Les données qui ont permis de réaliser cette carte très précise ont été collectées par Ferdinand Grassaud en sources ouvertes sur les réseaux sociaux (OSINT, open source intelligence). Les deux belligérants, Ukraine et Russie, ont pris des mesures pour tenter de prévenir la fuite de coordonnées et même de tout renseignement via les communications privées des soldats. Cependant cette carte est la preuve que malgré des règles de sécurités strictes, le cloisonnement total de ce genre d’informations est extrêmement difficile, voire impossible. C’est un problème qui va préoccuper un bon nombre d’armées.

La situation en perspective

LES FORCES armées ukrainiennes lancent leur offensive le 6 août 2024. Selon le commandement ukrainien, cette opération surprise dans l’oblast de Koursk, en Fédération de Russie, vise à détourner des fronts du Donbass et du sud de l’Ukraine, forçant ainsi les Russes à se battre sur leur propre sol. À la mi-août 2024, les combattants ukrainiens se sont emparés de près 1200 kilomètres carrés de territoire. Du côté russe la surprise fut grande, car la percée ukrainienne a été brutale et rapide. V. Poutine et le pouvoir politique ont été mis en cause par la population russe, car dans cette zone se trouvaient beaucoup de conscrits. Le Kremlin s’était engagé à tenir les conscrits éloignés des combats. Cela a engendré quelques manifestations et protestations de la part des familles de conscrits en Russie, mais cela n’a pas véritablement déstabilisé le régime. Le 15 août 2024, les forces ukrainiennes peuvent s’enorgueillir d’avoir détruit ou capturé un nombre significatif de blindés ennemis et d’avoir sérieusement perturbé leurs lignes d’approvisionnement. À ce moment, la ville de Rylsk est devenue l’un des principaux points chauds et se devient le théâtre de violents affrontements. Début septembre 2024 Moscou mobilise des réserves et rappelle même des combattants de la société militaire privée Wagner pour lancer une contre-offensive. Cependant, fin septembre 2024, il semble que les Ukrainiens ont encaissé le gros de l’impact et n’ont cédé que peu de territoire. Ainsi, la contre-offensive russe dans l’oblast de Koursk a eu des effets très limités. Les Ukrainiens s’accrochent fermement à chaque parcelle de terrain.

Une opération qui s’inscrit dans la durée

Localement cette offensive s’inscrit dans la continuité d’une longue série d’opérations menées par les forces spéciales et les services spéciaux ukrainiens dans la zone. Stratégiquement elle s’inscrit dans la volonté ukrainienne de frapper les arrières des forces armées russes. En effet, depuis l’arrivée des premières armes occidentales en Ukraine, V. Zelensky ne cesse d’interpeler les chancelleries occidentales pour obtenir la permission d’utiliser ces armes sur le territoire russe. Dans un premier temps cela lui a été refusé. Autrement dit, les Ukrainiens combattent avec une main attachée dans le dos quand les Russes disposent d’une profondeur stratégique exceptionnelle : 17 millions de km2. Cependant en mai 2023 les États-Unis, suivis par d’autres pays européens, acceptent que leurs armes frappent des cibles en Russie, mais exclusivement des objectifs militaires se situant à moins de 300 km de la frontière ukrainienne. Au mois de septembre de cette année, le président ukrainien a demandé à ce que cette limitation de portée soit supprimée afin de pouvoir frapper tout le territoire russe. En plus de cela, le président et la diplomatie ukrainienne s’attèlent à trouver rapidement des armes et des munitions pour les combattants. Les russes, qui ont l’initiative, se sont lancé dans une guerre d’attrition où l’objectif et d’user et d’épuiser les forces de l’adversaire, dont la population est significativement moins nombreuse. Le Kremlin sait que le temps joue pour lui.

Selon une source au sein des forces armées ukrainiennes, [1] la situation sur le terrain est vraiment difficile pour les combattants ukrainiens, les pertes sont lourdes. En effet, le manque de munitions, de véhicules et d’hommes se fait terriblement ressentir. Le gouvernement de Kiev compte désespérément sur les aides occidentales, en particulier celles des États-Unis (en campagne électorale), qui arrivent au compte-goutte. Difficile pour le moment d’affirmer mi-octobre 2024 que cette offensive soit un succès ou échec. Cependant, il semble que les Ukrainiens ne pourront pas pénétrer beaucoup plus profondément dans le territoire russe. A contrario, l’armée russe continue sa progression dans le Donbass. Les deux belligérants sont engagés dans une guerre d’usure.

La carte de la situation dans l’oblast de Koursk (Fédération de Russie) du 6 août au 1er septembre 2024 au format PDF haute qualité (7 Mo).

Copyright pour la carte Octobre 2024-Grassaud/Diploweb.com
Copyright pour le texte Octobre 2024-Baillet/Diploweb.com

Plus

. Hérodote, Osint (open source intelligence), enquêtes et terrains numériques, Paris, éd. La découverte, 2022.

. Pierre Verluise, Tatiana Kastouéva-Jean, Emilie Bourgoin, Planisphère. La guerre en Ukraine affaiblit-elle ou renforce-t-elle la puissance russe ? Avec T. Kastouéva-Jean

. Cyril Gloaguen, Stratégie. Portrait possible du missile russe Oreshnik tiré sur l’Ukraine le 21 novembre 2024