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Un nouveau paradigme pour la défense antimissile: la protection stratégique,

par François Géré, Directeur de l'Institut Diplomatie et Défense English

 

Quand les chefs d’États jetteront-ils les premières pierres de la protection dont l’Europe a besoin ? Le temps est venu de prendre une décision. Après quatorze ans de confiance absolue dans la dissuasion nucléaire, un compromis historique peut être trouvé afin de concilier l’efficacité unique du nucléaire et la caractéristique inédite de la défense antimissile.

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Les clés de la géopolitique européenne ont changé

Quinze ans après la chute du Mur de Berlin, il est temps de redéfinir un nouveau paradigme stratégique, parce que les clés de la géopolitique européenne ont changé, à l’instar des menaces qui guettent le Vieux Continent. La traditionnelle notion de frontières n’est plus. En effet, la majeure partie des pays européens vit désormais dans la paix et l’amitié, celles incarnées par l’Union européenne et ses liens fraternels.

Dans le même temps, la nature des menaces a changé.

Comme nous avons dû l’admettre à la lueur des récents évènements, les frontières traditionnelles peuvent aujourd’hui être contournées par deux moyens distincts : tout d’abord, l’infiltration par des réseaux terroristes, qui sont à même de gangrener tout l’Occident ; enfin, l’attaque de missile balistique, plus réaliste que jamais.

L'Arc des crises

Et cette double menace n’est plus systématiquement le fait d’États belliqueux. En effet, un Arc des Crises s’étend aujourd’hui des Balkans jusqu’à la Chine du Xi-Jiang, en passant par la région du Golfe Persique. De nombreuses organisations telles qu’Al-Quaïda sont capables d’opérer partout au sein de cette large zone, car la loi et l’ordre n’y sont pas garanties : la présence d’États stables et légitimes y fait définitivement défaut. Au cœur d’un tel environnement, le concept de défense antimissile prend tout son sens.

Personne ne peut en effet éluder le retour, dans un futur proche, d’une menace de type nucléaire. Bien qu’à l’évidence très différente d’une sourde menace soviétique, la prolifération des vecteurs balistiques et des armes nucléaires en Asie a atteint un niveau dramatique. Qu’il s’agisse de la compétition nucléaire à laquelle se livrent Indiens et Pakistanais, nourrie par le conflit larvé du Cachemire, ou encore de la rivalité entre Chinois et Indiens, le risque atomique est extrêmement élevé. De plus, l’attitude belliqueuse de la Corée du Nord, qui possède moyens balistiques et ambitions nucléaires, suppose qu’un conflit de haute intensité reviendrait à condamner la région. Enfin, l’instabilité récurrente au Moyen-Orient et les nombreuses rancunes qui animent la région laissent présager le pire, tant que l’un des objectifs de ces pays est de se doter d’une capacité NBC.

Bien sûr, la dissuasion nucléaire reste le meilleur outil pour contrarier une potentielle attaque massive en provenance d’un État clairement identifié. Certes, afin de conserver crédibilité et réactivité face un environnement devenu trop complexe, les armes nucléaires pourraient devenir plus précises et plus flexibles.

Incertitudes

Pourtant, aujourd’hui, la nature et les buts de l’ennemi sont mal connus, voire mal définis, et sa capacité à exploiter le couple missiles-armes de destruction massive le conduise à produire de nouvelles formes de guerres. Pendant des années, le dogme établi astreignait une caricature de terroristes à user d’une violence limitée pour atteindre des objectifs politiques ciblés. Désormais, ces mêmes terroristes affirment être prêts à utiliser tous les moyens à leur disposition dans le but de causer le plus dommages possibles, car ils ne se contentent plus de chantages et de négociations.

La défense antimissile

Évidemment, la défense antimissile de théâtre est devenue un composant essentiel dans la conduite d’opérations militaires modernes. Ainsi, au cours de la Guerre du Golfe, il apparut évident que les forces armées déployées devaient désormais être protégées des attaques de missiles de courte portée, ceux-ci étant en la possession de 24 pays. Aujourd’hui, les pays européens ont atteint un niveau technologique suffisant, pour leur permettre d’envisager le développement de systèmes destinés à protéger des forces dont les opérations extérieures se multiplient. Pour cette raison, les compagnies européennes d’armement ont développé des systèmes de défense tel l’ASTER, l’objectif étant de tendre vers la défense antimissile complète.

Priorités

Aussi, de tels systèmes restent d’encourageants premiers pas, car seule une architecture complète sera à même d’offrir une protection sur de plus grandes étendues et contre des attaques bien plus complexes.

Pour le moment, l’acquisition de satellites géostationnaires dédiés à la surveillance et donc capables de localiser le lancement de missiles balistiques, est la première urgence pour une Europe désireuse de jouir d’une autonomie stratégique. Le nombre croissant de coopérations européennes en matière de plate-formes navales devrait pousser ses acteurs à envisager la réalisation d’une défense antimissile en mer, qui répondrait dès lors aux critères de flexibilité temporelle et spatiale.

Les Etats-Unis sont ainsi mieux préparés que les Européens

La capacité à développer des technologies de pointe est en jeu, parce qu’elles seules sont à même d’offrir les moyens de faire face à l’existence d’armes éminemment destructrices. Les Etats-Unis sont ainsi mieux préparés que les Européens pour les conflits du futur, parce que la défense antimissile est l’une des préoccupations premières de l’Amérique de la défense depuis des décennies. À l’âge de l’information, le progrès des technologies C3I est plus rapide que jamais, tandis que le contrôle de l’espace est devenu son champ de bataille. Ces évolutions sont en passe de changer la stratégie nucléaire mais aussi la guerre conventionnelle et elles modifieront à l’évidence la conduite même de la dissuasion. Parce qu’elle est un élément d’une stratégie plus intégrée, la défense antimissile bénéficiera de ces technologies, en devenant plus sûre et plus efficace.

Aussi, en supposant qu’elles ne perdent pas trop de temps, il existe à présent de nombreuses opportunités. Pour cela, la Convention Européenne actuelle devra être audacieuse et pertinente pour tenir compte des changements stratégiques que nous avons évoqués. Il lui faudra en effet établir les recommandations destinées à favoriser les investissements nécessaires aux technologiques sous-tendus par le C3I et donc, indirectement, à la défense antimissile.

Le temps est venu de prendre une décision

Par conséquent, à supposer que les Européens désirent véritablement leur autonomie stratégique, la question n’est pas : l’Europe a-t-elle besoin d’une défense antimissile, mais plutôt, quand les chefs d’États jetteront-ils les premières pierres de la protection dont l’Europe a besoin ? Autrement dit, le temps est venu de prendre une décision.

Après quatorze ans de confiance absolue dans la dissuasion nucléaire, un compromis historique peut être trouvé afin de concilier l’efficacité unique du nucléaire et la caractéristique inédite de la défense antimissile. Un tel compromis existe : la Protection Stratégique, l’alliance de la dissuasion, de la prévention et de la défense.

François Géré
Directeur de l'Institut Diplomatie et Défense
 

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  Date de la mise en ligne: mi-avril 2003
         
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