Valérie Niquet, Maitre de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS). Auteure de « La puissance chinoise en 100 questions », Paris, éd. Tallandier. Elle répond aux questions de Pierre Verluise, fondateur du Diploweb.com. Images et son Selma Mihoubi et Fabien Herbert. Montage : Fabien Herbert. Résumé : Estelle Ménard.
Avec une générosité et une pédagogie exemplaires, V. Niquet (FRS) offre un tableau géopolitique et stratégique de l’Asie qui sera très utile à l’honnête homme comme aux candidats aux concours. (54’)
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Résumé par Estelle Ménard pour Diploweb.com
L’arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis (20.1.2017) a suscité des inquiétudes en Asie alors que la région faisait déjà face à un certain nombre de tensions. Parmi elles, on note la sécurité maritime, la situation en Corée du Nord, les relations avec Taïwan et enfin celles avec l’Inde.
La sécurité maritime figure parmi les premiers enjeux stratégiques en Asie. Des conflits territoriaux se déroulent en mer de Chine du Sud et en mer de Chine orientale, où se trouvent des axes importants du commerce international. Avec la Chine comme première puissance commerciale mondiale et le Japon en troisième position, ces conflits peuvent avoir des effets économiques et commerciaux majeurs dans le monde. Bien que le tribunal arbitral de La Haye ait rejeté l’ensemble des revendications de la Chine en mer de Chine du Sud, celle-ci n’en tient pas compte, puisqu’elle considère ses revendications légitimes. Pékin les justifie par ce qu’elle présente comme un « droit » historique qui porte sur une ligne composée de neuf points et qui s’étend jusqu’à l’Indonésie. En 2017, on remarque un apaisement des tensions : la Chine n’occupe ni nouveaux îlots, ni bancs de sables (zones qui ne sont pas constamment recouvertes par la mer). Toutefois, elle mène une politique active de remblayage (construire de vraies îles à partir de ces bancs de sable) et de militarisation de la zone. Deux archipels sont en jeu. Il y a les Paracels, que la Chine occupe depuis 1974, bien que le Viêtnam soit l’occupant historique de cet archipel. Puis il y a les Spratleys, disputées par la Chine, le Viêtnam, les Philippines, Brunei, la Malaisie et Taiwan, qui occupent tous îlots et bancs de sable. Contrairement à ses voisins, la Chine revendique l’ensemble de la zone et voudrait imposer un contrôle de navigation avec des bâtiments militaires, ce qui va à l’encontre du droit international. Des négociations reprises en 2017 sur un code de conduite cible n’ont pas abouti.
En mer de Chine orientale, les îles Senkaku (Diaoyu en Chinois), que le Japon administre depuis 1895, sont revendiquées par la Chine depuis 1970, au moment où du pétrole y a été découvert. Encore une fois, en 2017, on observe une « nouvelle normalité » dans la zone, cinq ans après une crise qu’avait suscité le rachat de ces îles par le gouvernement japonais à des particuliers, un geste nationaliste selon la Chine. Cette « nouvelle normalité » se traduit par une stratégie d’incursion régulière dans les eaux contiguës (au-delà des eaux territoriales) ou dans les eaux territoriales autour des îles grâce à la mobilisation par le gouvernement chinois de flottilles de bateaux de pêche et d’une milice de pêcheurs. À cela s’ajoute l’incursion de bâtiments des garde-côtes, qui sont parfois armés : à noter que la Chine a la plus grande flotte de garde-côtes au monde (plus de 200 bâtiments) dépassant largement les États-Unis. Cette utilisation de moyens « civils » permet de tenter de maitriser des escalades de violence, bien que des moyens militaires (bâtiments de la marine) soient parfois utilisés… avec prudence, pour ne pas sembler trop « agressif », notamment en matière de communication. Ces incursions obligent le Japon à se mobiliser. Dans ces deux mers, les questions territoriales sont davantage le reflet d’une stratégie d’affirmation de puissance de la Chine face à ses voisins et que la cause d’une rivalité historique. Pékin ne renoncera pas à ses revendications mais pourrait en diminuer l’intensité en fonction de ses intérêts économiques et commerciaux. Il est très probable que l’apaisement récent a pour but d’obtenir le soutien japonais dans son projet des Nouvelles Routes de la Soie.
La Corée du Nord a mené six essais nucléaires depuis 2006. Le dernier, en 2017, montre qu’elle est capable de construire une arme nucléaire, voire de miniaturiser ses armes pour les installer sur un missile. Par ailleurs, elle dispose sur son territoire de réserves de matériaux fissiles, laissant croire qu’elle possède déjà des armes nucléaires. Elle a multiplié les essais de missiles balistiques (ce qui permet de porter les armes) : les derniers ont confirmé sa capacité théorique à toucher les États-Unis. Sont aussi menacés le Japon et la Corée du Sud, où sont respectivement stationnés 39 000 et 25 000 soldats américains. L’Europe est aussi à portée de frappe et bien qu’elle n’en soit pas la cible principale, la France doit, par principe, prendre en compte cette menace dans sa dissuasion nucléaire. Il existe également une menace de prolifération tandis que la vente d’armes conventionnelles de la Corée du Nord en Afrique et en Syrie pourrait s’étendre au nucléaire. Des sanctions internationales sont mises en place depuis 2006, mais leur application est difficile, la corruption facilitant les contournements. La Russie poursuit ainsi son commerce de pétrole à travers des sociétés écrans ou des transbordements par bateaux. Si une reprise du dialogue entre le nord et le sud de la péninsule peut rendre optimiste, se fera-t-elle sur la base d’une acceptation de la nucléarisation de la Corée du Nord ? Ce qui poserait le problème de la prolifération notamment dans le cas iranien.
En Inde, la Chine revendique l’Anurachal Pradesh et une partie du Cachemire côté pakistanais C’est en réalité une rivalité sur le modèle de puissance et d’idéologie. Parmi les autres sujets de contentieux, il y a le Dalaï Lama, réfugié en Inde depuis 1959 ; la montée en puissance de la Chine dans l’océan Indien ; la stratégie d’influence de Pékin aux Maldives ; et enfin la menace que fait peser la Chine sur le Brahmapoutre par son projet de détournement de cours d’eau. Il y a enfin le conflit autour de Taïwan, indépendante de facto depuis 1949 quand la République de Chine y a été proclamée. La République populaire de Chine n’y a toutefois pas renoncé et revendique son droit d’utiliser la force pour la réunification de la patrie.
La République populaire de Chine joue ainsi un rôle central dans les crises asiatiques. Cette stratégie agressive peut être lue comme une réaction de survie, tandis qu’elle fait face à une croissance économique ralentie qui remet en cause son modèle et sa légitimité. Il s’agit de montrer que le régime communiste chinois a permis le redressement de la Chine et qu’il peut lui redonner sa grandeur mythique. Cette stratégie de survie attise la rivalité avec les États-Unis. Il ne s’agit pas d’une rivalité traditionnelle de puissance ascendante contre une puissance en déclin : elle dérive davantage de l’engagement américain dans la région, ce que la Chine refuse. Ce contexte permet de comprendre les enjeux du projet des Nouvelles Routes de la soie, maritimes et terrestres. Ses ambitions économiques visent à montrer qu’il existe un contre-modèle chinois, qu’un régime autoritaire peut amener une croissance rapide et qu’il peut fédérer l’Asie centrale, l’Afrique et l’Amérique latine. Ce qui, somme toute, permettrait de redorer l’image du Parti communiste chinois. Ce projet suscite toutefois beaucoup d’interrogations au sujet de la corruption, de la transparence et de l’attribution des marchés, en Chine comme à l’international. Parallèlement, sur le plan militaire, le budget chinois de la défense augmente constamment : c’est le deuxième derrière les États-Unis.
Le rôle des États-Unis reste essentiel dans la zone. Il est lié par des traités de défense au Japon, à la Corée du Sud, et aux Philippines, ainsi que par des partenariats privilégiés avec Singapour et l’Inde notamment. Il y a une volonté américaine de contenir la puissance chinoise en Asie. Les pays de la région se trouvent dans une position délicate : ils sont très favorables à un fort engagement américain bien qu’ils s’inquiètent d’une montée des tensions avec la Chine. Malgré les doutes qui entourent désormais la capacité des États-Unis à assurer la stabilité en Asie (taxation de l’acier et de l’aluminium, gouvernement favorable à la dotation nucléaire du Japon, imprévisibilité du président), la stratégie américaine est vue d’un œil positif. C’est notamment dû à l’intransigeance de D. Trump à l’égard de la Corée du Nord et à la Chine face au non-respect des sanctions, une stratégie qui pourrait finalement être derrière l’apaisement mentionné plus tôt. Ainsi, pour les pays alliés de Washington dans la région, les alliances doivent être renforcées. Ces pays font ainsi des efforts en matière de défense pour démontrer leur engagement et pour répondre aux attentes des États-Unis. Pour contrer la puissance chinoise, on peut aussi citer le Dialogue de sécurité quadrilatéral (États-Unis, Japon, Inde et Australie) et le concept d’indopacifique. Ce concept pose toutefois la question de l’intégration des pays du sud-est asiatique et de la France, celle-ci possédant des intérêts directs et une présence effective dans l’océan Indien et le Pacifique.
L’Asie constitue ainsi une zone d’importance majeure. Les risques de tensions reposent désormais sur les choix futurs de la Chine et sur la capacité de réaction des États-Unis. Il faut retenir que ces tensions n’émanent point d’une rivalité traditionnelle de puissance mais d’une recherche d’équilibre stratégique et idéologique. Enfin, l’imprévisibilité notoire de D. Trump ne remet pas complètement en cause le rôle de Washington comme principal garant de la zone et déterminant de la stabilité aux yeux des pays asiatiques, que les ambitions chinoises inquiètent.
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