Contrôleur général honoraire de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Membre de la Commission intelligence économique du MEDEF Ile de France, Bernard Besson fut de 2003 à 2009 en charge des PME et de la Formation auprès du Haut responsable pour l’intelligence économique. Il est consultant et auteur de plusieurs essais et fictions sur cette discipline qu’il enseigne en France et à l’étranger.
Pour que le savoir-faire des services de renseignement dans les domaines de la guerre économique et de la sécurité du même nom contribue à l’intelligence collective de la France, il convient que l’Etat stratège surmonte ses propres obstacles. L’économie de l’information et de la connaissance est pleine de menaces mais aussi riche d’opportunités. La France saura-t-elle les saisir ?
POUR les services de renseignement, l’intelligence économique apparait comme un enfant inaccessible voire ingrat. Cette manière d’agir et de penser s’inspire pourtant en partie des méthodes pratiquées au sein des services. En France et ailleurs, des anciens du renseignement, sont allés dans la société civile pour pratiquer ou encadrer avec plus ou moins de bonheur des activités d’intelligence économique.
On oublie trop souvent que 90 % du travail réalisé par les services de renseignement (SR) s’apparente au traitement de l’information ouverte à son analyse et à son exploitation. Ce processus totalement légal est similaire aux pratiques de la presse, de l’université et des entreprises désireuses être aussi bien informées que leurs concurrentes.
Seule 10 % des activités des SR sont couvertes par le secret défense afin de jeter un voile sur les méthodes intrusives et les manipulations de toutes sortes. Mais cette part de l’ombre reste inefficace si en amont l’information ouverte, la réflexion et l’imagination collective ne disent pas quoi chercher et où chercher.
Ayant, pour une part, enfanté le concept, le service de renseignement s’en trouve écarté à cause du mot « économique ». Peuplé de policiers ou de militaires le SR a du mal à se projeter dans l’économie marchande qui n’entre pas dans ses finalités premières de service public. Tradition oblige.
Amené à lutter contre le terrorisme, les fanatismes religieux, les services étrangers, accaparé par la mise en œuvre des mesures de cyber protection et la surveillance de populations exogènes, le SR n’aborde plus l’intelligence économique que de façon marginale à travers la sécurité du même nom.
Il découvre alors que cette sécurité économique existe sur le marché depuis au moins deux siècles. Elle s’appuie sur des normes précises et complètes, des standards internationaux lisibles. Elle nourrit un secteur prospère et en plein développement. Le SR s’aperçoit que sur ce terrain les places sont prises depuis longtemps par des experts compétents et des sociétés sérieuses. Dans le meilleur des cas on lui demande une vulgarisation des mesures de base en matière de sécurité et de sûreté. Ce que fait très bien la gendarmerie nationale et le service central du renseignement territorial.
Administration subalterne dans une France dépourvue de culture du renseignement, entouré de la méfiance du politique, de la vigilance de la justice et de la curiosité de la presse, le SR souhaitera naturellement se recentrer sur son cœur de métier. D’où paradoxalement sont sorti nombres de précurseurs et de « pères fondateurs » de l’intelligence économique [1]. La boucle est bouclée et le constat plutôt amer. On comprend aisément que les SR, du moins en France, ne souhaitent plus entendre parler d’intelligence économique.
Surmonter la difficulté passe par la reconnaissance de leur savoir-faire dans la guerre économique et le contre-espionnage du même nom.De manière à alerter les acteurs économiques. Que faire ensuite ?
Il conviendrait de mieux associer les services à la sécurité économique, ce marché mondial, ancien et normé. Ils auront beaucoup de choses à apporter mais aussi à apprendre.
Quitter ces volets défensifs pour entrer dans des stratégies conquérantes nécessite un mariage avec l’Etat stratège. C’est à lui de relever le défi et de surmonter notre handicap politique et culturel.
Le SR n’aborde l’intelligence économique que de façon marginale et à partir de sa culture défensive, plus rarement offensive.
La cyber criminalité devient le risque majeur d’une économie largement dématérialisée et globalisée. Elle concerne l’ensemble des organisations et tous les citoyens. La réponse doit être de même nature et ne saurait être segmentée.
Familier de ce théâtre d’opération, le SR s’implique dans la prévention du cyber terrorisme qui s’attaque aux automates industriels provoque des déraillements de trains, des pannes d’électricité, coupe l’eau des systèmes d’adduction, infecte des avions ou navires, s’en prend aux câbles sous-marins transporteurs de données.
Avec l’ANSSI [2] à ses côtés, le SR en tant que veilleur et conseil participe dans les territoires à la protection des systèmes d’information de nos acteurs économiques d’intérêt vital.
Au-delà, la sécurité économique est depuis le XIXème siècle un business qui ne fait que croître compte tenu de la variété des menaces et de leur croissance. Les acteurs économiques achètent la sécurité dont ils ont besoin aux grands opérateurs internationaux. Le SR connait parfaitement l’histoire de ces acteurs et les liens, parfois surprenants, qu’ils tissent entre eux et avec leurs gouvernements.
L’espionnage économique fait partie de ce chapitre sur lequel le SR se sent compétent à juste titre. L’espion s’intéresse toujours aux objets et spécialement aux prototypes notamment les robots, les drones, les radars, les systèmes de navigation, etc. Mais ses objectifs sont de plus en plus immatériels. Il vole avant tout des informations et des connaissances, des secrets industriels, des secrets de fabrication, des stratégies, des idées, des projets.
Il fouille dans les fragilités humaines. Il débusque les compétences et les savoir-faire cachés de ses cibles. Il sabote la cohésion, la solidité financières, les capacités innovantes, les systèmes de protection. Il déstabilise les réseaux d’influence de ses adversaires.
Aujourd’hui c’est autant l’espionnage public que l’espionnage privé qui menacent la croissance et l’emploi. Crédible et bien renseigné, le SR met en garde les acteurs économiques sur les fondamentaux de ce fléau. Il est à ce titre un excellent pédagogue. Loin des fractures de coffre-fort ou des écoutes téléphoniques il enseigne la réalité.
L’ingénierie sociale, par exemple, est une manière déloyale d’obtenir des informations stratégiques en ayant recours à des formes simples et variées d’intrusions. C’est la partie la plus dangereuse de l’espionnage. Un vrai professionnel prendra le moins de risque possible avant de franchir la ligne jaune. Voici quelques-unes des méthodes employées. Elles sont largement connues mais toujours aussi efficaces.
Un faux cabinet de recrutement entre en contact avec un cadre de haut niveau et lui fait miroiter une nouvelle carrière.
L’espion envoie un questionnaire à l’entreprise cible en passant par des intermédiaires qui peuvent être des agences de développement économique ou des organisations spécialisées dans le commerce international. Il posera les trois questions qui l’intéressent au milieu de dizaines d’autres. Conduit depuis la France ou un pays étranger l’ingénierie peut prendre la forme suivante :
. « Ici le cabinet Dong Ho, nous sommes en relation avec la municipalité de Shanghai. Votre entreprise a été sélectionnée dans le cadre d’un futur appel d’offres sur la dépollution des sols contaminés. Etes-vous en mesure de répondre à certaines spécificités techniques ? »
Un faux cabinet de recrutement entre en contact avec un cadre de haut niveau et lui fait miroiter une nouvelle carrière. Une chasseuse de tête s’étonne du fait que ce cadre si dynamique soit si mal payé et que sa carrière n’avance que lentement. Comment feriez-vous, dit la chasseuse de tête pour résoudre tel ou tel problème technique ? Les entretiens se succèdent dans une ambiance sympathique.
Le stagiaire s’égare sur des dossiers ou dans des endroits auxquels il ne devrait pas avoir accès. Il ou elle écoute beaucoup et peut avoir besoin d’obtenir en urgence un mot de passe pour répondre rapidement à une demande de la direction. Il appelle son manager le dimanche après-midi alors que celui-ci est en famille au jardin. Le stagiaire est sérieux. Il ne prend jamais de vacances et travaille les weekends… Une perle !
En 2009 des chercheurs du CNRS découvrent stupéfaits que les Chinois ont déposé un brevet sur des matériaux qui peuvent être utilisés dans le réacteur Iter sur lequel ils travaillent depuis 10 ans. Le brevet ressemble mot pour mot à la thèse d’une de leur doctorante et aux articles publiés dans les revues internationales. L’enquête est confiée à la DGSI [3]. Mais le préjudice est déjà quantifiable. Dix scientifiques français ont travaillé pendant dix ans pour un brevet chinois !
L’entreprise conduit depuis des mois une négociation prometteuse avec une firme étrangère. Les conversations, très riches, argumentées et sérieuses de part et d’autre laissent entrevoir de nouvelles perspectives tant technologiques que commerciales. Les négociations durent encore des mois jusqu’au jour où l’entreprise commence à se poser de questions….
L’espion ou ses auxiliaires lancent des appels d’offres alléchants et reçoivent en réponse des détails sur les savoir-faire de l’entreprise trop heureuse de faire valoir ses talents !
La due diligence ou diligence raisonnable [4] est l’ensemble des vérifications qu’un éventuel acquéreur va réaliser afin de se faire une idée précise de la situation d’une entreprise. Il s’agit pour l’acheteur de s’assurer de la bonne foi du vendeur sur tous les aspects du bilan. La fausse due diligence, on l’aura compris est un cheval de Troie idéal. Sa mise en œuvre n’est pas exclusive d’autres actions parallèles.
La France, l’un des pays les plus innovants, compense par la qualité de ses ingénieurs ce qu’elle perd à cause de leurs bavardages.
Les réseaux sociaux permettent de « tracer » la cible et d’apprendre que le week-end prochain elle sera en voyage avec toute sa famille à deux cents kilomètres de chez elle. Pour un espion avisé il s’agit d’un outil précieux permettant de lire l’agenda détaillé de la victime.
L’espion ou son sous-traitant sait qui voyage dans l’avion ou dans le train. Il se positionne pour lire sur l’écran de son voisin. Qu’il peut d’ailleurs pirater depuis son siège par captation de signatures. D’une manière générale il suffit d’écouter. Le cadre français est une proie facile. Il explique car il est compétent, innovant et fier de sa boîte. Il a vaguement entendu parler de guerre économique ou d’espionnage mais « ne croit pas à toutes ces conneries ».
Il accepte volontiers les invitations à boire et à dîner. La France, l’un des pays les plus innovants, compense par la qualité de ses ingénieurs ce qu’elle perd à cause de leurs bavardages.
L’hôtel n’est pas un sanctuaire. Ni ici ni à l’étranger. L’espion y a ses entrées. Il y régale ses obligés et connait les personnels stratégiques, les petites mains, auxquelles personne ne prête attention. Les coffres des chambres ou de la conciergerie sont pour lui des pots de miel.
L’espion a fait parfois carrière dans le monde du renseignement avant de se reconvertir ou d’en être exclu. Il y a gardé quelques amis et de futurs collaborateurs. Notamment dans les aéroports, les gares, les postes frontières et les douanes [5]. La lutte contre le terrorisme aidant, la saisie des ordinateurs, dûment légalisée, permettra l’extraction de données ou l’introduction d’espions numériques qui se réveilleront six mois ou six ans plus tard…
Ces quelques exemples montrent la réalité mais aussi le caractère limité de l’action des SR dans la partie défensive de l’intelligence économique qui est la part la moins stratégique d’une politique du même nom. En réalité, le défi ne s’adresse pas au SR. Il s’adresse à l’Etat stratège car c’est lui qui est en charge de la prospérité et de la compétitivité de la Nation.
La relation du SR à l’intelligence économique ne se conçoit que dans le cadre d’une politique publique. Encore faut-il que celle-ci assigne aux services des missions adaptées à leurs compétences. L’Etat stratège est celui qui invente des stratégies et lève les obstacles au partage de l’information entre acteurs publics et privés.
Il se construit par le décloisonnement de ses administrations sous le regard du chef de l’Etat qui en assume la responsabilité et en délègue la maîtrise au Premier ministre. Ses missions impliquent un travail de prospective auquel seront associés les SR sur des objectifs ayant à voir avec leur métier.
Nos partenaires économiques sont-ils nos alliés de demain ? Que viennent-ils chercher chez nous ? Quelles sont leurs arrière-pensées ? Quels talents laissons-nous filer ? Qui sont les partenaires fiables et quels sont ceux qui pourraient devenir des prédateurs ?
Quelle est l’image du pays dans les organisations internationales ? Où sont les menaces ? Comment bénéficier des réseaux et des savoir-faire de nos expatriés à l’étranger ? Comment resserrer les liens avec eux ? Pourquoi nos inventions sont-elles exploitées par d’autres ? Notamment dans le domaine de la sécurité économique ou de la sûreté nucléaire.
Ces questions-programmes sont fondatrices. Sans elles, le SR ne fera que participer à des réunions de coordination destinées à rassurer le politique en publiant des « états de la menace ». Il ne faut pas lire l’actualité, il faut la précéder. C’est que l’Etat demandait autrefois aux Renseignements généraux.
Si la Nation est en mesure de définir des secteurs économiques et des savoir-faire à protéger le SR enquêtera sur les acteurs individuels et collectifs qu’on lui indiquera. Plutôt qu’une veille technologique qui sauf exception n’entre pas dans ses compétences, le SR s’intéressera par exemple aux « collèges invisibles » [6] c’est-à-dire aux hommes et aux femmes qui n’ont pas encore inventé mais inventeront demain.
Le SR étudiera avec les industriels, les mesures de protection du secret et dans le cadre d’un protectionnisme intelligent.
Sollicité par la pharmacie, l’aéronautique, la chimie ou le secteur de l’intelligence artificielle, le SR anticipera sur les ruptures technologiques majeures en s’intéressant aux parcours des acteurs-clés. Il le fera en amont des brevets et des normes dans le cadre de la politique publique.
Voici quelques exemples de secteurs dits sensibles : interface bio électronique, botanique génétiquement modifiée, piles à combustible, systèmes de paiement, carte à puces, utilisation d’insectes ou de bactéries dans l’agriculture, simulations laser, apiculture naturelle, bio mimétisme, etc…
Le SR étudiera avec les industriels, les mesures de protection du secret et dans le cadre d’un protectionnisme intelligent [7] les leurres susceptibles d’orienter ailleurs la curiosité des prédateurs.
En dehors des enquêtes ponctuelles sur des personnes ou des organisations, le SR peut se voir confier des missions de plus longue haleine, de véritables programmes à moyen et long terme. Citons quelques défis qu’il pourra relever.
L’intelligence économique procède de la capacité à comparer et partager des informations de toutes natures en temps réel et de manière sécurisée. Plus la mémoire des questions et des réponses stratégiques est réactive et sécurisée, plus l’intelligence collective des ministères et des territoires sera efficace. En confiant aux SR et à l’ANSSI la conception de cet outil, la compétitivité nationale se dotera d’un moyen puissant et peu onéreux.
A côté des conférences de sensibilisation qu’il pratique déjà, le SR peut se voir confier des missions d’évaluation dans les secteurs stratégiques et vitaux. Ce sera l’occasion pour lui de vérifier si les entreprises françaises sont en conformité avec les normes internationales du standard ISO.
Ce travail de conformité s’inspirera notamment des ISO 28 000 dans le domaine de la sécurité économique, ISO 27 000 dans celui de la cybersécurité et 31 000 dans le management des risques. Enquêteur-auditeur de l’intelligence économique nationale, le SR préparera les entreprises françaises à entrer dans une démarche de conformité et de certification. Cette anticipation des risques reposera sur des échanges fructueux, gagnant-gagnant entre les secteurs publics et privés.
Ces échanges intégreront ensuite la mémoire nationale avant de bénéficier à d’autres acteurs. Relever un tel défi implique de la part du SR une mise à niveau dans un domaine où les grands acteurs sont étrangers. Une collaboration avec l’AFNOR parait incontournable. Il est significatif à cet égard de noter que les contenus techniques de ces normes internationales sont souvent d’inspiration française à défaut de servir une stratégie nationale.
A travers ses projections extérieures le SR participera à l’élaboration du panorama des risques, pays par pays, métier par métier. Associé dans le cadre de la politique publique aux institutions financières et assurantielles qui œuvrent dans ce domaine il apportera sa pierre en participant à des évaluations de la corruption, du terrorisme, de la fiabilité des acteurs politiques, des risques de guérilla ou de modification brutale du cadre législatif, social ou religieux.
L’intelligence économique est moins l’affaire du SR que de l’Etat stratège, son employeur et sa raison d’être. Encore faut-il que celui-ci existe et soit en mesure d’associer le SR à une politique. Trois exemples venus d’ailleurs nous indiquent des pistes.
Aux Etats-Unis la CIA repère les jeunes talents dans les secteurs jugés stratégiques pour l’Amérique et propose l’aide de son fonds d’investissement.
Dans les années 1960, la Suède a chargé son SR extérieur de prendre contact avec le physicien croate Stepan Dedijer qui pendant la Seconde guerre mondiale avait coordonné les actions de renseignement de Tito et de la résistance yougoslave. Stockholm fut la première capitale européenne à initier une politique d’intelligence économique et à créer à l’université de Lund une chaire dédiée à cette matière.
Aux Etats-Unis la CIA repère les jeunes talents dans les secteurs jugés stratégiques pour l’Amérique et propose l’aide de son fonds d’investissement, IN-Q-Tel, basé à Arlington. On remarquera dans son nom l’allusion volontaire à monsieur « Q » qui dans les James Bond est le fournisseur en matériel du héros de la série.
La communauté anglo-saxonne va encore plus loin dans l’implication de ses SR en les associant au programme Echelon qui permet de mobiliser les services à la fois sur la compétition économique et la guerre économique en mettant sur écoute l’ensemble des compétiteurs.
Nous imaginons mal, en France, une telle souplesse dans l’utilisation des SR. L’interventionnisme dont font preuve ces pays est pourtant moindre que celui de la Chine, de la Russie, d’Israël ou du Japon qui utilisent leurs SR pour collecter sur le long terme des données permettant par exemple de s’assurer une suprématie dans le domaine des terres rares. Comme le disait la représentante d’un fonds chinois à l’auteur de cet article, « vous pensez en Europe au confort du consommateur alors que nous travaillons pour nos petits-enfants ».
En tant qu’organes de souveraineté, les services de renseignement sont sollicités dans le cadre d’enquêtes liées à des levées de doute. L’homologation des professionnels de l’intelligence économique se fait en concertation avec les représentants de la profession. Elle nécessite souvent le regard des SR lorsqu’il s’agit d’acteurs étrangers. Voire français.
Dans le cadre du protectionnisme intelligent qui anticipe les menaces au lieu d’avoir à gérer des crises ils ont une place de choix. Ils permettent de lire la frontière, toujours mouvante qui sépare la compétitivité de la guerre économique.
Pour que le savoir-faire des SR dans les domaines de la guerre économique et de la sécurité du même nom contribue à l’intelligence collective du pays, il convient que l’Etat stratège surmonte ses propres obstacles. Car c’est lui qui est concerné par l’intelligence économique des autres, qu’ils soient des Etats, des entreprises, des modèles économiques nouveaux, des manières révolutionnaires de penser et d’agir, des logiciels, des robots. L’économie de l’information et de la connaissance est pleine de menaces mais aussi riche d’opportunités.
Les services français de renseignement s’intéressent peu à l’intelligence économique parce que les gouvernements successifs ont du mal à imaginer et à coordonner une politique persévérante. Pluridisciplinaire, horizontale autant que verticale, la discipline inquiète. Sa définition et son périmètre posent encore problème, malgré un enseignement de qualité, une abondante littérature et un corps de doctrine dont s’inspirent d’autres pays.
Le « contrôle » de l’intelligence économique oppose les ministères et les grands corps de l’Etat. On reproche au vocable d’être une traduction de l’anglais, ce qui est faux. L’intelligence économique est un terme français qui signifie compréhension, intelligence de l’environnement économique. Tout simplement.
On lui reproche d’être une version moderne de l’espionnage. C’est méconnaître son caractère entièrement éthique et légal. Alors que la France est à la tête des innovations technologiques qui permettent son implantation dans les organisations, le manque de culture et l’absence de politique nous pénalisent.
C’est l’un des paradoxes de ce pays. Nos brillants ingénieurs produisent les outils utilisés par d’autres dans le cadre de stratégies agiles et solidaires. L’Allemagne comme la Suède par exemple disposent d’une intelligence économique sans avoir besoin de lois ou de décrets.
Je me souviens d’une réflexion de nos amis germaniques s’étonnant de la nécessité chez nous de publier des décrets pour échanger des informations et des connaissances. Il est vrai que nous produisons autant de textes législatifs et réglementaires que plusieurs grands pays européens réunis. Il s’agit d’une pathologie qui se retrouve dans le domaine de l’intelligence économique et des SR remodelés (en surface) par d’incessantes réformes.
Si l’on ajoute aux pathologies françaises la tradition libérale de l’Union européenne dans un monde qui l’est de moins de moins, nous sommes loin de relever le défi. L’utilisation des instruments de souveraineté que sont les SR est mal vue par la Commission européenne. Par ailleurs, comment peut-on développer une politique française d’intelligence économique alors qu’il n’existe pas d’équivalent européen ?
Dans ce contexte, les SR de plus en plus aspirés par la lutte antiterroriste et la contre cyber criminalité auront d’autres chats à fouetter que de relever un défi qui ne leur est pas adressé.
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[1] Voir le Portail de l’IE de l’EGE.
[2] ANSSI : Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information.
[3] Direction générale de la sécurité intérieure, née d’une fusion entre les Renseignements généraux et la Surveillance du territoire.
[4] L’audit préalable est une étape essentielle pour éviter toute asymétrie d’information entre vendeurs et acheteurs. La due diligence est donc une procédure saine dans le monde des affaires mais peut être détournée à des fins d’espionnage.
[5] « Groenland » de Bernard Besson traduit aux Etats-Unis sous le titre « The Greenland Breach » traite de cet aspect particulier de l’espionnage économique où les administrations, solidaires de leurs champions nationaux, ferment les yeux sur des pratiques totalement illégales qu’elles encouragent en dépit des conventions internationales… Editions Odile Jacob 2011.
[6] Grâce à la bibliométrie et à la scientométrie il est possible de reconstituer à l’aide des publications techniques, scientifiques ou économiques les parcours d’auteurs qui en lien avec d’autres préparent les évolutions dans leur domaine.
[7] Le protectionnisme intelligent ; pages 102 à 113 de « Introduction à l’intelligence économique » 2ème édition, Bernard Besson, Amazon et Amazon Kindle 2016.
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