachd Chaabi [11] (Unités de mobilisation populaire), a largement renforcé l’influence iranienne en Irak. Pour endiguer cette influence, MBS entend entamer un engagement en Irak au nom de l’arabité. C’est dans cette optique que se situe la visite effectuée, le 25 février 2017, par Adel al Joubeir en Irak. MBS mise sur un processus de rapprochement avec la communauté chiite arabe, en courtisant certaines figures politiques et religieuses chiites irakiennes comme Moqtada Sadr, qui a effectué le 30 juillet 2017 une visite au royaume où il a eu des entretiens avec le prince héritier saoudien.
Au Yémen, la guerre lancée par Mohammad Ben Salman le 26 mars 2015 vise à redorer l’image du royaume après l’échec de la stratégie saoudienne en Syrie, en Irak et au Liban. MBS entendait renverser l’équilibre des forces sur le terrain, favorable aux Houthis et leur allié, Ali Abdallah Saleh [12], sous la couverture de « défendre le gouvernement légitime du Yémen [13] ». Jouant la carte confessionnelle et la haine des chiites ainsi que la méfiance à l’égard des ambitions régionales iraniennes, Ben Salman a réussi à travers cette tactique à attirer le soutien d’une large partie de la population saoudienne ainsi que celui des Oulémas, y compris ceux traditionnellement opposés au régime saoudien comme le Cheikh Salman al-Awda. Un autre objectif recherché par Mohammad Ben Salman à travers cette guerre, est celui de mettre en place « un bloc sunnite [14] » face à l’Iran, à travers la mise en place d’une alliance militaire de circonstance favorisée plus par opportunisme financier pour bénéficier des largesses saoudiennes que par une même vision. Cette guerre lancée par Ben Salman contre le Yémen - dans le silence assourdissant des pays vendeurs d’armes à l’Arabie Saoudite - constitue une aventure militaire qui a provoqué un enlisement de l’armée saoudienne. Cette dernière a déjà subi un échec militaire face à la rébellion Houthi en 2009. Il est important de souligner que l’enjeu de cette guerre dépasse largement le Yémen, qui n’est autre qu’un des fronts dans la confrontation géopolitique avec l’Iran. Cette guerre sans objectif politique clair, risque de coûter très cher au royaume, en termes de sécurité. En créant un chaos et une grave crise humanitaire, avec un risque de famine et de choléra, chez son voisin du sud avec qui le royaume partage 1800 kilomètres de frontières, un pays déjà miné par la pauvreté, les rivalités tribales et la menace terroriste, l’Arabie Saoudite prend un énorme risque pour sa sécurité. D’ailleurs, malgré la mobilisation d’énormes moyens militaires par l’Arabie Saoudite et la coalition qu’elle dirige, la guerre saoudienne au Yémen reste pour le moment un échec. L’interception, le 4 novembre 2017, d’un missile balistique houthi au-dessus de l’aéroport international de Riyad, a servi de prétexte aux dirigeants saoudiens pour intensifier les raids aériens de l’aviation saoudienne et renforcer le blocus aérien, terrestre et maritime imposé au Yémen depuis avril 2015. Ces tirs de missiles balistiques Houthis contre le royaume, qui ont visé ainsi le 19 décembre 2017 et pour la première fois le palais royal d’al Yamamah à Riyad, constitue une évolution très dangereuse de ce conflit.
Le durcissement de la politique saoudienne a également atteint le Liban, où le royaume dispose de beaucoup de relais d’influence. Les nouveaux dirigeants saoudiens veulent ainsi mettre un terme à l’influence du Hezbollah au Liban, avec comme toile de fond le bras de fer avec l’Iran. C’est dans ce contexte que se place l’arrestation au royaume du premier ministre libanais, Saad Hariri, dans le cadre de la « purge » du 4 novembre 2017. Ce dernier, qui dispose également de la nationalité saoudienne, a été contraint - à la surprise générale - d’annoncer sa démission depuis Riyad, Ce qui a plongé le Liban dans l’incertitude. Ceci peut être interprété comme une volonté saoudienne de durcir la confrontation régionale avec le grand rival iranien sur le théâtre libanais. Saad Hariri été relâché depuis, grâce à une médiation franco-égyptienne.
Conclusion
En écartant tous les autres clans du pouvoir, au profit de son fils cadet, le roi Salman prend le risque d’aggraver les rivalités de pouvoir au sein des al-Saoud. L’accaparement du pouvoir par le clan des al Salman et sa marginalisation des autres branches des al-Saoud ainsi que celui de l’institution religieuse, alliée historique de la monarchie saoudienne, peuvent donner lieu à une exacerbation des rivalités de pouvoir et une rancune des autres clans. Ceci peut provoquer une escalade des divergences concernant les orientations politiques économiques et sociales du royaume. Sur le plan régional, la nouvelle posture agressive du royaume, prônée par Mohammad Ben Salman sans vision très claire et sans une véritable stratégie bien établie, risque de réduire encore plus l’influence de l’Arabie Saoudite dans le bras de fer qui l’oppose à l’Iran.
Copyright Mars 2018-Kajja/Diploweb.com
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Bibliographie de l’article
Al-Akhbar, le 24 janvier 2015.
Al-Akhbar, le 30 janvier 2015.
Hugh Naylor & Liz Sly, « In a surprise Move, Saudi Arabia’s monarch shakes up line of succession ». The Washington Post, le 29 avril 2015.
Ben Hubbard, Mark Mazetti & Erik Schmitt : « Saudi King’s son Plotted Effot to Oust His Rival ». The New York Times, le 18 juillet 2017.
Thomas L. Friedman, « Saudi Arabia’s Spring, at Last ». The New York Times, le 23/11/2017.
Mohammed-Reza Djalili & Thierry Kellner, « Vers un nouvel empire perse au Moyen-Orient ? entre mythe et réalité », Note de l’IFRI, mai 2015.
[1] Le roi Salman est né le 31 décembre 1935 à Riyad, il est le vingt cinquième fils d’Abdul Aziz Ibn Saoud. Salman est un membre influent au sein du Conseil de famille et a été pendant très longtemps le gouverneur de Riyad. Son état de santé est sérieux car très âgé et atteint par la maladie d’Alzheimer. Voir al-Quds al-Arabi du 19 juin 2012.
[2] Le prince Mohammed Ben Salman est né le 16 janvier 1985 à Riyad. Fils du roi Salman et de sa troisième épouse, Fahda Bint Falah Ben Sultan al-Hithalayn, il est le fils favori de son père.
[3] Al-Akhbar, le 30 janvier 2015.
[4] Le 27 mai 2013, le prince Mit’ab Ben Abdallah a été nommé par son père au rang de ministre de la Garde nationale.
[5] Hugh Naylor & Liz Sly, « In a surprise Move, Saudi Arabia’s monarch shakes up line of succession ». The Washington Post, 29 avril 2015.
[6] Al-Akhbar, 24 janvier 2015.
[7] Le prince héritier de l’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane Al Saoud a annoncé la construction d’une ville futuriste au nord-ouest du pays, sur les bords de la mer Rouge. Baptisée Neom, cette mégapole promet la mise en œuvre des dernières technologies en matière d’énergies renouvelables, d’architectures et de transports. Un projet pharaonique à 500 milliards de dollars...
[8] Ben Hubbard, Mark Mazetti & Erik Schmitt : « Saudi King’s son Plotted Effot to Oust His Rival », The New York Times, 18 juillet 2017.
[9] Le gendre et conseiller du président américain, Jared Kushner, a effectué une visite secrète en Arabie Saoudite le 25 octobre 2017.
[10] Thomas L. Friedman, « Saudi Arabia’s Spring, at Last ». The New York Times, le 23/11/2017.
[11] 0 Force composée de plusieurs milices en majorité chiites irakiennes, formés en juin 2014 au lendemain de la Fatwa religieuse de l’Ayatollah Sistani, appelant au Jihad contre Daech quelques jours après la chute de la ville Mossoul aux mains de cette organisation terroriste.
[12] 1 Ce dernier, qui voulait opérer un rapprochement avec l’Arabie Saoudite et réaliser un coup de force contre les Houthis, a été assassiné par ces derniers à Sanaa le 4 décembre 2017.
[13] 2 Abd Rabbuh Mansour Hadi a lancé un appel d’assistance au Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 25 mars 2015, pour bloquer l’avancer des Houthis vers Aden avant de fuir le pays pour se réfugier en Arabie Saoudite.
[14] 3 Mohammed-Reza Djalili & Thierry Kellner, « Vers un nouvel empire perse au Moyen-Orient ? entre mythe et réalité », Note de l’IFRI, mai 2015.
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