Etudiant en Master 2 Géopolitique, Université de Reims. Après une licence d’Histoire à l’Université de Clermont Ferrand et un échange Erasmus d’un an en Hongrie, Joseph Bohbot a débuté un Master de Géopolitique à l’Université de Reims. En première année, il décide de se spécialiser sur les questions concernant l’espace post-soviétique et en particulier l’Ukraine. Il a effectué depuis 2012 plusieurs sejours dans des pays de l’ex- bloc de l’est : Russie, Kazakhstan, Kirghizstan, Roumanie, Pologne et bien sûr Ukraine.
Février 2017, une nouvelle flambée de violence ramène l’attention sur la guerre du Donbass, en Ukraine orientale. D’où vient ce conflit ? En décembre 2015, l’Organisation des Nations Unies rapportait la mort de plus de 9000 personnes dans le conflit de l’Est ukrainien. L’utilisation d’armes lourdes par les séparatistes du Donbass et la participation active de la Russie dans la crise de Crimée en 2014 poussent à analyser une nouvelle ingérence du gouvernement Poutine dans la région du Donbass. Aidé par un travail de terrain, cet article met en lumière les éléments étayant une participation active de l’Etat russe en territoire ukrainien durant la guerre du Donbass. Illustré de trois photos.
EN 2009 sont lancées par le président Viktor Iouchtchenko des négociations avec l’Union européenne (UE) dans un but de rapprochement économique et politique entre celle-ci et l’Ukraine. Ces négociations devaient se concrétiser par la signature d’un accord à Vilnius le 29 novembre 2013. Néanmoins, quelques jours avant le sommet, le président Viktor Ianoukovitch (élu en 2010) renonce à la signature de l’accord. Les conséquences de ces constations sont aujourd’hui connues : manifestations de l’EuroMaidan à Kiev, renversement de Ianoukovitch, annexion de la Crimée par la Fédération de Russie et début de la guerre du Donbass. Cependant, attribuer l’intégralité de cette crise au refus du président Ianoukovitch à signer l’accord de Vilnius serait bien mal connaitre l’Ukraine. En effet, cette contestation massive du pouvoir en place s’inscrit dans une logique d’exaspération de la population envers l’élite dirigeante, l’oligarchie et de la corruption [1]. À ces problèmes internes à l’État Ukrainien, se rajoutent de forts soupçons d’ingérence de l’État russe notamment au cours de la guerre du Donbass. L’objet de cet article est d’étayer ces soupçons grâce à une analyse multiscalaire nourrie par une expérience de terrain. Pour comprendre les tensions qui agitent l’Ukraine aujourd’hui, il semble pertinent d’éclairer les éléments structurels (notamment géographique et ethnique) de cet État singulier d’Europe de l’Est. Gourdin et Brzeziński apportent un éclairage sur la situation du pays : « Le territoire de l’Ukraine occupe une partie de l’isthme européen septentrional qui relie la mer Baltique et la mer Noire (par le bassin du Dniepr), ainsi que la mer Baltique et la mer Caspienne (par le bassin de la Volga). Il se trouve donc en situation de carrefour, sur le plan tant économique que culturel ou stratégique » (Gourdin, 2014). Quant à Brzeziński, il décrit l’Ukraine comme un « pivot géopolitique » pour deux raisons : sa position stratégique et la possibilité de « couper un acteur de premier plan des ressources qui lui sont nécessaires » mais aussi de servir de « bouclier défensif pour un État ou une région de première importance » (Brzeziński, 1997, p 69). Le second élément à recontextualiser est la composition même de la société ukrainienne, fragmentée par la langue ou encore l’ethnie : « Concernant la langue, le recensement de 2001 fournit le décompte le plus à jour (celui de 2010 n’est toujours pas publié). Comme dans presque toute l’Europe centrale et orientale, il distingue la ‘citoyenneté’ (ukrainienne) de la ‘nationalité’, qui correspond au groupe ethnique auquel l’individu se rattache : 77,8 % de la population se déclare de nationalité ukrainienne, 17,3 % de nationalité russe, et 4,9 % d’une autre nationalité. […] 29,6 % des habitants du pays se déclarent de langue maternelle russe. La langue ukrainienne n’est donc la langue maternelle que de 68,5 % de la population : un nombre important de personnes se déclarant de nationalité ukrainienne se considère de langue maternelle russe. » (Marchand, 2014). À cette description ethnique et linguistique, l’histoire particulière de l’Ukraine, membre de l’Union Soviétique entre 1922 et 1991, ne doit pas être omise. De plus, son territoire (Rus’ de Kiev) est régulièrement revendiqué comme le berceau de la civilisation russe.
Ces précisions révèlent les profondes dissensions qui segmentent l’État ukrainien et sa société. La fragilité structurelle du pays depuis l’indépendance, sa proximité culturelle, historique et ethnique avec l’État Russe renforcent les interrogations à propos de l’ingérence du Kremlin dans les affaires ukrainiennes. Pour illustrer cette thèse, cet article étudie le cas de la guerre du Donbass. En effet, le Donbass, à l’instar de la Crimée, de l’Ossétie du Sud ou de la Transnistrie est un territoire limitrophe de la Russie et majoritairement russophone. À ce titre, il correspond à la définition des zones où le Kremlin cherche à maintenir une influence ou à intervenir directement. C’est à partir de ces éléments que nous considérons une ingérence russe comme une hypothèse crédible mais aussi cohérente ; ainsi, comment la guerre du Donbass a-t-elle été une modalité de l’ingérence russe en Ukraine ? Notre argumentation s’organise selon deux axes ; un premier questionne l’origine des moyens financiers et matériels des séparatistes ukrainiens, la seconde analyse les éléments de discours du Président Poutine et ses nombreux revirements sur la présence ou non des forces russes en Ukraine. Ces deux axes étayent la thèse selon laquelle le conflit du Donbass est marqué par des interventions russes en territoire ukrainien. Pour ce travail, trois types de sources ont été mobilisées : des éléments rapportés de notre étude de terrain à Kramatorsk et à Slaviansk, deux villes de l’Oblast du Donetsk, des discours politiques et des articles issus de la presse
En s’appuyant sur un travail d’enquête sur place, il est possible de mettre en lumière les incohérences entre l’étendue des destructions constatées et les moyens militaires à la disposition des séparatistes dans le Donbass. S’ajoute à ce constat, l’absence d’adhésion apparente des Ukrainiens de l’Est, pourtant russophones, à la cause séparatiste. Cette non-adhésion est visible dans l’espace public par la destruction de symboles de l’ex-URSS ou la peinture par des civils de symboles étatiques ukrainiens à l’instar de drapeaux, armoiries et ce, pendant la guerre.
Le gouvernement ukrainien de Petro Porochenko (successeur de Ianoukovitch) décide de lancer une grande opération « qualifiée d’opération antiterroriste » dans l’Est du pays à partir du 2 mai 2014. Cette opération a pour but de mettre un terme au mouvement insurrectionnel. Néanmoins, cette opération antiterroriste se heurte à une grande contre-offensive menée par les séparatistes à partir de septembre 2014. L’armée loyaliste rencontre alors d’importantes difficultés face aux insurgés. En octobre 2014, l’ONU alerte sur l’ampleur prise par le conflit : 3 500 morts, 8 500 blessés, 1 500 000 déplacés (ONU, 2014). En décembre 2015, l’ONU établit un bilan à plus de 9 000 morts, 20 000 blessés, s’ajoute à cela l’absence de contrôle d’une partie du Donbass par le gouvernement de Kiev. Face à ce constat, on ne peut que s’interroger face aux moyens à disposition des séparatistes. Un élément permet de saisir très clairement les raisons de la réussite de la contre-offensive séparatiste : une des clauses issues du protocole de Minsk II. Ce protocole établit en février 2015 a pour but d’arrêter les violences dans l’Est ukrainien. Voici ladite clause :
« 2. Retrait par les deux parties de toutes les armes lourdes à des distances égales afin d’établir une zone de sécurité d’une largeur minimale de 50 km pour les systèmes d’artillerie d’un calibre de 100 mm et plus et une zone de sécurité de 70 km de largeur pour les systèmes de lance-roquettes multiples et de 140 km de largeur pour les systèmes de lance-roquettes multiples Tornado-S, Ouragan et Smertch et les systèmes de fusées tactiques Totchka (Totchka-Ou) [2] ».
Sans être expert en armement, il suffit d’une recherche internet pour en savoir plus sur le lance-roquettes multiples Tornado-S : « Le 9A52-4 "Tornade" (Торнадо en russe) est un nouveau lance-roquettes multiples pensé comme plus léger et adaptable que son prédécesseur, le BM-30 Smertch. Il a été dévoilé pour la première fois en 2007, et est actuellement utilisé uniquement par l’armée russe » (Wikipedia). Il est précisé que le Tornado-S est rentré en service en 2014. De ce premier constat, il semble peu probable que les séparatistes aient pu « trouver » ce genre de matériel et met en évidence les « dons » en matériel de la Russie voisine. Puisque les séparatistes ont ratifié le protocole de Minsk II, prévoyant le retrait de ces armes lourdes, ils reconnaissent donc de facto l’utilisation de ce matériel. La présence d’armes lourdes est corroborée par les observations faites sur place. La photo numéro 1 montre la destruction d’un bâtiment de la ville de Slaviansk, ville située dans l’Oblast de Donetsk. Les dégâts sur le toit évoquent l’utilisation de mortier ou de pièces d’artillerie. L’étendue des destructions laisse peu de place à un mouvement populaire séparatiste, armé d’armes légères type Kalachnikov.
Le rapport produit par le russe Boris Nemtsov permet de mieux saisir les motivations des séparatistes pro-russes. Selon Nemtsov et les témoignages présents dans son rapport, les séparatistes profitent d’une solde conséquente pour combattre l’armée ukrainienne, le recrutement dépasserait aussi les simples ukrainiens de l’Est, puisqu’un certain nombre de combattants viennent de Russie. Ainsi, selon un Russe ayant participé au combat, le recrutement de volontaires est organisé. « L’enrôlement des Russes dans les rangs des ‘milices’ des RPD et RPL se déroule dans les villes russes via les bureaux d’enrôlement militaire, les vétérans et les organisations cosaques, gèrent l’arrivée des combattants dans la zone de conflit. Les citoyens qui expriment leur disponibilité à se rendre par leurs propres moyens en Ukraine sont envoyés à titre individuel à Rostov-sur-le-Don [3], où on leur rembourse le prix du billet […] Les ‘volontaires’ russes dans le Donbass sont rémunérés. L’argent pour l’entretien des combattants provient de fonds russes qui sont alimentés activement par les autorités russes. Selon les combattants, la rémunération moyenne d’un ‘volontaire’ s’élève à 60 000 roubles [1 100 euros,ndt] par mois, bien que ‘certains gagnent 80 000-90 000 roubles [1 400-1 600 euros, ndt], les commandants davantage ». Ce témoignage est conforté par celui d’un recruteur Vladimir Efimov dont les propos sont similaires. (Nemtsov, 2015, p.26). A titre de comparaison, le salaire moyen en Russie s’élevait à 31 200 roubles soit 560 euros en 2015. Les salaires très avantageux des « volontaires » ont sans aucun doute participé à l’engouement pour la cause séparatiste.
La motivation financière comme facteur d’engagements de combattants pour la cause séparatiste est renforcée dans sa crédibilité par la réaction de la population du Donbass. En effet, lors du déplacement dans l’Oblast de Donetsk, des comportements particulièrement intéressants face aux symboles de l’ex-URSS ou de l’Etat ukrainien ont pu être observés. En effet, dans une ville largement acquise à Viktor Ianoukovitch comme Kramatorsk (il obtient 87,94% des voix aux élections présidentielles de 2004) et majoritairement russophone, les habitants n’ont pas hésité à peindre la statue de Lénine aux couleurs du drapeau ukrainien au cours de l’insurrection séparatiste en 2015. La symbolique est forte dans cette région de l’Ukraine, très attachée à la relation avec le voisin Russe. On remarque aussi la présence de peintures à l’effigie du drapeau ukrainien sur les marches.
S’il est aisé d’imaginer que ces symboles avaient été peints par l’armée lors de l’opération antiterroriste, la statue a été mise à terre par une foule en avril 2015 comme on le voit sur la photo numéro 3. À nouveau, la population affiche le drapeau de la République d’Ukraine. Ces photos remettent largement en cause l’adhésion massive de la population à la cause séparatiste.
L’intérêt de ces clichés est qu’ils illustrent le phénomène de décommunisation évoqué par Laurent Chamontin « les lois de décommunisation et le démontage des statues de Lénine […] fournissent les symboles par excellence de la révolution ukrainienne, […] ils révèlent une évolution radicale par rapport au passé soviétique. » « Les lois de décommunisation de 2015 ont clairement pour objectif de marquer une rupture avec ce passé et de remodeler l’identité nationale, dans un sens qui, il faut le noter, va à l’encontre de la nostalgie soviétique en vogue au même moment en Russie (Chamontin, 2016) ». Dans un territoire, acquis au parti de Ianoukovitch et majoritairement russophone, on observe donc une volonté de rupture avec le passé soviétique et de manière induite, la domination russe. Cette nouvelle fracture doit être soulignée ; les habitants du Donbass parlent russe mais n’en sont pas moins des citoyens ukrainiens. Ce sentiment d’appartenance à l’État ukrainien s’est d’ailleurs renforcé chez un certain nombre de citoyens russophones avec l’intervention russe en Ukraine. Ce constat est étayé non seulement par des discussions avec les habitants de Slaviansk et de Kramatorsk mais aussi par le sondage réalisé par le Kyiv International Institute of Sociology [4] et cité par Laurent Chamontin dans « Euromaïdan : une lame de fond [5] ».
Le conflit du Donbass, par la présence de militaires russes rémunérés mais aussi la mise à disposition d’armements modernes et les récentes déclarations du président Poutine ne laisse guère de doutes concernant une nouvelle ingérence russe dans une ex RSS. De plus, la possibilité d’une aide massive de la Russie à la flambée des violences est renforcée par l’absence d’adhésion de la population à la cause séparatiste comme nous l’avons vu dans le cas de la ville de Kramatorsk. L’ingérence dépasse donc largement la simple sphère politique et se matérialise sur le terrain par des faits concrets : absence d’adhésion de la population locale au projet séparatiste, preuves de la présence d’armes lourdes, rémunération des combattants. Néanmoins, il est intéressant de savoir comment le gouvernement et le président Poutine justifient ou tentent de masquer l’ingérence dont ils font preuve en Ukraine. C’est l’objet de la troisième et dernière partie dédiée à l’ambiguïté de la politique menée par le Kremlin.
La guerre du Donbass et plus largement la crise en Ukraine met au jour l’efficace diplomatie du flou menée par le Kremlin. Il semble que le président russe soit passé expert dans les déclarations contradictoires. Dans un entretien au journal Le Monde en aout 2014, Camille Grand dresse d’ailleurs le même constat : « C’est sa méthode : il [Poutine] a toujours fait des allers-retours entre une approche diplomatique - comme en juin 2014 lors des entretiens en Normandie avec Porochenko, Merkel et Hollande -, et une surenchère militaire, notamment au moment de l’annexion de la Crimée, ou plus récemment, avec le soutien aux séparatistes prorusses. (…) Ce double jeu et ces voltes faces s’expliquent par le fait que Poutine est plus attentif qu’on ne le dit aux réactions des Occidentaux : quand il a l’impression que les Occidentaux sont divisés et hésitants, il en profite pour pousser son avantage. A l’inverse, quand il sent le vent tourner, il tempère et redevient plus prudent (Grand dans Bordenet, 2015) ». Nous allons éclairer ces revirements politiques, indices des tentatives du Kremlin pour masquer l’ingérence russe en Ukraine.
Les meilleures démonstrations de cette diplomatie du flou sont les déclarations du Président Poutine lui-même. Quelques exemples suffisent à illustrer son habilité à souffler le chaud ou le froid à propos de la crise ukrainienne. Ici, il convient de s’intéresser à la crise de Crimée, car le Kremlin utilise les mêmes ressorts diplomatiques et militaires que durant la guerre du Donbass. Voici des extraits des discours du Président Poutine à quelques semaines d’intervalle :
En mars 2014, le président russe déclare : « Il n’y a pas de soldats russes en Crimée ». « Ce sont des forces locales d’auto-défense » (à propos des soldats). Un mois plus tard, son discours change : « Derrière les forces d’autodéfense de Crimée, bien sûr, se trouvaient nos militaires ». […] « Ils se sont comportés de manière très correcte », précisait le président russe (Vitkine, 2014).
Nous retrouvons la même logique à propos du conflit du Donbass. Poutine déclare, dans un discours lors de la 70ème session de l’Assemblée générale de l’ONU le 28 septembre 2015 : « Nous sommes convaincus que seul le respect complet et scrupuleux des accords de Minsk du 12 février 2015 permettra de mettre un terme à l’effusion de sang et de sortir de l’impasse. On ne garantira pas l’intégrité de l’Ukraine par les menaces et la force des armes [6] (Poutine, 2015) ». Deux mois plus tard, Poutine s’exprime à la télévision allemande [7] : « Dans le monde contemporain, les gens qui mènent une lutte et qui jugent cette lutte légitime […] trouveront toujours des armes ».
En décembre 2015, le président russe livre une toute autre version : : « Nous n’avons jamais dit qu’il n’y avait pas de gens là-bas qui accomplissaient certaines tâches, y compris dans le domaine militaire. » « Mais cela ne signifie pas qu’il y ait des troupes russes (régulières) là-bas [8] (Reuters, 2015) ». Vladimir Poutine se fait encore plus explicite fin 2016 : « Nous avons dû protéger la population russe de Donbass et de Crimée [9] (Unian, 2016) ».
Dans un premier temps, le gouvernement russe affirme sa non-participation au conflit des forces armées russes avant de changer complètement de position. Le but ici, n’est pas de convaincre les responsables politiques ou militaires adverses (occidentaux ou ukrainiens) de la participation ou non des forces armées russes en Ukraine mais de déstabiliser l’opinion publique en lui envoyant des messages nombreux et contradictoires.
Toutes ces déclarations sont relayées par des médias pro-gouvernementaux. Ces médias ne sont pas cantonnés au monde russe puisqu’ils sont implantés et disponibles dans de nombreux pays occidentaux. Citons les plus célèbres : Spunik.fr (anciennement La Voix de la Russie), le Courrier de Russie ou la chaine Russia Today devenue RT.
Kadrii Liik, analyste politique et experte de la Russie et de l’Europe de l’Est au sein du Conseil européen des relations internationales [10] cerne d’ailleurs bien la communication mise en place par le Kremlin. Elle s’intéresse à la chaine Russia Today : « [La Chaine] sert de porte-étendard à l’offensive russe. Ses détracteurs affirment que sous couvert de remettre en cause les médias traditionnels –sa devise étant : “Posez-vous plus de questions” –, la chaîne vise à discréditer les critiques envers le gouvernement de Moscou. “La propagande russe est parfois tellement délirante, elle dit des choses tellement impensables qu’elle n’a pas pour effet de convaincre les gens, mais de fragiliser leurs défenses” “Ce ne sont pas simplement des mensonges, comme la propagande soviétique. C’est plus subtil. Une sorte d’agression de l’esprit. » (Courrier International, 2015)
L’autodescription de la chaine Russia Today renforce l’analyse de Liik ; « Russia Today propose un point de vue alternatif sur tous les grands évènements du monde et offre au public étranger un aperçu de la position russe [11] »
Ces déclarations nombreuses du Président Poutine, souvent contradictoires sont relayées efficacement par un réseau de médias complaisants du Kremlin en Russie mais aussi hors des frontières du pays. Ces médias voguent et alimentent le climat général de défiance des populations à l’égard des gouvernements de l’Ouest et cherchent à discréditer les arguments développés par les grandes organisations ou gouvernements occidentaux.
La diplomatie du flou développée par le président Poutine semble fonctionner. En novembre 2016, malgré l’intervention avérée des forces russes dans le Donbass, la communauté internationale condamne l’ingérence du Kremlin uniquement par des sanctions économiques. Quant à la Crimée, elle a rejoint la Fédération de Russie sans heurt majeur malgré l’intervention militaire en mars 2014 reconnue ouvertement par le président Poutine. De plus, notons la volonté d’une partie de la classe politique française à lever ces sanctions européennes. [12]
L’ingérence russe en Ukraine est un phénomène complexe, multiscalaire et multiforme. Cet article a analysé les différents niveaux de cette ingérence. Ainsi, les fragilités structurelles et politiques de l’État ukrainien abordées en introduction participent à l’influence du Kremlin dans le pays. Cependant, fort d’une enquête de terrain, il a été démontré que l’ingérence russe s’invite bien au-delà de la sphère politique en Ukraine. Le soutien financier (par la rémunération des combattants) et matériel (par la livraison d’armes) aux mouvements séparatistes du Donbass en sont les illustrations. D’ailleurs, l’absence d’adhésion de la population locale comme nous l’avons vu dans l’exemple de Kramatorsk interroge sur la véritable puissance de ce mouvement séparatiste au sein de la population ukrainienne. Malgré ces évènements, preuves de l’ingérence russe en Ukraine, le président Poutine, habile dans ses déclarations sur la scène nationale et internationale semble réussir à manœuvrer avec succès pour éviter une réponse trop coercitive de la communauté internationale. De plus, avec l’importance prise par la crise syrienne depuis le 30 septembre 2015, le dossier ukrainien est passé au second plan des grandes questions internationales. Néanmoins, à la manière de la Transnistrie ou de l’Ossétie du Sud avant elle, la crise du Donbass est bien une nouvelle ingérence russe dans l’espace post-soviétique.
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Bibliographie :
BORDENET, C, 29 aout 2014, « Guerre en Ukraine : ‘Poutine a presque toujours eu un temps d’avance’ », Le Monde, URL : http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/08/29/guerre-en-ukraine-poutine-a-presque-toujours-eu-un-temps-d-avance_4478994_3214.html, consulté le 13 mars 2016.
BRZEZINSKI, Z, 1997, « Le grand échiquier : L’Amérique et le reste du monde », Bayard, Paris, 275 pages.
GOURDIN, P, 2 mai 2014, « Ukraine : Géopolitique d’un Etat tampon » Diploweb, URL : http://www.diploweb.com/Ukraine-geopolitique-d-un-Etat.html, consulté le 10 décembre 2015
MARCHAND, P, octobre 2014 « Le conflit ukrainien, des enjeux géopolitiques et géoéconomiques », EchoGéo, URL : http://echogeo.revues.org/13976 ; DOI : 10.4000/echogeo.13976, consulté le 1 février 2016.
NEMTSOV, B, YASHIN, I et CHORINA, O, mai 2015, « Poutine et la guerre, rapport d’experts indépendants », Moscou, URL : https://drive.google.com/file/d/0Bzk5MQWYwpLzVTBZZWNsNFVXYU0/view?pref=2&pli=1., consulté le 13 décembre 2015.
The Guardian, 21 mai 2015, « Grand retour de la propagande », Courrier International, URL : http://www.courrierinternational.com/article/geopolitique-le-grand-retour-de-la-propagande, consulté le 10 mars 2015.
Reuters, 17 décembre 2015, “Putin : Russia did have people in Ukraine doing ’certain military tasks” URL : http://www.reuters.com/article/us-russia-putin-ukraine-idUSKBN0U019G20151217, consulté le 20 décembre 2016.
Unian, 12 octobre 2016, « Poutine a déclaré que la Russie devait "protéger la population russophone" dans le Donbass et en Crimée » (en russe), URL : http://www.unian.net/politics/1568836-putin-zayavil-chto-rossiya-byila-vyinujdena-zaschischat-russkoyazyichnoe-naselenie-na-donbasse-i-v-kryimu.html, consulté le 2 janvier 2017.
[1] Le problème de corruption ukrainien est souligné dans le rapport de Transparency International, publié le 2 juillet 2015
[2] Extrait de l’accord de Minsk II issu du communiqué de l’Elysée du 13 février 2015 et disponible sur Elysée.fr à l’adresse suivante http://www.elysee.fr/declarations/article/ensemble-de-mesures-en-vue-de-l-application-des-accords-de-minsk/
[3] Rostov sur le Don est la principale ville russe à proximité du Donbass, elle compte plus d’un million d’habitants.
[4] Seulement 4.3% des 3035 personnes sondées sont en faveur d’un rattachement à la Russie selon ce sondage effectué dans 179 localités du Donbass contrôlé par l’Ukraine
[5] « Euromaïdan : une lame de fond » est le chapitre 4 de l’ouvrage « Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol » de Laurent Chamontin, disponible intégralement sur Diploweb.com
[6] Déclaration de Vladimir Poutine de l’issue de son discours à l’ONU du 28 septembre 2015. L’ensemble du discours est disponible à l’adresse suivante : http://www.lecourrierderussie.com/politique/2015/09/discours-vladimir-poutine-onu-version-complete/, consulté le 17 octobre 2016
[7] L’intégralité des déclarations du président Poutine sont disponibles en anglais sur : http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/interviews
[8] Traduction de “We never said there were no people there who were carrying out certain tasks including in the military sphere" "But that does not mean there are Russian (regular) troops there, feel the difference”
[9] Traduction de « We had to protect the Russian-speaking population in Donbas and Crimea »
[10] Le Conseil Européen des relations internationales (ECFR) est un think tank créé en 2007.
[11] Descriptif de Russia Today disponible sur le site de RT « https://francais.rt.com/a-propos-de-rt »
[12] Le Sénat a voté à une très large majorité l’allègement des sanctions économiques contre la Russie en juin 2016 (Le Monde, 2016), une mesure non contraignante pour l’exécutif.
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